La mort de Dante Lazarescu La mort de Dante Lazarescu, tient l'affiche depuis déjà de nombreuses semaines dans les quelques salles qui le diffusent. Sans doute parce qu'au travers du portrait qu'il dresse des urgences roumaines, on peut y lire la critique d'un pouvoir médical et administratif qui ne nous est pas si étranger. Entre Dante et Kafka, le film nous entraîne dans une odyssée captivante qui nous donne froid dans le dos. Dès le titre, la présence de la mort et du nom de Dante ne peut être une simple coïncidence et nous ramène immanquablement à La divine comédie, mais ici la référence n'est pas juste un faire valoir ou la marque d'un snobisme intellectuel, mais se fait véritablement éclairante. Les allusions constantes à l'œuvre de Dante, nous pousse à faire le parallèle entre le parcours de Lazarescu qui va être conduit dans différents hôpitaux, suite à un hématome cérébral et le voyage du poète de l'enfer au paradis. Mais le film n'est pas le développement d'une thèse. On y suit avec empathie le personnage principal et on est surpris de la capacité du réalisateur à nous tenir en haleine avec un scénario aussi ténu. On pénètre avec réalisme et même parfois avec humour (même si l'on rit jaune) dans une administration devenue insensible qui fait aussi penser à Kafka. En effet, là où Virgile guidait Dante dans sa descente des cercles de l'enfer, ici ce sera l'infirmière, appelée au domicile du malade par les voisins, qui servira de laissez-passer de services en services. Et il faudra toute la ténacité de cette escorte médicale pour qu'après un parcours de combattant qui aura duré toute une nuit et au cours duquel l'état de santé de Lazarescu n'aura cessé d'empirer (en tombant finalement dans un quasi coma), il soit enfin préparé pour être opéré. Mais sa déchéance n'a pas commencé cette nuit là. En suivant, au début du film, son corps fatigué au milieu de son appartement et de ses chats qui semblent être tout ce qui lui reste de relation affective, on se rend vite compte que la solitude et la misère se sont emparées de lui déjà depuis quelque temps. Sa confrontation au pouvoir médical en sera d'autant plus cruelle. Car si, comme le souligne la référence à Dante, le discours religieux sur la mort a cédé la place au discours scientifique positiviste, on n'est pas sûr que les mécanismes de ses pouvoirs en soient plus doux pour autant. En effet, le pouvoir technique des médecins semble évacuer tout rapport humain et reproduit lui aussi une morale culpabilisante. Le malade est responsable de sa maladie de la même manière que la politique de sécurité néo-prudentielle tend à faire de chaque individu un acteur de sa sécurité en évitant les comportements statistiquement risqués, (notamment la fréquentation de certains lieux à certaines heures). Chaque nouveau médecin vient accuser Lazarescu de son alcoolisme, le condamnant et le classant dans une catégorie méprisable qui ne relève que d'un examen succin. Le patient est constamment rappelé à l'ordre. L'ambulancier évoquera les devoirs du patient envers son propre corps lorsque ce dernier réclamera à être traité humainement. Mais la fonction du prêtre a disparu. Il n'y a ici plus personne pour recueillir les dernières paroles du mourrant. Le médecin n'a rien à lui dire puisque la mort marque son échec. Le film se clôt avant l'opération de Lazarescu. Comme pour mieux dépeindre notre société qui cherche à évacuer la mort, elle reste ici hors champs. Vincent Hubert © AxeeLibre