Colloque International – Sciences Humaines et Cancérologie
– 12 et 13 juin 2008 - Besançon
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Les maux de l’annonce : de la détresse
des patients aux interrogations des
médecins
Potier Amandine Psychologue clinicienne, Centre de
Coordination en Cancérologie, CHU de Besançon
E-mail : apotier@chu-besancon.fr
A tous les soignants et patients avec lesquels je travaille, qui m’ont
permis à moi aussi de cheminer et sans qui cette communication n’aurait
pas été possible…
La réflexion que je vous propose aujourd’hui s’inspire
de ma pratique en cancérologie, auprès des soignants mais
aussi auprès des patients que j’ai l’occasion de suivre dans les
temps qui suivent l’annonce du diagnostic. Je travaille pour le
Centre de Coordination en Cancérologie, instance qui émane
du plan Cancer et qui a pour vocation de s’assurer du respect et
de l’application des 70 mesures qui le composent. La mission
qui m’occupe à temps plein ne porte que sur la mesure 40
intitulée « Dispositif d’Annonce ». A ce titre, je travaille avec
une trentaine de services répartis sur le territoire de santé sur la
question de l’annonce du diagnostic, de ses modalités, de ses
enjeux. Mon rôle ne consiste pas à dire si tel ou tel service, si
tel ou tel médecin remplit correctement ses fonctions à cet
égard, mais plutôt à essayer de comprendre comment tel
service, comment tel médecin s’organisent autour de la
question de l’annonce pour en dégager certains axes de travail
susceptibles d’améliorer les conditions de l’annonce à partir
des spécificités de chacun. Les services avec lesquels je
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travaille sont tous volontaires, manifestent bien souvent
d’emblée cette préoccupation d’entourer, d’accompagner les
circonstances de l’annonce. Je n’assiste que rarement aux
consultations d’annonce, sauf exception, il me semble que ma
place se situe plutôt dans un second temps, dans un après-coup,
autant auprès du médecin et des paramédicaux qu’auprès du
patient. Je ne rencontre pas non plus chaque patient « victime »
d’une annonce de cancer, il ne s’agit pas de « rattraper le
coup » comme me le suggérait avec insistance un collègue
médecin qui voyait en la psychologue l’occasion de « réparer »
le mal dont il se considérait comme l’auteur. Non. Les patients
dont je vais vous parler sont des patients que je suis dans le
temps clinique qui m’est imparti, principalement des patients
d’hématologie et plus ponctuellement des patients de
pneumologie ou d’ORL au CHU.
Deux anecdotes cliniques pour illustrer mon
questionnement :
Une patiente vient me voir en consultation, sept ans
après la greffe, affolée parce qu’elle venait de se souvenir, la
veille, des circonstances de SON annonce diagnostique :
« C’était le médecin de garde. Il est venu le soir tard avec les
résultats de mes examens. Il était planté au bout de mon lit,
l’air gêné. Il m’a dit « vous avez une leucémie ». Il a ajouté
deux ou trois mots que je n’ai pas compris et il est parti.
Pendant sept ans, je n’ai pas voulu entendre. C’était comme si
ça ne s’était jamais passé ».
Un médecin au détour de la salle à café, le soir
relativement tard, toute blouse enlevée : « Quand je rentre chez
moi j’y repense. Je n’arrive jamais à savoir si j’ai bien fait les
choses [il évoque une annonce diagnostique en particulier]. De
toute façon, comment j’aurais pu bien faire ? C’est la partie de
mon travail que je déteste ».
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A partir de un questionnement, le mien, celui qui
émane de ce que je peux observer au quotidien, peut-être le
vôtre aussi, en tout cas, celui qui à mon sens, interroge encore
aujourd’hui la pratique des équipes en cancérologie,
Comment dire ce que l’on n’a pas envie de dire à
quelqu’un qui n’a pas envie de l’entendre ?
Le premier code de déontologie médicale (1947) tentait
d’apporter, sinon la réponse, du moins une réponse possible.
L’article 31 stipulait : « […] un pronostic grave peut
légitimement être dissimulé au malade. Un pronostic fatal ne
doit lui être révéler qu’avec la plus grande circonspection».
Aujourd’hui, cette conception de la médecine paraît obsolète,
ne répondant plus aux exigences et aux besoins formulés par
les patients et par l’éthique médicale. Il faudra attendre la loi
Kouchner du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à
la qualité du système de santé pour obtenir la délivrance d’une
information médicale exhaustive dont le patient a revendiqué le
statut.
Néanmoins, le patient est-il prêt à tout entendre, à tout
moment ? Si les premiers états généraux des patients atteints de
cancer en 1998 ont largement contribué à la réflexion sur
l’annonce diagnostique, le processus demeure complexe. Le
plan Cancer donne bien la forme à travers un cadre, celui du
Dispositif d’Annonce, mais qu’en est-il sur le fond ? Le cadre
n’est-il pas trop rigide, enfermant à nouveau l’annonce dans
une « protocolisation » qui tasse la singularité du sujet ?
Auparavant, on s’assurait de ne rien dire, aujourd’hui on
revendique le « tout dire », traçabilité et check-list à l’appui.
Drôle de position que de convoquer la psychologue à cet
endroit là… comme pour entériner une sorte de légitimité
psychique à déverser en kit tout un flot d’informations,
véritablement exhaustives, et dont on peut dorénavant se
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dédouaner : « J’ai dit tout ce que j’avais à dire ». Peut-on
bricoler une clinique du protocole dans un rapport pour le
moins antinomique ? La dérive peut s’avérer cinglante. Et si,
malgré tout, le psy avait son mot à dire sur la question ? Tout
ne peut pas s’inscrire dans les limites d’un protocole. Qu’en
est-il alors lorsque le cadre, débordé, suinte sur les marges du
subjectif et de la relation à l’autre ?
Au-delà et par delà les limites du cadre, qu’est-ce qui
vient se jouer dans ce qui échappe ?
Du côté des patients, l’annonce voile tout autant qu’elle
dévoile, marquant la rupture indélébile dans le processus de
continuité identitaire. Parole qui informe, parole qui déforme
aussi, lorsque le corps, jusque là silencieux, semble trahir.
Etrangeté d’un soi qui devient autre. L’enveloppe se
rompt, se troue, se déchire. Enveloppe psychique autant que
corporelle. ritable effraction, la parole entre au-dedans de
l’être jusqu’à le modeler, le déformer. Ecrasant les nuances, les
mots ne tissent plus le lien, ils le brisent .Mots qui se disent,
mots qui se taisent, mots qui se muent en passages à l’acte
lorsque les représentations se substituent au sens. Le sujet
devient malade : il est son cancer. Le mot devient la chose.
Ainsi en témoigne cette patiente : « Il n’y a pas que la maladie
qui tue, les mots tuent aussi. La différence, c’est que la maladie
vous laisse le temps ; les mots, eux, vous achèvent ». Le
traumatisme est d’autant plus grand que le diagnostic est
inattendu. La maladie est d’emblée associée à une série de
pertes dont le processus s’apparente à un véritable travail de
deuil. Il n’est alors pas rare d’entendre certains patients
évoquer un vécu de dépersonnalisation transitoire : « Au début,
quand le médecin m’a annoncé mon cancer, je n’y croyais pas.
Ce n’était pas possible. Ce n’était pas moi. Il parlait de
quelqu’un d’autre. Et puis, au bout d’un certain temps, on était
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deux à cohabiter dans un même corps. Il y avait le moi malade
et le moi tout court. Maintenant je réalise que je suis les deux.
On ne forme plus qu’un mais je ne veux plus penser que je
pourrais mourir. J’ai choisi de vivre ». Une autre patiente me
dira : « Quand le médecin m’a annoncé la greffe, ça m’a
fait mal de penser qu’on allait me retirer ma moelle pour
m’injecter celle de quelqu’un d’autre. Comment j’arriverai à
savoir que c’est toujours moi après ? ». Vacillement de l’être,
de soi, de l’autre, de l’autre en soi… Inquiétante étrangeté…
Vide sidérant de l’impossible annonce. Corps et âmes floués,
dupés, trompés. Indicible non-sens. Révolte silencieuse d’un
corps qui abandonne : « Je vais rentrer chez moi pour le week-
end. C’est fou comme la vie vous semble atrocement normale
quand on vous apprend que vous avez un cancer. Rien ne
change, sauf que pour vous, tout a changé ». Plus difficile
encore d’accepter lorsque le corps ne porte pas la trace
apparente de la maladie : ce qui fait trauma n’arrive pas à
s’inscrire psychiquement, pour le malade, mais aussi et surtout
pour les proches. Ainsi en témoigne ce patient à qui on avait
annoncé une leucémie : « Le plus dur, c’est les autres. Ils ne
me voient pas malade, ils ne se rendent pas compte. Si j’avais
eu un accident de la route, si mon corps avait été marqué,
personne n’aurait mis en doute ma souffrance. Pour tout le
monde, mon corps n’est pas malade, et moi, je ne dois pas me
plaindre. J’aurais voulu être victime d’un accident ». Au cours
d’un entretien ultérieur, ce même patient, voulant me signifier
la difficulté qu’il avait à faire abstraction de la maladie (à
« l’occulter ») me dira : « Je n’arrive pas à ausculter la
maladie ». Ce lapsus viendra signer la douleur de l’absence,
l’absence d’une trace qui n’a pas pu se donner au regard de
l’autre et au sien, signe extérieur de reconnaissance et de
légitimité du trauma.
L’annonce du diagnostic est donc un moment violent (et
violant), redouté par le patient, mais aussi par le médecin. Que
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