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une maison à Downe, un petit village du Kent à environ deux heures de
Londres. Le 17 septembre 1842, ils emménagent à Down House. La maison
est vaste, avec un jardin et sept hectares de bois. Au fil du temps, Darwin y
entreprend de grands travaux de rénovation et d’agrandissement; il achète un
terrain adjacent où il plante des haies et des arbres et fait tracer un sentier, le
Sandwalk (sentier de sable) le long duquel il se promènera tous les jours. Il
passe une grande partie de ses journées, à l’emploi du temps strict, dans son
cabinet de travail spacieux et confortable. Mais il ne mène pas une vie de
reclus; il fréquente les sociétés scientifiques et Down House devient le lieu de
rencontre d’un cercle d’amis et de collègues.
L’exploitation du voyage du Beagle
Dans sa nouvelle demeure, Darwin reprend son travail systématique sur les
notes et les matériaux rassemblés pendant le voyage du Beagle. Son ouvrage
sur les barrières de corail date de 1842; en 1843, il publie le dernier volume
de sa Zoologie du voyage du Beagle et, en 1844, achève son livre sur les îles
volcaniques. En 1845, paraît la deuxième édition revue de son journal de
voyage, en 1846, son ouvrage sur la géologie de l’Amérique du Sud. Entre-
temps il continue à étudier le problème des espèces.
Au début de 1844, il reprend en main son ébauche et commence à en éla-
borer une version augmentée de près de 230 pages. Cette version n’est pas
davantage que la première destinée à la publication. Toutefois, dans une lettre
à son épouse du 5 juillet 1844, Darwin donne des instructions précises au cas
où il décéderait avant d’en avoir achevé la version définitive: « Je viens de ter-
miner mon ébauche de la théorie des espèces. Si, comme je le crois, avec le
temps ma théorie est acceptée ne serait-ce que par un seul juge compétent, elle
sera considérée comme un bond en avant pour la science. J’écris donc ceci et
vous demande, au cas où je devrais décéder inopinément, comme dernière et
solennelle volonté que, j’en suis certain, vous considérerez comme si elle figu-
rait légalement dans mon testament, de consacrer 400 livres à sa publication.»
Dressant la liste des éditeurs possibles, il suggère Lyell, éventuellement assisté
de Hooker ou de Henslow. Dix ans plus tard, en 1854, alors qu’il s’apprête à
entreprendre une troisième version, évidemment angoissé à la perspective de
ne pas y parvenir, il ajoutera: «Hooker est de loin l’homme le mieux placé
pour éditer mon volume sur les Espèces.»
L’essai de 1844 est calqué sur l’ébauche précédente, mais l’argumentation
est plus posée et les données sont organisées et décrites avec une plus grande
exactitude. À propos du stade d’élaboration de sa théorie, son Autobiographie
précise qu’à cette époque:
Je négligeais un problème de grande importance; il me semble étonnant, sauf
en vertu du principe de l’œuf de Colomb, que j’aie pu le laisser de côté avec sa
solution. Il s’agit de la tendance qu’ont les êtres organiques d’une même origine
à diverger dans leur caractère [...]. Leurs fortes divergences sont patentes: voyez
la manière dont les espèces de toutes sortes se regroupent en genres, les genres
en familles, les familles en sous-groupes et ainsi de suite; et je me rappelle très
exactement l’endroit où un jour sur la route, alors que j’étais dans mon équipage,
la solution se présenta à moi à ma grande joie; c’était bien après mon arrivée à
Down. La solution, à ce que je crois, est la suivante: la descendance modifiée de
toutes les formes dominantes et croissantes s’adapte au fur et à mesure aux situa-
tions nombreuses et diversifiées de l’économie de la nature.
Au début de l’année 1845, Hooker lui remet le résultat de son travail sur les
plantes collectées aux Galapagos. Il s’agit d’une confirmation supplémentaire de
la distinction entre espèces d’une île à l’autre. Les mois précédents, Darwin a
commencé à l’informer partiellement de sa théorie; Hooker manifeste un intérêt
prudent et une généreuse disponibilité. Ce n’est qu’en 1847 qu’il lui donne à lire
une copie de son essai. Hooker ne comprend pas immédiatement le sens profond
de la théorie, mais entreprend néanmoins une analyse critique et minutieuse des
nombreux thèmes abordés et Darwin apprécie beaucoup ses objections tech-
niques, dépourvues des préjugés traditionnels étrangers au discours scientifique.
Robert Chambers (1802-1871),
auteur anonyme de Vestiges de l’histoire
naturelle de la création.
L’ouvrage, paru en 1844, admet
la transmutation des espèces
et déclenche de violentes réactions.