romanesque, à la disposition de leur contenu en une histoire suivie.
Paradoxalement (du moins en apparence), le cartésianisme,
pourtant synonyme de rationalisme, et même de mécanisme, est de
celles-là. Il a certes pour conséquence de désenchanter le monde :
celui-ci n'est plus que rouages, cordes et poulies1. L'anti-
naturalisme de Descartes remplit le dessein de détruire l'admiration
vulgaire qui porte à s'étonner plus devant le spectacle du monde
que devant le Créateur. D'où la négation de toute force intérieure
à la Nature, au profit, du jeu purement spatial de forces étalées,
du mouvement communiqué de proche en proche, dans le plein,
comme pour un automate hydraulique. On ne saurait non plus
occulter dans les théories de Descartes la dimension de recherche
pragmatique de l'utilité et de l'efficacité, répondant à l'idéal
techniciste qui est le sien, de maîtrise et possession de la nature. Mais
c'est là que se produit un renversement du pour au contre:
l'imagination reprend ses droits, tout de même qu'elle a su s'entendre
avec la science de nos jours pour produire de la fiction.
Dans la physique cartésienne, en effet, on ne perdra plus son
temps à rechercher le principe qui agit dans les choses, on s'enquerra
des principes qui nous permettent d'agir sur les choses. Ou plutôt,
la science « ne se préoccupe pas de savoir ce que sont intrinsèquement
les choses telles que Dieu les a créées, mais de déterminer ce qu'il
suffirait de faire pour en produire de semblables»2. Le mécanisme,
artifice institué pour comprendre la nature et agir sur elle, «se
contente d'imiter ses effets par d'autres voies»3. D'où une
1 Fontenelle exprime à merveille cette nouvelle vision du monde : « Car représentez-vous
tous les sages à l'opéra, ces Pythagore, ces Platon, ces Aristote, et tous ces gens dont
le nom fait aujourd'hui tant de bruit à nos oreilles ; supposons qu'ils voyaient le vol
de Phaéton que les vents enlèvent, qu'ils ne pouvaient découvrir les cordes, et qu'ils ne
savaient point comment le derrière du théâtre était disposé. L'un d'eux disait : c'est une
certaine vertu secrète qui enlève Phaéton. L'autre : Phaéton est composé de certains
nombres gui le font monter. L'autre : Phaéton a une certaine amitié pour le haut du
théâtre; il n'est point à son aise quand il n'y est pas. L'autre
:
Phaéton n'est pas fait
pour voler, mais il aime mieux voler que de laisser le haut du théâtre vide (...) A la fin,
Descartes et quelques autres modernes sont venus, et ils ont dit : Phaéton monte, parce
qu'il est tiré par des cordes, et qu'un poids plus pesant que lui descend».
(Entretiens sur la pluralité des mondes habités, 1ère soirée).
2 N. Grimaldi, L'Expérience de la Pensée dans la Philosophie de Descartes, Vrin, 1978,
p.
180.
3 F. Alquié, La Découverte métaphysique de l'Homme chez Descartes, PUF, 2e éd., 1966,
p.
115.