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cela nous montre l’effort de Saint-Saëns et du librettiste Louis Gallet pour donner de
l’authenticité à l’œuvre. Saint-Saëns a appelé cet opéra « bluette2 » dans une lettre.
Cet opéra ne consiste qu’un acte et le timbre exotique par la gamme pentatonique et
par l’utilisation des percussions en métal est pétillant. En outre, cet opéra est écrit dans
la jeunesse de Saint-Saëns, il est donc approprié d’utiliser ce mot « bluette ». Mais
pour ce compositeur, cet opéra n’était pas du tout une « étude d’opéra ». La preuve
en est que Saint-Saëns compare cet opéra avec le phénix dans la même lettre. Cette
mention signifie que La Princesse Jaune a une valeur à représenter toujours.
Probablement avec des souvenirs de sa jeunesse, cet opéra était un des plus précieux
morceaux pour ce compositeur. Mais après cet opéra-comique, Saint-Saëns n’a laissé
que des poèmes sur le Japon. L’analyse de ces poèmes nous montre sa sympathie
pour l’esthétique parnassienne. De même que les parnassiens se sont enfermés dans
la tour d’ivoire de l’art pour l’art, de même Saint-Saëns semble avoir trouvé dans l’art
japonais une tour d’ivoire de sérénité dans laquelle il puisse se soustraire à la vie
extérieure, se mettre en hauteur, en surplomb, loin des contrariétés de la vie
quotidienne. En effet, au cours de son exil après le décès de sa mère, le japonisme
est pour Saint-Saëns entré dans une nouvelle phase. Le japonisme de la première
phase correspondait à une passion de jeunesse se traduisant par une aspiration vers
le Japon aux déterminations assez vagues. Celui de la deuxième phase correspond à
une sympathie profonde pour l’essence de la culture japonaise et les résonances avec
le pessimiste de la vieillesse. Ce changement s’inscrit dans la mouvance
« parnassienne ». Saint-Saëns a étendu l’esthétique parnassienne de la Grèce
jusqu’au Japon en faisant ainsi « se toucher les extrêmes : l’Extrême-Orient et
l’Extrême-Occident s’embrassent3 ». En pénétrant mieux son caractère profond, Saint-
Saëns s’est découvert des points communs avec la culture japonaise traditionnelle ce
qui correspond à une évolution majeure de notre compositeur. En outre, après la
Restauration de Meiji, le gouvernement japonais a importé rapidement la civilisation
occidentale et a commencé à s’éloigner de la culture traditionnelle japonaise, mais on
peut constater que Saint-Saëns regrettait cette situation, ce qui nous a paru très
intéressant.
Dans la troisième partie, j’ai recherché la collection de Saint-Saëns. Certes
Saint-Saëns possédait un certain nombre d’objets d’art japonais, mais il n’était pas un
collectionneur expert comme les frères Goncourt. Quand on regarde la bibliothèque
personnelle de Saint-Saëns telle que la présente la Médiathèque Renoir de Dieppe,
on trouve des livres sur la porcelaine, mais pas sur la peinture et dans sa collection
d’objets, on ne trouve que peu d’ukiyo-e (estampe japonaise). Il a donc manifestement
préféré la porcelaine à la peinture japonaise. Dans l’histoire du japonisme, l’influence
de l’ukiyo-e est très célèbre. Mais concernant ce type de peinture, on ne trouve que
des ukiyo-e représentant le « Japon moderne » de l’ère de Meiji. Ces images du
« Japon moderne » ont donné à Saint-Saëns une vision du Japon déjà éloigné de sa
2 SAINT-SAËNS, Camille, Lettre manuscrite autographe inédite destinée à l’éditeur Durand, datée
le 23 août 1906, écrite à Dieppe, et conservée à la Médiathèque Musicale Mahler.
3 SAINT-SAËNS, Camille et FAURÉ, Gabriel, NECTOUX, Jean-Michel (éd.), Correspondance
(1862-1920), Paris, Publications de la Société Française de Musicologie / Éditions Klincksieck,
1994, p. 94.