Le traitement du vitiligo – interview du Prof. Braathen

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La Peau Surtout: Prof. Braathen, vous vous
occupez depuis longtemps de la recherche et
du traitement de maladies de peau. La ma-
nière dont le vitiligo ou d’autres maladies
de peau sont perçues dans la société a-t-elle
changé?
Oui, j’ai le sentiment que le public est
plus ouvert face aux maladies de peau en
général. Mais j’entends toujours de
tristes histoires, comme celle d’une
femme atteinte de vitiligo qui fêtait ses
30 ans de mariage dans un restaurant
chic avec son mari. Pendant le repas, elle
a entendu la femme de la table voisine
dire que c’était une honte de laisser man-
ger une femme avec des mains pareilles
dans un restaurant de cette classe. Ce
genre de remarque est terriblement bles-
sant et fait preuve d’un navrant manque
de culture! Et nous voilà déjà dans le vif
du sujet: pourquoi la personne atteinte
de vitiligo va-t-elle chez le docteur?
Parce qu’elle a un problème, et qu’elle ne
s’en sort pas avec son problème de peau.
Le vitiligo est-il difficile à diagnostiquer?
Toutes les taches claires ne sont pas for-
cément du vitiligo. Elles peuvent être
dues à une hypopigmentation après une
blessure, à une marque de naissance
Le traitement du vitiligo
interview du Prof. Braathen
CHRISTA INGLIN | Le Prof. Lasse Roger Braathen est médecin spécialiste en
dermatologie, allergologie et immunologie clinique. Après avoir occupé durant
près de vingt ans le poste de médecin-chef de dermatologie à la clinique uni-
versitaire de Berne, hôpital de l’Île, il soigne aujourd’hui ses patients dans son
cabinet, à Ittigen près de Berne.
Le Prof. Braathen est membre du Conseil scientifique de la Société suisse du
psoriasis et du vitiligo.
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blanche ou simplement à une variation
de la pigmentation. Dans le dernier cas,
il faut attendre de voir si la tache se mo-
difie, puis retourner chez le docteur.
Dans mes consultations, je précise que
ce diagnostic est celui qui me semble le
plus probable pour le moment, et que je
suis toujours prêt à le réviser le cas
échéant. Je fais ainsi savoir aux patients
que je les prends au sérieux et qu’ils
peuvent revenir quand il le désirent.
Le traitement dépend-il de la gravité du
vitiligo? Quels sont les critères qui décident
du genre de traitement à appliquer?
Quand ce sont les doigts qui sont dépi-
gmentés, il n’est quasiment pas possible
d’obtenir une repigmentation, alors que
les taches situées sur le visage peuvent
souvent retrouver leur pigmentation
d’origine.
La première question
qui se pose en cas de
vitiligo diagnostiqué est
toujours: le vitiligo est-
il en progression? De-
puis combien de temps? La dépigmenta-
tion est-elle rapide? On décide du
traitement à partir de ces critères.
Le but premier est toujours de stopper
l’extension du vitiligo. Le second objec-
tif, secondaire, est la guérison.
Quand le vitiligo progresse très rapide-
ment, je prescris un «traitement de
choc» à base de comprimés de corticos-
téroïdes, la plupart du temps avec la
substance active Prednisone, combinés
avec un traitement local à base de crèmes
ou de pommades, Ensuite, ou parallèle-
ment, on fait un traitement à long terme
avec des rayons UV pour repigmenter.
Que demandent les patients?
La plupart désirent un traitement. Le vi-
tiligo se traite la plupart du temps par
luminothérapie sur des années. En outre,
la guérison n’est pas assurée. 75% des
personnes soignées constatent une repig-
mentation, mais seulement 20% d’entre
eux retrouvent une pigmentation com-
plète. Après le traitement, trois quarts
des patients rechutent: le vitiligo réap-
paraît.
C’est la raison pour laquelle je n’arrête
jamais un traitement. Je ne fais qu’en
diminuer l’intensité, en
passant de deux à trois
fois par semaine à une
fois par semaine ou tous
les 10 jours.
Est-ce que la limite maximale d’exposition
aux UV d’un patient atteint de vitiligo n’est
pas épuisée au bout d’un moment?
C’est vrai, la luminothérapie éprouve la
peau. C’est pourquoi je recommande à
mes patients de prendre par exemple un
vieux training et de découper les parties
où ils ont des taches dépigmentées. On
s’assure ainsi que la lumière n’arrive que
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Le vitiligo se traite
la plupart du temps
par luminothérapie sur
des années.
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sur les endroits atteints. C’est un truc
tout simple, mais qu’on ne trouve mal-
heureusement dans aucun écrit!
Il est important de se rappeler que pour
une repigmentation il n’est pas néces-
saire d’avoir une haute dose de rayons
UV, mais qu’il s’agit plutôt de stimuler
régulièrement les mélanocytes.
Mais pour la luminothérapie, il y a finale-
ment tout de même une dose limite totale.
Lors de la consultation, j’explique aux
patients que le traitement aux UV vieillit
la peau et que cela augmente le risque
d’apparition du cancer de la peau. Ils re-
çoivent ainsi mon avis médical, ce qui leur
permet de décider en toute connaissance
de cause s’ils veulent se lancer dans un
traitement aux UV, aussi longtemps que
cela leur permet d’obtenir une repigmen-
tation. Actuellement, beaucoup de pa-
tients sont bien informés grâce à Internet.
A part ce traitement aux UV sur tout le
corps, il existe aussi une luminothérapie
locale. Qu’en pensez-vous?
Il s’agit là de traitements avec de petits
appareils à bande étroite de 311 nm ou
de lasers Eximer à 308 nm. Le traitement
au laser Eximer n’est pas meilleur que
celui à bande étroite UVB de 311 nm,
comme je l’ai déjà expliqué auparavant.
Le laser Eximer travaille avec une énergie
plus élevée et est très cher. En outre, le
traitement ponctuel prend beaucoup de
temps.
Comment et où pratique-t-on la luminothé-
rapie conventionnelle aux UV?
Quand un de mes patients a décidé de
suivre un tel traitement, je lui rédige un
plan de traitement. Le patient peut l’ef-
fectuer ensuite dans un cabinet près de
chez lui ou de son lieu de travail. Mais
on ne saura qu’après trois à six mois si
le patient répond à la thérapie et qu’une
repigmentation a lieu. S’il ne s’est rien
passé après six mois, on arrête.
Quand la peau répond à la luminothéra-
pie, je recommande l’achat d’une cabine
à UV. Mais l’achat n’est pas remboursé
par les caisses-maladies, alors que les
frais d’une luminothérapie effectuée par
un médecin le sont. Mais si on compte
le temps et les trajets qu’on s’évite en se
soignant à domicile, souvent l’acquisi-
tion en vaut la peine.
J’ai beaucoup de patients qui ont leur
propre cabine. On trouve des appareils
de deuxième main ou de petits appareils
déjà pour quelques centaines de francs,
et ils ne sont pas tellement encombrants.
On entend souvent parler de repigmentation
spontanée. Avez-vous déjà constaté vous-
même des cas de ce genre?
J’ai observé des cas de repigmentation
spontanée totale extrêmement rarement.
Les repigmentations partielles arrivent
souvent chez des personnes qui avaient
été au Sud, où ils avaient été beaucoup
exposés au soleil. Mais après quelque
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temps, la dépigmentation réapparaît.
C’est une histoire standard que je
constate souvent.
Donc, d’un côté le soleil aide à repigmenter,
et de l’autre les personnes atteintes de viti-
ligo doivent faire particulièrement attention
à bien se protéger du soleil. Comment font-
ils pour gérer cette contradiction?
C’est toujours une question de dosage!
Le soleil brûle. En cas de vitiligo, les
taches blanches rou-
gissent beaucoup plus
vite, elles attrapent plus
vite un coup de soleil.
Les personnes atteintes de vitiligo
doivent donc être prudentes et bien se
protéger. Certes, sur les taches blanches,
il n’y a quasiment pas à craindre de mé-
lanome, mais le risque de cancer blanc
de la peau reste. Cette sorte de cancer est
facile à soigner, mais il vaut mieux l’évi-
ter.
En Allemagne, on trouve une crème solaire
à indice de protection solaire (IP) 80. Est-ce
qu’il faut vraiment un tel indice pour les
personnes atteintes de vitiligo?
Je vous retourne la question: à quoi sert
un indice 80? Il faut réfléchir un peu! Un
IP de 50 veut dire qu’on peut rester 50
fois plus longtemps au soleil que sans
protection. Donc, s’il vous faut 20 mi-
nutes de soleil pour attraper un coup de
soleil, vous pouvez rester 50 fois plus
longtemps au soleil, donc 16h 40, avant
de brûler!
Ce qui est bien plus important que la
hauteur de l’IP, c’est l’épaisseur de la
couche de crème, et le fait de se rappeler
que la protection peut disparaître en
contact avec l’eau ou par la transpiration.
Il ne faut en outre pas oublier que nous
avons besoin de soleil pour produire de
la vitamine D. Le soleil n’est donc pas
que mauvais! Comme toujours, c’est une
question de mesure.
Et pour revenir à votre
question sur l’IP 80:
j’estime qu’un indice de
protection normal, comme on en trouve
en Suisse, suffit amplement.
Quel est le rapport entre la luminothérapie
et la lumière du soleil?
Si vous suivez un traitement aux UV à
faible dose durant l’hiver, la dose cumu-
lative à la fin de l’hiver est plus faible que
celle de toute une journée d’été passée
au bord du lac en plein soleil!
Que pensez-vous des transplantations de
peau pour traiter le vitiligo?
Il existe de nombreuses techniques de
transplantation, dont certaines ont de
bons résultats. La condition préalable est
toujours que le vitiligo du patient ne
doit pas avoir changé durant au mini-
mum une année avant la transplanta-
tion.
Comme toujours, c’est
une question de mesure.
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Pour de nombreuses maladies de peau, on
suppose ou on constate un lien entre le mode
d’alimentation et la peau. Y en a-t-il un
aussi pour le vitiligo?
Il n’y a pas d’indication claire sur un lien
direct entre l’alimentation et le vitiligo.
Mais il est aussi connu que la flore de la
peau et de l’intestin joue un bien plus
grand rôle dans les maladies de peau que
ce que l’on pensait
jusqu’à présent. La re-
cherche sur le micro-
biome (les bactéries de
l’intestin et de la peau)
constitue donc un do
-
maine de recherche intéressant qui re-
cèle un grand potentiel.
Quelle est l’importance de la charge psycho-
logique représentée par le vitiligo pour ceux
qui en souffrent? Est-ce un sujet qu’on
aborde dans vos consultations?
Le fardeau psychologique que constitue
cette maladie est très différent suivant les
individus. Mais c’est toujours la raison
qui pousse un patient à me consulter
pour un traitement. Durant l’entretien,
je détecte s’il en souffre et à quelle inten-
sité. J’explique toujours au patient ce
qu’est la maladie et quelles sont les op-
tions de traitement. En général, les pa-
tients y voient de l’espoir.
Parmi les devoirs du médecin, il y a celui
«d’être médecin» – ce qui n’est visible-
ment pas toujours le cas. Je veux dire par
là que les patients désirent être considé-
rés comme des êtres humains et se sentir
pris au sérieux.
Vous attendez-vous à ce qu’il y ait un jour
un traitement avec des médicaments biolo-
giques pour le vitiligo également?
Cela a déjà fait l’objet de recherches,
mais les résultats n’ont pas été particu-
lièrement encoura-
geants. En outre, les
médicaments biolo-
giques s’attaquent au
système immunitaire,
ce qui signifie que le
système de défense tout entier se verra
atténué.
Le Guidelines Committee des European
Dermatology Forum est aussi arrivé à la
conclusion que pour le vitiligo les médi-
caments biologiques ne sont pas une so-
lution pour le moment, quand on consi-
dère les effets secondaires potentiels de
ces substances. En outre, un tel traite-
ment coûterait très cher.
Quel est votre opinion sur le traitement du
vitiligo, et quels sont à votre avis les diffi-
cultés inhérentes à ces traitements?
Le traitement de base du vitiligo n’a pas
beaucoup changé durant ces 20 der-
nières années. On administre toujours
des corticostéroïdes, des antioxydants et
des compléments vitaminés par voie
orale, des crèmes et des pommades à
Le traitement de base
du vitiligo n’a pas beau-
coup changé durant ces
20 dernières années.
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