Changement climatique et
responsabilité historique
La lutte contre le changement climatique au niveau
international a pris la forme d’un traité la Convention-
Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques
(CCNUCC), signée en 1992. Celle-ci reconnaît, à juste titre, à
la fois la responsabilité historique des pays développés dans
la création du problème, et leur responsabilité à mener les
efforts pour y remédier. Cette reconnaissance se reflète
clairement dans les principes fondateurs du traité l’équité
et les « Responsabilités Communes mais Différenciées ».
Les pays en voie de développement ont toujours insisté sur
leur droit à la croissance et invoqué la responsabilité morale
de l’Occident à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Dans leur transition vers une croissance durable,
ils demandent de l’aide et du soutien financier et
technologique de la part des pays développés. Les négociations
sur le climat ont, cependant, vu les pays développés
commodément ignorer leur « responsabilité historique » et
mettre sur le dos des pays pauvres la responsabilité de
répondre au changement climatique.
Le manque d’ambition des pays développés
Le manque d’ambition des mesures de réduction des émissions
des pays développés est évident depuis les négociations qui
ont mené au Protocole de Kyoto. Le Protocole, traité
juridiquement contraignant signé sous l’égide de la Convention
citée plus haut, engage les pays développés (dont la liste
figure à l’Annexe I du Protocole) à réduire leurs émissions de
gaz à effets de serre (GES) de 5,2 % par rapport à 1990. Mais
le Protocole de Kyoto a été affaibli par le plus grand
pollueur du monde, les États-Unis, qui ne l’a jamais ratifié.
Les négociations qui ont suivi la ratification du Protocole en
2005 ont été dirigées par la volonté des pays développés à
gommer la différentiation entre les pays riches et les pays
pauvres (entre pays figurant dans l’Annexe I et les
autres). Les cycles suivants de négociations, qui ont culminé
lors du très médiatisé Sommet de Copenhague en 2009, ont
appelé à rien de moins que des actions « volontaires » de
réduction des émissions par tous les pays, développés et en
développement. Un système d’engagements volontaires,
formellement adopté à Cancun l’année suivante, a rendu
possible pour chaque pays de transformer ses objectifs
nationaux en engagements « quantifiés, annoncés et vérifiés »
(système de pledge and review), mais sans entraîner aucune
pénalité au cas où ils ne seraient pas atteints.
Ce mécanisme d’engagements volontaires a gagné en acceptation
à Varsovie (2013) et Lima (2014). Tous les pays ont accepté de
soumettre leur « contribution nationale » (ou en anglais leur
INDC : Intended Nationally Determined Contributions) à un
accord universel sur le climat qui prendra effet en 2020.
Cependant, il reste aujourd’hui encore beaucoup d’incertitudes
autour du processus de contrôle de ces contributions et en
particulier autour des critères pour juger si une contribution
nationale est juste et suffisamment ambitieuse. Plus
fondamentalement, le statut juridique de l’accord n’est pas
encore déterminé. Dans ce contexte, les pays en voie de
développement, en particulier les Pays les Moins Avancés et
les petits États insulaires, sont inquiets de savoir si le
réchauffement climatique pourra être limité à moins de 2
degrés Celsius.
Des indicateurs pour un accord équitable
Sous l’influence des pays de l’Annexe I (les pays développés),
les négociations internationales se focalisent délibérément
sur les émissions actuelles des gaz à effet de serre de chaque
pays, plutôt que sur les émissions historiques.
Le « Centre for Science and Environment » (CSE), ONG basée à
Delhi que je dirige, pense fermement que les émissions
historiques doivent rester un indicateur fondamental pour
déterminer les actions que chaque pays doit prendre pour
répondre au changement climatique. Cependant, étant donné
l’opposition des pays développés à son utilisation comme seul
indicateur, le CSE a exploré d’autres possibilités pour
déterminer les responsabilités en matière de changement
climatique ainsi que pour évaluer la capacité de pays à faire
face au changement climatique.
Des indicateurs comme le revenu par habitant, l’indice de
développement humain (IDH), le potentiel de réduction des
émissions, les capacités techniques et financières nationales
ont été étudiés. Le CSE a trouvé que les États-Unis arrivaient
en tête dans presque toutes les catégories, par exemple en
matière de consommation d’énergie par habitant, ainsi que pour
sa capacité lutter contre le changement climatique. Les Etats-
Unis doivent donc prendre le leadership des efforts, et être
suivis de près par l’Union Européenne.
L’inde, un cas à part parmi les émergents
Une autre conclusion importante qui doit être soulignée est le
fait que bien que l’Inde fasse partie du groupe des pays BASIC
(Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), il existe
d’énormes différences entre l’Inde et le reste du groupe BASIC
si l’observe le même ensemble d’indicateurs discutés ci-
dessus. Ainsi, les efforts de l’Inde en matière de réduction
de ses émissions ne doivent pas être comparés à ceux de la
Chine ou tout autre membre du groupe BASIC comme c’est souvent
le cas pendant les négociations sur le climat.
La division du « gâteau carbone »
Lorsque les pays ne parviennent pas à comprendre les principes
d’équité et de différenciation, les négociations sur le climat
se réduisent à une querelle entre pays pour obtenir la plus
grosse part de ce que l’on pourrait appeler le « gâteau
carbone » ou encore « budget carbone » (soit la quantité
maximale de dioxyde de carbone restant à émettre si l’on
veut limiter l’augmentation de la température mondiale à 2
degrés C). Et au lieu de diviser ce « budget de carbone »
restant entre toutes les nations, les pays riches s’attellent
à le diviser uniquement entre eux, ne laissant quasiment aucun
espace pour les pays pauvres comme l’Inde puissent se
développer.
L’accord Chine-États-Unis sur le climat signé en octobre 2014
en est un exemple édifiant. Une analyse minutieuse et les
calculs effectués par le CSE montrent qu’entre 1850 et 2030,
les États-Unis utiliseront jusqu’à 17,7 %, la Chine 16,7 % et
les États-Unis 14,6 % de du budget carbone mondial. Ainsi ces
trois pays s’approprieront 50 % du fameux « gâteau carbone ».
Or, l’accord signé entre ces deux pays, qui sont les deux plus
gros pollueurs signifie une convergence autour de 12 tonnes de
CO2 par habitant en 2030. C’est bien au-delà de ce que la
planète peut supporter et ne peut donc être la base d’un
accord international.
C’est pourquoi une compréhension commune de la définition de
la responsabilité historique est essentielle pour l’évaluation
des contributions nationales de chaque pays en 2015. Alors que
le monde se prépare à un nouvel accord sur le climat à Paris
en décembre 2015, il est impératif que les pays en voie de
développement, l’Inde en tête, fassent pression pour défendre
le principe d’équité, en incluant la responsabilité historique
comme indicateur majeur.
Sunita Narain (@sunitanar) est la directrice générale
du Centre for Science and Environment, basé à New Delhi, en
Inde. Elle est également directrice de publication du magazine
bimensuel Down To Earth.
Vijeta Rattani (@vijeta88) est chercheuse auprès du
département changement climatique du Centre for Science and
Environment. Elle écrit régulièrement dans le magazine Down To
Earth.
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