Les intentions de mise en scène
Les intentions de mise en scèneLes intentions de mise en scène
Les intentions de mise en scène
« La création des dialogues d’Alain Badiou, réunis sous le titre Ahmed philosophe, s’inscrit
dans la continuité d’un travail que je mène depuis quelques temps déjà et qui tient ensemble
deux questions : l’action de décentralisation d’une part, et la recherche d’un répertoire
spécifique pour un théâtre de la dispute des idées, d’autre part.
La décentralisation est un élan, un transport qui entraîne vers le dehors, vers l’au-devant, qui
recherche et provoque la rencontre. Pour ma part, ce mouvement d’aller vers, je l’éprouve
d’abord de façon égoïste, j’en ai besoin. J’ai besoin de me provoquer à rencontrer d’autres
publics que ceux-là seuls qui, déjà, connaissent le chemin qui vient jusqu’à nous. C’est pour
moi une école. Ici, rien ne va de soi, toutes les questions fusent. Quel est l’objet de ce face à
face, quelle parole avons-nous à échanger, dans quelle forme le théâtre peut-il advenir ?
Cette école est aussi celle de l’acteur.
Prendre l’initiative de la rencontre pose en premier lieu la question du répertoire.
Le dialogue de la dispute, en tant que genre, opère un déplacement du mode de
représentation. Ici, point de narration, ni d’intrigue, la scène est d’abord le lieu d’une
expérimentation. Un conflit d’idées ne peut, à proprement parler, être représenté.
Spectateurs, nous voulons que la dispute ait lieu au présent, devant nous, nous voulons en
être les témoins, y participer. Qu’une telle mise en tension des positions adverses provoque
le renversement d’une échelle de valeurs, qu’elle révèle un concept inédit, alors se produira
un événement. C’est cette capacité à produire un tel événement qui fait du dialogue
philosophique un acte éminemment théâtral. Ahmed, comme Socrate ou Tabarin, ont
cette même qualité - ils nous entraînent irrésistiblement à entrer avec eux dans une
réalité de fiction où l’esprit frétille, où le temps du théâtre est un pur moment de jeu
partagé.
Platon dans les cours et jardins de Saint-Denis, comme jusqu’aujourd’hui encore dans les
salles des fêtes de petites communes, Brecht en Maisons d’arrêts, Lucien de Samosate en
plein air, Ad de Bont en classes de collèges, Jacques Jouet au foyer du théâtre, et déjà
Ahmed sur tréteaux, en fêtes de quartiers pour quelques dialogues d’essais… […]
Dans sa forme, le théâtre d’Ahmed est un théâtre de tréteaux. Le terme renvoie à une
imagerie archaïque de théâtre forain, pourtant ici, nulle référence à une forme ancienne, pas
plus dans l’écriture de Badiou que dans le projet esthétique du spectacle.
Ce qui qualifie le théâtre de tréteaux c’est d’abord un registre de jeu en ouverture
constante sur le public. Le spectateur est le troisième protagoniste d’un dialogue
entièrement construit de connivence. Par nécessité, il ne saurait s’effacer dans l’obscurité
de la salle, sa présence tangible est requise, le gradin est baigné dans une clarté soft.
La scène est un espace public ouvert, c’est le lieu de toutes les rencontres, de toutes les
altercations, de toutes les expériences qu’Ahmed entreprend avec ses concitoyens. Pour
autant, le plateau est marqué. Ahmed ne cesse d’en franchir le seuil pour s’adresser au
public ou pour considérer avec nous le plateau vu d’en bas. »
Grégoire Infold, metteur en scène
Ahmed philosophe a été créé en octobre 2009 à l’Hippodrome / scène nationale de
Douai.