CRITIQUES DE LIVRES LA GUERRE ISRAÉLO-ARABE D’OCTOBRE 1973. UNE NOUVELLE DONNE MILITAIRE AU PROCHE-ORIENT par Pierre Razoux Économica, Paris, 2001, 393 p. EN MAI 1940, FALLAIT-IL ENTRER EN BELGIQUE? DÉCISIONS STRATÉGIQUES ET PLANS OPÉRATIONNELS DE LA CAMPAGNE DE FRANCE par Bruno Chaix Économica, Paris, 2000, 349 p. LA FIN DE L’ARMÉE ROMAINE (284–476) par Philippe Richardot Économica, Paris, 2001, 392 p. Édition revue et augmentée. Compte rendu de Serge Bernier, Ph. D. L a maison d’édition Économica a créé deux collections qui devraient être d’une grande utilité à tous ceux qui font de l’histoire militaire chez nous, au premier rang desquels figurent, bien sûr, les officiers qui étudient en sciences militaires. La lecture de ces travaux pourrait inciter certains d’entre eux à aller un peu plus loin que ce que requiert le programme qu’ils suivent actuellement. Les deux premiers titres ci-dessus font partie de la collection « Campagnes et Stratégies ». Dans La Guerre israélo-arabe d'octobre 1973, Razoux fait une excellente description de la préparation égyptienne à la guerre de 1973 et de l’immense effort logistique consenti. La montée en puissance vers l’attaque du 6 octobre 1973, à 14 h, est bien menée (p. 64). Selon l’auteur, les Israéliens avaient été bien renseignés, mais avaient mal interprété les signaux. « Les dirigeants israéliens ont été aveuglés par leur complexe de supériorité et par leur croyance dans un concept biaisé. » (p. 79). C’est que la CIA utilise des données israéliennes pour fournir ses conseils à Israël qui, elle, se base sur la CIA. Tout le monde sera pris au dépourvu. Parallèlement, l’Égypte surtout mais aussi la Syrie sont engagées à fond dans des ruses qui fonctionnent bien. La description du conflit inclut l’état des relations internationales, le rôle des deux supergrands de l’époque, le déroulement des combats au jour le jour, les réussites, les échecs, le facteur humain et la place du qualitatif par rapport au quantitatif. Razoux tente de séparer les faits vérifiables de la propagande : ainsi, Israël a ouvertement sous-estimé ses pertes et surestimé celles de ses adversaires. 76 Dans cette partie du livre, l’auteur éprouve évidemment quelques difficultés car beaucoup reste imprécis, et les secrets sont encore nombreux en 2004. Cela dit, sa tentative reste louable. Si Israël finit par obtenir un avantage militaire certain, les pays arabes, l’Égypte en particulier, marquent des points sur le plan politique. Par ailleurs, étant donné que la crise du pétrole vient s’ajouter au conflit, les Américains gagnent économiquement et effectuent surtout une percée diplomatique importante au Moyen-Orient. Razoux raconte aussi bien les opérations terrestres que les opérations aériennes ou navales. Dans cette guerre, les unités navales (chapitre 11) ont joué un rôle accessoire mais tout de même important. Les Israéliens sortent grands vainqueurs de ces affrontements, mais le blocus imposé par les pays arabes leur fait mal. On constate à cette occasion que, si le missile surface-surface n’a pas révolutionné le combat, il a conféré aux fonctions de détection et de guerre électronique une importance cardinale : en somme, on a affaire ici à une évolution majeure « annonciatrice de révolutions technologiques futures » (p. 239). Comme d’habitude, en ce qui concerne les raids aériens (chapitre 10), les dégâts déclarés par les aviateurs sont extrêmement difficiles à chiffrer et à confirmer. Cependant, le chapitre que l’auteur consacre à ce sujet est très instructif, chaque type de mission étant répertorié avec ses succès et ses insuccès. Même travail en ce qui concerne les batteries antiaériennes. L’auteur conclut que le conflit de 1973 fut un test pour la détente. Militairement parlant, les engagements aéroblindés ont été marquants. Le C3I est déjà central. Cette guerre fut un banc d’essai pour de nombreuses armes, en particulier pour les missiles antichars ainsi que pour l’électronique et la haute technologie en général, où le qualitatif l’emporte sur le quantitatif. Bien que les missiles soient efficaces, ils ne l’ont cependant pas été autant qu’on l’a prétendu. Même constat pour l’armée de l’air. Bien sûr, selon Razoux, les guerres se gagnent au sol et avec la participation de fantassins, dont ni les blindés ni les avions ne peuvent se passer. Le livre de ce docteur en histoire spécialisé dans l’étude des guerres israélo-arabes contient des annexes très instructives, qui complètent un texte solide et bien étayé. Le sous-titre de Chaix révèle l’essence de son travail. L’auteur mérite d’être présenté. Général de division à la retraite, il est devenu docteur en histoire après une carrière militaire marquée par une grande curiosité intellectuelle, on s’en doute. Son analyse des plans de défense de la France dans l’entredeux-guerres est complète et très critique, sans être inutilement négative. Les militaires français sont pris entre la doctrine défensive de leurs dirigeants politiques Revue militaire canadienne ● Été 2004 CRITIQUES DE LIVRES et la neutralité de la Belgique. Ils doivent tout de même envisager sérieusement la possibilité que, en cas d’attaque allemande à partir de la Belgique, une partie de leurs forces abandonnerait ses positions défensives pour passer à une guerre de mouvement, qui la mènerait en territoire belge. Évidemment, le scénario qu’ils imaginèrent était extrêmement risqué et échoua lamentablement. La leçon ayant été durement apprise par les perdants de 1940, il n’y aura guère de résistance après 1949 pour que, devenus alliés au sein du Traité de l’Atlantique Nord, ils acceptent la constitution d’états-majors communs, une même doctrine et une certaine perte de souveraineté. Le livre de Chaix est bien fait et solidement argumenté, mais présente de petits défauts. Ainsi, certaines abréviations sont mal expliquées, lorsqu’elles le sont, et, même si l’on parvient généralement à déduire leur signification, le livre aurait pu comporter un glossaire. En lisant ce livre, je me suis rappelé que le Canada, tout comme la Belgique, s’était aussi trompé d’ennemi dans l’entre-deux-guerres : notre contre-renseignement enquêtait sur l’extrême gauche alors que le danger était à l’autre extrémité du spectre politique. Cette mauvaise évaluation de la situation ne fut pas trop coûteuse en comparaison du prix qu’eut à payer la Belgique pour avoir craint la France autant que l’Allemagne. Le dernier livre est publié dans l'autre collection d'Économica, « Hautes études militaires ». Richardot s’y penche sur le lointain passé des armées romaines, et son travail est très enrichissant. On y trouve une citation d’Ammien Marcellin, que les spécialistes en leadership devraient méditer : « On demande à un soldat de servir par le corps et à un commandant en chef de servir par l’esprit. » (p. 34). Les militaires canadiens qui s'occupent du recrutement reconnaîtront certains des problèmes qui se sont posés à leurs lointains prédécesseurs romains. En effet, à compter de 400 environ, les armées romaines affrontent de sérieuses difficultés de recrutement. À cette époque « les Romains sont profondément démilitarisés. » (p. 73). Une étude de la 3 e Légion d’Auguste montre que le Été 2004 ● Revue militaire canadienne pourcentage des recrues romaines passe de 65 à 9 p. 100 entre la fin des 1er et 2e siècles (p. 164). L’élite délaisse le métier des armes , et les classes moyennes se démilitarisent. Les sans-terre s’enrôlent encore, mais les fils des vétérans ne se joignent plus en nombre aux armées. Certains se mutilent pour échapper au service; leurs pères font aussi souvent tout pour le leur éviter. Les désertions sont nombreuses, et la défense romaine repose de plus en plus sur des troupes venues de partout et parlant des langues étrangères. Au cours des deux premiers siècles après Jésus-Christ, le volontariat ne joue plus, et on obtient de piètres résultats lorsqu’on rend le service obligatoire. Vers 360, pour compenser la pénurie des recrues, l’auteur anonyme de De Rebus Bellici propose des moyens mécaniques pour doubler la force de l’armée : chars à faux, navires sans rameurs mus par des roues à aube entraînées par des bœufs (p. 67). Après 376, on permet aux barbares de s’établir dans l’Empire. En quelque sorte, « l’ennemi » est désormais à l’intérieur des murs. Les anciens barbares accumulent richesses et titres, tandis qu’au fil des ans les Romains deviennent minoritaires au sein de leurs armées et sont dépossédés. L’Empire romain d’Orient résistera encore 1 000 ans, alors que celui de l’Occident a vécu. Pour terminer, j’aimerais souligner quelques caractéristiques des livres de ces deux collections d’Économica. Ils sont bien présentés, contiennent d’excellentes bibliographies et sont surtout pourvus d’un bon index, ce qui est assez rare chez les éditeurs français. Les notes sont en bas de page, ce qui facilite la lecture. L’amateurisme des cartes (un peu trop d’information sur certaines cartes de Richardot et de Razoux) et de l’iconographie n’enlève rien au fait que ces éléments sont bien pensés et utiles. Les Éditions Économica sont diffusées au Canada par Novalis, C. P. 990, Outremont (Québec) H2V 4S7. Serge Bernier, Ph. D., est le directeur d’Histoire et Patrimoine au Quartier général de la Défense nationale à Ottawa. 77