560 REVUEDES DEUXMONDES.
disciples que, dans son sommeil, un homme se présenta à lui,
le prit par la main, le conduisit au pied d'une montagne
abrupte et lui dit qu'il devait la gravir jusqu'au sommet.
Chemin faisant, il rencontre d'horribles supplices : les châti-
ments des pécheurs. Puis il arrive à un endroit où dorment
tranquillement àl'ombre ceux qui moururent dans la foi de
l'Islam; et leurs fils jouent et se promènent à travers un
jardin de délices. Plus haut, des hommes lui apparaissent tout
blancs et très beaux, qui exhalent un parfum exquis : ce sont
les amis de Dieu, les martyrs et les saints. Mahomet reconnaît
parmi eux son fidèle Zéid et deux de ses amis qui tombèrent
sur le champ de bataille. Enfin, levant les yeux vers le ciel, il
aperçoit le trône de Dieu, Abraham, Moïse et Jésus. Tel est
l'embryon de la légende qui va bientôt se développer et dont
les développements préciseront la topographie du voyage, en
varieront les épisodes, multiplieront les supplices infernaux et
les visions paradisiaques, amplifieront les horreurs et les
éblouissements. Elle sera complète et fortement établie au
IXesiècle.
Les mystiques et les philosophes s'en emparent et en font
des transpositions symboliques dont les dernières et les plus
parfaites sont celles du prince de la mystique hispano-musul-
mane, le Murcien Abenarabi. Vingt ou vingt-cinq ans avant
la naissance de Dante, il nous en laisse deux : l'une, le Livre
du Voyage nocturne, encore inédite; l'autre, dans son grand
ouvrage, les Révélations de la Mecque. Il imagine l'ascen-
sion d'un théologien et d'un philosophe de sphère en sphère
jusqu'à celle de Saturne. A chaque étape, chacun d'eux ren-
contre le guide et le maître qui lui convient : dans le premier
ciel, Adam et l'Esprit de la Lune; dans le second, Jésus avec
Jean-Baptiste et Mercure ;dans le troisième, le patriarche
Joseph et Vénus; dans le quatrième, Enoch et le Soleil; dans
le cinquième, Aaron et Mars; dans le sixième, Moïse et Jupiter;
dans le septième, Abraham et Saturne. Le philosophe, guidé
par la raison naturelle, ne peut monter plus haut. Le théolo-
gien, lui, traverse les sphères des étoiles fixes et des constella-
tions et parvient jusqu'au trône de Dieu. La musique des
sphères célestes le ravit en extase. Il s'élève au séjour de la
Matière corporelle universelle, de la Nature universelle, de
l'Ame universelle et de l'Intellect. De là, il pénétre dans le