Saison 20102010-2011 Saison 20102010-2011 Ahmed philosophe Du jeudi 24 mars au vendredi 15 avril 2011 © Anne Gayan En Loire-Atlantique Dossier Jeune Public Sommaire Présentation .......................................................................................... 3 Le propos .............................................................................................. 4 Les intentions de mise en scène ......................................................... 5 A propos d’Ahmed philosophe ............................................................ 6 Grégoire Ingold, metteur en scène ...................................................... 7 Alain Badiou, philosophe et écrivain dramaturge .............................. 8 Le masque ............................................................................................. 9 Ahmed philosophe - Extraits.............................................................. 10 Dossier réalisé à partir de documents divers dont ceux fournis par la Compagnie Balagan Système. Ahmed philosophe De Alain Badiou Mise en scène Grégoire Ingold Création musicale et interprétation Lumières Régie générale Création masque Costumes Abdel SefSaf Rémi El Mahmoud Olivier Higelin Erhard Stiefel Aude Bretagne Avec Brahim Tekfa Ahmed Etienne Brac Monsieur Pompestan Bruno Fontaine Monsieur Moustache Laëtitia Lalle Bi Benie Fenda Coproduction Balagan Système, Hippodrome / scène nationale de Douai, Le Dôme Théâtre d’Alberville / scène conventionnée, Espace Malraux / scène nationale de Chambéry et de la Savoie, Espace Albert Camus / scène régionale de Bron Avec le soutien du Département de l’Isère, de la Région Rhône-Alpes, de la Drac Rhône-Alpes Balagan Système est conventionné par la Région Rhône-Alpes. Du 24 mars au 15 avril 2011 Cap Nort / Nort sur Erdre Jeudi 24 mars à 10h et 14h Vendredi 25 mars à 14h et 20h30 Espace Paul Guimard / Saint-Mars-la-Jaille Jeudi 31 mars à 14h Vendredi 1er avril à 14h Cœur en Scène / Rouans Jeudi 7 avril à 10h et 14h Vendredi 8 avril à 14h et 20h30 Carré d’Argent / Pontchâteau Jeudi 14 avril à 14h Vendredi 15 avril à 10h et 14h Durée du spectacle : 1h15 Spectacle programmé dans le cadre de « Collèges au théâtre en Loire-Atlantique ». Le propos Trente-quatre tableaux permettent à Ahmed, sous couvert d’Alain Badiou, d’explorer certains aspects de notre monde… Avec un langage incisif et drôle, il évoque des thèmes aussi divers que « le rien », « la vérité », « le hasard », « Dieu »… Ahmed, le philosophe forain, plante son tréteau dans votre ville et prétend, séance tenante, élucider toutes questions. En maître des lieux, il lance un sujet et convoque, à volonté, les comparses de son théâtre pour toute une série d’expériences ; où l’on retrouve Albert Moustache, natif de Sarges-les-Corneilles, Édouard Pompestan, député-maire de Sargesles-Corneilles, et la belle Fenda, qu’Ahmed appelle aussi sa prédestinée radieuse du matin des baobabs… Par de brèves scènes, des histoires à dormir debout, des farces antiques, des inventions de la langue et du corps, Ahmed anime sur scène le rien et l’infini, la morale et l’événement, la cause et l’effet, la poésie, le multiple, le sujet, la nation… Ahmed est un virtuose de la langue française, celle qui jongle de toutes ses ressources, la langue de l’intelligence anarchiste et volubile, justement parce qu’elle n’est pas sa langue maternelle ni sa langue nationale mais seulement la langue de la situation qui lui est faite. Dans cette situation, il s’agit pour Ahmed de parler - et de penser - de la manière la plus subtile qui soit, afin que les puissants, les installés, tous ceux qui habitent la France et sa langue comme s’ils en étaient les propriétaires trouvent enfin à qui parler. Ahmed s’avance masqué sur le théâtre, il réincarne au présent les avatars de ses apparitions précédentes, il porte en lui les gènes de Scapin, d’Arlequin et de Brighella, et si le génie du verbe et de l’intrigue n’y suffisent pas, il saura aussi faire valoir son droit en maniant un grand et lourd bâton. Ahmed ne cherche ni n’enseigne la sagesse, ou la vérité ; aucune idée sublime à marchander dans ses poches. Son unique défi est de sortir des idées reçues qui nous enferment dans leurs systèmes. Ahmed est un héros, il prend le risque, pour nous, de s’attaquer aux significations dominantes et démonte, en acte, la logique obstinée des opinions. Ce faisant, il nous montre une voie à suivre à notre tour, il nous courage, pour reprendre un terme de Badiou. Alain Badiou nous révèle une philosophie légère et fluide, il restitue à la pensée ses pulsions de vie, il philosophe avec nous, oui : comme manipulateur d'un gai savoir. © Anne Gayan Les intentions de mise en scène « La création des dialogues d’Alain Badiou, réunis sous le titre Ahmed philosophe, s’inscrit dans la continuité d’un travail que je mène depuis quelques temps déjà et qui tient ensemble deux questions : l’action de décentralisation d’une part, et la recherche d’un répertoire spécifique pour un théâtre de la dispute des idées, d’autre part. La décentralisation est un élan, un transport qui entraîne vers le dehors, vers l’au-devant, qui recherche et provoque la rencontre. Pour ma part, ce mouvement d’aller vers, je l’éprouve d’abord de façon égoïste, j’en ai besoin. J’ai besoin de me provoquer à rencontrer d’autres publics que ceux-là seuls qui, déjà, connaissent le chemin qui vient jusqu’à nous. C’est pour moi une école. Ici, rien ne va de soi, toutes les questions fusent. Quel est l’objet de ce face à face, quelle parole avons-nous à échanger, dans quelle forme le théâtre peut-il advenir ? Cette école est aussi celle de l’acteur. Prendre l’initiative de la rencontre pose en premier lieu la question du répertoire. Le dialogue de la dispute, en tant que genre, opère un déplacement du mode de représentation. Ici, point de narration, ni d’intrigue, la scène est d’abord le lieu d’une expérimentation. Un conflit d’idées ne peut, à proprement parler, être représenté. Spectateurs, nous voulons que la dispute ait lieu au présent, devant nous, nous voulons en être les témoins, y participer. Qu’une telle mise en tension des positions adverses provoque le renversement d’une échelle de valeurs, qu’elle révèle un concept inédit, alors se produira un événement. C’est cette capacité à produire un tel événement qui fait du dialogue philosophique un acte éminemment théâtral. Ahmed, comme Socrate ou Tabarin, ont cette même qualité - ils nous entraînent irrésistiblement à entrer avec eux dans une réalité de fiction où l’esprit frétille, où le temps du théâtre est un pur moment de jeu partagé. Platon dans les cours et jardins de Saint-Denis, comme jusqu’aujourd’hui encore dans les salles des fêtes de petites communes, Brecht en Maisons d’arrêts, Lucien de Samosate en plein air, Ad de Bont en classes de collèges, Jacques Jouet au foyer du théâtre, et déjà Ahmed sur tréteaux, en fêtes de quartiers pour quelques dialogues d’essais… […] Dans sa forme, le théâtre d’Ahmed est un théâtre de tréteaux. Le terme renvoie à une imagerie archaïque de théâtre forain, pourtant ici, nulle référence à une forme ancienne, pas plus dans l’écriture de Badiou que dans le projet esthétique du spectacle. Ce qui qualifie le théâtre de tréteaux c’est d’abord un registre de jeu en ouverture constante sur le public. Le spectateur est le troisième protagoniste d’un dialogue entièrement construit de connivence. Par nécessité, il ne saurait s’effacer dans l’obscurité de la salle, sa présence tangible est requise, le gradin est baigné dans une clarté soft. La scène est un espace public ouvert, c’est le lieu de toutes les rencontres, de toutes les altercations, de toutes les expériences qu’Ahmed entreprend avec ses concitoyens. Pour autant, le plateau est marqué. Ahmed ne cesse d’en franchir le seuil pour s’adresser au public ou pour considérer avec nous le plateau vu d’en bas. » Grégoire Infold, metteur en scène Ahmed philosophe a été créé en octobre 2009 à l’Hippodrome / scène nationale de Douai. A propos d’ d’Ahmed philosophe « Pourquoi Ahmed ? Pourquoi un Algérien ? Il aurait certes pu être un Africain noir. Si j’étais Allemand, il aurait sans doute été Turc, si j’étais Belge, il aurait été Marocain, si j’étais Grec, Albanais, si j’étais Hongrois, Tzigane, si j’étais Anglais, Pakistanais, si j’étais citoyen des USA, il aurait été Mexicain… et si j’étais Italien ? Peut-être aurait-il suffit qu’il soit Sicilien, Sarde, Calabrais, ou même Napolitain ? Dans tous les cas, il s’agit du prolétaire venu « du Sud », de celui sur qui repose la production et la vie des installés du Nord, de celui dont la liberté doit être à tout instant conquise contre le ressentiment et la vindicte des peureux. De là son endurance, son intelligence, sa vitalité acharnée, et finalement sa virtuosité langagière et sociale. L’esclave anime le comique ancien, le valet anime le comique classique. Le prolétaire moderne n’a pas eu cette fonction, sans doute parce qu’il était investi d’une mission politique, en sorte que l’épopée lui convenait mieux que la farce. Le prolétaire du Sud peut et doit, sur la scène, et sous l’éternité du masque, faire valoir le devenir-farce du monde, traverser tous les milieux en les dévastant de sa ruse, retourner contre leurs utilisateurs naturels tous les langages disponibles. […] Les arguments, d’apparence philosophique, sont des sophismes dont seule la virtuosité théâtrale d’Ahmed – sa rapidité, son adaptation aux situations et aux différents interlocuteurs ou son désir de séduire le public – dissimulent l’inconsistance. Ici, la philosophie est un matériau pour le jeu, celui d’Ahmed comme celui des autres protagonistes. Elle est un registre de jeu, un de plus, à la disposition des personnages. Malgré tout, ce genre de scène touche à la philosophie, et de deux façons. D’abord parce qu’au passage, pris dans la dynamique théâtrale, le discours se fait tout de même entendre, et qu’on peut jouir de sa virtuosité, de sa variété, de sa victoire. Ensuite et surtout, parce que chaque situation scénique nous montre que penser la situation, et la penser vite, dans un langage dominé, est source inépuisable de gaîté et de puissance, même et surtout quand on est dans des rapports sociaux écrasants et sinistres. Le « prolétaire du Sud », qu’il s’agisse du jeu social ou de la persécution dont il est victime, peut tirer assurance et lumière de la pensée et de la parole. Philosophie, oui : comme gai savoir. […] Un tel théâtre, entièrement montré, matériel, explicite, est un pari pour la pensée contre la mort. « À bas la mort ! » dit Ahmed. À cause de la brièveté des scènes, les acteurs n’ont aucun temps de rattrapage, ils doivent être dans la perfection du jeu dès la première seconde. À cause de l’énergie que demandent les procédés de la farce, ils doivent tenir corps et voix dans une extrême discipline. À cause de la variété des situations, très rapidement enchaînées, metteurs en scène, gens de lumières, musiciens, doivent inventer une scansion rythmique très sûre. Le moindre fléchissement, la moindre usure du jeu sont immédiatement perceptibles. « À bas la mort ! » veut aussi dire : le théâtre, à chaque seconde d’un tel spectacle, doit établir et soutenir sa vie. Aucun artifice latéral, aucune symbolique pesante, aucun effet spectaculaire, aucune réflexion interminable, ne vient ici l’en dispenser. Les dialogues coupent vers l’essentiel, l’essentiel du monde ici conjoint à l’essentiel du théâtre. Ce que j’ai écrit ne protège pas les artistes de la scène, mais bien plutôt les engage et les épuise. Dans l’une des saynètes, Fenda se plaint que penser est fatiguant, c’est à la joie d’une telle fatigue, d’une telle excellence, et d’un tel mystère, qu’Ahmed philosophe convie les spectateurs. » Alain Badiou, philosophe – écrivain dramaturge Grégoire Ingold, Ingold, metteur en scène Comédien et metteur en scène, il est élève d'Antoine Vitez à l'École du Théâtre National de Chaillot. Il joue sous sa direction dans plusieurs spectacles à Chaillot et à l'Odéon. Parallèlement, il fonde en 1982 le Théâtre du Quai de la Gare où toute une génération de jeunes metteurs en scène produira ses premiers spectacles. En 1988, il entreprend une série de voyages d'études sur les formes de théâtre populaire en Afrique francophone - Lauréat du prix Villa Médicis hors les murs 89. En 1991, il crée le Festival Théâtre en Cités à Kinshasa. De retour en France, il se consacre à l’étude pratique des écoles de jeu qui fondent les grands courants du théâtre au XXe siècle – Stanislavski, Brecht, Vassiliev – et crée l'Unité d'étude des écoles de mise en scène. En 1997, il revient à la mise en scène et crée la compagnie Balagan Système. Associée au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis puis à La Comédie de Reims, la compagnie prend en charge une mission spécifique de décentralisation régionale. Sur les saisons 2003/2008, la compagnie est en résidence au Théâtre de Vienne ; depuis 2009, elle est conventionnée par le Conseil Régional de Rhône-Alpes. Il a mis en scène dernièrement : Qu'est-ce que c'est que la justice ? d'après le livre I de La République de Platon, Gorgias de Platon, La Scène est sur la scène de Jacques Jouet, Timon ou le misanthrope de Lucien de Samosate, Laurel et Hardy vont au paradis de Paul Auster, Petit boulot pour vieux clowns de Matéi Visniec et L’Extravagant Monsieur Jourdain de Mikhaïl Boulgakov. Alain Badiou, philosophe et écrivain dramaturge Alain Badiou est né à Rabat (Maroc) en 1937. Professeur de philosophie au Centre universitaire expérimental de Vincennes dès sa création (année 19681969), il contribue au développement de cette Université (désormais Paris VIII, déplacée de Vincennes à Saint-Denis) durant une trentaine d'années. Il devient professeur à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm en 1999, puis professeur émérite dans cette institution. Il a également été directeur de programme au Collège international de philosophie. Parmi ses autres responsabilités, Alain Badiou anime Les Conférences du Perroquet, il est Membre perpétuel de l'Académie de philosophie du Brésil. Il s’intéresse aux mathématiques et à la logique formelle. Son œuvre philosophique, multiforme, a trouvé sa clef de voûte avec la publication, en 1988, de L’Être et l’Evénement. Il a aussi confronté ses concepts à ceux de Deleuze, Deleuze, la clameur de l’être. Écrivain difficilement classable, il commence par publier, au milieu des années 1960, des romans, de vastes « proses poétiques ». Puis, il abandonne la littérature dite de fiction pour se consacrer à la logique et à la philosophie. Dans le même temps, la politique occupe une grande part de sa vie et de sa réflexion critique (il est très actif en mai 68, la Chine maoïste le passionne, il s’intéresse aux diverses formes de luttes d’usine…). Ami d’Antoine Vitez, qui mettra en scène le livret de son opéra L’Echarpe rouge à Avignon et au Théâtre National de Chaillot en 1984, il écrit de nombreux articles pour la revue de Chaillot L’Art du théâtre et publie Rhapsodie pour le théâtre. Il écrit Ahmed philosophe en 1997. Le masque Ahmed n'est pas le personnage épisodique d'une pièce, c'est une figure type qui réincarne au présent les avatars de ses apparitions historiques précédentes. Ahmed porte en lui les gènes de Scapin, d'Arlequin et de Brighella. © Anne Gayan À travers le masque, Ahmed s'affranchit du texte de papier pour devenir une véritable figure de jeu, son espace désormais est la scène. L’utilisation du masque nous ramène aux formes de théâtre les plus primitives. © Anne Gayan Ici, l’acteur ne se donne pas en représentation, il convoque un personnage à se manifester et à qui, provisoirement, il prêtera son corps, sa voix. Car le masque possède son caractère propre, c’est lui qui se montre et conduit l’acteur, comme un esprit qui entrerait en possession du corps d’un danseur en transe. Inversement, le masque est aussi une forme en creux que l’acteur doit investir, comme une autre dimension de lui-même jusque-là insoupçonnée. Le masque joue de ces échanges de personnalités : qui est là, qui parle ? Ahmed philosophe Extraits Extraits N° 1 – Le rien Ahmed, Moustache Ahmed – Qu’est ce que vous regardez Là ? Il n’y a rien, là. Moi, Ahmed, je ne suis absolument rien. Superlativement rien. Et j’aime autant vous dire que regarder le rien, c’est du pareil au même que ne rien regarder du tout. Voyez un peu comme je suis rien. Improvisation d’Ahmed sur le rien, il s’exténue et disparaît sur scène. S’il y en avait un parmi vous qui était malin, qui était vraiment un aigle côté pensée, qui était plus fort pour démêler les embrouilles du monde que Ahmed et Einstein réunis, il m’enverrait ça par le travers de ma figure de rien : « Mon petit Ahmed-de-rien, comment tu sais que t’es rien ? Hein ? car si tu sais que t’es rien, c’est que tu es quelque chose, hein ? Parce que rien, c’est rien, et rien, ça peut pas connaître grand-chose. Surtout pas le rien. Il ferait beau voir que le rien connaisse le rien. Pour connaître le rien, il faut bien être quelque chose, et non pas rien. » Et alors là, moi, Ahmed, je l’aurais dans le baba. Si le rien a un baba. Est-ce que le rien a un baba ? Il y a le baba au rhum, mais est-ce qu’il y a le baba au rien ? En tout cas, c’est sûr, moi, Ahmed, je ne savais pas que je n’étais rien, et je ne l’aurais jamais su s’il n’y avait pas eu Moustache. Albert Moustache. Moustache, il n’est pas rien du tout. Il a une moustache, Moustache. Il est costaud, Moustache. Il pèse son poids sur le macadam de Sarges-les-Corneilles, Moustache. En tout cas, c’est quelque chose, Moustache, c’est pas rien. Un jour… non je ne vais pas vous raconter. Moi, Ahmed, je ne vais pas faire parler le rien. Le rien, ça dit rien, c’est normal. Il va vous dire lui-même. C’est le quelque chose qui dit quelque chose. Normal. Moustache ! Moustache ! Moustache entre en scène. Mon cher Moustache, dis-leur un peu, pour voir, qui je suis, moi, Ahmed. Moustache – Y a pas toi. Y a que vous. Vous les immigrationnés de toute la terre. Les ceux qui viennent de l’Afrique et de l’oriental. Les ceux qui mangent tout le fric de la Sécu. Les ceux qu’à cause d’eux on n’a plus de boulot, pas même à ramasser l’épluchure. Et qui s’encroient d’un Dieu islamique qu’on dirait une face de carême aux dents longues. Si toi, t’étais toi, tu serais peut être quelqu’un, allez savoir ! Heureusement que ton toi à toi il est dans le vous des autres. Tous en bloc ! Tous au bloc ! Envoyez c’est pesé ! Ahmed – Doucement, gros lard ! Donc, je ne suis pas quelqu’un ? Moustache – Vous êtes tous des moins que rien. Ahmed – Qu’est-ce que je vous disais ? moins que rien ! C’est pas rien ça, être moins que rien ! Parce que rien c’est rien. Au-dessus de rien, il y a quelque chose. Et en dessous de rien, il y a forcément quelque chose aussi. Moustache – Tu cherches encore à m’embobiner, métèque ! Moins que rien, c’est encore plus rien que rien. Ahmed – Et comment veux-tu que le rien puisse être plus ou moins, gros lard ? Dans le rien, il n’y a rien, ça peut pas bouger le rien. C’est comme le zéro, le rien. Le zéro c’est vide, c’est rien de rien. Mais au-dessus de zéro, là ça chauffe. Et en dessous de zéro, ça gèle. Et si moi, Ahmed, je suis moins que rien, alors je gèle, C’est ça, je gèle. Hou la la, je gèle, hou, ça gèle dur… Alors, Moustache, tu gèles, toi aussi ? Tu sens ce que ça fait d’être en dessous de zéro ? Tu te congèles à moins trente sous le rien ? On se les caille à force d’être des moins que rien ! Moustache est frigorifié, il se pétrifie littéralement. Moustache – Nom d’un pétard ! Je me fais le sentiment d’être un bonhomme de neige. Ahmed – C’est le bonhomme de glace, Moustache ! Dans son intérieur, il m’a l’air d’être bigrement moins que rien lui aussi. Moustache – L’arabe m’a changé en camion à morue fraîches. Ahmed – Voyons si ça sonne creux, l’intérieur de Moustache. Ahmed donne un grand coup de bâton sur Moustache qui tombe en morceaux. Nom d’un petit rien ! J’ai cassé ma preuve. Ma chère preuve, Moustache, que je n’étais rien ! et même, moins que rien ! je ne sais plus rien. En tout cas, le bâton, ce n’est pas rien. Quand le rien a un bâton, il est quelque chose. Quand on vous dit que vous n’êtes rien, donnez du bâton à la preuve, ça la refroidira. C’est pas tout ça, il faut que je me réchauffe, moi. Ahmed improvise sur le réchauffement, il impose la canicule. Moustache se reconstitue. Moustache – Où suis-je ? Qui suis-je ? Où vais-je ? Qui vais-je ? Où chauffais-je ? Qui chauffage ? Qui ?... Ahmed lui redonnant un coup de bâton – Qui qui dit « t’es rien », n’est rien. Moustache s’effondre à nouveau. Ahmed s’épongeant – C’est pas rien d’être quelque chose à la fin… N° 15 – la nation Ahmed, Monsieur Pompestan Monsieur Pompestan – Non ! Jamais de la vie ! Il ne saurait en être question ! Je vous le dis comme député de Sarges-les-Corneilles, comme membre du Consortium central et décisionnel du parti pour le rassemblement et le redressement de la France, comme Édouard Pompestant, président directeur général du groupe Capitou-Nuclée, les deux tiers du marché mondial pour la turbine à filière, comme citoyen éclairé, comme simple citoyen, bien dans sa peau. Nous ne l’accepterons pas. C’est niet, et mettez votre mouchoir dessus. Ahmed – Monsieur Pompestan ! Si je peux, devant vous, argumenter de bas en haut, comme Ahmed, qui n’est ni ne sera député. Mais qui existe, là, dans sa ressource invisible. Comme Ahmed, qui n’est ni ne sera le sauveur de la turbine française. Mais plutôt collé au malheur du turbin mondial. Comme Ahmed, ver de terre, ou peu s’en faut, amoureux d’une étoile, ou presque. Comme Ahmed, intellect sous sa seule peau basanée… Pompestan – Halte-là ! Dans la question qui nous occupe, mon cher Ahmed, la couleur de la peau ne fait rien à l’affaire. Il y a des peaux noires qui sont bien de chez nous, des peaux blanches qui sont d’ailleurs, des jaunes mystérieux qu’on surveille, des Peaux-Rouges avec scalp et de gens verdâtres qui ont leurs papiers bien en règle. Tenez, ma femme de ménage vient des Philippines, et c’est une femme très bien, très correcte, elle ne volerait pas un œuf dans le frigidaire. Ahmed – Ni un bœuf dans le lampadaire. Pompestan – Qu’est-ce que vous me chantez avec ce bétail dans les lampes ? Vous perdez le sens commun ! Vous plongez dans votre vieux fond fanatique ! J’ai dit non, non, et non. Point à la ligne. Ahmed – Pour dire non, il faut savoir de quel oui on parle. Pas de oui, pas de non, non plus. Dis-moi ton oui, je te dirais ce que vaut ton non. Si j’ouïs ton oui, j’ai le nom de ton non. Si je n’ouïs pas ton oui, ton non est sans nom ; non de non ! Bref, à quoi Monsieur le Député, monsieur Pompestan, turbiniaire actant, à quoi dites-vous oui, quant à ce qui nous occupe ? Permettez que je puisse ouïr votre oui. Pompestan – Je dis oui à la loi française. Le peuple, par mon entremise députative, vote la loi souveraine qui dit qui est qui, qui a droit a quoi, qui n’a pas droit à quoi, et qui n’a droit à rien, ou même à moins que rien. La loi qui sépare d’un côté l’officiel et le légal et le travailleur régulier qu’Édouard Pompestan accueille les bras ouverts dans ses ateliers productifs. Et de l’autre côté, le clandestin, le sans-papiers, le surnuméraire, le louche, le venu en contre bande d’on ne sait où. Ahmed – Que la police accueil à matraque ouverte dans ses dépôts improductifs. La loi… la loi… Votre oui, si je l’ouïs bien, est que celui d’ici, n’est d’ici, que si la loi d’ici lui dit qu’il est ici ? Mais s’il est ici, la loi ne peut pas dire qu’il n’est pas ici ! Sinon, ce que j’ouïs n’est pas un oui mais un non. Vous dites oui au non. Vous dites oui à ce que celui d’ici soit dit ne pas être d’ici. Le non vient avant le oui dans votre oui à la loi de l’ici. Pompestan – Eh, il faut bien séparer ceux d’ici et ceux qui, quoique venus ici pour quelque raison louche, ne sont pas d’ici. Ahmed – Mais ils sont ici ! Le fait est qu’ils sont ici. Et vous, vous dites oui à ce qu’ils ne soient pas ici, sous prétexte qu’ils ne sont pas d’ici. Mais qui est d’ici, alors, si des gens qui sont ici, d’après votre oui, tel que je l’ouïs, n’y sont pas ? Pompestan – Les Français, mon cher Ahmed. Et les Françaises, bien entendu. Les Françaises et les Français sont d’ici, et sont ici. Ahmed – Mais qui est français, à la fin ? Pompestan – Ceux que la loi dit qu’ils le sont, comme moi, Édouard Pompestan, Français depuis le Moyen Âge, et même avant. Ahmed – Français avant le Moyen Âge ? Et par la loi ? Tonnerre ! Les Pompestan ont inventé et la France et la loi ! Mais dites-moi, dites-moi ! Je vois un cercle, là ! Un cercle vicieux ! Pompestan – Je dis toujours : « Caressez un cercle, il deviendra vicieux. » Ahmed – On a dû le caresser longtemps, celui-là ! Il est d’un vicieux ! Regardez. Un jour, la loi vient et dit : « Ceux qui sont ici sont d’ici, ils sont Français. » Plus tard, la loi revient et dit : « J’en vois qui sont ici, mais qui ne sont pas d’ici. Pas Français. » Mais, pas français ça n’a jamais rien voulu dire que pas ici ! Ou alors, c’est la peau, la race, l’odeur… Mais vous dites que non, j’ouïs le oui à ce non de votre bouche suave, à propos de la Philippine qui vole un bœuf sur son dromadaire ! Pas la peau, pas la race, pas l’odeur ! Seulement la loi ! Qui dit qu’ici sont les Français, et que si on est Français on est d’ici, forcément à un moment quelconque et pour toujours. Mais enfin, à la longue, la loi, ne peut quand même pas dire qu’ici n’est pas ici, ou qu’ailleurs est ici venu ! Pompestan – Mais enfin, que proposez-vous, à la fin des fins ? Ahmed – Un oui tout simple, dont le non n’a pas cours. Celui qui est ici est d’ici. Celui qui vit ici, qu’on lui fiche la paix. Un pays, celui-là ou un autre, se compose des gens qui y vivent. C’est tout. Pompestan – Jamais ! Jamais ce oui ! Non et non ! Avec ce programme, je me fais ratiboiser aux élections ! Vous imaginez ! Tous ceux d’ailleurs qu’on va dire d’ici ! C’est la chienlit ! C’est la fin de la race française ! Ahmed – Aïe ! La race ! Vous l’avez dit ! La race ! Je croyais qu’il n’y avait que la loi ! Pompestan – Va te faire cuire un œuf ! Basané de mes deux ! Ahmed – Vos deux quoi, si vous me permettez ? Pompestan se jetant sur lui – Tu vas voir, saloperie de gens d’ici ! Ahmed sortant son bâton – Ici mon petit bâton ! Je suis d’ici, moi ! J’y suis, j’y reste ! Ah ! On caresse la loi ! On la vicie comme un cercle ! Je vais lui casser les côtes, moi ! Je vais la redresser, la loi d’ici ! Tiens ! Tiens ! Monsieur Pompestan s’enfuit, poursuivi par Ahmed qui le bastonne. Ahmed revenant essoufflé – Victoire du turbin dans sa lutte épique contre la turbine. C’est vraiment compliqué la question nationale. Dire que pour être d’ici, bien d’ici, il faut ça…il montre son front, et ça il montre son bâton. La pensée et la force. Rien que pour être d’ici, alors qu’on est ici. Un combat perpétuel, pour être là où on est ! Il faut croire qu’on y tient, nous autres, philosophes nés natifs d’ailleurs ou d’ici, à rester ici. Et pourquoi on y tient, je vous le demande ! Parce qu’on est ici. À la force du poignet, on y est. Ici. Et on y restera. La pensée veille. Et aussi le bâton. Le bâton qui pense. Il y a un grand philosophe, Pascal, qui a dit que l’homme était un roseau pensant. Moi, Ahmed, pour être d’ici, et que tous, là, vous y soyez comme moi, je me change en bâton pensant ! Allez, gens d’ici, restez ici. Restez assis. Je veille. Saison 20102010-2011 Contacts Jeune Public Marion Echevin / 02 28 24 28 18 [email protected] Pascale Degrieck / 02 28 24 28 08 [email protected] Florence Danveau / 02 28 24 28 16 [email protected] Annie Ploteau / 02 28 24 28 17 [email protected] Le Grand T BP 30111 44001 Nantes cedex 01 Tel 02 28 24 28 24 Fax 02 28 24 28 38 De nombreuses pistes de travail autour des spectacles sont disponibles dans le document « Aller au théâtre : lire, voir, dire, écrire et faire… avec les élèves » Rendez-vous sur : http://www.legrandT.fr/IMG/pdf/aller_au_theatre.pdf