piétonnier. Encore une station, avec une offre pour le Club Med. J’arrive enfin chez mon
interlocuteur, derrière la gare. Jean-Christophe Godart fait partie du groupe local namurois
des Objecteurs de croissance.
« Le problème, annonce-t-il d’emblée, ce n’est pas le vélo, évidemment. Il ne s’agit pas de
décourager les gens de rouler, mais de dénoncer la contradiction entre les objectifs louables
d’un système de vélos partagés et l’invasion publicitaire qui a été concédée. » En pratique,
chaque vélo installé est financé par 1,3 mètre carré de pub. Les pouvoirs publics, bien sûr, ne
mettent pas en avant le mode de financement choisi. Quand ils sont interrogés sur le sujet, ils
avancent l’argument du réalisme.
« Les élus présentent cela comme un moindre mal. Mais pourquoi faudrait-il accepter la
situation passivement alors qu’il n’y a eu aucune concertation avec les riverains et les
citoyens ? » poursuit Jean-Christophe. « Sur la Place de l’Ange, l’installation d’un panneau a
provoqué une réaction des riverains. Ce ne sont pas forcément des écologistes, mais
seulement des citoyens attachés à l’aspect convivial et à l’esthétique de la place. Ce qui est
étrange, c’est qu’il n’était venu à l’idée d’aucun politicien local que cela puisse
éventuellement poser problème… Cela révèle un vrai souci de représentation. »
Pourtant, les bia vélos et les villo! rencontrent un vif succès dans la population. En une heure,
sur les quais de la Sambre, j’ai croisé une quinzaine de jeunes cyclistes, et je connais
beaucoup de Bruxellois ravis d’utiliser les vélos jaunes. Sans parler de la visibilité que cela
donne aux cyclistes ! Cet engouement ne vaut-il pas une petite concession à la pub ? Il faut
être pragmatique, voyons… Céder à cette tentation de l’esprit serait, en effet, plus confortable.
Mais il faut alors le faire en toute conscience.
« Les vélos ont été fabriqués en Hongrie par des ouvriers payés deux euros de l’heure, ajoute
Jean-Christophe. JCDecaux l’a reconnu sans honte. Le dumping salarial et le dumping fiscal
sont ainsi cautionnés sous couvert de développement durable. Par ailleurs, on sait que seules
les grosses entreprises vont pouvoir se payer des campagnes publicitaires chez Decaux. Ça ne
va pas bénéficier à des petites entreprises locales. Ça crée cinq emplois pour Decaux à Namur,
mais combien cela aurait-il pu en créer si ce système avait été pensé de manière cohérente et
intégrée dans une politique de relocalisation de l’économie et de la mobilité ? D’autres villes,
comme Rennes ou La Rochelle, ont opté pour des systèmes différents, parfois avec un
financement entièrement public. Le débat aurait au moins pu être ouvert… »
Radicalement oui au vélo, radicalement non à la pub
La contradiction est flagrante. Il suffit de poser son regard sur une station de vélos faisant la
promotion d’une voiture ou d’une destination low cost pour s’en apercevoir. Pourtant, les
vélos sont là. Cela conduit de nombreuses personnes à accepter le fait en bloc et à se dire que
finalement, c’est une bonne chose… Comme s’il fallait être « pour » ou « contre ». Comme
s’il y avait le pragmatisme et l’idéalisme, et qu’il fallait choisir son camp. La démarche des
objecteurs de croissance nous rappelle qu’il est fondamental de ne pas s’endormir
intellectuellement, qu’on peut occuper une position plus exigeante, même si elle est
inconfortable. Jean-Christophe se pique même d’une question qui rend le paradoxe lumineux :
« Comment réagiriez-vous, chez Nature & Progrès par exemple, si Monsanto vous offrait
plusieurs centaines de milliers d’euros pour mettre en place avec eux un réseau de jardins
partagés ?»
Reste la tentation du déni. Certains se disent que de toute façon, les consommateurs sont
libres face à la publicité et qu’à la fin ce sont eux qui décident. Il suffit pourtant de se
renseigner un peu sur le fonctionnement du cerveau et sur le neuromarketing pour prendre
conscience… des limites de notre conscience. Chacun d’entre nous est exposé à environ trois