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SADYAQ BALAE !
leur société sans État et à leur loi sacrée, la Gaya, leur résistance ne signifiait
aucunement un attachement aux grandes idéologies nationalistes de la
Chine. Les attentes de la Chine, en réclamant ce film comme chinois à
Venise, démontrent très bien les dimensions politiques des produits cultu-
rels, mais aussi de la mémoire sociale. Dans les interprétations nationalistes
postérieures à l’événement, l’incident de Musha était un acte de résistance
anticoloniale contre le Japon, donc simplement un chapitre du grand récit
de la lutte chinoise contre l’impérialisme japonais. Dans cette vision natio-
naliste, Formose faisait toujours partie intégrante de la Chine. Cette idéo-
logie ne représente pas les perspectives autochtones. Pour les Sadyaqs, à
l’instar des autres groupes autochtones de l’île, le noyau de l’histoire était
plutôt leur relation changeante avec les États successifs sur Formose, la
Chine étant une puissance coloniale au même titre que le Japon ou les
Pays-Bas.
Les Sadyaqs et leurs attentes envers l’État constituent donc le sujet
de ce livre. Cette ethnographie, le produit de 18 mois de recherche sur le
terrain à Taïwan entre 2004 et 2008, montre comment les Sadyaqs sont
devenus un peuple autochtone à travers leur relation historique avec les
États japonais et chinois depuis 1895. En effet, les Sadyaqs, qui sont origi-
nellement une société égalitaire, démocratique et sans institutions politi-
ques, ont développé des rapports particuliers avec l’État tout d’abord
japonais, puis chinois et, graduellement, taïwanais. Leur entrée dans
l’autochtonie internationale est le stade le plus récent de leur statut poli-
tique en évolution constante. L’étude de ce processus historique fait partie
de l’anthropologie politique.
L’ANTHROPOLOGIE POLITIQUE À L’ÈRE
DE LA MONDIALISATION1
L’anthropologie politique est l’étude du pouvoir, soit dans les petites
sociétés (ex. : Godelier, 1982 ; Sahlins, 1976), soit dans les États modernes
(ex. : Abélès, 1992), ou encore dans les relations conflictuelles entre les
1. Suivant Abélès (2008 : 8), j’emploie la notion de mondialisation pour les échanges
commerciaux et les relations politiques dans la longue durée historique, et cela
dans le sens braudélien d’économie-monde. La globalisation, dérivée de l’anglais
globalization, fait plutôt référence aux mutations économiques et politiques qui
accompagnent le nouveau système interétatique depuis 1945 et qui se sont inten-
sifiées à cause de la montée récente du néolibéralisme. Selon cette définition, les
activités mercantiles de la Vereenigde Oost-Indische Compagnie à Formose
pendant le e siècle faisaient partie de la mondialisation, tandis que la participa-
tion actuelle des autochtones formosans à l’ONU fait partie de la globalisation.