TRAVAILLER AVEC DES
RESSOURCES LIMITÉES :
LES CONTRAINTES
MORALES DES
INFIRMIÈRES
TROIS CAPSULES
Anna, infirmière en soins à domicile, constate qu’elle ne peut dispenser à
ses clients les soins dont ils ont besoin. Elle sait que certains clients ont
besoin de voir une infirmière tous les jours, mais les critères de son agence,
qui cherche à réduire les coûts et à utiliser son effectif infirmier limité de la
façon la plus étendue possible, l’interdisent. Même si une préposée aux
soins infirmiers est disponible pour rendre visite aux clients tous les jours,
Anna est d’avis que certains clients ont besoin plus souvent des techniques
d’évaluation d’une infirmière autorisée. Anna rend visite à ses clients après
ses heures de travail « officielles ». Elle ne se sent pas à l’aise face à ce
«temps supplémentaire bénévole » et reconnaît aussi que les infirmières ne
sont pas toutes prêtes à le faire. À cause de ces heures supplémentaires non
rémunérées, Anna est épuisée et a peur de « se brûler ».
Paul est infirmier sur un étage médical occupé dans un hôpital de taille
intermédiaire. Récemment, à cause d’une pénurie de lits aux soins intensifs,
son service a été obligé d’admettre des clients qui satisfont aux critères des
soins intensifs. Malgré la présence d’une infirmière supplémentaire qui aide
à s’occuper de ces clients, Paul craint que la situation alourdisse le stress et
la charge de travail de son service et que celui-ci n’ait pas les compétences
spécialisées et l’équipement nécessaires en cas de crise chez un client. Les
infirmières qui se plaignent d’avoir à s’occuper des clients des soins inten-
sifs sont qualifiées de « plaignardes ».
Michelle travaille dans un service d’urgence (SU) au centre-ville. Le SU est
habituellement très occupé et le personnel réussit à peine à demeurer à flot.
Cette semaine, il y a toutefois eu une grave éclosion de grippe et le person-
nel est débordé. Les couloirs sont encombrés de civières occupées par des
personnes très malades qui attendent un lit, les lits d’examen au SU sont
pleins et la salle d’attente déborde d’autres patients qui attendent de voir un
médecin. La directrice du SU est au téléphone et essaie de mobiliser des
infirmières et des médecins supplémentaires et d’obtenir des lits pour les
patients qui attendent.
Septembre 2000 Numéro ISSN 1480-9990
* Le terme infirmière signifie infirmière autorisée ou, dans le cas du
Nouveau-Brunswick, infirmière immatriculée.
PROBLÈMES DÉTHIQUE ENCONTEXTE
DE RESSOURCES LIMITÉES
Chaque année, notre système de soins de santé traite de plus en plus de per-
sonnes. Les infirmières s’occupent de plus en plus de personnes malades
avec le même personnel. Dans un contexte de pressions énormes qui visent
à contenir les coûts, les professionnels de la santé doivent non seulement
tenir compte des répercussions cliniques de leurs décisions, mais aussi se
demander si certains des services en particulier valent ce qu’il en coûte
pour les fournir. Il y a divergence entre la défense des clients et la protec-
tion des intérêts financiers du système de santé.
Lorsque les ressources sont limitées, le dilemme pour les infirmières consiste
à déterminer comment s’acquitter de l’obligation que leur impose la déonto-
logie, soit « aider les personnes à atteindre un état de santé optimal qu’ils
vivent dans une situation normale, ou qu’ils soient malades, blessés ou mou-
rants » (AIIC, 1997, p. 8). Dans ce document, on examine certains concepts
nécessaires pour comprendre l’environnement où les infirmières dispensent
des soins, des idées pour les infirmières à titre d’agents de changement et des
stratégies pour faire face aux ressources actuellement limitées.
COMPRENDRE LE PROBLÈME
Définition et explication
La répartition des ressources, c’est la distribution des biens et des services à
des programmes et à des personnes. Dans le domaine des soins de santé,
lorsqu’il semble se poser un problème de pénurie de ressources, il est pos-
sible de définir trois types de pénuries. La pénurie liée à l’offre est un
manque d’une ressource définie parce que la disponibilité de la ressource
en question est limitée naturellement : par exemple, manque d’organes à
transplanter. La pénurie budgétaire découle d’un manque de fonds : c’est le
cas, par exemple, d’une pénurie de personnel compétent dans un hôpital. Il
y a pénurie découlant d’une crise parce qu’on ne dispose pas de suffisam-
ment de ressources dans une situation de crise : par exemple, lorsqu’il faut
dispenser des soins médicaux immédiats à une foule de personnes à la suite
de l’écrasement d’un avion. Les trois tableaux présentés au début sont des
exemples de trois types de pénuries.
La complexité du système de soins de santé contribue aux problèmes de
répartition des ressources. Une façon de s’y retrouver consiste à répartir la
prise de décisions entre trois niveaux :
1. Niveau sociétal : Financement que les gouvernements consacrent aux
soins de santé et qui fait concurrence à celui de l’éducation, des ser-
vices sociaux et d’autres besoins et désirs humains.
2. Niveau institutionnel : Les hôpitaux, les agences et les administra-
tions de la santé prennent des décisions sur les programmes à offrir et
sur la question de savoir, par exemple, s’il faut consacrer davantage
d’argent aux soins préventifs ou aux soins de santé primaires.
3. Niveau individuel : Des cliniciens prennent des décisions sur le traite-
ment des clients en particulier. Par exemple, un médecin peut décider de
prescrire un médicament moins coûteux (mais légèrement moins efficace).
POUR LES INFIRMIÈRES AUTORISÉES CANADIENNES
Il est impossible d’isoler ces niveaux dans la réalité de la pratique. Les
décisions prises au niveau individuel ont une incidence sur l’établissement
et celles que prend l’établissement se répercutent sur l’individu. C’est la
même chose au niveau des décisions prises par la société. Il importe de ne
pas oublier cette interaction entre les niveaux : les décisions quotidiennes
des infirmières et d’autres intervenants auront une incidence sur d’autres
niveaux. En outre, il importe de se rappeler que le niveau du client ou du
prestateur individuel est celui où se déroulent en réalité les soins de santé et
les décideurs qui se trouvent à d’autres paliers ont besoin d’entendre parler
des problèmes pour continuer de répondre aux besoins de la population.
Certains auteurs sont d’avis que les décisions prises par des prestateurs
individuels en matière d’affectation de ressources équivalent à rationner les
ressources de la santé au chevet (Ubel et Goold, 1997). Rationner consiste à
établir des lignes directrices sur l’utilisation de ressources qui ne suffisent
pas pour répondre à toutes les demandes. Le rationnement peut être justifié
en contexte de rareté de l’offre, comme c’est le cas du manque d’organes à
transplanter, mais il peut devenir injuste lorsque les ressources sont affec-
tées ou refusées en fonction de facteurs de discrimination comme la race, la
religion, le sexe ou l’âge, ou lorsque le rationnement est dissimulé.
Heath (1997) définit des formes moins explicites de rationnement qui finis-
sent par limiter l’utilisation des ressources. Par exemple, la réduction du
nombre des lits d’hôpitaux disponibles constitue une forme de rationnement
par dilution : les lits restants sont de moins en moins nombreux à être
répartis entre ceux qui en ont besoin, la durée des séjours raccourcit et l’ad-
mission devient plus difficile. La réduction draconienne de la durée des
séjours et des effectifs, qui a eu une incidence particulière sur les infir-
mières, peut entraîner le rationnement par dilution qui contribue à la perte
de dignité et de choix pour les personnes malades parce qu’on manque de
ressources nécessaires pour dispenser des soins appropriés.
Le contexte des soins infirmiers
Les décisions sur le montant et l’affectation des budgets consacrés à la santé
reposent de façon inhérente sur des valeurs. Lesquelles? Parce que notre sys-
tème de santé est « une force majeure qui intervient dans la définition de ce
que l’on peut considérer comme aspect éthique et légal d’une société »
(Sommerville, 1999, p. xi), les valeurs sous-jacentes devraient être celles
que privilégient les Canadiens. Les principes de la Loi canadienne sur la
santé représentent les valeurs des Canadiens (voir à la page suivante).
Des auteurs laissent toutefois entendre que les valeurs organisationnelles pren-
nent de plus en plus d’importance dans les décisions relatives aux ressources
(Varcoe et Rodney, sous presse; Saul, 1995) et qu’elles ne constituent pas le
meilleur choix dans le domaine des soins de santé. Varcoe et Rodney affirment
que ces valeurs sont une cause de contraintes idéologiques et structurelles qui
limitent l’intervention morale des infirmières. La compréhension de ces
contraintes aide les infirmières à analyser le contexte où elles travaillent, leur
façon de participer à ces contraintes, et à réaliser qu’il y a des possibilités de
changement. Ce qui suit repose sur leur analyse (sous presse).
Une idéologie est constituée d’une série d’idées et d’images, d’un ensemble
partagé de croyances fondamentales. Varcoe et Rodney affirment que deux
idéologies contribuent à la réalité actuelle des soins de santé : une idéologie
organisationnelle et une idéologie de pénurie.
Saul (1995) affirme que nous avons oublié l’engagement envers le bien
commun qui a caractérisé l’évolution du Canada comme nation. Une idéo-
logie organisationnelle qui repose sur la technologie et l’intérêt personnel
émane d’une société axée sur l’économie plutôt que sur les aspects qui
contribuent à la qualité de vie de sa population. Varcoe et Rodney laissent
entendre que l’idéologie organisationnelle force les infirmières à modifier
leur travail de façon à maximiser le type d’efficience prisée.
Une idéologie de pénurie est une façon efficace de promouvoir les idées et les
images des valeurs organisationnelles (Varcoe, 1997). Les messages sur les
pénuries proviennent de nombreuses sources, dont les médias, les gestion-
naires et les publications d’entreprise. Le concept selon lequel les ressources
sont rares et impossibles à atteindre est répandu et accepté dans la pratique
infirmière, et c’est pourquoi on insiste sur l’efficience en contexte de pénurie,
ou pour « faire le mieux possible avec ce que l’on a » (Varcoe et Rodney, sous
presse, p. 7).
La recherche de Varcoe et Rodney révèle que les infirmières expriment
cette idéologie dans la discussion sur le temps en indiquant qu’elles accep-
tent le manque de temps comme force motrice dans l’organisation de la
pratique infirmière. Ce qui oblige des infirmières à se montrer efficientes
dans un système qui mesure l’efficience principalement par le nombre de
tâches physiques accomplies, processus qui oublie le travail affectif et
intellectuel des infirmières. Les infirmières organisent ainsi leur travail en
fonction d’une croyance dans la pénurie et de son acceptation.
Les infirmières font aussi prendre conscience de la différence entre les
soins qu’elles prisent et qu’on leur a appris à dispenser, et ceux qu’elles
sont en mesure de dispenser. On décrit aussi cet écart en fonction du
temps. Le manque de temps est une cause de détresse morale pour les
infirmières et a une incidence négative sur les clients qui reçoivent des
soins limités. Des infirmières comme Anna peuvent essayer de soulager
leur détresse morale en faisant des heures de bénévolat non rémunérées.
Le temps, ressource la plus précieuse des infirmières, est aussi considéré
comme une denrée rare et est consacré au service de priorités organisation-
nelles et non de celles des soins infirmiers ou des clients. Le concept de la
pénurie appuie ainsi les mesures de réduction des coûts qui, de concert
avec les valeurs organisationnelles, mettent l’accent sur l’efficience sans
égard à la qualité ni à l’efficacité.
Varcoe et Rodney ont trouvé des preuves indiquant que des sanctions au
travail appuient en partie les « efficiences » organisationnelles. Les infir-
mières se disent ce qu’on attend d’elles, approuvent celles qui font preuve
d’efficience dans la prestation de soins physiques et l’« exécution des
tâches » et froncent les sourcils devant celles qui sont « lentes », « défen-
dent la veuve et l’orphelin » ou « passent trop de temps à parler » (p. 14).
Conjuguées aux sanctions appliquées par des infirmières en particulier, les
sanctions administratives imposent une pratique compatible avec les buts
organisationnels. Lorsque les buts organisationnels ne sont pas atteints, il
peut en découler des sanctions réelles, y compris des licenciements ou le
remplacement d’infirmières autorisées par du personnel moins préparé.
On s’attend à ce que les infirmières s’adaptent aux efficiences d’autres
prestateurs et services de soins de santé. Par exemple, les infirmières peu-
vent distribuer des médicaments lorsque la pharmacie réduit ses heures; les
infirmières du service d’urgence s’occupent de clients médicaux dans les
couloirs, pendant des jours parfois, lorsqu’il manque de lits. De plus, les
infirmières peuvent hésiter à rechercher des solutions plus équitables par
crainte qu’on les accuse d’être plaignardes, même si elles ont aidé à réduire
la charge de travail d’autres services en alourdissant la leur.
REMISE EN QUESTION DES HYPOTHÈSES
AU NIVEAU DE LA SOCIÉTÉ
Les infirmières ont appris à naviguer à l’intérieur des contraintes du milieu
de travail. Par exemple, il leur arrive parfois de contourner les règles,
comme Anna l’a fait, ou de négocier avec des tiers comme des médecins ou
des organismes communautaires afin d’obtenir un meilleur résultat pour
leurs clients. En contexte de compressions, les professionnels de la santé, et
particulièrement les infirmières, maintiennent le système de soins de santé,
souvent à un coût personnel énorme. Parce que les infirmières « se
débrouillent », les problèmes sous-jacents persistent sans être corrigés.
La plupart des tactiques d’adaptation sont individuelles et ne reposent pas
nécessairement sur une conscience critique de la domination de valeurs et
de pratiques organisationnelles. Varcoe et Rodney suggèrent les stratégies
suivantes de changement au niveau de la société :
1. Une plus grande conscience critique des façons dont on utilise les idéo-
logies pour structurer le travail des infirmières.
2. Une prise de conscience, chez les infirmières, des façons dont elles
aident à miner leurs propres valeurs.
3. La remise en question de l’idée souvent tenue pour acquise selon
laquelle « il n’y a plus d’argent », qui fait oublier que l’on dépense tout
simplement l’argent « ailleurs ».
4. Décider que les valeurs organisationnelles et les sanctions utilisées au
travail pour les préserver sont inacceptables.
5. L’« efficience » devrait tenir compte de l’efficacité, du mieux-être des
clients, ainsi que des gains à long terme et à court terme.
6. Il faut relier davantage les critères d’efficience aux résultats et non à la
maximisation des tâches.
Au niveau de la société, les infirmières doivent aussi, comme groupe pro-
fessionnel, exercer des pressions pour rendre les soins de santé accessibles
et équitables. Les compétences spécialisées des infirmières peuvent aider
les gouvernements, les organisations et la population à prendre de
meilleures décisions.
PRINCIPES DE LA LOI CANADIENNE
SUR LA SANTÉ DE 1984 :
1. Administration par le secteur public : Les régimes provinciaux d’assu-
rance-maladie doivent être administrés sans but lucratif par une adminis-
tration publique qui rend compte au gouvernement provincial et doit sou-
mettre ses comptes et ses opérations financières à une vérification.
2. Intégralité : Toutes les interventions médicalement nécessaires doivent
être assurées.
3. Universalité : Tous les citoyens ont droit aux services assurés.
4. Transférabilité : Les personnes qui ont droit aux soins de santé peu-
vent les obtenir partout au Canada. Les services à l’étranger doivent
être payés en fonction du montant qui aurait été payé par la province de
résidence.
5. Accessibilité : Les provinces doivent dispenser des soins de santé uni-
formes et dont l’accès est raisonnable dans tout leur territoire.
LESTRESS DE RESSOURCES LIMITÉES :
LES INFIRMIÈRES EN TANT QUE
PERSONNES
À l’échelon individuel, les infirmières ne doivent pas oublier qu’elles pren-
nent tous les jours des décisions relatives à l’affectation de ressources.
Anna, par exemple, décide de rendre visite à ses clients à la fin de sa jour-
née de travail. Michelle doit établir des priorités entre les clients. Préoccupé
par le moral de son service, Paul peut choisir de lancer parmi ses collègues
une conversation sur l’établissement de changements qui pourraient donner
de meilleurs résultats.
Voici quelques stratégies et ressources qui s’offrent à l’infirmière :
1. Le Code de déontologie des infirmières autorisées, qui décrit les
valeurs morales fondamentales de la profession infirmière, constitue un
bon point de départ. Le Code présente sept valeurs dont trois jouent un
rôle dominant dans toute discussion sur l’affectation des ressources.
Ces valeurs sont les suivantes :
Équité (énoncés 3, 4, 5 et 6)
Responsabilité (énoncés 7 et 8)
•Milieux de pratique propices à des soins sécuritaires, compétents et
conformes à l’éthique (énoncés 4 et 5)
Les valeurs que sont le choix, la santé et le bien-être sont aussi
pertinentes.
2. Une personne peut établir des regroupements avec d’autres. Souvent,
les infirmières ne se rendent pas compte qu’elles font face à un problè-
me de ressources mais décrivent plutôt ce qu’elles font comme une
«intervention en faveur de mon client ». Anna, l’infirmière en soins à
domicile, pourrait trouver d’autres ressources disponibles dans la col-
lectivité en établissant des partenariats avec d’autres intervenants pour
assurer le meilleur résultat à ses clients.
3. Il faut réaliser comment vous pouvez, comme individu et sans vous en
rendre compte, participer à l’idéologie de la rareté (Varcoe, 1997). Par
exemple, il faut comprendre le rôle que les sanctions jouent au travail. Paul
pourrait regarder comment on traite les autres infirmières de son service
qui ne sont pas d’accord pour accepter des clients des soins intensifs. Si on
leur impose des sanctions à cet égard, il peut intervenir pour les appuyer.
4. Il faut reconnaître que les infirmières ont des compétences spécialisées lors-
qu’il s’agit de travailler dans des situations où les ressources sont limitées.
Les infirmières ont toujours essayé d’aider le plus possible en cherchant des
façons d’utiliser leurs connaissances spécialisées et n’ont jamais considéré
leurs compétences spécialisées comme une ressource importante. Il faut se
rendre compte que des décisions sur les ressources que des travailleurs de la
santé prennent tous les jours sont influencées par des contraintes qu’il faut
peut-être critiquer. Michelle peut reconnaître qu’au cours de l’éclosion de
grippe, le personnel devra travailler plus fort et négliger des clients moins
malades. Si le rythme de travail persiste après l’éclosion, son expérience
peut aider à régler des problèmes courants d’effectif.
5. Il ne faudrait pas forcer les infirmières à rationner leur temps. Il faut
reconnaître quand les méthodes de définition de l’efficience ne reflètent
pas les valeurs infirmières. Il faut aussi apprendre à repérer les situa-
tions où les infirmières sont forcées de répartir leur temps de façon non
conforme à l’éthique.
6. Les infirmières doivent repérer les problèmes de répartition de res-
sources, les documenter et en faire rapport de façon uniforme. Par
exemple, les contrats, les formulaires de rapports d’incident, etc.,
contiennent des dispositions relatives à la responsabilité professionnelle
dont Anna, Paul et Michelle pourraient se prévaloir pour signaler les
problèmes. Il importe que d’autres infirmières n’imposent pas des sanc-
tions à leurs collègues qui recourent à ces moyens.
LES INFIRMIÈRES COMME
COLLECTIVITÉ
Les infirmières ont leurs limites sur le plan individuel. Parce qu’elles sont
personnellement témoins de l’incidence que les décisions relatives à la
répartition prises à d’autres échelons ont sur les soins dispensés aux clients
et sur la pratique de la profession, les infirmières doivent tenir compte de
«facteurs institutionnels, sociaux et politiques qui influent sur la santé et
sur les soins de santé » (AIIC, 1997, p. 8).
Déontologie pratique est publié par la Division des politiques, de la réglementation
et de la recherche de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada (AIIC).
Tous les membres de l’AIIC peuvent obtenir un exemplaire gratuit de cette publi-
cation. Pour renseignements ou pour obtenir d’autres exemplaires, prière de com-
muniquer avec les Publications de l’AIIC.
Association des infirmières et infirmiers du Canada
50 Driveway
Ottawa (Ontario)
Canada K2P 1E2
Téléphone : 1-800-361-8404 ou (613) 237-2133
Téléc.: (613) 237-3520
Site web : www.cna-nurses.ca ISSN 1481-000X
Storch est d’avis que les infirmières devraient tenir compte du concept de la
« condition éthique » de Kidder (1995). La condition éthique, c’est l’activi-
té humaine que constituent la réflexion et la justification conformes à
l’éthique, ce qui exige certaines connaissances et compétences spécialisées
en solution de problèmes d’ordre éthique. Storch (1999) propose trois
approches :
1. Être une personne qui se conforme à la morale;
2. Avoir des comportements conformes à la morale et en donner
l’exemple;
3. Chercher à instaurer une collectivité morale.
Une collectivité morale, c’est une collectivité où toutes les infirmières, y
compris les gestionnaires, mettent en commun des renseignements et leur
façon de les interpréter, et appliquent leurs idées dans leur conduite.
Ensemble, elles peuvent réfléchir au type de vie infirmière qu’elles recher-
chent. Même si de telles réflexions peuvent sembler loin de l’activité quoti-
dienne de l’infirmière, le seul moyen d’instaurer une collectivité morale,
c’est de recourir tous les jours à des interventions et des décisions
conformes à la morale.
Il est possible d’appuyer la création d’une collectivité morale par des struc-
tures officielles (comme des comités d’éthique et des visites portant sur
l’éthique) et par des moyens non structurés (comme des discussions sur
l’éthique dans les services). Ce qu’il faut, c’est un climat d’ouverture à
l’éthique et de discussion de la question, qui doit faire partie intégrante de
la prestation des soins. Il faut instaurer une culture où l’on encourage les
infirmières à voir les problèmes d’éthique qui se posent au travail, où elles
sont libres de remettre en question les normes et les pratiques qu’elles
jugent non conformes à l’éthique, et qui les encourage à maintenir leur
condition éthique.
Les infirmières disposent d’autres stratégies et ressources au niveau institu-
tionnel, notamment les suivantes :
1. Là encore, le Code de déontologie des infirmières autorisées
constitue une ressource importante. On y lit que « pour chacune de ces
valeurs, le champ des responsabilités définies dépasse le cadre de l’in-
dividu pour inclure les familles, les collectivités et la société » (AIIC,
1997, p. 5). Les infirmières ont toujours reconnu les enjeux et participé
activement à la promotion du mieux-être social et de la santé pour les
collectivités et la société. Le Code donne aux infirmières un cadre sur
lequel fonder une collectivité morale.
2. À l’échelon institutionnel, les infirmières doivent participer aux activi-
tés de comités, de groupes de travail, etc., et aider à élaborer des poli-
tiques qui ont une incidence sur la pratique de la profession.
3. Les infirmières doivent faciliter le débat public et y participer afin que
les décisions tiennent compte des valeurs et des préférences des
Canadiens. Tout changement apporté aux soins de santé devrait être
issu d’un processus ouvert et public. Les liens étroits entre les infir-
mières et leurs clients et les membres de leur famille peuvent faciliter
cette ouverture.
4. Les infirmières doivent exercer, sur les gouvernements provinciaux/ter-
ritoriaux et fédéral, des pressions en faveur du financement de la
recherche infirmière qui vise à définir les meilleures pratiques infir-
mières et à démontrer comment elles sont rentables et contribuent aussi
à dispenser des soins équitables à ceux qui en ont besoin.
5. Les infirmières constituent une des ressources rares. Elles devraient se
concerter pour instaurer la meilleure utilisation possible des ressources
infirmières disponibles et pour améliorer les conditions de travail afin
de recruter davantage d’infirmières et de maintenir les effectifs.
SOMMAIRE
Florence Nightingale écrivait : « À cause des mauvais arrangements sani-
taires, architecturaux et administratifs, il est souvent impossible de dispen-
ser des soins infirmiers. L’art des soins infirmiers doit toutefois inclure les
arrangements qui, à eux seuls, rendent possible les soins infirmiers tels que
je les conçois. » (Nightingale, 1969, p. 8).
Des infirmiers comme Anna, Paul et Michelle cherchent à dispenser des
soins de qualité dans des conditions difficiles. Pour rendre les soins infir-
miers possibles, il faut reconnaître clairement les problèmes, comprendre
les croyances qui sous-tendent la tendance à la répartition des ressources et
commencer à élaborer et utiliser des stratégies qui amélioreront le système
de soins de santé.
RÉFÉRENCES
1. Association des infirmières et infirmiers du Canada. (1998). Déontologie
quotidienne : le Code mis en pratique. Ottawa (Ontario) : Association des
infirmières et infirmiers du Canada.
2. Association des infirmières et infirmiers du Canada. (1997). Le Code de
déontologie des infirmières autorisées. Ottawa (Ontario) : Association des
infirmières et infirmiers du Canada
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dilemmas of ethical living. New York, NY : Marrow William & Company.
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6. Varcoe, C. et P. Rodney (sous presse). Constrained agency: The social struc-
ture of nurses’ work. Dans B.S. Bolaria et H. Dickinson, Health, illness and
health care in Canada (3e éd.). Toronto (Ontario) : Harcourt Brace.
7. Saul, J.R. (1995). The unconscious civilization. Concord (Ontario) :
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8. Storch, J. (1999). Ethical dimensions of leadership. Dans J.M. Hibberd et
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Toronto (Ontario) : W.B. Saunders Canada.
9. Sommerville, M. (éd.). (1999). Ça urge! : le système de santé canadien a-t-
il un avenir? Débats de la première conférence. L’évolution possible des
soins de santé. Montréal (Québec) : Presses de l’Université McGill-Queen’s.
10. Varcoe, C. (1997). Untying our hands: The social context of nursing in
relation to violence against women. Thèse de doctorat non publiée.
Vancouver (C.-B.) : Université de la Colombie-Britannique.
11. Ubel, P.A. et S. Goold (1997). Recognizing bedside rationing: Clear cases
and tough calls. Annals of Internal Medicine, 126 (1), 74-80.
Une bibliographie annotée est disponible pour ceux qui veulent analyser ces
questions plus à fond.
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