Je passai une nuit agitée. Dans la
moiteur des draps ressurgissaient ces
images qui, se mêlant à d’autres,
venaient brouiller mes souvenirs. Je
n’avais osé parler à personne de ma
rencontre, partagé entre l’envie
de raconter cette extraordinaire
expérience et la peur de voir
mes amis ou mes proches pointer
leur index vers l’endroit marquant
ma fragilité.
Lorsque je revins pour la première
fois au Ravanel pour lui rendre visite,
j’étais persuadé que mon rêve allait
s’arrêter là, au bord de la clairière.
Tout en cheminant, me venaient à
l’esprit des réflexions à la Pagnol :
«Grand couillon, les arbres ne parlent
pas et tu as bien fait cette fois de coiffer
ton chapeau pour te protéger du soleil ! ».
Mais “Il” était là, fidèle au rendez-vous et
me salua chaleureusement comme on
accueille un vieil ami… Nous prîmes ainsi
l’habitude de bavarder quelques heures
chaque jour. Il avait une connaissance
étonnante de ses congénères si bien que
je le soupçonnais, dans le début de nos
rencontres, de pouvoir, tel le chêne
de la chanson, « … sortir ses grands
pieds de son trou… » et d’aller
tenir couvige avec ses confrères
du voisinage. Ce n’est que plus
tard que je compris tout.
Par une belle fin d’après-
midi, la conversation étant tombée,
j’observais le semis de louis d’or laissé
par le soleil couchant sur la mousse
du sous-bois. Un battement d’ailes vint
soudain ricocher sur le silence apaisant et
un superbe geai se posa juste au-dessus
de ma tête, sur l’une des basses branches
de mon ami. Indifférent à ma présence,
il se mit à chanter, rythmant son discours
de balancements du cou. Lorsqu’il s’inter-
rompait, il me semblait entendre de sourds
grognements filtrant à travers les aiguilles
sombres de mon épicéa. L’oiseau hochait
alors la tête comme pour appuyer ses
propos. Quelques minutes plus tard, il prit
son envol et disparut sous les frondaisons.
- « Le Tonton est malade », soupira mon
ami. « Ses rhumatismes, toujours ses rhu-
matismes ! »
- « Mais qui est le Tonton ? » m’exclamai-je.
- « C’est mon cousin, le sapin dont je
t’ai parlé, le plus vieil arbre de la région.
C’est pour cela que les hommes du coin
l’appellent le Tonton. Il vit en Ardèche,
à un jet de pierre de la chartreuse de
Bonnefoy. Les nouvelles qu’on m’en
donne ne sont pas très bonnes et je me fais
du souci pour lui. »
Il s’abîma dans un long silence que venait
troubler parfois un bref tremblement de
ses branches et une larme de résine tomba
sur le chapeau posé à mes pieds.
Je fus soudain pris d’une folle envie de
connaître cet arbre singulier.
- « Veux-tu que je lui rende visite et que je
t’apporte de ses nouvelles ? »
- « Je n’osais pas te le demander » répli-
qua-t-il vivement d’une voix soulagée.
« Je vais le prévenir de ta venue » ajouta-
t-il. « Tu le trouveras facilement près du
ruisseau de la Veyradeyre, mais parle lui
fort, il est un peu sourd ! »
Ayant pris congé, je me hâtais vers le
village, impatient de rencontrer l’ancêtre.
Le lendemain, dès six heures trente, après
avoir rapidement avalé un café brûlant et
fourré un petit en-cas au fond de mon sac
à dos, je quittai le village d’un pas allègre
par le petit chemin qui longe les prés et
traverse le ruisseau. La météo avait promis
des orages sur l’Auvergne mais pourtant
la journée s’annonçait splendide. Face
à moi, le soleil levant laissait ruisseler
des coulées de lumière par la trouée
des Boutières et le fond de l’air était vif.
Rapidement, j’avalai la côte de la carrière,
Jean-Paul RIQUE
LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007
Arbre mon ami...
seconde partie : le sapin
Geai des chênes
béant témoin du temps où la région
ne connaissait pas encore les volcans. Je
dérangeai au passage un essaim de cor-
beaux qui décolla avec une rare élégance
pour aller se jucher sur le rocher de Blot et
après un dernier effort je me retrouvai sur
le petit promontoire surplombant le col.
Un peu essoufflé, je m’assis sur un rocher
planté sur la lande à myrtilles. La vallée de
la Veyradeyre sortait à peine des brumes
matinales et le regard embrassait un vaste
panorama couvrant le tiers des anciennes
métairies des chartreux(1). Sur ma droite,
la ferme de Bel Arbre était accrochée
au flanc de la croupe qui masquait Les
Ruches et Le Tombarel. De son bois de
hêtres séculaires, répertorié parmi les biens
des religieux, dégringolaient des nappes
de prés parsemés des tâches blanches des
vaches charolaises déjà à l’œuvre dans les
pâtures.
Face à moi, les pentes densément recou-
vertes de résineux du Taupernas venaient
mourir dans la rivière, soulignant le
contraste saisissant entre les adrets
herbeux et le sombre ubac dévoré d’arbres
ténébreux. De part et d’autre de son
sommet, la Lauzière et le Montfol tentaient
de passer la tête mais il semblait s’obstiner
à les cacher à ma vue.
Le ruisseau de la Jument Borgne, encadré
de genêts d’où émergeaient quelques
saules grisâtres, allait se jeter au fond du
vallon de la Veyradeyre, déchirait en deux
les vastes herbages et marquait la limite
entre l’Ardèche et la Haute-Loire. C’était
aussi la frontière entre le domaine de Bel
Arbre et celui de la Grande Borie, autre
métairie de la Chartreuse. La ferme,
détruite par le feu en 1977 ne laissait
apparaître que le sommet des érables qui
la couvraient jadis de leur ombre. Tout
au-dessus, tournoyait lentement une buse
dont les yeux perçants tentaient de repérer
quelque proie cachée dans les ruines.
Contrairement aux terres de Bel Arbre,
des murs de pierres sèches encadraient
une mosaïque de prés sur lesquels
s’égayaient les robes rousses de vaches
limousines et Salers dont les sonnailles
venaient troubler le silence matinal.
La route du Gerbier s’échappant sous
mes pieds allait serpenter sur le haut du
versant, puis venait se perdre à gauche
derrière la croupe du Grésier qui masquait
la Chartreuse.
Plutôt que de la suivre, je choisis de
reprendre mon chemin en contournant la
serre. Coupant par les pâtures, je dévalai
la pente en évitant soigneusement les joncs
qui signalaient ruisseaux et tourbières
de pente.
À cent mètres devant moi, un renard prit la
fuite. Contrairement à ce que je croyais, il
n’était pas roux mais revêtait une robe
d’un brun cendré. Je pus observer à loisir
sa foulée souple et les lents balancements
de sa queue tandis qu’il s’éloignait vers
la lisière de la maigre forêt d’épicéas qui
tente de survivre sur les flancs du Chaulet.
Après avoir marqué un bref temps d’arrêt
et s’être retourné pour m’observer, il
disparût nonchalamment sous les arbres.
Les monticules de terre soulevés par les
24
Arbre mon ami...
LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007
1. - Une grande partie des terres des
religieux de la Chartreuse étaient
louées à des paysans (les tenanciers)
qui les exploitaient. Les granges
cartusiennes étaient peu à peu
transformées en fermes habitées. On
compta ainsi jusqu’à 32 métairies dont
11 sur la seule commune des Estables,
le tout représentant plus de 1 600
hectares de prés, pâtures, terres de
labour, bois et landes soit le double de
la superficie du “désert” concédé en
1156 par Guillaume Jourdain lors de la
fondation de la Chartreuse.
La chartreuse de Bonnefoy dans
la jeunesse du « Tonton »
Dessin du comte Agrain (1818)
seconde partie : le sapin
LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007
25
2. - Correrie : appelée aussi « Maison
basse ». C’est l’ensemble des bâti-
ments dans lesquels vivent les Frères
(convers et donnés) qui assurent par
leur travail, les divers services de la
communauté (cuisine, menuiserie,
buanderie, exploitation forestière...).
Comme la Maison haute des moines,
elle est dotée de cellules et d’une
église dédiées aux Frères.
rats-taupiers me renseignèrent sur ses
attentes.
Grimpant à nouveau par un ancien chemin
charretier bordé de myrtilliers, je parvins
bientôt sur la crête. Le dôme du Gerbier-
de-Jonc s’offrait à ma vue, encadré par
la pyramide rocailleuse du Sara à main
gauche, le Sépoux et la Lauzière sur
la droite. Après une brève mais rapide
descente, je dépassai la ferme de la Clède,
coupai par un petit bois de hêtres et
me retrouvai sur la route bordée d’une
sapinière qui menait à la chartreuse de
Bonnefoy. Bientôt, au détour d’une
épingle, dépassant le faîte des arbres,
j’aperçus la croix surplombant le clocher
de l’église et ses ruines vénérables.
Pressé par ma mission, je remis à plus tard
la visite détaillée des lieux, me bornant à
contourner l’ancien bâtiment du prieur et à
admirer les trachytes soigneusement
taillés du fronton encore debout de ce lieu
de prières. Il était huit heures à ma montre
et si mes jambes étaient encore alertes,
mon estomac présentait des signes de fai-
blesse nécessitant des mesures d’urgence.
Un muret écroulé à l’ombre naissante d’un
vieil érable me servit de lieu d’accueil et
la demi-caillette froide de mon sac à dos
changea rapidement de contenant dans
une coulée de vin qui, s’il n’était pas du
pays, en méritait les louanges. Le soleil
commençait à chauffer et je me remis en
route sans tarder. Descendant par le
« chemin des moines » grossièrement
pavé qui conduisait à l’ancienne correrie(2)
des frères convers, je longeai pendant près
de deux centstres le vivier qui approvi-
sionnait jadis les pères en truites et autres
poissons. Les ruines de l’ancienne « mai-
son basse » égrainaient leurs rectangles
de pierres qui descendaient jusqu’à la
rivière et j’imaginais au passage, ici la
boulangerie, là la forge, la menuiserie et
tout près de l’eau, la buanderie.
Les prairies bordaient la rive droite à
perte de vue. Je commençai donc ma
recherche en traversant la Veyradeyre au
niveau des restes du pont par où passait
l’unique chemin amenant autrefois les
rares visiteurs à la Chartreuse depuis le
Béage. Des bosquets de saules ainsi que
quelques cerisiers à grappes et trembles
isolés accompagnaient ma marche et ce
n’est qu’une centaine de mètres plus loin
que je commençai à m’enfoncer sous les
premiers sapins. Soudain, comme je levais
les yeux, il m’apparut, sur le talus qui
surplombait le lit des eaux. Il était planté
là, monstrueux au-dessus de moi.
Ses basses branches, énormes et écail-
leuses, se tordaient comme les tentacules
d’une énorme pieuvre. Son tronc immense
et moussu dépassait en dimensions tout
ce que j’avais pu voir jusqu’à présent. Je
restai un instant immobile, comme écrasé
par cette masse difforme, si peu semblable
à la forme régulière de ses congénères
qui m’avaient accompagné dans mon
cheminement le long du ruisseau.
Malgré l’évidence, mais pour engager la
conversation, je lançai d’une voix mal
assurée :
- « C’est vous le Tonton ? »
Ma question se perdit dans l’ombre du
sous-bois, ne renvoyant aucun écho. Me
souvenant du conseil de mon ami l’épicéa,
je repris, mais en haussant le ton cette fois :
- « Holà ! C’est bien vous le Tonton ? »
Après un instant de silence, une voix
Le Tonton
26
Arbre mon ami...
LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007
- Le nom botanique des espèces -
Tricholome
de la Saint Georges
Le botaniste Linné, en 1753, a normalisé pour la première fois le nom des
espèces végétales en introduisant le binôme latin encore utilisé de nos jours.
Chaque espèce est désignée par deux noms latins :
- le premier désigne le genre, formé de l’ensemble des espèces les plus voisines ;
- le second spécifie l’espèce unique au sein de ce genre.
Ainsi, notre sapin fait partie du genre abies qui regroupe toutes les catégories de
sapins. Au sein du genre “sapin”, il représente l’espèce alba (blanc en latin). On
le désigne donc de façon unique et universelle :
Abies alba
Il existe une cinquantaine d’autres espèces de sapins de par le monde.
En France, on trouve, par exemple :
- Abies grandis, le sapin de Vancouver
- Abies concolor, le sapin blanc du Colorado
- Abies nordmanniana, le sapin de Nordmann, etc.
Seul, Abies alba est indigène, les autres espèces ont été introduites.
bourrue et chevrotante filtra des aiguilles
glauques et sombres de sa ramure :
- « Doucement, jeune homme, doucement.
Ne criez pas comme çà, je ne suis pas
sourd que diable ! Vous voilà enfin ! Vous
en avez mis du temps ! »
Il avait l’air agacé et j’étais confus de
l’avoir contrarié en soulignant, bien
malgré moi, son infirmité.
- « Excusez-moi, mais c’est loin Les
Estables ! », bredouillai-je pour me
justifier.
- « C’est bon, c’est bon ! » reprit-il pour
montrer que l’incident était clos.
- « C’est bien moi, Abies alba, le sapin
pectiné alias “Le Tonton”. »
Avec un brin de lassitude dans la voix,
il poursuivit :
- « Eh oui ! Plus de 200 ans déjà, 28
mètres de hauteur, cinq de tour de taille. Il
y a bien longtemps que je ne me suis pas
pesé mais, racines, branches et feuilles
comprises, je dois accuser près de 25
tonnes sur la bascule. »
Cette avalanche de chiffres m’impres-
sionna et m’amena à toutes sortes de
réflexions.
« Mais alors, vous avez connu la
Chartreuse au moment de la Révolution
française ?
Marasme
des Oréades
Dans toutes les civilisations humaines, les plantes connues, utilisées ou
redoutées ont été nommées. Ces noms n’avaient pas nécessairement de
liaison avec les espèces, au sens botanique du terme. D’autre part, la même
plante pouvait recevoir, selon les traditions, les langues, les cultures ou les
lieux, des noms différents. Même si beaucoup ont été abandonnés, ces
noms, dits vernaculaires, sont à l’origine de confusions, des plantes diffé-
rentes pouvant porter des noms identiques. C’est le cas par exemple du
mousseron qui peut désigner le Trichomome de la Saint-Georges (Calocy-
be Gambosa) ou le Marasme des Oréades (Marasmius Oreades), tous
deux fort heureusement comestibles.
D’autre part, la même plante peut être nommée de diverses façons. Picea
abies, notre sapin commun, porte également les noms de Sapin pectiné (à
cause de la forme en peigne de ses aiguilles), Sapin blanc, Sapin argenté,
Sapin des Vosges, Sapin de Normandie, Sapine, Tannaie ou encore Sapi-
nette…
Pour établir un langage universel et non ambigu, les botanistes ont tout
d’abord préconisé l’emploi d’une seule langue, le latin, mais les noms ont
été peu à peu modifiés, enrichis de descriptions.
seconde partie : le sapin
LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007
27
- « Ah !… la Chartreuse ! Elle avait fière
allure avec ses pierres sombres, ses toits
de lauzes, ses vastes granges dont nous
avions fourni les poutres. Notre bois,
assez léger, a une résistance exceptionnelle
à la flexion, à la compression et aux chocs.
C’est la raison pour laquelle nos troncs,
droits comme des I, étaient utilisés pour
réaliser les chareyres(3) des étables de
toutes les fermes : 42 mètres de long pour
la Grande Borie, 70 pour le Tombarel,
plus de deux fois ma hauteur ! « Chêne
debout et sapin de travers porteraient
l’univers », selon le dicton. Aujourd’hui
encore, nous sommes utilisés plus modes-
tement comme bois de charpente et aussi
pour la menuiserie. Encore faut-il que
nous ayions poussé lentement, en
altitude pour que notre bois soit régulier,
et nos cernes fines, sinon, c’est le pilon. »
- « Le pilon ? »
- « Eh oui, la déchéance ! Comme nos
fibres sont longues, notre bois blanc et
sans résine, quand on ne sait plus rien faire
de nous, on nous envoie dans les usines de
pâte à papier, tronc et branches comprises.
Broyés, lavés, pressés, séchés, enduits,
nous finissons nos jours comme livres,
journaux ou même, terrible humiliation,
comme papier essuie-tout, je dis bien tout !
Heureusement, nous autres dans la forêt
de Bonnefoy, nous sauvons l’honneur
depuis des siècles. Regardez donc autour
de vous la jeune garde ! »
Balayant les alentours d’un regard circu-
laire, je vis en effet une armée de sapins
dévalant le versant nord du Muzeran
qui nous surplombait. Ils n’avaient certes
pas la taille du Tonton mais leurs troncs
s’élançaient droit vers le ciel qu’ils
cachaient de leur ramure.
- « Ce sont les petits derniers, ajouta-t-il,
déjà de solides gaillards. Quatre-vingt-dix
ans seulement et déjà plus de soixante-dix
centimètres de diamètre. Ils se plaisent
bien ici, comme leurs parents et leurs
aïeux. Il faut dire que nous autres, sapins,
sommes assez délicats : si nous résistons
très bien aux grands froids, il nous faut un
air humide, un sol profond, de l’ombre
dans notre jeunesse, pas de gelées tardives
ni de sècheresse en été, moyennant quoi,
nous atteignons allègrement trois cents,
voire quatre cents ans avant de mourir de
mort naturelle. On nous trouve souvent
avec le hêtre qui a les mêmes besoins que
nous, depuis la plaine jusqu’à l’étage
montagnard, mais plus bas que nos
cousins les épicéas et les mélèzes ou enco-
re le pin cembro et à crochets qui montent,
eux, jusqu’à la limite de l’étage subalpin,
à 2 000-2 300 mètres. »
- « Et depuis combien de temps êtes-vous
installés sur les flancs du Mézenc ? »
- « C’est une très longue histoire. Lors de
la dernière glaciation, voilà 18 000 ans, les
glaciers recouvraient la chaine des Puys,
ceux des Alpes descendaient jusqu’aux
portes de Lyon. Le reste du Massif central
était recouvert de steppes arides et froides.
Pas un arbre mais de l’herbe, de l’herbe
rase à perte de vue. Quand le climat s’est
réchauffé, il y a 13 000 ans, petit à petit,
les arbres se sont réinstallés, à partir des
refuges plus cléments qu’ils avaient trou-
vé dans le sud : les bouleaux d’abord, puis
les pins, les chênes. Nous autres, sapins,
tout comme les hêtres, n’avons réussi à
nous hisser en Auvergne puis dans le Nord
de la France qu’il y a seulement 5 000 ans.
Actuellement, nous représentons 8% de la
forêt française, à égalité avec l’épicéa qui
peu à peu nous grignote. On peut suivre
le chemin de notre reconquête dans les
Pyrénées, les Alpes, le Massif central,
le Jura mais surtout les Vosges où se
trouvent nos plus belles forêts. Mais
si toutes se situent entre 1 000 et 1 700
mètres d’altitude, il ne faut pas croire que
nous ne colonisons que la montagne. En
Normandie, dans les collines du Perche,
existent des peuplements spontanés, relicte
d’une ultime avancée de plantes monta-
gnardes il y a 4 500 ans »
- « Mais pourquoi dites-vous que l’épicéa
vous grignote ? »
- « C’est à cause de vous, les hommes.
Jadis, nous nous reproduisions spontané-
ment. Nos graines tombaient à terre,
certaines germaient, donnaient des fourrés
de petits sapins qui grandissaient à notre
ombre. Certains mouraient, les plus
solides prenaient le relais. Mais vous êtes
arrivés et vous avez voulu bousculer
l’ordre des choses à votre convenance. En
fonction de vos besoins, vous avez coupé,
semé, sélectionné, planté ce qui vous
arrangeait : pour votre chauffage, pour vos
charpentes, puis pour vos bateaux. Au
XIXesiècle, vous avez pratiqué des coupes
claires dans certaines de nos forêts et vous
nous avez remplacés par des plantations
d’épicéas. Oh, je n’ai rien contre mes cou-
sins. Je reconnais qu’ils sont plus faciles à
3. - Chareyre : poutre maîtresse de
l’étable qui supporte le plancher de la
fenière où l’on engrange le foin.
Débit sur quartier
Débit sur dosse
1 / 12 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !