Cas clinique Cas clinique Un accident à traiter sans attendre Don’t wait to treat this side effect J.M. Kuhn* M lle E.B., âgée de 11 ans, n’a aucun antécédent personnel particulier et ne suit aucun traitement. Sa mère, en revanche, a été traitée pour une maladie de Basedow plusieurs années auparavant. Elle a constaté chez sa fille l’apparition d’un discret tremblement, d’une certaine stagnation pondérale contrastant avec une croissance staturale rapide, et l’existence d’une hypertrophie thyroïdienne d’apparition récente. Fort logiquement, la mère de Mlle E.B. souhaite disposer d’un avis spécialisé en endocrinologie. La jeune patiente ne se plaint d’aucun symptôme particulier. Il n’y a ni asthénie, ni sensation de palpitation, ni trouble du transit. Elle pèse 38 kg pour 1,54 m. La palpation cervicale retrouve une hypertrophie thyroïdienne diffuse modérée. L’examen ophtalmologique est normal. La TSH est à 0,006 mU/ml (N 0,1-4,5) et le taux de T4 libre à 66 pmol/l (N 10-23). La recherche de la présence d’anticorps stimulant la thyroïde (TBII) est positive, avec un titre à 10 U/ml (N < 1,5). Mlle E.B. a donc une hyperthyroïdie sous-tendue par une maladie de Basedow, qui s’inscrit dans le cadre des formes familiales. Dans son cas précis, il s’agit très vrai* Service d’endocrinologie et maladies métaboliques, CHU Rouen. semblablement de la première manifestation d’une polyendocrinopathie auto-immune de type II. Sa mère, qui a développé une maladie de Basedow au même âge que sa fille, a vu apparaître, à l’âge adulte, une maladie de Biermer (tableau I). Dès le diagnostic fait, et après contrôle de la numération formule sanguine, un traitement médical classique de maladie de Basedow est instauré : antithyroïdien de synthèse, -bloquant, anxiolytique. La situation clinique s’améliore rapidement et la patiente reprend une dizaine de kilos dans un délai de trois mois. Dans l’intervalle, la tolérance clinique et biologique du traitement par Néo-Mercazole® (40 mg/j) et aténolol (100 mg/j) est excellente. Au quatrième mois de la thérapie, la jeune patiente se plaint d’une dysphagie rattachée à une angine. La température atteint 39,5 °C. L’examen cervical retrouve des adénopathies sous-mentonnières et jugulo-carotidiennes bilatérales sensibles. L’examen ORL confirme l’existence d’une angine érythémato-pultacée bilatérale. À part une tachycardie à 110 pulsations/mn, le reste de l’examen clinique est sans particularité. Un prélèvement local sera effectué pour analyse bactériologique. La numération formule sanguine immédiatement réalisée retrouve Tableau. Poly-endocrinopathies auto-immunes. Symptômes majeurs Symptômes fréquents Symptômes possibles 140 TYPE I Hypoparathyroïdie Insuffisance surrénale Candidose Dystrophie échoclinique Malabsorption Alopécie Anémie de Biermer (adolescent) Thyroïdite Vitiligo Hypophysite Diabète de type 1 Syndrome de Sjögren Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005 TYPE II Insuffisance surrénale Dysthyroïdie auto-immune Diabète de type I TYPE III Thyroïdite Diabète de type 1 Anémie de Biermer Vitiligo Hypogonadisme Vitiligo Alopécie Anémie de Biermer (adulte) Myasthénie Maladie cœliaque Polyarthrite rhumatoïde Syndrome de Sjögren Hypogonadisme Alopécie (adulte) Myasthénie Maladie cœliaque Polyarthrite rhumatoïde Syndrome de Sjögren un effondrement du nombre des polynucléaires (0,4 G/l [soit 400/mm3]) sans anomalie associée des lignées érythrocytaire ou mégacariocytaire. Mlle E.B. est victime d’un effet secondaire, rare mais grave, des antithyroïdiens de synthèse : l’agranulocytose, qui s’est exprimée brutalement sous la forme d’une infection ORL. L’attitude pratique adoptée en urgence a consisté : – en l’arrêt immédiat de la prise de Néo-Mercazole® ; – en l’hospitalisation en milieu stérile spécialisé ; – en l’administration d’une antibiothérapie à large spectre adaptée à la situation infectieuse ; – en l’administration d’un facteur de croissance (GMCSF) destiné à accélérer la “repousse” de la lignée leucocytaire granuleuse. L’apyrexie et la stérilisation du foyer infectieux sont obtenues en quelques jours, et la réascension du nombre de polynucléaires neutrophiles à un chiffre supérieur à 2 G/l (soit 2 000/mm3) autorise la sortie de la jeune malade du milieu hospitalier. Si le problème de l’accident hématologique est réglé, demeure celui de l’hyperthyroïdie. L’option est donc prise de ne pas utiliser un antithyroïdien de synthèse d’une autre famille chimique (même si, en théorie, les réactions immuno-allergiques croisées entre le Néo-Mercazole® et les thiouraciles sont rarissimes), mais de mettre en route un traitement par Lugol fort et d’envisager rapidement de réaliser une intervention chirurgicale destinée à mettre la patiente à l’abri de toute récidive ultérieure de l’hyperthyroïdie. Un mois après l’instauration du traitement par la solution iodo-iodurée, une thyroïdectomie totale est réalisée. En peropératoire, les nerfs récurrents sont parfaitement repérés et les parathyroïdes identifiées et laissées en place. Les suites opératoires seront marquées par la survenue de paresthésies péribuccales et des extrémités, puis d’accès tétaniques. Vingt-quatre heures après l’intervention, la calcémie est à 1,6 mmol/l, ce qui explique aisément la symptomatologie observée. La prise en charge sera donc celle d’une hypocalcémie révélée par une symptomatologie aiguë. L’introduction d’une supplémentation par vitamine D (Un-Alfa® 3 g par jour) et calcium permettra un retour rapide de la calcémie à la normale et l’obtention de la disparition des symptômes. La survenue d’une hypoparathyroïdie transitoire est quasi constante après réalisation d’une thyroïdectomie totale. Elle n’est pas liée à l’habileté chirurgicale, mais à la libération au cours de l’intervention de substances vasoconstrictrices (endothéline) responsables d’une hypoxie plus ou moins profonde des parathyroïdes. Dans une grande majorité des cas, cette hypoparathyroïdie disparaît spontanément. Nombre d’équipes chirurgicales préfèrent néanmoins en prévenir l’apparition par l’administration systématique d’une supplémentation en Un-Alfa® pendant les quelques semaines qui suivent le geste chirurgical. Dans le cas de Mlle E.B., en dépit de la qualité du geste chirurgical, cette hypoparathyroïdie s’avérera définitive. Elle justifiera la poursuite du traitement par Un-Alfa® (2 g/j) en association avec la substitution en hormone thyroïdienne compensant l’hypothyroïdie post-chirurgicale. Trois ans après avoir vécu ces deux épisodes d’urgence endocrinologique (agranulocytose induite par le Néo-Mercazole® et hypoparathyroïdie aiguë), Mlle E.B. va parfaitement bien et n’a développé aucune autre atteinte glandulaire s’inscrivant dans le cadre d’une polyendocrinopathie auto-immune de type II. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005 Cas clinique Cas clinique 141