SCIENCES
DE LA SOCIÉTÉ
Stratégie d’expertise
Développement et/ou orientation de la connaissance ?
L’expertise est définie comme l’opération ponctuelle réalisée par une personne
possédant un savoir de spécialiste dans une science, un art, un métier. Elle
consiste en l’étude d’un objet afin de délivrer un avis au profit du com-
manditaire. Son savoir est appelé pour légitimer la norme, la décision politique,
ou encore pour aboutir à une décision estimée plus juste au sein des juridictions,
dans des secteurs aussi variés que la santé, l’environnement, le système
social, les procédures judiciaires, le droit de l’Union européenne, etc.
La multiplicité et la complexité de l’expertise, le recours à celle-ci de
plus en plus fréquent – interprété comme un transfert de responsabilité –
amènent de nombreux questionnements : risques de l’expertise, erreurs
commises par les experts sont aujourd’hui mis en évidence, une telle fiabilité
étant de plus en plus contestée, mise en doute par les médias.
La présente livraison de Sciences de la Société propose autour de la stratégie
d’expertise une recherche interdisciplinaire – associant juristes, sociologues,
médecins et spécialistes en communication – susceptible de contribuer
à une telle réflexion sur l’opportunité de l’expertise et la teneur et
linfluence de la connaissance qu’elle mobilise. Une telle mobilisation
de la connaissance pourra également relever d’une stratégie – légitimer
– et être elle-même stratégique – savoir individuel ou collectif. Quoi
qu’il en soit, elle participera de l’amélioration des connaissances, quand
celles-ci en effet ne seront pas remises en cause : ce sont les pratiques
ou les affiliations, etc., qui pourront alors être dénoncées.
Dossier coordonné par Mathilde CARON
Expertises Connaissance Décision Discours savant Législateur
Légitimation Sécurité sanitaire Conit d’intérêt Système judiciaire
Négociation • Union européenne
SCIENCES
DE LA SOCIÉTÉ
Presses universitaires du Midi
Université Toulouse - Jean Jaurès
pum.univ-tlse2.fr
Prix : 21 E
w3.scsoc.univ-tlse2.fr
SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ Stratégie d’expertise
Stratégie d’expertise
Développement
et/ou orientation
de la connaissance ?
PRESSES UNIVERSITAIRES DU MIDI N° 95
2015
N° 95
2015
LERA 95
Code Sodis : F408378
ISBN : 978-2-8107-0436-1
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N° 95 - 2015
Jérôme BÉRANGER
La valeur éthique de la donnée de santé
à caractère personnel!:vers un nouveau paradigme de l’écosystème médical dématérialisé
Face au développement constant de la e-santé, de la télémédecine et des big data médicaux,
des changements juridiques qui s’accélèrent, des ruptures économiques qui s’amplifient, une
sensation de flou survient autour de la donnée personnelle en santé. La manipulation et
l’exploitation de l’information médicale se trouvent alors en perpétuel équilibre entre
confidentialité et transparence. Désormais, ces nouvelles technologies de l’informa tion et de
la communication (NTIC) perturbent sensiblement le microcosme médical allant jusqu’à
remettre en question les paradigmes de la Médecine d’Hippocrate telle que nous la
connaissons auparavant. Dès lors, une réflexion sur la valorisation de la donnée de santé à
caractère personnel s’impose à nous. Notre étude se base sur de nombreuses enquêtes terrain,
des interviews ciblées auprès des différents acteurs, ainsi que sur une recherche
bibliographique sur le sujet. Ces travaux ont aboutis à la réalisation d’une charte éthique
destinée à valoriser et à protéger la donnée personnelle en santé. L’objectif est de donner du
sens à la réalisation, la mise en place et l’utilisation de la donnée personnelle afin de mieux la
contrôler. Nos recherches souhaitent apporter les premiers éléments d’un cadre moral
contribuant à des changements sensibles des mentalités et d’usages des acteurs concernés par
cette donnée. Dans ces conditions, notre analyse éthique constitue le fondement d’une
nouvelle approche éthico-technique, respectueuse du citoyen, orientée en direction de la
pensée, de la conscience et de la responsabilité humaine.
Mots-clés : NTIC, donnée personnelle, santé, valeur, éthique.
The ethical
value of personal health data: towards a new paradigm of paperless medical ecosystem
To the constant development of e-health, telemedicine and medical Big data, legal changes that
are accelerating, economic disruptions that amplify, a feeling blur occurs around personal
health data. Handling and use of medical information are then constantly balance between
confidentiality and transparency. Now, these New information and communication
technologies (NICT) substantially disrupt the medical microcosm up to challenge the paradigms
of Medicine Hippocrates as we previously know. Therefore, a reflection on the value of health
data of a personal nature is imposed on us. Our study is based on many field surveys,
interviews targeted at different actors, as well as a literature search on the subject. This work
has enabled the creation of a code of ethics designed to enhance and protect the personal data
in health. The aim is to make sense of realization, implementation and use of personal data in
order to better control it. Our research wish to make the first elements of a moral framework
contributing to significant changes in attitudes and practices of people involved in this data.
Under these conditions, our ethical analysis is the foundation of a new ethical-technical
approach, respectful citizen, oriented in the direction of thought, conscience and human
responsibility.
Keywords : new information and communication technologies (NICT), personal data, health, value, ethics.
DE LA SOCIÉTÉ n° 95 © 2016
SCIENCES
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La valeur éthique de la donnée
de santé à caractère personnel!:
vers un nouveau paradigme
de l’écosystème médical dématérialisé
Jérôme BÉRANGER*
D’une manière générale, la technologie permet à
l’Homme, en lui procurant des outils toujours plus performants, de construire
un univers socio-économique propre et d’innover par rapport à cette
construction. Ceci aboutit donc à une société dans laquelle les Nouvelles
technologies de l’information et de la communication (NTIC) jouent un rôle
majeur et central notamment dans le domaine de la santé. Aujourd’hui, la
médecine moderne est devenue presque inconcevable sans l’utilisation des
données personnelles numérisées. L’émergence de la e-santé, la
télémédecine, la m-health et des Big data modifient la prestation de santé, la
relation médecin-patient, et la compréhension scientifique du corps humain
et des maladies. L’exploitation des données personnelles est un sujet sensible,
du fait que ces dernières touchent directement à l’intimité de chaque individu.
Les situations dans lesquelles se posent de difficiles problèmes de choix
stratégiques en matière de gestion de la donnée personnelle sont chaque jour
plus nombreuses. Dans ce contexte, l’interaction de la société avec les NTIC
représente un système instable voir précaire.
SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ  n° 95 © 2016
* Chercheur/ consultant sénior en Ethique des SI en santé, Société Keosys (1, imp. Augustin Fresnel -
BP 60227 – 44815 Saint Herblain), jbe <at> keosys.com
Chercheur associé (PhD) UMR ADES 7268 AMU/ EFS/ CNRS Espace Ethique Méditerranéen 27, bd Jean-
Moulin – 13385 Marseille Cedex 5, jeromeberanger <at> hotmail.com
NOTE
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La numérisation croissante des données médicales, la capacité sans cesse
accrue à stocker des données numériques, l’accumulation d’informations en
tous genres qui en découle, contribuent alors à apporter certaines craintes et
incertitudes en raison de ses usages multiples (voire complexes), de ses
impacts difficilement mesurables touchant des populations très différentes, et
de son information parfois hors de contrôle. C’est pourquoi, il devient
nécessaire de mieux connaître et comprendre l’usage des NTIC dans le secteur
médical afin de protéger la vie privée de chaque citoyen.
Dans ces conditions, il devient fondamental d’établir une réflexion sur la
donnée de santé à caractère personnel via un prisme éthique afin de soulever
le doute et de maîtriser les incertitudes entourant les dispositifs et les usages
de la donnée médicale dans ce nouvel écosystème dématérialisé.
La valorisation de la donnée personnelle de santé
A l’heure de l’explosion des volumes, de l’avènement du Big Data, de l’e-
santé et des m-health, la hiérarchisation et la sélection des données médicales
apparait comme fondamentale pour contrôler leurs usages. Cela nécessite
d’en connaitre la valeur informative et d’exploitation.
La mesure de la donnée à caractère personnel demande en prérequis d’établir
une réflexion sur la valeur intrinsèque de ces dernières afin de pouvoir les
évaluer. Pourquoi et comment évaluer ? Pour quoi faire, dans quel but et avec
quels objectifs ? Comment évaluer la valeur d’une donnée, selon quels
critères ? Que doit-on évaluer ? (Simonnot, 2007)
Dès lors, la valeur d’une donnée se définit dans le contexte de l’action et
vient du sens qu’on arrive à en tirer, en termes de prédictibilité ou de
corrélation. Il est alors possible d’apporter de la cohérence aux données
personnelles en la rattachant à leur cause commune!: le comportement de la
personne. Ainsi, on peut non seulement étudier le comportement d’un
individu à travers les traces numériques qu’il propage, mais également, in
fine, reconstituer l’ADN de son identité numérique.
Par ailleurs, si cette valeur peut se juger bien évidemment sous l’angle du
con tenu, elle peut l’être également sous l’angle de la redondance, de la di ver -
si et de la quantité. La valeur de la donnée est définie par son utilisation et
non par sa nature ainsi que par le service rendu pour son utilisateur. Elle est
pro portionnelle à la connaissance intégrée et se détermine par le niveau de
par tage, la qualité et la quantité des échanges donnés. Après avoir estimé et
déterminer la valeur d’une donnée, son évaluation devient possible. Evaluer
une information, c’est également déterminer la stratégie de sa diffusion. Don -
ner accès à la bonne information au bon moment, faire une transmission -
lec tive de l’information en fonction des centres d’intérêt et des besoins des
utilisateurs afin lutter contre la désinformation, la surabondance et la
déviance informationnelle.
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En éthique, le terme de « valeur » est de l’ordre du devoir-être. C’est un éta -
lon de mesure qui permet de jauger les faits. Il indique des idéaux à pour -
suivre. Ce mot a une connotation générale et dynamique!; il a d’abord une évo -
cation philosophique avant d’avoir une retombée éthique. Un des fondements
de l’éthique est cette impérativité à faire appel à la rationalité des acteurs.
Cette idée passe nécessairement par une entente dans la coordination et
l’échange entre les protagonistes. Chaque personne contribue à la recher che
d’une intercompréhension de la situation à analyser. Cela présuppose donc
une certaine solidarité entre les interlocuteurs qui partagent une même finalité.
Dans ce contexte, la donnée personnelle devient le principal objet de l’action
morale. Il revient de mesurer la valeur intrinsèque puis d’usage de celle-ci.
Valeur intrinsèque de la donnée
Par définition, la valeur intrinsèque d’une chose qualifie la valeur de cette
chose en elle-même, qu’elle permette ou non de satisfaire des besoins et
préférences personnels. Dès lors, cela revient se recentrer sur l’aspect
qualitatif de la donnée personnelle. La qualité ne constitue pas une notion
objective unique. On peut la définir, lorsqu’on considère les choses au plan
le plus global, comme le facteur qui va entraîner la satisfaction de l’usager de
soins quant au produit ou au service consommé, en fonction des attentes, des
besoins, ou des souhaits qui varient naturellement d’un type à l’autre de
produit ou service, mais aussi d’une personne à une autre et, chez la même
personne, éventuellement d’une circonstance à une autre.
En ce qui concerne les données médicales, la qualité désigne le fait que, lors
de leur traitement, de leur conservation ou de leur diffusion, les données
n’ont subi aucune altération, destruction volontaire ou accidentelle et
conservent un format permettant leur usage. Autrement dit, la qualité se
définit comme l’assurance que le contenu de l’information n’a pas été
modifié au cours de sa transmission1. Elle conditionne la réalité du
consentement libre et éclairé du patient vis-à-vis du professionnel de santé.
Face à l’immense production quotidienne d’information, il convient de
recenser les données qui demandent à être conservées et susceptibles d’être
exploitées. Il semble donc nécessaire de retenir que l’essentiel. Les données
que l’on a retenues demandent non seulement à être stockées, mais aussi à
être accessibles et rafraîchies à intervalles réguliers. Enfin, il est
indispensable de faire migrer de supports en supports, au rythme des
évolutions technologiques. Il convient donc d’instituer des archives
numériques, avec des règles claires et appropriées à un domaine en
perpétuelle mutation. Idéalement, le particulier doit pouvoir déterminer lui-
même ce qu’il souhaite conserver, apportant de ce fait une solution distribuée
au problème du choix des données conservées.
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1. Par exemple, suite à un transfert via un réseau.
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