
Mathieu Tillier, « Arbitrage et conciliation aux premiers siècles de l’Islam : théories, pratiques et usages sociaux », Revue des 
Mondes musulmans et de la Méditerranée, 140 (2016), p. 27-52. 
 
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La continuité par les hommes entre l’arbitrage arabe antéislamique et la judicature est donc 
loin d’être établie. Il demeure que la pratique de l’arbitrage elle-même subsista. Les sources 
narratives, qui s’intéressent avant tout à la justice institutionnalisée par le pouvoir musulman, 
y font de rares allusions. Le terme ḥakam lui-même est peu usité : c’est l’expression ijʻal baynī 
wa-bayna-ka [rajulan] (litt.  « nomme  quelqu’un  entre  toi  et  moi »), prononcée par un des 
adversaires, qui signale en général la désignation d’un arbitre d’un commun accord (voir Abū 
Hilāl, Califes : 36), ou le verbe irtaḍā (« agréer [pour arbitre] ») (voir Wakīʻ, Quḍāt : I, 309) 
. 
Quelques récits ponctuels permettent de relever des situations d’arbitrage. Le plus célèbre eut 
lieu entre ʻAlī et Muʻāwiya, d’abord à Dūmat al-Jandal puis à Adhrūḥ (37-38/657-658) (M. 
Djebli, « Taḥkīm », EI2 : X, 116). En raison de la gravité du conflit politique, ou peut-être par 
analogie avec le verset 4 : 35 relatif aux conflits conjugaux, deux arbitres furent nommés (ʻAmr 
b. al-ʻĀṣ et Abū Mūsā al-Ashʻarī), avec pour mission de s’accorder sur la sentence. L’arbitrage 
aboutit au fiasco que l’on sait, car les deux hommes ne surent – ou ne voulurent – parler d’une 
seule voix. De fait, les autres exemples que l’on peut relever aux débuts de l’Islam font tous 
figurer un arbitre unique. 
Les  premiers  cas  d’arbitrage  remontent  au  califat  de  ʻUmar  (r. 13-23/634-644).  Le 
Compagnon médinois Zayd b. Thābit, un lettré aux compétences juridiques reconnues, exerça 
dit-on la fonction de juge officiel pour ce calife et son successeur (Wakīʻ, Quḍāt : I, 107). Mais 
il aurait aussi été saisi comme arbitre (ḥakam) par consensus de deux parties, notamment lors 
d’un conflit entre ʻUmar et Ubayy b. Kaʻb (Ibn Shabba, Ta’rīkh : II, 755 ; Wakīʻ, Quḍāt : I, 
108-109 ; Abū Hilāl, Califes : 10/trad. 27). Il est difficile de déterminer dans quelle mesure ses 
fonctions officielles se distinguaient de son rôle d’arbitre : peut-être que ces deux rôles, qui se 
séparèrent par la suite, étaient encore confondus et qu’en dépit de sa position officielle, l’accord 
des parties sur sa personne demeurait nécessaire 
. Muḥammad n’avait fait figure que d’arbitre 
préférentiel, même si dans le Coran il semble revendiquer une autorité plus exclusive (Othman, 
2005 : 73). Ubayy b. Kaʻb fut investi par ʻUmar et al-ʻAbbās lors d’un conflit relatif à une 
propriété de ce dernier, que le calife souhaitait intégrer à la mosquée de Médine (Ibn Saʻd, 
Ṭabaqāt : IV, 21-22 ; Abū  Hilāl, Califes : 6/trad. 23).  Selon la  tradition, ʻUmar et un  autre 
adversaire auraient désigné l’Irakien Shurayḥ arbitre de leur litige concernant un cheval (Ibn 
Saʻd,  Ṭabaqāt : VI, 132 ; Wakīʻ, Quḍāt :  II, 189).  ʻAbd  Allāh  b.  Masʻūd  serait  également 
intervenu comme arbitre entre le calife ʻUthmān et un individu victime des Banū Umayya (Ibn 
Shabba, Ta’rīkh : III, 1052-53 ; Abū Hilāl, Califes : 7/trad. 24). Ibn Abī  Shayba mentionne 
encore l’exemple de ʻAbīda al-Salmānī (m. 72/691) 
, réputé pour ses connaissances juridiques, 
qui fut pris pour arbitre par des plaideurs (Ibn Abī Shayba, Muṣannaf : VII, 698). L’on associait 
certes l’usage d’aller trouver un arbitre à son domicile à une maxime supposée d’origine arabe 
antéislamique (fī bayti-hi yu’tā l-ḥakam) 
, mais celle-ci avait été reprise par le calife ʻUmar 
(ʻAbd al-Razzāq, Muṣannaf : VIII, 472 ; Ibn Shabba, Ta’rīkh : II, 755 ; al-Balādhurī, Ashrāf, 
IVa : 132-3 ; al-Bayḥaqī, Sunan : X, 136, 144, 145 ; Abū Hilāl, Califes : 10). Soulignons par 
ailleurs  que  l’arbitrage  était  pratiqué  avant  l’Islam  partout  au  Proche-Orient, tant dans les 
territoires ghassānides/jafnides (voir Kaimio, 2001 : 723) et byzantins (MacCoull, 2009 : 114, 
132)  que  dans  les  communautés  zoroastriennes  (Macuch,  1981 : 14) et  juives  de  l’empire 
sassanide (Herman, 2012 : 197-8). Il serait donc hasardeux de voir dans l’arbitrage pratiqué par 
 
 Notons toutefois que le verbe ḥakkama (« nommer un arbitre ») apparaît aussi, comme dans Wakīʻ, Quḍāt : 
I, 337. 
 Si  les  sources  chiites  affirment  qu’il rendit  la  justice  selon  le  ḥukm al-jāhiliyya (les  lois  de  l’antéislam, 
expression tirée du Coran, 5 :  50),  l’accusation  est  polémique et  vise à  discréditer un fidèle  de  ʻUthmān.  Al-
Kulaynī, Furūʻ : V, 446. Voir M. Lecker, « Zayd b. Thābit », EI2 : XI, 515. 
 Voir al-Ziriklī, 1997 : IV, 199 ; al-Dhahabī, Siyar : IV, 40-44. 
 Chez les lexicographes arabes, cette maxime renvoie à une fable animalière préislamique dans laquelle une 
hyène et un renard en conflit à propos d’une datte vont s’en remettre à l’arbitrage d’un ours. Ibn ʻAbd Rabbih, 
ʻIqd : IV, 124 ; Abū Hilāl, Jamhara : I, 368 ; al-Nīsābūrī, Majmaʻ : II, 72.