Al’heure actuelle, aux yeux de la société, les banques
sont à la source de bien des maux. Elles ont créé la
crise financière et l’ont amplifiée. Elles ont pris des
risques inconsidérés. Et il a fallu les sauver avec de
l’argent public, ce qui a coûté cher à tout le monde. Pour em-
pêcher les banques de renouveler ce mauvais scénario, il
faudrait donc, d’une part, leur interdire l’activité d’investissement
pour compte propre et, d’autre part, réduire leur taille. En
effet, si une petite banque tombe en faillite, elle ne déstabilisera
pas tout le système et les pouvoirs publics auront la capacité
de sauver les petits épargnants.
Cette approche, très répandue dans l’opinion, est cependant
caricaturale. Dans bien des cas ce ne sont pas les activités
spéculatives des banques qui ont précipité leur chute, mais les
innombrables crédits hypothécaires qu’elles avaient consentis
à de bien paisibles ménages...
L’exemple des Pays-Bas – pas un pays du Sud, donc ! – est ré-
vélateur. Beaucoup de ménages avaient investi dans l’immobilier
au-delà du raisonnable, poussés par de puissants incitants
fiscaux. Quand, pour des raisons budgétaires, le gouvernement
a réduit ces avantages, nombre d’entre eux n’ont plus pu
honorer leur emprunt. Si la classe moyenne avait surinvesti
dans la brique, c’est parce qu’elle pouvait déduire cet investis-
sement non pas de ses revenus mais de ses impôts. Étranglés
financièrement, trop de vendeurs se sont manifestés en même
temps, ce qui a fortement fait chuter les prix. Le marché im-
mobilier s’est retourné avec une rare violence. La vente, sous
la contrainte, de nombreux biens à prix bradés n’a pu éponger
tous les crédits encore en cours, ce qui a plombé certains
bilans bancaires.
L’exemple de l’Espagne
Ce ne sont donc pas les banques qui ont fait défaut au premier
chef, mais les particuliers et les indépendants qui s’étaient en-
dettés au-delà de leurs possibilités.
En Espagne, on a connu le même phénomène. Certaines
banques avaient prêté à très long terme, parfois jusqu’à 35
ans, car le gouvernement espagnol voulait favoriser l’achat
plutôt que la location. Or, avec un prêt long, la part de capital
remboursée les premières années est très faible. Pour peu que
le marché s’effondre, ce qui est arrivé, la banque qui saisit un
bien immobilier revend un actif qui ne couvre pas le crédit de
départ. Et si un grand nombre d’emprunteurs font défaut,
c’est la banqueroute. Or les banques espagnoles
n’avaient pas reporté le risque sur d’autres
(contrairement aux banques américaines, qui
avaient pratiqué la titrisation). Et ce sont de
toutes petites banques, les caisses locales
(Caixas), qui réalisaient la plupart des petits
crédits hypothécaires et octroyaient des crédits
aux PME et aux collectivités locales, sur la base
de leurs dépôts, qui ont d’abord fait faillite.
Lorsque le marché s’est grippé en Espagne, les
défauts de crédit ont explosé pour les ménages,
mais aussi pour les PME et les collectivités lo-
cales. Celles-ci ont rencontré des difficultés
économiques, amplifiées par la crise immobilière.
Submergées par les trop nombreux défauts,
les caisses locales en faillite ont été, pour l’es-
sentiel, regroupées dans la structure Bankia,
où elles représentaient un besoin d’aide de
plus de 30 milliards d’euros. Soit un véritable
gouffre en comparaison à la plus grande banque,
Santander, qui n’aura sans doute pas besoin
d’aide, car cette grande banque diversifiée sur
le plan international peut compenser ses pertes
en Espagne par ses activités qui ne sont pas
impactées par l’économie espagnole.
Voilà pourquoi il est essentiel de rappeler que,
pour les banques aussi, la diversification reste
la règle en matière de gestion des risques. À
ne pas assimiler à de la spéculation. ||
Par Roland Gillet, professeur de finance à
la Sorbonne (Paris) et à l’ULB (Solvay)
Accusées d’être à la source de la crise financière, les banques sont-
elles aussi responsables qu’on le prétend ? C’est oublier l’influence
des ménages, qui ont été encouragés, par des avantages fiscaux, à
surinvestir dans l’immobilier, rappelle Roland Gillet, professeur de
finance à la Sorbonne (Paris) et à l’ULB (Solvay). Expert reconnu au
niveau international, il nous propose une autre lecture du dossier.
IL NE FAUT PAS
ASSIMILER DIVERSIFICATION
ET SPÉCULATION.
Roland Gillet
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I Activités bancaires I