Arbre mon ami... seconde partie : le sapin J Geai des chênes Jean-Paul RIQUE e passai une nuit agitée. Dans la moiteur des draps ressurgissaient ces images qui, se mêlant à d’autres, venaient brouiller mes souvenirs. Je n’avais osé parler à personne de ma rencontre, partagé entre l’envie de raconter cette extraordinaire expérience et la peur de voir mes amis ou mes proches pointer leur index vers l’endroit marquant ma fragilité. Lorsque je revins pour la première fois au Ravanel pour lui rendre visite, j’étais persuadé que mon rêve allait s’arrêter là, au bord de la clairière. Tout en cheminant, me venaient à l’esprit des réflexions à la Pagnol : « Grand couillon, les arbres ne parlent pas et tu as bien fait cette fois de coiffer ton chapeau pour te protéger du soleil ! ». Mais “Il” était là, fidèle au rendez-vous et me salua chaleureusement comme on accueille un vieil ami… Nous prîmes ainsi l’habitude de bavarder quelques heures chaque jour. Il avait une connaissance étonnante de ses congénères si bien que je le soupçonnais, dans le début de nos rencontres, de pouvoir, tel le chêne de la chanson, « … sortir ses grands pieds de son trou… » et d’aller tenir couvige avec ses confrères du voisinage. Ce n’est que plus tard que je compris tout. Par une belle fin d’aprèsmidi, la conversation étant tombée, j’observais le semis de louis d’or laissé par le soleil couchant sur la mousse du sous-bois. Un battement d’ailes vint soudain ricocher sur le silence apaisant et un superbe geai se posa juste au-dessus de ma tête, sur l’une des basses branches de mon ami. Indifférent à ma présence, il se mit à chanter, rythmant son discours de balancements du cou. Lorsqu’il s’interrompait, il me semblait entendre de sourds LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007 grognements filtrant à travers les aiguilles sombres de mon épicéa. L’oiseau hochait alors la tête comme pour appuyer ses propos. Quelques minutes plus tard, il prit son envol et disparut sous les frondaisons. - « Le Tonton est malade », soupira mon ami. « Ses rhumatismes, toujours ses rhumatismes ! » - « Mais qui est le Tonton ? » m’exclamai-je. - « C’est mon cousin, le sapin dont je t’ai parlé, le plus vieil arbre de la région. C’est pour cela que les hommes du coin l’appellent le Tonton. Il vit en Ardèche, à un jet de pierre de la chartreuse de Bonnefoy. Les nouvelles qu’on m’en donne ne sont pas très bonnes et je me fais du souci pour lui. » Il s’abîma dans un long silence que venait troubler parfois un bref tremblement de ses branches et une larme de résine tomba sur le chapeau posé à mes pieds. Je fus soudain pris d’une folle envie de connaître cet arbre singulier. - « Veux-tu que je lui rende visite et que je t’apporte de ses nouvelles ? » - « Je n’osais pas te le demander » répliqua-t-il vivement d’une voix soulagée. « Je vais le prévenir de ta venue » ajoutat-il. « Tu le trouveras facilement près du ruisseau de la Veyradeyre, mais parle lui fort, il est un peu sourd ! » Ayant pris congé, je me hâtais vers le village, impatient de rencontrer l’ancêtre. Le lendemain, dès six heures trente, après avoir rapidement avalé un café brûlant et fourré un petit en-cas au fond de mon sac à dos, je quittai le village d’un pas allègre par le petit chemin qui longe les prés et traverse le ruisseau. La météo avait promis des orages sur l’Auvergne mais pourtant la journée s’annonçait splendide. Face à moi, le soleil levant laissait ruisseler des coulées de lumière par la trouée des Boutières et le fond de l’air était vif. Rapidement, j’avalai la côte de la carrière, 24 Arbre mon ami... béant témoin du temps où la région ne connaissait pas encore les volcans. Je dérangeai au passage un essaim de corbeaux qui décolla avec une rare élégance pour aller se jucher sur le rocher de Blot et après un dernier effort je me retrouvai sur le petit promontoire surplombant le col. Un peu essoufflé, je m’assis sur un rocher planté sur la lande à myrtilles. La vallée de la Veyradeyre sortait à peine des brumes matinales et le regard embrassait un vaste panorama couvrant le tiers des anciennes métairies des chartreux(1). Sur ma droite, la ferme de Bel Arbre était accrochée au flanc de la croupe qui masquait Les Ruches et Le Tombarel. De son bois de hêtres séculaires, répertorié parmi les biens des religieux, dégringolaient des nappes de prés parsemés des tâches blanches des vaches charolaises déjà à l’œuvre dans les pâtures. Face à moi, les pentes densément recouvertes de résineux du Taupernas venaient mourir dans la rivière, soulignant le contraste saisissant entre les adrets herbeux et le sombre ubac dévoré d’arbres ténébreux. De part et d’autre de son sommet, la Lauzière et le Montfol tentaient de passer la tête mais il semblait s’obstiner à les cacher à ma vue. Le ruisseau de la Jument Borgne, encadré de genêts d’où émergeaient quelques saules grisâtres, allait se jeter au fond du vallon de la Veyradeyre, déchirait en deux les vastes herbages et marquait la limite entre l’Ardèche et la Haute-Loire. C’était aussi la frontière entre le domaine de Bel Arbre et celui de la Grande Borie, autre métairie de la Chartreuse. La ferme, détruite par le feu en 1977 ne laissait apparaître que le sommet des érables qui la couvraient jadis de leur ombre. Tout au-dessus, tournoyait lentement une buse dont les yeux perçants tentaient de repérer quelque proie cachée dans les ruines. Contrairement aux terres de Bel Arbre, des murs de pierres sèches encadraient une mosaïque de prés sur lesquels s’égayaient les robes rousses de vaches limousines et Salers dont les sonnailles venaient troubler le silence matinal. La route du Gerbier s’échappant sous mes pieds allait serpenter sur le haut du versant, puis venait se perdre à gauche derrière la croupe du Grésier qui masquait la Chartreuse. Plutôt que de la suivre, je choisis de reprendre mon chemin en contournant la serre. Coupant par les pâtures, je dévalai la pente en évitant soigneusement les joncs qui signalaient ruisseaux et tourbières de pente. À cent mètres devant moi, un renard prit la fuite. Contrairement à ce que je croyais, il n’était pas roux mais revêtait une robe d’un brun cendré. Je pus observer à loisir sa foulée souple et les lents balancements de sa queue tandis qu’il s’éloignait vers la lisière de la maigre forêt d’épicéas qui tente de survivre sur les flancs du Chaulet. Après avoir marqué un bref temps d’arrêt et s’être retourné pour m’observer, il disparût nonchalamment sous les arbres. Les monticules de terre soulevés par les 1. - Une grande partie des terres des religieux de la Chartreuse étaient louées à des paysans (les tenanciers) qui les exploitaient. Les granges cartusiennes étaient peu à peu transformées en fermes habitées. On compta ainsi jusqu’à 32 métairies dont 11 sur la seule commune des Estables, le tout représentant plus de 1 600 hectares de prés, pâtures, terres de labour, bois et landes soit le double de la superficie du “désert” concédé en 1156 par Guillaume Jourdain lors de la fondation de la Chartreuse. La chartreuse de Bonnefoy dans la jeunesse du « Tonton » Dessin du comte Agrain (1818) LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007 seconde partie : le sapin 25 mon estomac présentait des signes de faiblesse nécessitant des mesures d’urgence. Un muret écroulé à l’ombre naissante d’un vieil érable me servit de lieu d’accueil et la demi-caillette froide de mon sac à dos changea rapidement de contenant dans une coulée de vin qui, s’il n’était pas du pays, en méritait les louanges. Le soleil commençait à chauffer et je me remis en route sans tarder. Descendant par le « chemin des moines » grossièrement pavé qui conduisait à l’ancienne correrie(2) des frères convers, je longeai pendant près de deux cents mètres le vivier qui approvisionnait jadis les pères en truites et autres poissons. Les ruines de l’ancienne « maison basse » égrainaient leurs rectangles de pierres qui descendaient jusqu’à la rivière et j’imaginais au passage, ici la boulangerie, là la forge, la menuiserie et tout près de l’eau, la buanderie. Le Tonton 2. - Correrie : appelée aussi « Maison basse ». C’est l’ensemble des bâtiments dans lesquels vivent les Frères (convers et donnés) qui assurent par leur travail, les divers services de la communauté (cuisine, menuiserie, buanderie, exploitation forestière...). Comme la Maison haute des moines, elle est dotée de cellules et d’une église dédiées aux Frères. rats-taupiers me renseignèrent sur ses attentes. Grimpant à nouveau par un ancien chemin charretier bordé de myrtilliers, je parvins bientôt sur la crête. Le dôme du Gerbierde-Jonc s’offrait à ma vue, encadré par la pyramide rocailleuse du Sara à main gauche, le Sépoux et la Lauzière sur la droite. Après une brève mais rapide descente, je dépassai la ferme de la Clède, coupai par un petit bois de hêtres et me retrouvai sur la route bordée d’une sapinière qui menait à la chartreuse de Bonnefoy. Bientôt, au détour d’une épingle, dépassant le faîte des arbres, j’aperçus la croix surplombant le clocher de l’église et ses ruines vénérables. Pressé par ma mission, je remis à plus tard la visite détaillée des lieux, me bornant à contourner l’ancien bâtiment du prieur et à admirer les trachytes soigneusement taillés du fronton encore debout de ce lieu de prières. Il était huit heures à ma montre et si mes jambes étaient encore alertes, LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007 Les prairies bordaient la rive droite à perte de vue. Je commençai donc ma recherche en traversant la Veyradeyre au niveau des restes du pont par où passait l’unique chemin amenant autrefois les rares visiteurs à la Chartreuse depuis le Béage. Des bosquets de saules ainsi que quelques cerisiers à grappes et trembles isolés accompagnaient ma marche et ce n’est qu’une centaine de mètres plus loin que je commençai à m’enfoncer sous les premiers sapins. Soudain, comme je levais les yeux, il m’apparut, sur le talus qui surplombait le lit des eaux. Il était planté là, monstrueux au-dessus de moi. Ses basses branches, énormes et écailleuses, se tordaient comme les tentacules d’une énorme pieuvre. Son tronc immense et moussu dépassait en dimensions tout ce que j’avais pu voir jusqu’à présent. Je restai un instant immobile, comme écrasé par cette masse difforme, si peu semblable à la forme régulière de ses congénères qui m’avaient accompagné dans mon cheminement le long du ruisseau. Malgré l’évidence, mais pour engager la conversation, je lançai d’une voix mal assurée : - « C’est vous le Tonton ? » Ma question se perdit dans l’ombre du sous-bois, ne renvoyant aucun écho. Me souvenant du conseil de mon ami l’épicéa, je repris, mais en haussant le ton cette fois : - « Holà ! C’est bien vous le Tonton ? » Après un instant de silence, une voix 26 Arbre mon ami... - Le nom botanique des espèces - Tricholome de la Saint Georges Dans toutes les civilisations humaines, les plantes connues, utilisées ou redoutées ont été nommées. Ces noms n’avaient pas nécessairement de liaison avec les espèces, au sens botanique du terme. D’autre part, la même plante pouvait recevoir, selon les traditions, les langues, les cultures ou les lieux, des noms différents. Même si beaucoup ont été abandonnés, ces noms, dits vernaculaires, sont à l’origine de confusions, des plantes différentes pouvant porter des noms identiques. C’est le cas par exemple du mousseron qui peut désigner le Trichomome de la Saint-Georges (Calocybe Gambosa) ou le Marasme des Oréades (Marasmius Oreades), tous deux fort heureusement comestibles. D’autre part, la même plante peut être nommée de diverses façons. Picea abies, notre sapin commun, porte également les noms de Sapin pectiné (à cause de la forme en peigne de ses aiguilles), Sapin blanc, Sapin argenté, Sapin des Vosges, Sapin de Normandie, Sapine, Tannaie ou encore Sapinette… Pour établir un langage universel et non ambigu, les botanistes ont tout d’abord préconisé l’emploi d’une seule langue, le latin, mais les noms ont été peu à peu modifiés, enrichis de descriptions. Marasme des Oréades Le botaniste Linné, en 1753, a normalisé pour la première fois le nom des espèces végétales en introduisant le binôme latin encore utilisé de nos jours. Chaque espèce est désignée par deux noms latins : - le premier désigne le genre, formé de l’ensemble des espèces les plus voisines ; - le second spécifie l’espèce unique au sein de ce genre. Ainsi, notre sapin fait partie du genre abies qui regroupe toutes les catégories de sapins. Au sein du genre “sapin”, il représente l’espèce alba (blanc en latin). On le désigne donc de façon unique et universelle : Abies alba Il existe une cinquantaine d’autres espèces de sapins de par le monde. En France, on trouve, par exemple : - Abies grandis, le sapin de Vancouver - Abies concolor, le sapin blanc du Colorado - Abies nordmanniana, le sapin de Nordmann, etc. Seul, Abies alba est indigène, les autres espèces ont été introduites. bourrue et chevrotante filtra des aiguilles glauques et sombres de sa ramure : - « Doucement, jeune homme, doucement. Ne criez pas comme çà, je ne suis pas sourd que diable ! Vous voilà enfin ! Vous en avez mis du temps ! » Il avait l’air agacé et j’étais confus de l’avoir contrarié en soulignant, bien malgré moi, son infirmité. - « Excusez-moi, mais c’est loin Les Estables ! », bredouillai-je pour me justifier. - « C’est bon, c’est bon ! » reprit-il pour montrer que l’incident était clos. - « C’est bien moi, Abies alba, le sapin pectiné alias “Le Tonton”. » Avec un brin de lassitude dans la voix, il poursuivit : - « Eh oui ! Plus de 200 ans déjà, 28 mètres de hauteur, cinq de tour de taille. Il y a bien longtemps que je ne me suis pas pesé mais, racines, branches et feuilles comprises, je dois accuser près de 25 tonnes sur la bascule. » Cette avalanche de chiffres m’impressionna et m’amena à toutes sortes de réflexions. « Mais alors, vous avez connu la Chartreuse au moment de la Révolution française ? LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007 seconde partie : le sapin 27 3. - Chareyre : poutre maîtresse de l’étable qui supporte le plancher de la fenière où l’on engrange le foin. Débit sur quartier Débit sur dosse - « Ah !… la Chartreuse ! Elle avait fière allure avec ses pierres sombres, ses toits de lauzes, ses vastes granges dont nous avions fourni les poutres. Notre bois, assez léger, a une résistance exceptionnelle à la flexion, à la compression et aux chocs. C’est la raison pour laquelle nos troncs, droits comme des I, étaient utilisés pour réaliser les chareyres(3) des étables de toutes les fermes : 42 mètres de long pour la Grande Borie, 70 pour le Tombarel, plus de deux fois ma hauteur ! « Chêne debout et sapin de travers porteraient l’univers », selon le dicton. Aujourd’hui encore, nous sommes utilisés plus modestement comme bois de charpente et aussi pour la menuiserie. Encore faut-il que nous ayions poussé lentement, en altitude pour que notre bois soit régulier, et nos cernes fines, sinon, c’est le pilon. » - « Le pilon ? » - « Eh oui, la déchéance ! Comme nos fibres sont longues, notre bois blanc et sans résine, quand on ne sait plus rien faire de nous, on nous envoie dans les usines de pâte à papier, tronc et branches comprises. Broyés, lavés, pressés, séchés, enduits, nous finissons nos jours comme livres, journaux ou même, terrible humiliation, comme papier essuie-tout, je dis bien tout ! Heureusement, nous autres dans la forêt de Bonnefoy, nous sauvons l’honneur depuis des siècles. Regardez donc autour de vous la jeune garde ! » Balayant les alentours d’un regard circulaire, je vis en effet une armée de sapins dévalant le versant nord du Muzeran qui nous surplombait. Ils n’avaient certes pas la taille du Tonton mais leurs troncs s’élançaient droit vers le ciel qu’ils cachaient de leur ramure. - « Ce sont les petits derniers, ajouta-t-il, déjà de solides gaillards. Quatre-vingt-dix ans seulement et déjà plus de soixante-dix centimètres de diamètre. Ils se plaisent bien ici, comme leurs parents et leurs aïeux. Il faut dire que nous autres, sapins, sommes assez délicats : si nous résistons très bien aux grands froids, il nous faut un air humide, un sol profond, de l’ombre dans notre jeunesse, pas de gelées tardives ni de sècheresse en été, moyennant quoi, nous atteignons allègrement trois cents, voire quatre cents ans avant de mourir de mort naturelle. On nous trouve souvent avec le hêtre qui a les mêmes besoins que nous, depuis la plaine jusqu’à l’étage LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007 montagnard, mais plus bas que nos cousins les épicéas et les mélèzes ou encore le pin cembro et à crochets qui montent, eux, jusqu’à la limite de l’étage subalpin, à 2 000-2 300 mètres. » - « Et depuis combien de temps êtes-vous installés sur les flancs du Mézenc ? » - « C’est une très longue histoire. Lors de la dernière glaciation, voilà 18 000 ans, les glaciers recouvraient la chaine des Puys, ceux des Alpes descendaient jusqu’aux portes de Lyon. Le reste du Massif central était recouvert de steppes arides et froides. Pas un arbre mais de l’herbe, de l’herbe rase à perte de vue. Quand le climat s’est réchauffé, il y a 13 000 ans, petit à petit, les arbres se sont réinstallés, à partir des refuges plus cléments qu’ils avaient trouvé dans le sud : les bouleaux d’abord, puis les pins, les chênes. Nous autres, sapins, tout comme les hêtres, n’avons réussi à nous hisser en Auvergne puis dans le Nord de la France qu’il y a seulement 5 000 ans. Actuellement, nous représentons 8% de la forêt française, à égalité avec l’épicéa qui peu à peu nous grignote. On peut suivre le chemin de notre reconquête dans les Pyrénées, les Alpes, le Massif central, le Jura mais surtout les Vosges où se trouvent nos plus belles forêts. Mais si toutes se situent entre 1 000 et 1 700 mètres d’altitude, il ne faut pas croire que nous ne colonisons que la montagne. En Normandie, dans les collines du Perche, existent des peuplements spontanés, relicte d’une ultime avancée de plantes montagnardes il y a 4 500 ans » - « Mais pourquoi dites-vous que l’épicéa vous grignote ? » - « C’est à cause de vous, les hommes. Jadis, nous nous reproduisions spontanément. Nos graines tombaient à terre, certaines germaient, donnaient des fourrés de petits sapins qui grandissaient à notre ombre. Certains mouraient, les plus solides prenaient le relais. Mais vous êtes arrivés et vous avez voulu bousculer l’ordre des choses à votre convenance. En fonction de vos besoins, vous avez coupé, semé, sélectionné, planté ce qui vous arrangeait : pour votre chauffage, pour vos charpentes, puis pour vos bateaux. Au XIXe siècle, vous avez pratiqué des coupes claires dans certaines de nos forêts et vous nous avez remplacés par des plantations d’épicéas. Oh, je n’ai rien contre mes cousins. Je reconnais qu’ils sont plus faciles à 28 Arbre mon ami... planter et qu’ils souffrent moins de la dent du chevreuil. Je reconnais que la qualité de leur bois, si l’on excepte leurs poches de résine vaut bien la nôtre. Reconnaissez cependant que nous avons une toute autre allure avec notre feuillage glauque, nos cônes dressés, nos branches horizontales. Mais attention, il est un point sur lequel vous allez trop loin, vous piétinez la tradition et ça, ce n’est pas acceptable. » Sa voix devenait dure. Visiblement il s’emportait sans que je comprenne pourquoi. L’écorce de son tronc rougissait d’indignation, le faisant ressembler à celle des épicéas, cause de ses soucis. Brusquement je compris la raison de son ire : - « Le Sapin de Noël ! » - « Ah oui, parlons-en du Sapin de Noël ! Depuis 900 ans vos familles se rassemblaient autour de nous pour célébrer cette belle fête. Décorés de boules, de guirlandes, resplendissant de lumières, nous présidions la cérémonie de remise de friandises et de jouets. Et qu’est devenu le traditionnel sapin ? Remplacé par des épicéas aux aiguilles piquantes qui jonchent rapidement le sol ou pire, par des ersatz de plastique hideux. Que reste-t-il de la magie des fêtes de fin d’année ? » Pour calmer son aigreur, je tentai de le flagorner - « Vous avez raison, beau sapin, Roi des forêts, les traditions se perdent et c’est bien dommage. » Un long silence me montra qu’il n’était pas dupe. Cependant, il reprit dans un soupir : - « Roi, c’est seulement dans les chansons, mais en d’autres cieux, j’aurais pu être Président ! » Comme il devinait ma perplexité, il continua : - « Président : une tradition franc-comtoise qui remonte à la fin du XIXe siècle. Bien vivace cellelà ! Dans chaque commune, les forestiers sélectionnent le Sapin Président. Choisi pour ses dimensions exceptionnelles, il atteint 45, voire 55 mètres. Vénéré et admiré, il devient un lieu de pèlerinage et n’a plus à craindre la tronçonneuse du bûcheron. Seul l’âge, la foudre ou une tempête comme celle de 1999 mettront un terme à sa carrière et un autre Président sera alors élu. » Prudemment, j’avançai : - « Mais… vous ne mesurez pas 45 mètres ! » - « C’est vrai ! Je suis un sapin atypique. J’ai perdu ma cime tout jeune et mes basses branches ont pris le relais, ce qui me donne cette forme si étrange. Mais, vous savez, à partir d’un certain âge les sapins, tout comme les hommes, continuent à s’épaissir mais cessent de grandir. Leur sommet s’aplatit et leur silhouette s’éloigne de celle des sapins de Noël. Cependant, je n’ai pas à rougir devant mes collègues honorés : Le Président-Edgard-Faure de la forêt des Fourgs a certes 400 ans et 42 mètres de haut mais j’ai le même diamètre. Quant au Président de la forêt de la Joux, il a mon âge mais je le dépasse de 50 centimètres en tour de taille. » La tradition du sapin de Noël La tradition de l’arbre de Noël est d’origine païenne. Dès que l’homme a commencé à cultiver la terre, il a suivi attentivement la trajectoire du soleil tout au long de l’année, car c’était de lui que dépendait la nourriture, la chaleur et le bien-être. Les Celtes avaient adopté un calendrier basé sur les cycles lunaires. À chaque mois lunaire était associé un arbre : pour le 24 décembre, ce fut l’épicéa, arbre de l’enfantement, qui fut choisi. Dans le rite païen du solstice d’hiver, un arbre, symbole de vie, était décoré avec des fruits, des fleurs et du blé. Les romains, eux, invoquaient Saturne, dieu des semailles et de l’agriculture, dont le nom vient du verbe latin severe (semer). Sa fête, les saturnales, donnait lieu à des réjouissances du 17 au 24 décembre. Au IVe siècle, pour enrayer ce culte païen, l’Église chrétienne prit une mesure très astucieuse. La fête de la naissance du Christ fut avancée du 6 janvier au 25 décembre. Au XIe siècle, l’arbre de Noël, garni de pommes rouges, symbolisait l’arbre du paradis. C’est au XIIe siècle que la tradition du sapin est apparue en Europe, plus précisément en Alsace où on le mentionne pour la première fois comme “arbre de Noël”. Les décorations étaient composées de pommes, de confiseries et de petits gâteaux. À cette même époque, l’étoile au sommet de l’arbre, symbole de l’étoile de Bethléem, commença à se répandre. Aux XVIIe et XVIIIe siècles apparaissent les premiers sapins illuminés. On utilisait soit des coquilles de noix remplies d’huile à la surface desquelles des mèches flottaient, soit des chandelles souples nouées autour des branches. C’est en 1738 que Marie Leszczynska, épouse de Louis XV, roi de France, aurait installé un sapin de Noël dans le château de Versailles. On trouva par la suite de plus en plus d’arbres de Noël particulièrement en Alsace-Lorraine, où existait déjà la tradition du sapin. En 1837, la duchesse d’Orléans, Hélène de Mecklembourg, d’origine allemande, fit décorer un sapin aux Tuileries. Cette tradition se généralisa après la guerre de 1870 dans tout le pays grâce aux immigrés d’AlsaceLorraine qui firent largement connaître la tradition de l’arbre de Noël aux Français. C’est à cette période que le pays entier adopta cette tradition. Les sapins de Noël proviennent de la forêt (Sapins blancs, épicéas), mais aussi de plantations particulières (par exemple, plantations sous les lignes à haute tension où la hauteur est limitée) ou encore de pépinières spécialisées (épicéas, sapins bleus, etc.). Les arbres qui proviennent de la forêt sont coupés dans les fourrés denses où le nombre d’arbres se réduira de toute façon. Il se vend actuellement en France 6 millions de “sapins” de Noël par an... ... dont 1 million en plastique ! LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007 seconde partie : le sapin 29 Pic épeiche 4. - Voir première partie, Les Cahiers du Mézenc, n°18. 5. - Oreste et Pylade : personnages de la mythologie grecque, amis inséparables allant jusqu’à offrir leur vie l’un pour l’autre. La blessure du Tonton Je compris que j’avais affaire à un arbre exceptionnel et me dis que si les forestiers du coin élisaient aussi leurs présidents, il serait sûrement le Tonton Président. Mais je déchantai vite car avec des regrets dans la voix il ajouta : - « Hélas, en réalité avec mon infirmité, je n’aurais jamais pu être Président. » - « Votre infirmité, quelle infirmité ? » - « Grimpez donc sur la butte et jugez par vous-même. » Je m’exécutai et escaladai le talus pour atteindre le pré dans lequel s’enfonçaient ses puissantes racines. Passant derrière son gigantesque tronc, je compris soudain les inquiétudes de mon ami l’épicéa pour son lointain cousin. Une énorme et profonde blessure venait en entamer l’écorce, mettant le bois à nu. Large d’une soixantaine de centimètres à la base, elle montait en triangle pour s’achever à près de trois mètres du sol. Ses entrailles mises à nu apparaissaient, lacérées, percées de trous, sillonnées de galeries. En son milieu des cratères circulaires de quelques centimètres que j’identifiai immédiatement en voyant s’échapper un pic que j’avais dérangé dans son festin. - « Mais, vous êtes mangé par les vers ! » - « Dévoré, torturé, miné depuis des décennies par la pissode du sapin qui s’obstine à venir pondre ses œufs dans mon écorce et me laisse en pâture à ses larves qui me tourmentent jour et nuit. Je n’en dors plus. Heureusement, mes amis les pics viennent se repaître de ces fichus parasites. Cela fait un peu mal sur le coup mais ça calme mes démangeaisons. » J’essayai d’en savoir plus par curiosité et parce que j’avais promis à mon ami l’épicéa de ramener des nouvelles. - « Et c’est grave ? » - « Pas pour l’instant dans mon cas, même si je ne suis plus très vaillant. Comme tous les arbres, je puise la nourriture du sol par des canaux qui se trouvent dans mon bois récent, encore vivant à l’extérieur de mon tronc. Ensuite, mon feuillage la cuisine à l’aide de sa chlorophylle chauffée au gaz carbonique de l’air(4). Cette divine potion redescend ensuite par des canaux situés juste sous mon écorce. En somme, vous, les hommes, avez des veines et des artères réparties dans toute l’épaisseur de votre corps alors que les nôtres sont à la surface LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007 de notre tronc et de nos branches. C’est pour cela que l’on voit parfois des arbres creux au bois de cœur complètement dévoré par des générations de larves mais encore bien vivants. » - « Alors, je peux rassurer votre ami l’épicéa ? » - « Je l’aime bien mais je l’enterrerai peutêtre. » « Non, voyez-vous, ajouta-t-il. Il est des maladies bien plus graves : celles qui bouchent nos vaisseaux et nous mènent à une mort certaine. Toutes nous sont apportées par des champignons qui nous parasitent sans scrupules, s’attaquant de préférence aux plus faibles d’entre nous, bouchant nos canaux de leur mycélium et nous privant ainsi d’eau et de nourriture. » - « Vous semblez ne pas aimer les champignons ! » - « Loin de moi cette pensée ! Pour vous, les hommes, enfin pour ceux qui ne sont pas savants, il y a les champignons qui se mangent et les autres, les bons et les mauvais. C’est un peu la même chose pour nous. Certains veulent notre peau alors que d’autres nous sont bien utiles. Avec ceux-là, nous sommes comme Oreste et Pylade(5). » Je me souvins alors de ma conversation avec mon ami l’épicéa et de ce mot bizarre qu’il avait prononcé à propos de ses relations avec les champignons. Pour étaler ma science, je lançai : - « Ah oui ! Les micories ! » - « Mais non voyons, les my-co-rhi-zes, mycorhizes ! Ce n’est pourtant pas difficile : rhyzes, racines et myco, champignons, tous ceux que vous ne trouverez jamais dans les prairies mais toujours à nos pieds, accrochés à nos racines. » Il se lança alors dans de longues explications sur ces associations, aussi indispensables, disait-il, que jadis celles des chartreux et de leurs métayers. Et moi, pauvre ignare, j’avais l’impression de me retrouver sur les bancs de l’amphithéâtre, essayant de saisir tout le sens des paroles du docteur ès-mycorhizes qui, du haut de sa chaire, appuyait son discours en gesticulant de ses longues branches. Peu à peu je comprenais pourquoi mon tonton Louis m’amenait chercher dans les bois du Clausel, au-dessus de Lanas, ce qu’il appelait les “champignons de chênes” (Amanita strobiliformis) que l’on ne ramassait nulle part ailleurs, pourquoi 30 Arbre mon ami... - Quelques maladies du sapin Causées par des insectes Pissode du sapin (Pissodes piceae). C’est un coléoptère de 1 cm environ, de la famille des curculionidés (Charençons) dont les femelles déposent les œufs dans des trous qu’elles creusent dans l’écorce de l’arbre affaibli. Les larves se nourrissent du bois en perçant des galeries sinueuses. La ponte a lieu en été et les larves se développent lentement et terminent leur Pissodes piceae Hylobius abietis croissance au printemps suivant. À l’extrémité de leur galerie, elles creusent une chambre nymphale tapissée de copeaux. D’autres charençons créent les mêmes dégats comme le charençon du sapin (Hylobius abietis). Adelges abietis Puceron des conifères (Adelges abietis). C’est un homoptère suceur de sève qui se développe d’abord sur l’épicéa, en créant des galles coniques ressemblant à de petits ananas. Quand elles s’ouvrent, en juin-juillet, les ailés migrants vont infecter mélèzes et sapins en donnant des générations qui ne créent pas de galles. Bien d’autres insectes s’attaquent au sapin créant des dégâts plus ou moins graves. Causées par des champignons Armillaire couleur de miel (Armillaria mellea). Ce redoutable parasite attaque également l’épicéa et le mélèze. Il se développe sur les racines puis son mycélium encercle l’arbre d’un anneau mortel en bouchant ses canaux et en le privant de vivres et d’eau. La maladie se transmet de l’arbre initialement infecté à ses voisins d’où son nom de maladie du rond. Melampsorella caryophyllacearum. Contrairement au précédent, ce n’est pas un champignon “à chapeau” mais une “rouille”. Il est la cause du chaudron du sapin et des balais de sorcières qui sont des malformations qui déprécient le bois. - Le chaudron ou dorge est un renflement nécrosé du tronc dont l’écorce est crevassée ou dont le bois est mis à nu. Lorsqu’un vent fort souffle, c’est à cet endroit que l’arbre se casse. - Plus spectaculaires, les balais de sorcières sont des concentrations de petits rameaux dressés, serrés, à aiguilles petites, épaisses, souvent jaunes, en forme de balai, qui se développent sur les branches du sapin. Lors du cycle de reproduction, les spores passent du balai de sorcière sur une petite fleur des bois, stellaire (Stellaria ssp.) ou céraiste (Cerastium ssp.) sur laquelle ils poursuivent leur développement. Puis, les spores infectent d’autres sapins. Causées par des plantes Gui (Viscum album). Honorée par les Celtes, il attaque le sapin mais aussi une quarantaine d’espèces d’arbres. C’est un hémiparasite dont les suçoirs pénètrent dans le bois des branches et pompent sa sève brute. Par contre, il possède de la chlorophylle et fabrique lui-même sa sève élaborée à partir de ses prélèvements sur l’arbre et du gaz carbonique de l’air. Les oiseaux frugivores qui consomment ses baies le disséminent en souillant d’autres arbres de leurs fientes qui en contiennent les graines collantes. S’il se trouve en trop grand nombre sur un arbre, il peut le faire dépérir. LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007 seconde partie : le sapin 31 6. - Voir DEFIVE (E.) et VIDAL (H.), « Temps et climat du Mézenc », Les Cahiers du Mézenc, n°9, 1997. on ne trouvait jamais de cèpes dans les prairies ou encore pourquoi le nom vernaculaire de nombreux champignons était associé à celui d’un arbre : Bolet des pins (Boletus pinicola), Bolet des charmes (Leccinum griseum), Pholiote du peuplier (Agrocybe aegerita), Clitocybe de l’olivier (Ompha-lotus olearius)… Mais soudain, son discours fut troublé par un lointain roulement qui se répercuta en écho dans le fond de la vallée et un souffle d’air froid vint balayer le pré qui nous surplombait. - « Je ne vous chasse pas, dit le Tonton, mais si vous ne voulez pas vous mouiller, je crois qu’il est grand temps de rentrer. » Le ciel si bleu à mon départ avait pris en peu de temps une sombre teinte plombée chargée de toutes les menaces. Je le remerciai en lui promettant de lui rendre visite à nouveau et de lui apporter des nouvelles de son cousin l’épicéa. Avant de prendre congé, il me dit : - « Si vous remontez par les prés, saluez de ma part mon voisin Fayard… » Il fut interrompu par le fracas assourdissant d’un coup de tonnerre qui suivait de moins de trois secondes la lueur d’un éclair sur les sommets du Taupernas. Bigre, me dis-je en moi-même, l’orage est à moins d’un kilomètre, le vent est au Midi et tu es loin de tout abri sûr. Ce n’est pas le moment de moisir ici. Je mis mon chapeau, repris mon sac, saisis mon bâton et saluant le Tonton de la main, je sautai au bas du talus, franchis rapidement la Veyradeyre. Remontant dans les prés, je piquai à vive allure vers la ferme du Pré des Bœufs, seul refuge proche tout là haut, alors que les premières gouttes commençaient à tomber, épaisses et glacées. Bientôt, sous l’éclat des lumières du ciel déchaîné et dans les fracas assourdissants du tonnerre elles se changèrent en énormes grêlons qui martelaient le sol et m’obligèrent à me protéger la tête sous mon sac à dos tout en courant au jugé en direction de la ferme que je n’arrivais plus à distinguer. Tout était devenu blanc et l’herbe disparaissait sous une couche épaisse de billes de glace qui roulaient en torrents dès que les rides du sol leur en donnaient l’occasion. Transi, trempé, épuisé par cent mètres d’ascension, je réussis enfin à atteindre la route puis la ferme. Elle n’était pas habitée mais la porte d’une petite cave céda sous ma poussée et je m’y réfugiai, attendant la fin du courroux des cieux tout en méditant sur le climat vraiment étrange de ce « pays d’en-haut » que je commençai à découvrir(6). Une demi-heure plus tard, la grêle se transformait en pluie, puis les courroux du ciel s’apaisèrent et il vira au bleu sombre. Un automobiliste complaisant s’arrêta et accepta de me reconduire aux Estables. Dans le vallon, la Veyradeyre était devenue un torrent boueux infranchissable, charriant branches et troncs d’arbres. J’appris plus tard qu’en une demi-heure, la température était tombée de 27 à 13 degrés : nous étions le 3 août 1979. Le Pré des Bœufs LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007 32 Arbre mon ami... - Des résineux aux feuillus Algues bleues Les différences entre feuillus et conifères tiennent au fait que ces deux groupes sont d’origine distincte et ont évolué séparément. La naissance de la vie Les scientifiques s’accordent pour estimer la formation de la Terre à 4,6 milliards d’années. Il faut attendre plus d’un milliard d’années pour qu’apparaissent les premiers êtres vivants : ce sont des bactéries et des algues bleues vivant sous l’eau mais qui pratiquent la photosynthèse. L’arrivée des plantes sur terre L’augmentation de la teneur en oxygène de l’atmosphère, qui en résulte, permet à la vie de s’implanter sur la terre ferme, et il y a 600 millions d’années, au début de l’ère primaire, apparaissent les mousses que nous retrouvons sur le sol de nos forêts et les sphaignes qui, dans la narce de Chaudeyrolles, ont constitué la tourbe utilisée jadis comme combustible. Contrairement aux arbres, elles ne contiennent ni vaisseaux, ni racines, ni fleurs et dépendent totalement de l’eau pour leur reproduction. Les fougères et les prêles Mousses (croix de Peccata) Sphaignes (narce de Chaudeyrolles) Les premières plantes munies d’un appareil vasculaire (ensemble de canaux dans lesquels circule la sève) et de vraies feuilles apparaissent il y a 400 millions d’années, pendant l’ère primaire : ce sont les prêles et les fougères. Elles n’ont pas de fleurs et leur reproduction s’effectue à partir de spores qui germent dans l’eau et non de graines. Cependant, bien avant que les arbres n’apparaissent, les fougères développent ce que l’on peut appeler les premiers troncs. Leur bois primitif leur permet de se dresser et d’atteindre des tailles presque comparables à celles de nos arbres actuels, soit de 20 à 30 mètres. Elles donneront naissance aux “forêts” du Carbonifère qui disparurent voici 250 millions d’années et ont été fossilisées en gisements de charbon, exploités notamment dans le bassin houiller de Saint-Etienne. Ces forêts avaient les pieds dans l’eau et ressemblaient aux mangroves et non à nos futaies actuelles. Il n’en reste plus que quelques fougères arborescentes sous le climat chaud de la Nouvelle-Zélande. On peut en admirer quelques spécimens à Vulcania. Prêles (suc de Montfol) Fougères LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007 seconde partie : le sapin 33 Forêt du Carbonifère Voilà les résineux… Cependant, c’est au Carbonifère, il y a 300 millions d’années, que les premiers arbres apparaissent. Il s’agit des ginkgos et des cycas qui ont formé de vastes forêts jusqu’au Jurassique et dont il ne reste que quelques espèces rares et localisées en Asie. Ils se distinguent des fougères par le fait que : - leurs vaisseaux sont intégrés dans un tissu complexe appelé bois ; - ils produisent des fleurs (les fleurs mâles et les fleurs femelles sont séparées) ; - la graine qui protège leur embryon leur permet de se reproduire à l’écart des lieux humides. On les nomme Gymnospermes (gymno = nu et spermo = graine) car cette graine n’est pas protégée par un fruit. Cette classe s’enrichit, 100 millions d’années plus tard, des conifères dont les graines sont posées sur l’écaille d’un cône. On parle souvent de “résineux” car la plupart produit des résines. Ils colonisent la Terre à la fin de l’ère primaire et atteignent leur apogée au milieu de l’ère secondaire. Il en existe alors près de 20 000 espèces et tous sont des arbres. Fleurs mâles d’épicéa Fleur femelle d’épicéa … puis les feuillus Les Gymnospermes vont alors décliner. Beaucoup disparaissent et au début de l’ère tertiaire, voilà 65 millions d’années, les Angiospermes apparues à la fin du Jurassique se développent alors pour atteindre leur apogée. Ce sont des plantes à fleurs vraies, dont la graine est protégée dans un fruit (angios = interne et spermo = graine). Elles regroupent les arbres dits “feuillus” et l’ensemble des autres plantes à fleurs. Il en existe actuellement quelque 235 000 espèces dont environ 30 000 espèces d’arbres, alors que les conifères, descendants des premiers arbres, ne représentent plus que 600 à 650 espèces. Épicéa Mélèze Pin sylvestre Sapin Pin à crochets LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007 Graines d’épicéa 34 Arbre mon ami... seconde partie : le sapin - Les mycorhizes Les champignons sont des végétaux qui ne possèdent ni tiges, ni feuilles, ni racines, ni vaisseaux conducteurs. Ils sont constitués d’un lacis plus ou moins dense de filaments souterrains, le mycélium (le “blanc” du champignon) qui, pour les espèces supérieures, donne naissance périodiquement (à la période des champignons !) à une partie aérienne fort prisée des ramasseurs et des mycologues en herbe. Comme les arbres, ils puisent leur nourriture dans le sol mais, contrairement à ces derniers, ils ne possèdent pas de chlorophylle et sont incapables de synthétiser les sucres dont ils ont besoin. Pour cette raison, de très nombreux arbres collaborent avec des champignons dans une association d’intérêt réciproque appelée symbiose (qu’il ne faut pas confondre avec le parasitisme dans lequel le champignon exploite l’arbre sans contrepartie). Amanite et son mycélium Dans la symbiose arbre-champignon, ce dernier tisse un manchon de mycélium autour des plus fines radicelles des racines de l’arbre ou y fait pénétrer ce mycélium. Ce système de pontage est appelé mycorhize (du grec mukês : champignon et rhiza : racine) Les filaments du champignon augmentent la surface d’absorption des racines de l’arbre et lui offrent une surface de pompage beaucoup plus grande : il se nourrit mieux et peut capter dans la terre des substances qu’il a du mal à extraire en temps normal, telles l’azote et le phosphore. D’autre part, le champignon synthétise des enzymes et des vitamines ainsi que des antibiotiques qui protègent l’arbre des infections des champignons parasites. C’est ainsi que le lactaire délicieux (Lactarius deliciosus), le petit gris (Tricholoma portentosum) ou encore le bolet des pins (Boletus pinicola) créent des mycorhizes avec les pins et augmentent leur rythme de croissance de 20% environ. Quant au champignon, il prélève sa part de sucre (hydrates de carbone) synthétisé par son associé ligneux. C’est pourquoi, quand on transplante un jeune arbre, il ne faut jamais séparer le système racinaire de sa terre d’origine. Dans les reboisements, il faut stimuler la mycorhisation en épandant des souches pourrissantes de vieux arbres de la même espèce ou des terres et humus forestiers envahis par des champignons symbiotiques. Certaines pépinières créent des mycorhizes sur leurs jeunes plants. L’ensemble des espèces de champignons, levures, moisissures, rouilles, etc. représente 120 à 150 000 espèces dont 5 000 champignons à chapeau. Parmi ces derniers, les deux tiers créent des mycorhizes qui vivent en symbiose avec les racines des arbres. Les mycorhizes sont très abondantes sur les racines de résineux (pins, épicéas…) poussant en terrain pauvre. Parmi les nombreuses mycorhizes, citons les associations : Chêne vert, chêne pubescent, chêne Kermès : truffe du Périgord (Tuber melanosporus) Châtaignier, chêne vert, chêne liège : amanite des césars (Amanita caesare) Épicéa, hêtre : cèpe (Boletus edulis) Épicéa, bouleau, hêtre : amanite tue-mouches (Amanita muscaria) Lactarius deliciosus Hêtre : russule charbonnière (Russula cyanoxantha) Mélèze : bolet élégant (Suillus grevillei) Tricholome portentosum Boletus pinicola LES CAHIERS DU MÉZENC - N° 19 - JUILLET 2007