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Éthique aux confins de la vie et de la mort
30/11/12
Une vaste étude européenne réalisée par le Coma Science Group (ULg, CHU de Liège) montre que les
opinions relatives aux décisions de fin de vie chez les patients en état végétatif chronique ou en état de
conscience minimale chronique sont influencées, au sein de la communauté médicale et paramédicale, par
les croyances sur la capacité de ces patients à ressentir ou non la douleur physique. Publication dans
Neuroethics.
Le débat éthique autour des états altérés de conscience est loin d'être clos. Il est d'autant plus délicat
que plusieurs études entreprises ces dernières années ont mis en évidence que le diagnostic clinique
réalisé au « bord du lit » du patient était erroné une fois sur trois, voire deux fois sur cinq. Ainsi,
certaines personnes sont déclarées en état végétatif (ou, selon la nouvelle terminologie, en syndrome
d'éveil non-répondant) alors qu'elles se trouvent en état de conscience minimale ou même en locked-
in syndrome (voir Emmuré dans un corps immobile). Or, dans l'état de conscience minimale, le patient
présente des signes de conscience clairs, même s'ils sont fluctuants, et dans le locked-in syndrome, il
conserve une conscience intacte dans un corps désespérément immobile. De surcroît, une étude émanant
du Coma Science Group du Centre de recherches du cyclotron (CRC) de l'Université de Liège et
du Service de neurologie du CHU de Liège (publication en 2008 dans The Lancet Neurology(1)) a
montré que, contrairement aux patients en état végétatif/non-répondant, les patients en état de conscience
minimale ressentent la douleur et des émotions ; il convient donc de leur délivrer des médicaments
antalgiques.
La définition d'outils cliniques standardisés est de nature à réduire les erreurs de diagnostic. L'« échelle révisée
de récupération de coma » (Coma Recovery Scale-Revised - CRS-R), développée aux Etats-Unis par l'équipe
de Joseph Giacino, du New Jersey Neuroscience Institute, et validée en français et en néerlandais par
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Caroline Schnakers, chargée de recherches FNRS, et par le professeur Steven Laureys, responsable du
Coma Science Group, poursuit cet objectif. En Belgique, le SPF Santé Publique impose désormais son
utilisation dans tous les centres d'expertise belges accueillant des patients gravement cérébrolésés. Les
travaux du Coma Science Group ont également permis l'élaboration d'une échelle standardisée d'évaluation
de la douleur : la Nociception Coma Scale-Revised.
Le diagnostic peut en outre être affiné par le recours aux techniques d'imagerie fonctionnelle, ce qui plaide
en faveur de la conception d'un outil peu coûteux et facile d'emploi. De nombreux efforts sont déployés en
ce sens, notamment en se fondant sur la technique de l'électroencéphalogramme (EEG) et des potentiels
évoqués cognitifs. L'utilisation de l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMF) et du PET
scan (voir Tomographie par émission de positons) durant l'« état de repos » - le sujet est éveillé, yeux
fermés, et ne réalise aucune tâche - est également riche de promesses.
Quoi qu'il en soit, une zone de gris nimbe parfois les diagnostics posés dans le cadre de lésions cérébrales
sévères ; tout indique que les états altérés de conscience, loin de ressortir au monde du noir et blanc,
s'inscrivent sur un continuum. Si le débat éthique relatif à la douleur et à la fin de vie des patients gravement
cérébrolésés en est affecté, il existe néanmoins en soi, au-delà de la crainte de bâtir sur le sable d'une erreur
de diagnostic ou de pronostic.
Une discordance qui interpelle
En 2011, nous avons relaté les premiers résultats d'une vaste enquête menée entre septembre 2007 et octobre
2009 auprès de plus de 2 000 professionnels européens de la santé - environ deux tiers de médecins et un
tiers de membres du secteur paramédical. À l'issue de chaque conférence ou congrès scientifique auquel
il avait pris part durant cette période, Steven Laureys soumettait aux participants une série de questions
qui furent ensuite analysées par le docteur Athena Demertzi, neuropsychologue membre de son équipe.
« Au préalable, les personnes interrogées avaient reçu une information détaillée sur ces états de conscience
particuliers (états altérés de conscience), écrivions-nous en 2011 (lire l'article L'éthique de la mort). Il leur
était ensuite demandé de répondre par oui ou par non aux questions posées. Pour permettre une interprétation
plus fine des résultats, cinq données démographiques furent également collectées chez chaque participant :
l'âge, le sexe, la nationalité (32 pays répartis en 3 zones géographiques - nord, centre et sud de l'Europe), la
profession et les croyances religieuses - plus exactement le fait de croire ou non en Dieu et d'adhérer à une
religion institutionnalisée (christianisme, islam, judaïsme...) sans nécessairement être pratiquant. »
Parus dans le Journal of Neurology(2), les résultats dont nous avions déjà connaissance en 2011 nous
apprennent tout d'abord que 66% des personnes interrogées jugent acceptable de stopper le traitement
(nutrition et hydratation artificielles) des patients en état végétatif chronique, c'est-à-dire plongés dans cet état
depuis plus d'un an. Ils ne sont cependant plus que 28% à estimer cette mesure justifiée lorsqu'elle s'adresse
à des patients en état de conscience minimale chronique.
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Deux autres questions portaient sur le sort que les
participants souhaiteraient se voir réserver s'ils étaient eux-mêmes en état végétatif chronique ou en état de
conscience minimale chronique. Dans le premier cas, seulement 18% des personnes interrogées (19% des
médecins et 12% du personnel paramédical) désireraient être maintenues en vie et, dans le second cas,
33% (35% des médecins et 24% du personnel paramédical). Les travaux d'Athena Demertzi faisaient donc
apparaître une discordance entre les mesures dont les professionnels de la santé voudraient bénéficier et
celles qu'ils préconisent pour autrui. Voilà assurément qui a de quoi interpeller. Selon Steven Laureys, la
crainte de poursuites judiciaires et une réserve liée à l'irréversibilité de la mort expliquent probablement en
bonne partie ces statistiques. Pour lui, le corps médical doit se remettre en question. « Il n'est ni moral ni
éthique de s'octroyer des droits que l'on refuse aux autres », dit-il.
Que révélaient les deux dernières questions analysées en 2011 ? En premier lieu, que 80% des personnes
interrogées trouvaient pire, pour une famille, qu'un de ses membres soit en état végétatif plutôt que mort, 55%
de l'échantillon estimant par ailleurs qu'il vaut mieux mourir que de survivre dans cet état d'inconscience. Ces
pourcentages peuvent se comprendre aisément dans la mesure où, dépourvu de conscience, le patient en état
végétatif ne souffre pas, contrairement à sa famille. Second verdict : si l'on se glisse dans la peau du patient,
l'état de conscience minimale est pire que l'état végétatif aux yeux de 54% de l'échantillon ; toutefois, si l'on
se place au niveau de la famille, cette opinion n'est plus partagée que par 42% des personnes interrogées. «
Certaines familles se contentent de quelques signes de conscience résiduelle, comme un sourire adressé à
une mère ou à un père », rapporte Steven Laureys pour expliquer ces chiffres.
Il existe d'importantes différences entre le nord et le sud de l'Europe quant aux opinions des soignants sur
l'arrêt des traitements dispensés pour assurer la survie des patients gravement cérébrolésés. En raison de
convictions religieuses plus affirmées, les pays du Sud apparaissent beaucoup plus réticents à accepter cette
issue. On observe également que les hommes y sont plus favorables que les femmes et que plus on est âgé,
moins on y adhère.
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Douleur et fin de vie
En janvier 2012, d'autres résultats analysés par Athena Demertzi ont été publiés dans la revue Neuroethics(3),
ainsi que dans la thèse de doctorat de la chercheuse : Ain't no rest for the brain. Neuroimaging and neuroethics
in dialogue for patients with disorders of consciousness. Ils avaient trait à des questions relatives à la douleur
chez les patients en état de conscience altéré et à l'impact des opinions émises à ce sujet sur les décisions
de fin de vie.
Premier constat : la majorité des
professionnels de la santé (56%) considère que les patients en état végétatif ressentent la douleur. Un des
éléments explicatifs de cette croyance pourrait être la subsistance d'une confusion entre cet état et l'état de
conscience minimale. D'autant que, avant les travaux de Joseph Giacino (2002), aucune distinction n'était
opérée entre les deux. Pour l'état de conscience minimale, les choses sont moins controversées, les données
comportementales ou obtenues par les techniques de neuroimagerie soulignant que le cerveau des patients
réagit quasi normalement aux stimuli nociceptifs.
Une question essentielle était de déterminer dans quelle mesure les opinions relatives à la perception de
la douleur conditionnaient la décision d'arrêter la nutrition et l'hydratation artificielles des patients en état
végétatif ou en état de conscience minimale chroniques. Quel paysage dessinèrent les statistiques ? Parmi
les professionnels de la santé persuadés que l'état végétatif est exempt de douleurs, une large majorité
(77%) était favorable à l'arrêt des traitements de maintien en vie. Ce chiffre tombait à 59% dans le groupe
des professionnels convaincus de la sensibilité des patients concernés aux stimuli nociceptifs. Pour l'état de
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conscience minimale chronique, la propension à stopper les traitements s'avérait nettement moindre, puisque
les chiffres étaient alors respectivement de 38 et 29%.
Une tendance générale se dégage donc : la réticence beaucoup plus affirmée à laisser « partir » le patient si
on le juge capable de percevoir la douleur. Pourquoi cette vague de fond ? On en est encore au stade des
conjectures. Une hypothèse serait que la perception de la douleur soit assimilée à un signe plus général de
conscience de l'environnement.
Une double influence
En analysant plus avant les réponses de l'échantillon, Athena Demertzi souligne que la profession et le fait
d'être croyant (sans nécessairement être pratiquant) influent sur les opinions des participants à l'enquête.
Ainsi, les non-croyants se révèlent sensiblement plus favorables à l'arrêt des traitements que les croyants,
que le patient soit ou non censé ressentir la douleur physique. En effet, pour l'état végétatif, 69% des non-
croyants estiment opportun d'arrêter la nutrition et l'hydratation artificielles quand ils pensent que le patient
peut éprouver de la douleur et 86% quand ils pensent le contraire, alors que les chiffres sont respectivement
de 52% et 71% chez les croyants. Pour l'état de conscience minimale, les pourcentages sont plus faibles, mais
la différence subsiste. 38% des non-croyants sont en faveur de l'arrêt des traitements si le patient ressent la
douleur, contre 22% des croyants. Si le patient est jugé à l'abri des perceptions nociceptives, les chiffres sont
respectivement de 40 et 33%.
D'autre part, que ce soit face à l'état végétatif chronique ou à l'état de conscience minimale chronique, les
membres du secteur paramédical sont plus enclins à prôner l'arrêt des traitements chez les patients censés
connaître la douleur que ne le sont les médecins (64% et 33% contre 56% et 27%). « Devant ce constat,
il existe plusieurs hypothèses explicatives, telles la nature de la formation reçue et la sensibilité, dit Athena
Demertzi. Le fait que le personnel paramédical est plus proche des patients, passe plus de temps à son chevet,
semble néanmoins jouer un rôle majeur. » La profession n'a en revanche pratiquement aucun effet sur les
décisions ayant trait à la fin de vie des patients que l'on suppose préservés de la douleur.
Modèle biopsychosocial
Globalement, les résultats de l'enquête mettent en exergue que les décisions de fin de vie relatives aux patients
en état de conscience altéré s'enracinent fréquemment dans des sables mouvants, puisqu'elles peuvent être
dictées, du moins en partie, par des convictions religieuses ou l'éducation que les praticiens ont reçue. « Notre
souhait est que ces décisions se fondent davantage sur des évidences médicales », indique Steven Laureys.
Pour contribuer à la réalisation de cet objectif, une meilleure information du personnel soignant s'impose quant
à la distinction entre les états végétatif/syndrome d'éveil non-répondant et de conscience minimale. Eu égard
au poids conféré par les professionnels de la santé à la notion de douleur dans les opinions concernant la fin
de vie, il paraît indispensable d'affiner les diagnostics portant sur le ressenti des patients au niveau nociceptif.
Une échelle comme la Nociception Coma Scale-Revised y contribue. L'IRMf au repos est appelée à le faire
aussi. D'où des travaux entrepris actuellement par Athena Demertzi au sein du Coma Science Group, qui
montrent une corrélation entre la Nociception Coma Scale-Revised et l'activité du réseau de la douleur chez
le patient au repos (absence de stimulus externe).
« Toutefois, dans les domaines de la douleur et de la conscience, il faut faire le deuil d'une approche
dichotomique chez les patients cérébrolésés et convenir que nous sommes face à un spectre caractérisé
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