Introduction aux problèmes inverses.
Applications à l’imagerie optique à haute
résolution en Astronomie.
D’après « Des données à l’objet : le problème inverse »,
chap. 9, sec. 6 de L’observation en astrophysique,
P. Léna et coll.,
EDP Sciences / CNRS ÉDITIONS,
3eédition, 2008
Laurent Mugnier
Décembre 2008
Table des matières
9.6 Des données à l’objet : le problème inverse . . . . . . . . . . . . . . . 1
9.6.1 Introduction ............................ 1
9.6.2 Notion de problème bien po . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
9.6.3 Les méthodes d’inversion classiques . . . . . . . . . . . . . . . 4
9.6.3.1 Méthode des moindres carrés . . . . . . . . . . . . . 5
9.6.3.2 Relation entre moindres carrés et filtre inverse . . . . 5
9.6.3.3 Méthode du maximum de vraisemblance . . . . . . . 6
9.6.3.4 Exemple : reconstruction de front d’onde par MV . . . 7
9.6.3.5 Interprétation de l’échec des méthodes non régularisées 8
9.6.4 Inversion régularisée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
9.6.4.1 Estimation bayésienne et estimateur MAP . . . . . . . 10
9.6.4.2 Équivalence avec la minimisation d’un critère régularisé10
9.6.4.3 Le cas linéaire et gaussien. Lien avec le filtre de Wiener11
9.6.4.4 Application à la reconstruction de front d’onde . . . 12
9.6.5 Une application à l’imagerie par optique adaptative . . . . . . . 13
9.6.5.1 Ingrédients de la déconvolution . . . . . . . . . . . . 13
9.6.5.2 Restauration à partir de données astronomiques . . . 14
9.6.6 Une application à l’interférométrie coronographique . . . . . . 15
Des données à la connaissance de l’objet : le problème inverse
1
9.6 Des données à l’objet : le problème inverse
9.6.1 Introduction
Généralement les données fournies par l’observation ne correspondent pas direc-
tement à la grandeur physique d’intérêt, mais lui sont liées par des lois physiques
connues. Un exemple représentatif est l’analyse de front donde, c’est-à-dire la mesure
d’aberrations (propres à un télescope ou dues à la turbulence), à l’aide d’un analyseur
de Hartmann-Shack : la grandeur physique d’intérêt est la phase ϕdans la pupille du
télescope, qui représente les aberrations. Les données sont les pentes moyennes de la
phase sur chaque sous-pupille du Hartmann-Shack selon deux directions perpendicu-
laires, que l’on peut concaténer dans un vecteur i. Le calcul des pentes iconnaissant
la phase ϕest un problème direct, classique en Physique, qui nécessite le choix d’un
modèle de formation des données1ou modèle direct.
Estimer ou « remonter à » la phase ϕà partir des pentes iest le problème inverse
correspondant, qui nécessite d’inverser le modèle de formation des données. Le choix
de ce modèle direct n’est pas toujours uniquement dicté par la Physique, il peut résulter
d’un compromis entre le souhait d’une modélisation fine des données et le coût lié à
l’inversion.Dans l’exemple ci-dessus, on peut envisager d’utiliser un modèle de propa-
gation diffractif lors de la conception de l’analyseur mais on se restreindra à un modèle
d’optique géométrique pour l’estimation des aberrations dans le calculateur temps-réel
d’une optique adaptative, car celui-ci conduit à un modèle de données linéaire (en fonc-
tion des aberrations à mesurer), d’inversion aisée.
On le verra dans la suite, l’inversion peut souvent tirer parti des connaissances
statistiques sur les incertitudes de mesures, que l’on modélise généralement comme
des bruits. Un modèle direct complet inclut donc la modélisation de la formation des
données jusqu’à la détection, voire jusqu’au support de stockage dans le cas de trans-
mission des données avec compression. Il prend ainsi en compte le bruit photonique,
le bruit du détecteur, le bruit de quantification du numériseur, le bruit éventuel de com-
pression, etc.
Le traitement de données expérimentales, en Physique et en particulier en Astrono-
mie, consiste donc essentiellement à résoudre un problème inverse, en pratique après
une étape de « réduction » ou pré-traitement des données, dont le but est de corriger les
défauts instrumentaux de façon à ce que les donnéespuissent être correctementdécrites
par le modèle direct adopté.
Les méthodes d’inversion naïves ont souvent la caractéristique d’être « instables »
au sens où l’inévitable bruit de mesure est amplifié de manière non contrôlée lors de
l’inversion,et conduit à une solution inacceptable. Dans ce cas où les données seules ne
suffisent pas à obtenir une solution acceptable, il est nécessaire de développer des mé-
thodes d’inversion plus sophistiquées dites régularisées qui incorporent des contraintes
supplémentaires pour imposer à la solution une certaine régularité compatible avec nos
connaissances a priori sur celle-ci.
Concevoir explicitement le traitement de données comme l’inversion d’un pro-
blème direct est généralement très fructueux. Cela oblige à modéliser l’ensemble du
processus de formation de données pour le prendre en compte dans l’inversion. Cela
permet aussi d’analyser telle ou telle méthode existante et en particulier d’en explici-
ter les hypothèses sous-jacentes. Cela permet enfin de concevoir des méthodes tirant
parti à la fois des connaissances sur le processus de formation des données et de celles
1l’analogue pour des mesures quelconques du modèle de formation des images pour un instrument ima-
geur.
Des données à la connaissance de l’objet : le problème inverse
2
que l’on a a priori, c’est-à-dire avant de faire les mesures, sur la grandeur physique
d’intérêt.
Dans la suite, nous présentons des notions de base et outils pour aborder la résolu-
tion d’un problème inverse. Des articles de référence pour le lecteur intéressé par les
problèmes inverses sont [1,2]. Pour aller plus loin un ouvrage pédagogique très com-
plet est [3] ou [4], dont cette introduction s’inspire en partie. Le champ d’application
de ces outils est très vaste, comme en témoignent par exemple les chapitres applica-
tifs (10 à 14) de ces références. Dans le cadre du présent ouvrage, les outils présentés
sont illustrés sur quelques problèmes inverses « simples » (c’est-à-dire linéaires) que
l’on rencontre en astronomie : reconstruction de front d’onde à partir de mesures Hart-
mann-Shack, restauration d’images corrigées par optique adaptative, et reconstruction
d’images multi-spectrales en interférométrie à frange noire. Ces outils peuvent éga-
lement s’appliquer à des problèmes inverses non linéaires comme l’analyse de front
d’onde au voisinage du plan focal [5,6] ou la reconstruction d’images en interféromé-
trie optique [7,8] à partir de modules carrés de visibilités et de clôtures de phase.
9.6.2 Notion de problème bien posé
Appelons ola grandeur physique d’intérêt, qu’on appellera dans la suite l’« objet »
observé (phase aberrante dans le cas d’un analyseur de front d’onde, distribution de
luminance de l’objet astrophysique observé dans le cas d’une image au plan focal d’un
télescope, spectre d’un objet dans le cas d’un spectrographe, etc). Appelons iles don-
nées mesurées (pentes de Hartmann-Shack, image, spectre mesuré, etc). Considérons
pour l’instant que oet isont des grandeurs continues, c’est-à-dire des fonctions (de
l’espace ou du temps) appartenant à des espaces de Hilbert notés respectivement Xet
Y.Le modèle direct, déduit de la Physique, permet de calculer un modèle des données
pour un objet connu. C’est celui utilisé dans une simulation de données :
i=H(o).(9.1)
Nous nous limitons ici à un modèle direct linéaire, c’est-à-dire :
i=Ho, (9.2)
Hest un opérateur linéaire continu de Xdans Y. C’est dans ce cadre que Hada-
mard2a introduit le concept de problème bien po.
À titre d’exemple et pour fixer les idées, dans le cas ce mole direct est linéaire
et invariant par translation (imagerie de l’Espace depuis le sol à l’intérieur du domaine
isoplanétique par exemple), Hest un opérateur de convolution, et il existe une fonction
happelée réponse impulsionnelle (RI) ou fonction d’étalement de point (FEP) telle que
i=Ho =ho. (9.3)
On cherche à inverser l’équation (9.2) c’est-à-dire à trouver opour idonné. On dit
que le problème est bien posé (au sens de Hadamard) si la solution ovérifie à la fois les
conditions habituelles d’existence et d’unicité mais aussi la condition moins classique
de stabilité, c’est-à-dire si la solution dépend continûment des données i. En d’autres
termes, une petite variation des données – en pratique, une autre réalisation du bruit
aléatoire – ne doit entraîner qu’une petite variation de la solution. Ces trois conditions,
dites conditions de Hadamard, se traduisent respectivement par [2] :
2Jacques Hadamard (1865-1963), mathématicien français, a contrib à la théorie des nombres et à
l’étude des problèmes bien posés.
Des données à la connaissance de l’objet : le problème inverse
3
existence : il existe oXtel que i=Ho, soit iIm(H)(iest dans l’espace
image de l’opérateur H) ;
unicité : le noyau de Hest réduit à zéro, soit Ker(H) = {0};
stabilité : l’inverse3de Hsur Im(H)est continu
Cette condition de stabilité est équivalente à la condition Im(H)fermé, soit encore
Im(H) = Im(H).
Pour nombre de problèmes inverses, même les deux premières de ces conditions ne
sont pas remplies, sans parler de la troisième. En effet, d’une part Im(H)est l’ensemble
des images possibles en l’absence de bruit, ensemble qui est plus petit que l’espace des
données bruitées auquel appartient i. En imagerie par exemple, Im(H)est un espace
vectoriel qui ne contient aucune fréquence supérieure à la fréquence de coupure op-
tique du télescope (D), alors que le bruit en contient. En général, l’existence de la
solution n’est donc pas assurée. D’autre part, le noyau de Hcontient tous les objets
« non vus » par l’instrument. Ainsi, pour un analyseur de Hartmann-Shack, ce sont
les modes spatiaux (par exemple décrits en termes de polynômes de Zernike) non vus
comme le piston (Z1) ou le mode dit gaufre; pour un imageur ce sont les fréquences
spatiales supérieures à la fréquence de coupure optique du télescope. Le noyau n’est
donc généralement pas réduit à {0}et l’unicité n’est pas assurée.
Le mathématicien Nashed [9] a introduit le concept de problème bien posé au sens
des moindres carrés, qui permet à la fois de répondre positivement aux questions d’exis-
tence – en pratique – et d’unicité, puis de montrer qu’une inversion faite au sens des
moindres carrés ne conduit pas à une bonne solution du problème inverse à cause de
son instabilité, aussi appelée non robustesse4au bruit. Il demeure donc mal posé.
On dit que ˆoMC est une solution aux moindres carrés du problème 9.2 si :
kiHˆoMCk2= inf
okiHok2,(9.4)
k·k est la norme euclidienne ou L2. Nashed montre alors ceci :
existence : une solution de type moindres carrés existe si et seulement si i
Im(H) + Im(H). Cette condition est toujours vérifiée si Im(H)est fermé;
unicité : si plusieurs solutions existent, on choisit celle, unique, de norme
(d’« énergie ») minimale, c’est-à-dire qu’on projette la solution sur l’orthogo-
nal du noyau, Ker(H). On la note Hi. On appelle « inverse généralisé » et on
note Hcet opérateur, qui à tout iIm(H) + Im(H)associe la solution aux
moindres carrés de norme minimale de i=Ho, c’est-à-dire la seule solution
dans Ker(H).
On montre de plus que Hest continu si et seulement si Im(H)est fermé [9].
On dit que le problème 9.2 est bien posé au sens des moindres carrés si une solution
aux moindres carrés (de norme minimale) existe, est unique, et est stable (i.e., dépend
continûment des données i). On voit alors que le problème 9.2 est bien posé au sens des
moindres carrés si et seulement si Hest continu, c’est-à-dire si et seulement si Im(H)
est fermé. Et pour nombre d’opérateurs, par exemple lorsque Hest la convolution par
une réponse hde carré intégrable, cette condition n’est pas vérifiée [9].
Une caractérisation des solutions aux moindres carrés permet de bien comprendre
intuitivement ce qu’est une telle solution : soit Hun opérateur linéaire continu d’un
espace de Hilbert Xvers l’espace de Hilbert Y, alors les trois propositions suivantes
3L’inverse de Hsur Im(H), noH1, est bien défini car on suppose Ker(H) = {0}.
4La qualification de de robustesse au bruit, souvent employée à propos des méthodes d’inversion, signifie
que celle-ci est telle qu’elle n’amplifie pas exagérément la puissance du bruit.
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