LETTRE MENSUELLE MARS 2016 N°100 « Eclairer l’actualité économique et financière pour mieux anticiper et maîtriser les risques » La réforme Bâle IV n’aura pas lieu En Europe, les banques sont essentielles au financement de l’économie. Une reprise passe donc par un système bancaire fort, c’est à dire un environnement règlementaire qui se stabilise et des banques qui retrouvent la confiance. Dans le contexte de la vague de régulation qui déferle aujourd’hui sur le secteur financier, le gouverneur de la banque de France, François Villeroy de Galhau déclarait au Sénat cette semaine qu’« Il n'est pas question d'un Bâle IV ». C’est sans doute la première manifestation officielle qu’un point haut réglementaire a été atteint, même si des travaux sont encore prévus jusqu’en 2020. A l’issue de la crise, la sécurisation du secteur financier était nécessaire, particulièrement dans un contexte où, au dire même du SSM, le capital des banques à travers l’Europe était calculé selon « plusieurs milliers de modèles de risque différents ». Cependant, la faiblesse de la croissance et de l’investissement et une période prolongée de taux très bas, voire négatifs, mettent à mal les modèles bancaires classiques en Europe et avec eux l’investissement qui reste encore aujourd’hui 19% en dessous de ce qu’il était en 2007. En Europe, les banques jouent un rôle clé dans le financement de l’économie réelle, sans lequel il n’y aura pas de croissance, et pas d’emploi. Et finalement pas non plus de juste rémunération du risque sous forme de taux d’intérêt ou de « fees », et donc pas de retour des banques dans des zones de profitabilité adéquates selon les termes même de Nicole Nouy. Pour sortir par le haut d’une telle situation, il devient logique que le financement des entreprises fasse l'objet de toutes les attentions. A l’issue de son dernier comité mensuel, la BCE vient ainsi de proposer un nouveau programme de « corporate sector purchase » dans son programme d’achat de titre, ainsi qu’un « LTRO II » ouvrant le refinancement des portefeuilles de prêts bancaires à hauteur de 30% à 4 ans et à des taux fixes pouvant être aujourd’hui aussi attractifs que -0,5%. Cela fait suite à la mise en place, depuis 5 ans, de plans européens (Horizon 2020 for SMEs) et nationaux (BPI en France) d’aide aux PME. Se faisant, la BCE a donc bien ciblé plus particulièrement les entreprises non-financières, ce qui a fait titrer à un grand journal économique : « Les levées de dette d'entreprise battent leur record hebdomadaire grâce à la BCE ». Cependant, lorsque l’on met en perspective ce qui se passe en matière de financement des entreprises, il apparaît clairement que l’Europe (lignes bleues) accumule un retard très important et depuis très longtemps : 800 600 Financement des entreprises non-financières (Variation sur 12 mois -Mrds Euro et Dollar) 400 200 0 -200 -400 -600 US - Prêts bancaires EU - Prêts bancaires US - Instruments de marché EU - Instruments de marché -800 Source: ECB - Fed - Agata Capital Olivier Dyer, CEO : [email protected] : 06 72 18 00 82 Comme le montre le graphique, il existe une très grande différence de part et d’autre de l’atlantique dans la façon dont les entreprises se financent : selon l’AFME, aux Etats-Unis, environ 72% des besoins de financement sont couverts par le marché (encours total de 3300 milliards d’Euros équivalents) et 28% par les banques (1300 milliards). En Europe, les proportions sont à peu près inverses: les marchés financent 17% des besoins des entreprises (1100 milliards) et les banques 83% (5500 milliards). C’est pour l’AFME une des raisons principales de l'indigence de la reprise : les circuits de financement européens sont bancaires et les banques ne vont pas bien. Analysée un peu plus dans le détail, l'Europe reste cependant un patchwork. Plusieurs modèles cohabitent toujours, avec des effets divergents et pas toujours attendus. 1100 Encours de prêts bancaires 1000 (Mrds Euros) 900 800 700 600 France Germany 500 Benelux Spain 400 Italy 300 Source : ECB - Agata Capital En Espagne, l’encours des prêts s’est effondré en parallèle avec l’effondrement de l’investissement. Il est difficile de distinguer ici si le problème vient de l’offre ou de la demande. Il vient certainement d’ excès passés. Dans l’intervalle, les prêts non-performants restent très élevés dans les portefeuilles bancaires, ce qui pèse sur la capacité de l’économie à rebondir. En Allemagne, on constate aussi une baisse sensible des prêts, mais dans une économie qui se porte plutôt bien. L’écart vient sans doute de la structure du tissu bancaire d’un côté, composé d’un très grand nombre de petites banques qui auraient plus souffert de la crise, et du tissu économique de l’autre, composé d’un très grand nombre de moyennes entreprises qui, relativement, font moins appel aux banques. En France enfin, pays des très grandes banques universelles, les prêts ont continué à progresser sans cesse, même si c’est à un rythme plus ralenti. Et pourtant, la situation économique y reste mauvaise, avec un taux de chômage toujours très élevé: le goulot d’étranglement se situe sans doute plutôt du côté de la demande des entreprises et en particulier des plus petites d’entre elles, malgré des programmes d’aides publiques importants. La stabilisation de l’environnement règlementaire est très certainement une bonne nouvelle pour l’économie européenne et pour son secteur financier. Il reste cependant aux banques à questionner sans cesse leur « business modèle » et à retrouver des marges dans un environnement de faible croissance, de faible investissement et de taux négatifs. Et il reste aux Etats à simplifier la réglementation sociale ou fiscale dans une économie mondialisée. Page Page11