Comment réconcilier les aspects moléculaires cellulaires et tissulaires du cancer ? Jean-Pascal Capp LISBP, UMR CNRS 5504, UMR INRA 792 INSA/Université de Toulouse France [email protected] 22ème séminaire de l’AMOC, Nice, 22/05/2016 Les origines du modèle génétique actuellement dominant Science, 1976 Cell, 1990 Maintenant : Yates & Campbell, Nat Rev Genet, 2012 Les objectifs du séquençage massif Stratton, 2011, Science De grands projets de séquençage (2010-2015) Garraway & Lander, 2013, Cell Et un nombre incroyablement élevé de mutations détectées Alexandrov et al, 2013, Nature Forte hétérogénéité inter-tumorale, en nombre et en type de mutations Le nombre total de mutations différentes recensées a augmenté de manière exponentielle Août 2014 : > 2 millions mutations différentes dans environ 1 million d’échantillons Mai 2016 : Cancer Gene Census : 595 « gènes du cancer » Koboldt et al, 2013, Cell Nombre beaucoup plus réduit de mutations qui affectent la séquence des protéines Vogelstein et al, 2013, Science L’exemple des cancers du sein ER+ et ER- et al. Nature, 2012 Et triple négatifs Nature, 2012 et al. Parfois impossible de trouver un événement génétique initial La majorité des mutations “driver” est connue dans les cancers du sein Nature 2016 et al. Des résultats qui révélent la complexité génétique des cancers et la diversité des événements génétiques à leur origine 2016, Nature Biotech Chang et al, 2016, Nature Biotech Des résultats qui incitent à l’analyse des fonctions Ledford, 2015, Nature Nature, 2012 Mol Cell , 2015 Mais des mutations similaires peuvent avoir des effets très différents selon leur ordre d’apparition… … ou le type de cellules dans lequel elles apparaissent 2015, Cancer Cell 2015, Nature Et les lésions pré-cancéreuses ne présentent parfois pas de mutations « driver » !! 2016, Nat Commun Les séquençages ont aussi révélé une forte hétérogénéité intra-tumorale 2015, Nature Medicine Variations du degré d’hétérogénéité intra-tumorale entre tumeurs du même type, corrélation avec taille de la tumeur Variations du degré d’hétérogénéité intra-tumorale entre tumeurs de différents types (rein > poumon et sein) (dû à la taille moyenne des tumeurs au moment du diagnostic ?) Apport des études sur cellules individuelles 2011, Nature Sous-populations distinctes, sans intermédiaire observable Idée d’une évolution “branchée” au sein des tumeurs Burrell & Swanton, 2014, Mol Oncol Mais la diversité génétique pourrait être encore supérieure 2016, PNAS 2012 et al. Aucune sous-population observable, pas de mutation clonale détectée → Questionne l’origine génétique du processus Autres difficultés pour le modèle génétique : le microenvironnement comme suppresseur ou inducteur de tumeurs 1) La perturbation de l’environnement cellulaire seule produit des cancers Cell, 2007 Nature, 2010 Nature, 2014 2) Nombreuses altérations génétiques, dont des mutations « driver », dans les tissus normaux BioEssays, 2006 Ex : peau Science, 2015 3) Cellules cancéreuses capables de contribuer au développement normal PNAS, 1975 Genes Dev, 2004 4) Effet normalisateur d’un microenvironnement mammaire normal Cancer Res, 2010 Oncogene, 2011 5) Co-culture avec cellules normales suppriment le caractère cancéreux (Harry Rubin) PNAS, 2008 Egalement forte hétérogénéité d’expression génique entre cellules 2014, Science A tel point qu’aucune sous-population ne peut là non plus être caractérisée sur la base de l’expression génique dans certains cas 2013, Nat Biotech Cette hétérogénéité non-génétique peut expliquer seule la variabilité de la croissance tumorale et de la tolérance thérapeutique 2012, Science Rôle de l’épigénétique ? Méthylation de l’ADN Méthylation ou acétylation des histones Baylin & Jones, 2011, Nat Rev Cancer ADN méthylé Histones désacétylées Pas d’expression ADN déméthylé Histones acétylées Expression possible Caractère héréditaire de ces modifications Komili & Silver, 2008, Nat Rev Genet HATs = Histone acétyltransférases HDACs = Histone désacétylases Falkenberg & Johnstone, 2014, Nat Rev Drug Dis Perturbations épigénétiques dans les cancers Sandoval & Esteller, 2012, Curr Op Genet Dev Rôle généralement admis dans la progression pour la diversification phénotypique Shen & Laird, 2013, Cell Contribution de l’épigénétique à l’initiation tumorale Hitchins, 2015, Nat Rev Genet 2016, Nat Commun Modèle épigénétique d’initiation du cancer 2005, Nature Rev Genet Les perturbations épigénétiques apparaissent de manière aléatoire… 2012 … et qui produisent une chromatine ressemblant à celle des cellules souches embryonnaires !! 2013, Cell La chromatine des cellules in- ou dé-différenciées Gaspar-Maia et al, 2011, Nat Rev Mol Cell Biol Pluripotence associée à une structure de la chromatine “ouverte” Differentiation et quiescence associées à la “fermeture” de la chromatine La chromatine ouverte est associée à l’expression globale et fortement stochastique des gènes dans les cellules souches… Fisher & Fisher, 2011, Curr Opin Genet Dev Zipori, 2004 … et la structuration tissulaire est associée à une baisse de la stochasticité de l’expression génique grâce aux interactions cellulaires 2014 2015, eLife 2016, eLife ⇒ Passage d’un modèle instructif à un modèle sélectif de différenciation ? (cf l’ontophylogenèse de Jean-Jacques Kupiec) Zipori, 2004 2014, Dev Cell Et dans le cas du cancer ? Differentiation Mac Arthur & Lemischka, Cell, 2013 Cancer Cancer = levée des contraintes établies lors de la différenciation (interactions cellulaires qui stabilisent les phénotypes) et production de cellules souches cancéreuses définies comme cellules avec une expression génique plus aléatoire et globale Toute rupture de l’équilibre tissulaire (échec du contrôle par le microenvironnement) peut déstabiliser les cellules différenciées Dans ce cas, différenciation et quiescence de ces cellules plus maintenues du fait de la nature stochastique de l’expression génique qui ne serait alors plus correctement ‘contrôlée’ par le microenvironnement cellulaire Dédifférenciation de cellules différenciées Cancer comme « maladie du développement » BioEssays, 2005 Initiation de la cancérogenèse possible par l’altération au niveau de cellules différenciées des : - membranes cellulaires, - jonctions cellulaires (esters de phorbol par exemple), - molécules d’adhésion, - molécules solubles comme les hormones ou les facteurs de croissance (qui diffusent entre les cellules et constituent un mode d’interactions à distance) (Bisphénol A et autres perturbateurs endocriniens), Phénomène similaire possible à partir de cellules souches Capp, BioEssays, 2005 Les altérations micro-environnementales et épigenetiques précédent le développement cancéreux et l’action des altérations génétiques Résolution de quelques difficultés concernant les cellules souches cancéreuses (CSC) Grand enthousiasme car nouvelle perspective sur deux problèmes persistants de la biologie du cancer : 1) l’hétérogénéité des cancers : reconnue depuis longtemps, tant du point de vue fonctionnel que de celui de la composition cellulaire, sans que les bases de cette hétérogénéité ne soient identifiées. 2) la difficulté de traiter les cancers : échappement des CSC au traitement, développement de résistance, transmission à leurs cellules ‘filles’ Exemple : glioblastome Nature, 2012 Gilbertson & Graham, Nature, 2012 MAIS définition incertaine : 1) A l’origine, cellules souches normales ou cellules différenciées qui se dédifférencient ? 2) Marqueurs moléculaires instables L’état de CSC pourrait être acquis par toute cellule à tout moment, ce qui en fait une cible mouvante (Roesch et al, 2010, Cell) 3) La fréquence des CSC dépend du système expérimental : Nature, 2008 25% de CSC parmi des cellules de mélanomes humaines, sans marqueur moléculaire spécifique Rôle de l’environnement dans lequel les cellules cancéreuses prolifèrent 2009, Science Résolution de quelques difficultés concernant les aspects génétiques et épigénétiques (CSC) Phénomène d’instabilité génétique et épigénétique inéluctable lorsque l’expression génique est fortement aléatoire, sélection d’altérations génétiques et épigénétiques en fonction de la pression sélective (plus ou moins vrai selon les tissus) Capp, BioEssays, 2005 L’absence de mutation driver dans les lésions précancéreuses ou de mutation clonale dans les tumeurs primaires n’est plus surprenante, ni l’existence d’altérations épigénétiques précédant les altérations génétiques, ni l’action normalisatrice d’un micro-environnement sain Différence avec la perspective “microenvironnementale” actuelle où des cellules génétiquement “initiées” doivent pré-exister dans le tissu Dans cette perspective, le cancer est considéré principalement comme un évenement tissulaire, mais l’origine génétique du processus n’est pas remis en cause Vanharanta & Massague, Cell, 2012 Cas des agents mutagènes et des prédispositions au cancer Initiation = échec du contrôle microenvironnemental Mais augmentation de la probabilité que les cellules précancéreuses soient plus agressives plus rapidement avec agents mutagènes et prédispositions au cancer Probabilité augmentée qu’une tumeur se forme, mais seulement si l'environnement correct du tissu n'est pas maintenu Renversement de perspective : la rupture de l’équilibre tissulaire est l’événement initiateur, les altérations génétiques sont des éléments promoteurs et accélérateurs 2016, Nat Commun Conclusion 1) L’expression aléatoire des gènes est la force motrice dans le développement des cancers BioEssays, 2011 2) Thérapie par la différenciation comme réponse à la déstabilisation des cellules et pour contrecarrer l’hétérogénéité intra- tumorale BioEssays, 2012 Conclusion Et bien plus encore dans : (Belin/Pour la science, 2012) (Matériologiques, 2015)