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“Pulsars : les astronomes saisis par le doute”
"Pulsars : les astronomes saisis par le doute"
J.M. Bonnet-Bidaud, astrophysicien au C.E.A.
Ciel et Espace, juillet-août 1996, n° 315, p. 56-60
Le temps humain est souvent perdu dans l'abîme du temps cosmique.
Pourtant certains événements dans l'Univers se déroulent parfois avec
l'instantanéité de l'éclair. Lorsque l'horloge cosmique se décide à se mettre à
l'heure de nos montres, il s'agit alors de cataclysmes impressionnants. Le
plus spectaculaire de ces cataclysmes a eu lieu en 1987 lorsqu'une étoile du
Grand Nuage de Magellan, une petite galaxie satellite de la nôtre, a
brutalement explosé sous nos yeux. Avec quelques 150 000 ans de retard, le
temps mis par la lumière pour franchir l'espace qui nous sépare du Nuage de
Magellan, le film des événements s'est rejoué sur la Terre seconde par
seconde, un certain 23 février 1987 à partir de 7h35.
Après quelques dix millions d'années d'existence, la mort de l'étoile est
survenue en quelques millisecondes seulement ! C'est le temps qu'il a fallu
pour que le coeur de l'étoile, de la taille du Soleil, s'effondre en un astre dont
la dimension ne dépasse pas celle de la ville de Paris : une opération aussi
spectaculaire que de vouloir réduire la Terre à la taille d'un terrain de football
! L'énorme énergie dégagée dans cet effondrement a fait briller la région
comme cent millions de Soleils pendant plusieurs mois. Les astronomes ont
eu alors sous les yeux la plus proche des supernovae que l'humanité a pu
contempler depuis 300 ans et les théoriciens de la mort des étoiles ont
enregistré leurs plus beaux succès.
Pour cette supernova, baptisée SN1987A, tout s'est déroulé, pour une fois,
exactement comme prévu par la théorie. Tout d'abord la détection sur Terre
des neutrinos qui ont accompagné l'effondrement, puis de l'éclair bleu de
l'explosion et enfin des éléments radioactifs, cobalt et titane, qui ont continué
à chauffer une énorme bulle de gaz en expansion pendant des mois (voir "La
supernova explose toujours" C&E de février 1991).
Mais alors que l'on s'apprête à fêter le dixième anniversaire de cet événement
mémorable, la prédiction essentielle de la théorie des supernovae n'est
toujours pas vérifiée. Les astronomes ne trouvent pas de trace de l'astre
effondré, né lors de l'explosion. Cet astre devrait être un pulsar, une étoile à
neutrons en rotation très rapide, qui devrait survivre à l'étoile originelle
pendant des centaines de milliards d'années encore, une résurrection après la
mort en forme de vie éternelle.
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“Pulsars : les astronomes saisis par le doute”
Malgré les recherches intensifiées ces derniers mois, aucune trace du fameux
pulsar, cet avatar royal qui devait permettre à la théorie d'atteindre le nirvana.
Le problème est désormais suffisamment grave pour que les scientifiques
s'interrogent sur l'hypothèse de base : les pulsars se forment-ils vraiment lors
d'explosions de supernovae ? Quelles preuves peut-on apporter du lien direct
entre pulsars et supernovae ? Y-a-t-il toujours pulsar quand il y a supernova
et réciproquement ? Pour vérifier leur credo théorique, les astronomes ont
passé au crible les supernovae les plus récentes et les plus proches grâce
notamment à des observations du télescope spatial Hubble et du satellite
allemand de rayons X, ROSAT. Les surprises sont grandes et le doute sur
l'association pulsar-supernova n'est pas totalement levé.
Près de trente ans de travaux sont mis dans la balance. L'idée de la naissance
des pulsars au centre des supernovae est en effet née tout naturellement,
lorsqu'en 1968 les astronomes ont découvert, dans la constellation du
Taureau, le très célèbre pulsar du Crabe qui reste pour eux une précieuse
pierre de Rosette.
Pour ce pulsar, tout semble limpide en effet. D'un coté, les restes d'une
explosion d'étoile, visible comme une brillante nébuleuse, cataloguée dès
1758 par l'astronome Messier. De l'autre un pulsar, découvert en 1968 par
son émission d'ondes radio, en plein centre de la nébuleuse. Enfin, une
remarquable observation des astronomes chinois de la dynastie Song qui ont
scrupuleusement noté l'apparition d'une supernova, une nouvelle étoile qui
s'est "invité" tout près de l'étoile Tian-guan (l'étoile zêta de la constellation
du Taureau) le 4 juillet 1054 et qui brilla en plein jour pendant plus de 23
jours.
Dans ce cas d'école, tout concorde exactement. La vitesse d'expansion de la
nébuleuse et l'âge actuel estimé du pulsar indique que la mort de l'étoile
remonte en effet à tout juste un millier d'années, un indice que les scrupuleux
astronomes-détectives chinois ont soigneusement relevé, à l'endroit et à la
date même du crime.
La seule énigme est purement historique. Comment un événement aussi
spectaculaire, une étoile visible en plein jour pendant près d'un mois, a pu
passer inaperçu en Europe ? Il semble que les dogmes religieux en vigueur à
l'époque - les cieux se devaient d'être immuables car à l'image du Dieu qui
les avaient créés - aient joué un rôle de censure déterminant. Aucun texte
européen précis n'a pu jusqu'ici être retrouvé. Des astronomes italiens de
Bologne et Frascati ont exhumé récemment une chronique flamande, écrite en
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latin par un clerc de la ville d'Oudenburg à l'ouest de Bruges en Belgique,
qui relate la mort du pape Léon IX en l'an...1054. Dans ce "Traité de l'église
St Pierre d'Aldenburg", on peut lire "le pape Léon, le 18e jour avant le
premier mai, un lundi, vers midi a quitté ce monde. A la même heure .... un
cercle d'une extrême clarté est apparu dans le ciel qui a duré une demi-heure".
La mort du pape est datée ici au 14 avril 1054. S'agit-il d'une timide
évocation de la supernova, qui, présentée comme miracle religieux, aurait
évité l'accusation d'hérésie ? Selon les auteurs, le doute reste permis mais ni
la date, ni la description ne semble véritablement concorder.
Les dernières observations de la nébuleuse du Crabe par le télescope spatial
ont confirmé, en revanche, le lien direct entre la supernova et le pulsar. Les
astronomes ont découvert la présence d'un jet issu du pulsar qui vient
illuminer un réseau de filaments riches en un gaz rare, l'argon, que les anglosaxons ont baptisés "argoknots" (noeuds d'argon). Le plus jeune pulsar
connu garde donc son titre de pierre de Rosette.
Les choses ne sont pas si simples pour un deuxième pulsar célèbre, celui de
Vela, qui, situé à seulement 1600 années-lumière, est le deuxième pulsar le
plus proche et aussi la plus puissante source de rayons gamma du ciel. Ce
pulsar est lui-aussi à l'intérieur d'un reste de supernova visible en ondes
radio sous la forme d'une gigantesque bulle de 5° de diamètre, soit plus de
dix fois la pleine Lune. De nouveau, l'âge de cette bulle, calculée à partir de
sa vitesse d'expansion, et celui du pulsar, déduit de son ralentissement,
semblent approximativement remonter vers un unique événement qui daterait
cette fois-ci de quelques 11 000 ans. Les contemporains magdaléniens de la
grotte de Lascaux n'ont malheureusement pas pu nous relater la beauté de
cette supernova car la scène se déroulait dans l'hémisphère sud !
Mais dans ce tableau idyllique, les astrophysiciens italiens Bignami et
Caraveo ont signalé en 1988 une anomalie majeure. Le pulsar n'est
absolument pas au centre du reste de la supernova, il s'en faut de plus d'un
degré ! En mesurant la vitesse actuelle de déplacement du pulsar sur le ciel,
ils ont conclut qu'en plus de dix mille ans, celui-ci n'avait pu se déplacer que
de seulement 0.1 degré depuis sa naissance. Où est l'erreur ? S'agit-il d'une
superposition fortuite ?
C'est en passant les restes de la supernova aux rayons X que des
astrophysiciens allemands utilisant le satellite ROSAT actuellement en orbite
ont rassemblé des éléments de réponse. La photographie de la supernova de
Vela, prise par ROSAT, ressemble à un véritable champ de bataille. Tout
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d'abord, la bulle en rayons X est beaucoup plus vaste que prévue, plus de 8°,
et elle est criblée de six éclats qui l'ont perforée en différentes directions. Les
astrophysiciens de l'institut Max Plank de Munich ont pu déterminer que ces
éclats étaient probablement des poches de matière projetées à vitesse
supersonique dans le milieu interstellaire. La supernova ressemble donc à une
bombe à fragmentation, éjectant en tout sens des "shrapnels" qui passent le
mur du son à une vitesse record de Mach 4. Le plus probant est sans doute
que les trajectoires de ces "balles" de matière se recoupent en un point unique
qui coïncide presque exactement avec la position du pulsar. La différence
résiduelle, de quelque 0.25 degré, pourrait s'expliquer, par exemple, par un
mouvement plus rapide du pulsar dans le passé. Le pulsar serait donc bien la
source d'une partie au moins des restes de cette supernova.
En revanche, même dans les nouveaux contours de sa bulle de rayons X, le
pulsar n'est toujours pas au centre, la différence est encore de 0.5 degré. La
radiographie en rayons X de Vela a soulevé des espoirs d'explication mais
qui furent rapidement déçus. Un "zoom" de ROSAT sur la région centrale du
pulsar a en effet révélé la présence d'un jet de matière provenant du pulsar et
s'étendant sur une distance de vingt années-lumière. La matière de ce jet
semble avoir été propulsée par le pulsar comme le gaz éjecté par la turbine
d'un avion à réaction. En retour, le pulsar aurait donc pu, comme l'avion,
recevoir une forte poussée qui l'aurait écarté du centre des restes de la
supernova. Malheureusement, d'après l'orientation du jet, cette poussée, si
elle a existé, ne s'est pas exercée dans la bonne direction ! L'énigme persiste
donc. Pour expliquer cette position anormale, les astronomes penchent en
désespoir de cause vers une éventuelle dissymétrie lors de l'explosion
initiale.
Le pulsar Geminga ne leur pose pas ce genre de problème. Il est à lui seul la
plus parfaite exception. Le pulsar est bien là mais il n'y a absolument aucune
trace des restes de la supernova. L'objet est devenu célèbre, dès sa
découverte à partir de 1972, comme la deuxième plus puissante source de
rayons gamma du ciel après Vela. Il a acquis également une renommée
douteuse lors d'une énorme bourde scientifique commise en 1983 par des
astronomes français qui lui attribuèrent à grand renfort de presse la faculté
d'émettre des ondes gravitationnelles. Pendant vingt ans, il est resté
totalement énigmatique car aucune émission, radio, visible ou rayons X, ne
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put lui être associée d'où son nom "gh'e minga" qui signifie "il n'y a rien" en
dialecte milanais.
Le premier coin du voile fut levé en 1991, toujours grâce au satellite ROSAT.
A l'emplacement de Geminga, la découverte d'une faible source de rayons X
émettant des signaux se répétant toutes les 0.237 secondes, suffit enfin à
démontrer l'existence d'un pulsar. Dans le domaine visible, ce pulsar est une
très faible étoile de magnitude ...25,5, soit soixante millions de fois moins
lumineuse que la plus faible étoile visible. Cette infime tache lumineuse a
pourtant permis de déterminer avec grande précision la distance de l'astre. Le
pari tenté en 1995 par l'astronome milanais G. Bignami et ses collègues était
risqué : utiliser le télescope spatial Hubble pour essayer de mesurer la
parallaxe de l'étoile, c'est à dire son très faible déplacement apparent sur le
ciel lorsque la Terre, et donc l'observateur, passe d'un côté à l'autre du Soleil
dans sa trajectoire annuelle. Trois images différentes ont été obtenues à trois
époques différentes sur lesquelles les astronomes ont pu mesurer un écart de
seulement...6,3 millièmes de seconde d'arc, soit l'angle entre les deux bords
d'une pièce de monnaie vue à 700 km de distance ! Pari tenu donc avec des
résultats, publiés en avril 1996, qui donnent à la clé une distance du pulsar de
seulement 510 années-lumière, une véritable proche banlieue en terme
galactique. Geminga est désormais le plus proche des tous les pulsars
connus.
Cette proximité renforce sa singularité. Car, malgré cette situation privilégiée,
il n'existe actuellement aucune trace de restes de supernova autour du pulsar.
Le ralentissement du pulsar permet de dater sa naissance à environ 350 000
ans, proche du pithécanthrope et de la découverte du feu. Les restes
incandescents de l'explosion ont-ils déjà eu le temps de se dissiper et de
s'éteindre ? C'est l'hypothèse qui pourrait être aujourd'hui retenue mais
l'absence totale d'ondes radio fait de ce pulsar un cas absolument unique,
difficilement explicable par la théorie.
Le cas de SN1987A est une épine supplémentaire dans la couronne de
martyrs des théoriciens. Tous les efforts ont pourtant été concentrés sur la
traque de ce pulsar au centre de la plus spectaculaire des supernovae. Sur les
dernières images du télescope Hubble publiées en octobre 1995, elle
ressemble de plus en plus à un fantastique "light-show" cosmique . La
finesse des détails qui entourent cette explosion, encore dans sa prime
enfance, est telle qu'ils semblent comme tracés au laser. La supernova fait
des ronds dans le ciel; trois ronds en forme d'ellipses qui s'enchevêtrent et
tout ceci dans une région à peine plus grande qu'une seconde d'arc (1"), soit
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la taille d'une étoile vue par la plupart des télescopes. Au centre, sur les lieux
même de l'explosion, une bulle en expansion de seulement 0.5", entourée
d'un premier cercle de 1.4" de diamètre, puis de deux autres cercles presque
identiques, de part et d'autre, avec un diamètre de 3,5". L'origine de cette
magnifique miniature persane est encore loin d'être totalement élucidée,
même si l'hypothèse de la collision de vents de particules de vitesses et
densités différentes semble le plus souvent évoquée (voir C&E de septembre
1993).
C'est donc dans la petite bulle centrale que les astronomes souhaiteraient tant
voir apparaître un pulsar qui couronnerait la théorie de lauriers et non
d'épines. Pourtant leur quête est une longue suite de désillusions: une
première fausse détection à l'observatoire de Cerro Tololo en mars 1989,
puis une deuxième alerte trompeuse en juillet 1990 à l'observatoire austral
européen et enfin un résultat négatif du télescope Hubble publié en juin 1995.
Les astronomes ne sont pas pour autant découragés car ils constatent qu'ici le
temps peut jouer pour eux. D'après leurs calculs, l'émission de rayons X et
d'ondes radio du pulsar est très probablement encore bloquée pour plusieurs
années par la matière issue de l'explosion qui entoure le point central. En
revanche, la lumière visible du pulsar devrait déjà pouvoir sortir, même si
celle-ci reste quelque peu noyée par l'éclat déclinant de la bulle de matière en
expansion.
Forts de ces constatations, les astronomes australiens R. Manchester et B.
Peterson ont donc continué leurs observations depuis l'observatoire angloaustralien à Coonabarabran (Australie) avec un luxe de précautions pour
éviter la mésaventure de la fausse détection. Tous les effets dus au
mouvement et à l'accélération éventuels du pulsar ont été pris en compte et le
détecteur qu'ils ont employé, enregistrait l'arrivée de la lumière avec une
précision d'une microseconde, grâce à l'utilisation du réseau de satellites
GPS (Global Positioning System), exploité par les militaires pour le repérage
des missiles. Le résultat de ces travaux publiés en janvier 1996 est décevant.
Un signal périodique a bien été détecté à la période de 4,2439 secondes,
mais, après enquête, c'était tout simplement le temps de rotation de ...la
première roue dentée de l'entraînement du télescope qui produisait une
perturbation ! L'absence de tout signal périodique en provenance de la
supernova indique que le pulsar, s'il existe, est une très faible étoile, de
magnitude supérieure à 24,6, soit trois fois plus faible que le pulsar du Crabe
si celui-ci était dans le Nuage de Magellan.
A-t-on affaire à un nouveau-né particulièrement anémique ? La luminosité
décroissante de la supernova diminue chaque jour la contribution éventuelle
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“Pulsars : les astronomes saisis par le doute”
du pulsar. Aujourd'hui l'ensemble de l'énergie rayonnée par SN1987A est
déjà inférieur à dix fois celle de la nébuleuse du Crabe et semble parfaitement
expliquée par la seule chaleur dégagée par les éléments radioactifs produits
lors de l'explosion. Pas de trace du pulsar. Celui-ci a-t-il refusé de s'allumer
? Sa luminosité dépend énormément de son champ magnétique et de sa
vitesse de rotation, il faudrait donc la conjonction d'un très faible champ et
d'une lente rotation. A moins bien sûr que l'étoile à neutrons ne soit un trou
noir mais dans ce cas, il est bien difficile d'expliquer la production des
fameux neutrinos. Bien malin celui qui aurait prédit, cette situation en 1987 !
Un pulsar coïncidant très exactement avec les restes d'une supernova, un
autre avec un écart de position notable, un troisième sans l'ombre d'une
explosion à l'horizon, et enfin une explosion sans pulsar, voilà un succès
plutôt très mitigé pour l'association pulsar-supernova.
De fait s'il existe dans les catalogues des astronomes quelques 135 restes de
supernovae connus d'un coté et 558 pulsars répertoriés de l'autre, seules une
petite dizaine d'associations entre les deux a pu être proposée jusqu'ici. Ainsi
on s'interroge toujours sur l'absence de pulsars dans les trois dernières
supernovae historiques de la Galaxie, celle de Tycho Brahe en 1572, de
Kepler en 1604 ou de Cas-A vers 1659. Certaines explications existent
comme la présence d'explosions particulières, dite de type Ia, qui ne laissent
aucun résidu derrière elles ou encore la propension de certaines supernovae à
se diluer rapidement, au bout de quelques dizaines de milliers d'années
seulement. On peut encore invoquer la facilité qu'ont certains pulsars à
s'évader à grande vitesse de leur lieu de naissance, ou la probabilité que leur
faisceau ne balaye pas la Terre. Mais la situation reste au total assez
inconfortable pour la théorie des supernovae.
La supernova SN1987A constitue plus que jamais un test clé car 3500 jours
après ses premiers succès, la théorie attend toujours l'oral de rattrapage.
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