Agents biologiques Contaminants microbiens des milieux aquatiques anthropisés : bactéries pathogènes et indicateurs de pollution fécale Période : février 2010 à août 2010 Stéphanie PETIT* et Benoit COURNOYER** ** Université Claude Bernard Lyon1 – UMR CNRS 5557 Écologie Microbienne – Eq Bactéries Pathogènes Opportunistes et Environnement – Villeurbanne ** CNRS – UMR CNRS 5557 Écologie Microbienne – Eq Bactéries Pathogènes Opportunistes et Environnement – Villeurbanne Mots clés : Bactéries pathogènes, Bacteroides, Baignade, Eaux récréatives, Eaux usées, Indicateurs fécaux, Infection hydrique, Qualité, Risque sanitaire, Traceur microbien Par ses activités (agriculture, assainissement…) l’Homme induit des contaminations directes et indirectes des milieux aquatiques. Ces milieux contaminés peuvent exposer les populations à divers dangers sanitaires. Ils peuvent être, entre autre, à l’origine d’épidémies de gastro-entérite, dermatite, otite et maladies respiratoires suite à une utilisation des eaux de surface à des fins récréatives, ou d’irrigation (Yoder et al., 2008). Les exigences croissantes en matière de qualité écologique des milieux aquatiques, l’aggravation de certains phénomènes anthropiques, ainsi que les changements climatiques globaux, viennent complexifier le schéma. Afin de préserver la qualité des milieux et de limiter les risques sanitaires, des normes de qualité et des programmes de surveillance des milieux aquatiques ont été développés. Des indicateurs de qualité microbiologique ont été définis pour évaluer la qualité des eaux. S’il a été suggéré que les bactéries de la microflore normale du tube digestif comme Escherichia coli, Enterococcus sp et les coliformes fécaux étaient de bons indicateurs (Prüss et al., 1998, Zmirou, 1990), ces derniers sont aujourd’hui contestés (Tortorello, 2003 ; Stewart et al., 2008). Il s’avère en effet que la présence ou l’absence de ces indicateurs n’est pas un critère adéquat pour l’appréciation du risque sanitaire puisque ces bactéries semblent persister dans certains milieux et n’ont pas toujours une distribution similaire à celle des agents pathogènes d’origine hydrique (Ishii et al., 2006). Les publications sélectionnées abordent ce problème sous l’angle de la contamination fécale. La caractérisation des peuplements bactériens de bassins-versants côtiers conduit à la déduction d’indicateurs alternatifs de la contamination fécale Wu CH, Sercu B, Van de Werfhorst LC, Wong J, DeSantis TZ, Brodie EL, Hazen TC, Holden PA, Andersen GL. Characterization of coastal urban watershed bacterial communities leads to alternative communitybased indicators. PLoS One. 2010 ; 5 : e11285. Analyse Les auteurs présentent une étude sur la qualité microbiologique du bassin-versant de Santa Barbara (Californie) dont l’exutoire est une zone de baignade. Cette étude est la suite d’un article (Sercu et al., 2009) où des niveaux élevés du traceur (1) Bacteroides (3), utilisé pour suivre les contaminations fécales humaines, furent observés dans ce bassin-versant. Des fuites du collecteur d’égout ont été suspectées à l’origine de cette contamination. Wu et al. ont ré-analysé la qualité des eaux de surface de ce bassin-versant en utilisant la technologie des puces à ADN de type PhyloChip™ (500 000 sondes, Affymetrix Corporation®) (3), basée sur l’étude des variations de grands groupes bactériens dans les eaux de surface via une analyse du gène codant l’ARN ribosomique 16S (4). Cette étude a reposé sur un échantillonnage restreint d’eaux de surface et d’échantillons d’origine fécale. En comparant les données d’hybridation des ADNr 16S sur la Phylochip, plus de 503 groupes bactériens ont pu être associés à une origine fécale. Les plus grandes variations entre matrice fécale et eaux ont été observées pour les Bacteroidetes, Bacilli, Clostridiales (regroupés sous l’appellation BBC), et les alphaprotéobactéries (nommé « A »). En comparant la richesse relative des BBC sur A, les auteurs ont déduit un indicateur du niveau de contamination fécale ; un ratio élevé indiquant une forte contamination. Ce ratio a été utilisé pour identifier les zones les plus contaminées du bassin-versant et étudier les corrélations avec les mesures d’autres indicateurs. Les résultats ont été trouvés en adéquation avec les données précédentes si l’on se réfère à l’indicateur E. coli. En revanche, cette concordance des résultats est moins évidente si l’on se réfère à l’indicateur entérocoques où des variations plus marquées ont été observées. Le ratio BBC sur A semble donner une indication plus robuste du niveau de contamination fécale. Ce type d’analyse nécessitera une confirmation de l’évolution des Anses • Bulletin de veille scientifique n o 13 • Santé / Environnement / Travail • Mars 2011 46 Contaminants microbiens des milieux aquatiques anthropisés : bactéries pathogènes et indicateurs de pollution fécale – Stéphanie PETIT et Benoit COURNOYER grands groupes en fonction des zones géographiques, du climat, et des facteurs pouvant affecter le contenu de la flore intestinale humaine. Commentaire Les auteurs proposent dans cet article une méthode alternative aux indicateurs classiques pour évaluer la qualité microbiologique des eaux. Une originalité du travail est la proposition d’une grille basée sur le ratio des BBC/A (voir ci-dessus) permettant d’obtenir une image du niveau de contamination fécale du cours d’eau en fonction des zones de prélèvement. Ce ratio peut permettre de déduire la position des sources majeures de contaminants fécaux. Dans le cadre de ce travail, il serait intéressant d’obtenir des données sur les agents pathogènes. La technologie proposée dans cet article pourrait être améliorée en augmentant la densité de la puce PhyloChipTM avec des gènes marqueurs spécifiques du genre ou de l’espèce bactérienne. Les sources de Campylobacter spp., Salmonella enterica and Escherichia coli O157 :H7 de la rivière Salmon, Colombie Britannique, Canada Jokinen CC, Schreier H, Mauro W, Taboada E, Isaac-Renton JL, Topp E, Edge T, Thomas JE, Gannon VP. The occurrence and sources of Campylobacter spp., Salmonella enterica and Escherichia coli O157 :H7 in the Salmon River, British Columbia, Canada. J Water Health. 2010 ; 82 : 374-86. Analyse Cet article concerne également la problématique de la qualité microbiologique des eaux et les risques d’exposition des populations humaines aux agents pathogènes d’origine hydrique. Il concerne un secteur géographique particulier du Canada où de nombreuses sources, tant animales qu’humaines, peuvent être à l’origine de la contamination d’un bassin-versant. L’originalité de cette contribution concerne l’analyse croisée d’espèces pathogènes, Campylobacter spp. (6), Salmonella spp. (7) et Escherichia coli O157 :H7 (8), et d’indicateurs de contamination fécale, incluant des traceurs (Bacteroides) de l’origine de cette contamination, sur des échantillons d’eau de surface, d’eaux usées et de fèces d’animaux. Les échantillons ont été récoltés sur plusieurs saisons. Les analyses microbiologiques ont été effectuées en utilisant des approches de culture et d’identification classiques. L’étude des traceurs de contamination fécale a été réalisée par PCR spécifique du genre bactérien Bacteroides, ciblant le gène codant pour l’ARNr 16S permettant de déduire l’espèce animale à l’origine d’une contamination. Les résultats obtenus ont permis d’observer des répartitions spatiales espèces-spécifiques et certaines corrélations avec les indicateurs de contamination fécale. Campylobacter spp. et E. coli O157 :H7 ont été retrouvées à des concentrations élevées au sein de zones communes mais les concentrations les plus élevées de salmonelles ont été observées pour d’autres secteurs. Des variations saisonnières marquées de la répartition de ces espèces bactériennes et indicateurs fécaux ont été Agents biologiques observées. Une prévalence plus faible de ces espèces ainsi que de plusieurs traceurs (Homme, ruminant, chien) a été observée l’été. Les niveaux de pluie seraient une cause probable de ces variations ; les niveaux de précipitation étant plus faibles l’été dans ce secteur géographique. Le lessivage des sols agricoles ou forestiers serait à l’origine des contaminations animales, et les contaminations humaines proviendraient des fosses septiques localisées à proximité du cours d’eau. Pour préciser ces aspects, les auteurs ont étudié les corrélations entre concentrations en espèces pathogènes, coliformes fécaux et traceurs de contamination fécale. Ces analyses ont permis d’observer une corrélation positive entre les concentrations de Salmonella spp, E. coli 0157 :H7 et des coliformes fécaux. La corrélation entre les coliformes fécaux et le traceur Bacteriodes générique est quant à elle moins forte, et l’estimation d’une relation entre ce traceur et les agents pathogènes est difficile du fait que les analyses ont été réalisées sur des périodes de temps différentes. La corrélation négative observée entre les concentrations en Campylobacter et en indicateurs/traceurs fécaux indique l’influence d’une source non-identifiée ou des différences majeures dans le comportement de ces bactéries. Notons que certains résultats sont à considérer avec prudence étant donné que les taux de détection sont parfois faibles et donc statistiquement moins robustes. Commentaire Des corrélations positives dans la répartition d’espèces pathogènes et des indicateurs/traceurs fécaux peuvent être observées, mais trouver la source à l’origine de la contamination demeure un défi. Ces sources peuvent être nombreuses et de multiples paramètres peuvent influencer les vitesses de transfert des micro-organismes vers un cours d’eau récepteur. Les coliformes fécaux indiquent une contamination fécale des eaux mais dans le contexte de sources multiples, ce paramètre ne peut permettre une hiérarchisation des sources. D’autres indicateurs sont alors essentiels. Les auteurs de cet article ont testé les traceurs de type Bacteroides mais se sont heurtés à des contaminations fécales de plusieurs espèces animales, ne permettant pas d’identifier clairement les sources. Finalement, seules les données de génotypage infra-spécifique ou de sérotypage des formes pathogènes ont permis de déduire les sources à l’origine des contaminations observées comme celles concernant les Salmonella spp. Sérovars (9) Mbandaka et Typhimurium Copenhague. Ces sérovars ont pu être reliés à des zones d’élevage de porcs mais ces résultats mériteraient d‘être affinés en utilisant les outils de la génétique des populations. Anses • Bulletin de veille scientifique n o 13 • Santé / Environnement / Travail • Mars 2011 47 Agents biologiques Contaminants microbiens des milieux aquatiques anthropisés : bactéries pathogènes et indicateurs de pollution fécale – Stéphanie PETIT et Benoit COURNOYER Conclusion générale Les contaminants microbiologiques, dont les agents pathogènes, introduits en système complexe comme les cours d’eau peuvent être à l’origine de pathologies infectieuses humaines mais peuvent également dégrader la qualité écologique des écosystèmes impactés. Ces conséquences ont suscité le développement de nombreux outils pour permettre une meilleure appréciation des risques sanitaires engendrés et une identification des sources à l’origine des contaminations et épidémies observées. Les articles présentés s’inscrivent dans ce contexte. Le premier article présente une des premières applications des Phylochip au domaine de la surveillance de la qualité microbiologique des eaux. Les résultats obtenus confirment les grandes tendances observées ces dernières années, avec des indicateurs plus « classiques » de la contamination fécale, et démontrent qu’une Phylochip peut permettre l’identification de zones de rejets de tels contaminants. Ces nouvelles technologies devraient donc poursuivre leur développement et s’améliorer dans les prochaines années. Elles demeurent toutefois très spécialisées et encore peu applicables au suivi de routine. Le deuxième article montre qu’en raison de la complexité des interactions entre agents pathogènes et milieux naturels, les dépistages ciblant les formes pathogènes demeurent les plus informatifs. Les nouvelles technologies devront évoluer vers leur détection et suivi spatio-temporel mais également vers l’analyse de leur diversité infra-spécifique dont leurs potentiels de virulence et de résistance aux antibiotiques. Lexique (1)Traceurs microbiens : micro-organisme ou gène particulier permettant d’indiquer un type de pollution (fécale notamment), et pour certains de déterminer son origine. (2)Bacteroides : bacille gram négatif anaérobie constituant la flore intestinale de l’Homme et d’espèces animales. Utilisé comme indicateur et traceur de contamination fécale. Bacteroides fragilis peut être pathogène. (3)Phylochip : puce à ADN phylogénétique basée sur l’étude des grands groupes bactériens par les variations de séquences de gènes codant pour la sous-unité 16S de l’ARN ribosomique. (4)ARN ribosomique 16S : ARN de la petite sous-unité du ribosome impliqué dans la lecture de l’ARN messager. Le gène codant l’ARNr 16S, bien que très conservé, montre des variations de séquences en adéquation avec la phylogénie bactérienne. (5)PCR (Polymerase chaîne reaction) : réaction d’amplification de l’ADN par Taq polymérase. Cette méthode de biologie moléculaire permet de copier en grand nombre un segment d’ADN (amplification génique in vitro). (6)E. coli O157 :H7 : Escherichia coli O157 :H7 est un sérotype d’Escherichia coli responsable de nombreuses intoxications alimentaires associées à des pathologies telles que la colite hémorragique ou le syndrome hémolytique ou urémique. (7)Salmonella enterica : enterobactéries, bacille gram négatif, responsables d’intoxications alimentaires, de gastroentérites, de toxi-infections alimentaires et des fièvres typhoïde et paratyphoïde. (8)Campylobacter : les Campylobacters sont des bactéries spiralées du tube digestif à l’origine d’infections, le plus souvent, intestinales (diarrhée, douleurs abdominales, fièvre, etc.). Campylobacter jejuni est la première cause des infections intestinales bactériennes. (9)Sérovars/Sérotype : propriété antigénique permettant d’identifier une bactérie. Publications de référence Ishii S, Ksoll WB, Hicks RE et al. Presence and growth of naturalized Escherichia coli in temperate soils from Lake Superior watersheds. Appl Environ Microbiol. 2006 ; 72 : 612-621. Prüss A. Review of epidemiological studies on health effects from exposure to recreational water. Int J Epidemiol. 1998 ; 27 : 1-9. Sercu B, Van De Werfhorst LC, Murray J et al. Storm drains are sources of human fecal pollution during dry weather in three urban southern California watersheds. Environ Sci Technol. 2009 ; 43 : 293-298. Stewart JR, Gast RJ, Fujioka RS et al. The coastal environment and human health : microbial indicators, pathogens, sentinels and reservoirs. Environ Health. 2008 ; 7(S2) :S3. Tortorello ML. Indicator organisms for safety and quality - uses and methods for detection : minireview. J AOAC Int. 2003 ; 86 : 1208-1217. Zmirou D, Ferley JP, Balducci F et al. Evaluation of microbial indicators of health risk related to river swimming places. Rev Epidemiol Sante Publique. 1990 ; 38 : 101-110. Revue de la littérature Yoder JS, Hlavsa MC, Craun GF et al. Surveillance for waterborne disease and outbreaks associated with recreational water use and other aquatic facility-associated health events--United States, 2005-2006. MMWR Surveill Summ. 2008 ; 57 : 1-29. Autres publications identifiées Brennan FP, O’Flaherty V, Kramers G et al. Long-term persistence and leaching of Escherichia coli in temperate maritime soils. Appl Environ Microbiol. 2010 ; 76 : 1449-1455. La persistance et le transport des E. coli du sol vers les eaux souterraines sont étudiés. Anses • Bulletin de veille scientifique n o 13 • Santé / Environnement / Travail • Mars 2011 48 Contaminants microbiens des milieux aquatiques anthropisés : bactéries pathogènes et indicateurs de pollution fécale – Stéphanie PETIT et Benoit COURNOYER Agents biologiques Girones R, Ferrús MA, Alonso JL et al. Molecular detection of pathogens in water--the pros and cons of molecular techniques. Water Res. 2010 ; 44 : 4325-4339. Cet article présente les méthodes moléculaires basées sur la PCR qui ont été développées ces dernières années comme outil de détection mais aussi de quantification des bactéries, virus et parasites pathogènes de l’Homme présents dans les aliments, l’eau et plus largement dans l’environnement. Les auteurs présentent ici les avantages mais aussi les améliorations à apporter à ces technologies pour qu’elles puissent être utilisées en routine. Graczyk TK, Sunderland D, Awantang GN et al. Relationships among bather density, levels of human waterborne pathogens, and fecal coliform counts in marine recreational beach water. Parasitol Res. 2010 ; 106 : 1103-1108. La présence de parasites pathogènes de l’Homme dans des eaux récréatives est ici corrélée à la concentration en entérocoques et à la densité de baigneurs. Des recommandations sanitaires sont proposées par les auteurs. Jjemba PK, Weinrich LA, Cheng W et al. Regrowth of potential opportunistic pathogens and algae in reclaimed-water distribution systems. Appl Environ Microbiol. 2010 ; 76 : 41694178. Cette étude met l’accent sur la présence de bactéries pathogènes telles que Aeromonas, Pseudomonas, Mycobacterium dans les systèmes de distribution d’eau de récupération. Si cet article semble important en termes de santé publique, il ne traite néanmoins pas du comportement des agents pathogènes dans le milieu étudié. Krometis LA, Characklis GW, Drummey PN et al. Comparison of the presence and partitioning behavior of indicator organisms and Salmonella spp. in an urban watershed. J Water Health. 2010 ; 8 : 44-59. Une étude sur l’incidence et la répartition de Salmonella spp est menée sur un bassin de rétention d’eaux pluviales, et sur des eaux de surface. La répartition en Salmonella spp varie spatialement dans différentes fractions particulaires. Si les bassins de rétention étudiés ici sont considérés comme des systèmes de traitement des eaux, ils s’avèrent que les conditions sont propices au développement bactérien et à la libération de particules microbiennes dans les effluents. Les auteurs ont également comparé le comportement de plusieurs indicateurs tels que les bactéries indicatrices de contaminations fécales (E. coli, coliformes fécaux) et Clostridium perfringens à celui de Salmonella spp. Mots clés utilisés pour la recherche bibliographique Bacteria, Water. 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