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Culture et peau
Retentissement psychosocial du vitiligo
et des autres dépigmentations cutanées
Psychosocial effects of vitiligo and other hypomelanotic skin disorders
N. Kluger
(Service de dermatologie, hôpital Saint-Éloi, CHU de Montpellier)
Vitiligo • Hypopigmentation • Psychologie • Image corporelle.
Vitiligo • Hypopigmentation • Psychology • Body image.
L
a peau joue un rôle essentiel dans nos rapports
avec l’extérieur, tout particulièrement
dans nos relations avec l’autre,
dans la structuration de notre psychisme
et dans la genèse des comportements
psychopathologiques (1). La peau détermine
notre apparence. Cette dernière est devenue
fondamentale de nos jours dans une société
où les critères de beauté, véhiculés par la mode
et les médias, incluent, entre autres,
une carnation parfaite. Elle influence considérablement
la perception de notre image par les autres,
notre communication sociale et notre sexualité (2).
Au-delà de l’inconfort physique et de la gêne occasionnés par
certaines dermatoses chroniques, celles-ci peuvent influer
directement sur la vie personnelle et sociale d’un individu :
émotions négatives (honte, embarras, anxiété), perte de
confiance en soi, sentiment d’infériorité, de discrimination,
de stigmatisation, etc. Par ailleurs, les facteurs psychologiques
peuvent être en soi des facteurs déclencheurs ou aggravants
de poussées de la maladie à travers des mécanismes psychosomatiques entraînant un véritable cercle vicieux (3).
publications sur le retentissement psychique et social concerne
le vitiligo. Néanmoins, par extension, toutes les autres hypomélanoses, comme l’albinisme oculocutané ou le rare syndrome
de Vogt-Koyanagi-Harada, peuvent être à l’origine de conséquences similaires.
Le contexte socioculturel dans les pays en voie de développement et les variations ethniques doivent également être pris en
compte dans les effets psychosociaux des dermatoses dépigmentantes, les lésions étant plus visibles sur une peau foncée
et les conséquences parfois catastrophiques (5).
Retentissement émotionnel du vitiligo
Le retentissement émotionnel et les conséquences sociales
du vitiligo ont été rapportés dès la fin des années 1970. Près
des deux tiers des personnes concernées déclarent se sentir
“embarrassées”, et beaucoup sont inquiètes. L’extension et
les zones atteintes conditionnent les choix vestimentaires des
patients. Certains utilisent des cosmétiques couvrants pour
masquer les lésions. Un sentiment de stigmatisation, avec
une sensation d’être “regardé”, est noté par les patients, qui
se sentent moins à l’aise quand ils rencontrent des inconnus.
Par ailleurs, 20 % ont fait l’objet de réflexions grossières et
certains ont été confrontés à une discrimination au travail
(6-9). L’atteinte des zones exposées (visage, mains, cou) a un
retentissement plus sévère (figure 1).
Les dépigmentations cutanées, le vitiligo en premier, ne font
pas exception à cette règle. Le vitiligo touche près de 1 % de la
population générale et constitue l’une des principales causes
de défiguration (4). Les dyschromies cutanées ne sont pas des
maladies mortelles, mais elles peuvent s’accompagner d’un
retentissement physique important (photosensibilité, carcinogenèse cutanée). En revanche, elles sont souvent considérées
par le corps médical comme un problème essentiellement
cosmétique. Pourtant, l’impact des hypomélanoses sur le bienêtre psychique et social ne doit pas être négligé.
Il n’existe pas d’instrument spécifique pour mesurer l’impact
du vitiligo sur la qualité de vie. Le dermatology life quality
index (DLQI) et le general health questionnaire (GHQ) sont
les questionnaires le plus souvent utilisés. Les résultats des
études ne sont néanmoins pas toujours similaires. Ainsi,
certaines ont montré un retentissement sur la qualité de vie
plus important chez les femmes que chez les hommes, tandis
que d’autres études n’ont retrouvé aucune différence (10). Le
vitiligo généralisé aurait un retentissement plus important
dans les populations à peau foncée, celle-ci rendant le vitiligo
encore plus visible (10). Le soutien des autres membres de la
famille affectés par la maladie ou en ayant déjà une certaine
connaissance peut avoir en revanche un effet bénéfique.
Les conséquences des troubles pigmentaires sur la qualité de
vie ont été relativement peu étudiées (5). Une grande partie des
Le vitiligo a un impact négatif sur la sexualité, principalement
attribué à l’embarras du sujet vis-à-vis de l’autre. Certaines
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de ce handicap physique. Cela s’observe au sein des groupes
cités précédemment. De plus, en comparaison des patients
qui présentent un psoriasis, ceux qui présentent un vitiligo ont
un meilleur ajustement et de ce fait une meilleure intégration
sociale (13).
Plus récemment, deux stratégies ont été identifiées sur une
toute petite série de 7 patientes atteintes de vitiligo. Ces stratégies peuvent varier dans le temps, selon le contexte et les
événements intercurrents (14).
La stratégie comportementale (behavioural strategy) est
marquée par l’évitement, ce qui a un effet bénéfique à court
terme, mais qui peut conduire à une limitation des activités.
Figure 1. Vitiligo des extrémités chez une patiente caucasienne : les
mains et le visage sont considérés comme une zone à fort risque de
retentissement psychologique.
études montrent l’importance du retentissement sur la sexualité des patients, notamment pour les femmes et ceux ayant
une faible estime de soi (11, 12).
Enfin, notons que le vitiligo a moins de conséquences que le
psoriasis sur le choix de l’habillement, les relations sociales
et la discrimination au travail (13).
Stratégies d’adaptation (9)
Vivre avec une dermatose chronique implique toute une série
de mesures d’adaptation pour rééquilibrer sa vie. Il s’agit du
coping (littéralement “ajustement”) [figure 7].
J.R. Porter et al. (13) ont ainsi défini 3 stratégies d’adaptation
sur une série de patients :
– la maîtrise active (active mastery, 20 % des sujets) : les
patients sont conscients de leur maladie et essayent de la
comprendre, et ainsi vivent mieux au quotidien.
– l’acceptation passive (passive acceptance, 40 % des sujets) :
les patients acceptent leur maladie, mais l’ignorent totalement. Ces sujets ne sont pas particulièrement gênés par leur
maladie et de ce fait ne la cachent pas spécifiquement (vêtements, maquillage) ;
– l’absence d’adaptation (poor adjustment, 40 % des sujets) : les
patients n’arrivent pas à se faire à leur maladie, à l’accepter,
si bien qu’il s’ensuit de nombreuses manœuvres de protection
(retrait de la vie sociale, nombreux efforts de camouflage) et
un retentissement psychique important.
Ces mesures d’adaptation sont directement corrélées au niveau
d’estime de soi. Cette dernière est importante dans la gestion
du vitiligo par le patient. Il est clair que les personnes avec
une estime de soi importante sont plus aptes à gérer les effets
La stratégie cognitive (cognitive strategy) vise à modifier la
manière dont les patients eux-mêmes perçoivent le fait qu’ils
sont différents et leur interprétation du comportement des
autres. Cette dernière aboutit à une acceptation de la différence
à long terme, mais au prix d’un travail quotidien.
Enfin, le rôle de l’autre est également non négligeable. En effet,
la discrimination et la stigmatisation perçues ont un effet direct
sur l’ajustement (9).
Affections psychiatriques (5, 9)
De nombreuses études ont porté sur la prévalence des affections psychiatriques chez les patients atteints de vitiligo. Elle
varierait entre 35 et 67 %. Les symptômes et les diagnostics psychiatriques sont variés et comprennent : dépression,
dysthymie, épisodes dépressifs, troubles du sommeil, pensées
suicidaires, voire passage à l’acte, anxiété, etc. Cette comorbidité n’est pas strictement corrélée à la sévérité ni à l’extension
de la maladie.
Patient et médecin
L’évolution du vitiligo est imprévisible. L’absence d’étiologie
claire et de traitement efficace maintient ainsi le patient dans
un état de stress et de crainte quant à l’aggravation de la
maladie, ce qui crée un besoin d’information et de réassurance
auquel le médecin doit répondre. Cette démarche s’inscrit dans
la prise en charge thérapeutique. Or, les patients trouvent qu’ils
sont souvent peu informés sur les causes, l’évolution et les traitements possibles du vitiligo (6, 7), et perçoivent le plus souvent
les médecins comme insensibles à leur détresse. Soutenir le
patient et lui donner de la réassurance sont pourtant indispensables pour son adaptation. De plus, un soutien social permet
au patient de développer des stratégies pour lui faire accepter
sa différence. Enfin, certains patients pourraient tirer bénéfice
d’une psychothérapie de soutien, de thérapies cognitives et
comportementales ainsi que de traitements psychotropes à
faibles doses (15).
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Il n’existe à ce jour aucun traitement curatif du vitiligo. La prise en
charge a actuellement pour but d’induire une repigmentation ou
une dépigmentation totale ou de camoufler les lésions existantes.
Bien souvent, le dermatologue considère comme faible le bénéfice
thérapeutique attendu des traitements actuellement disponibles
(vitamine D, tacrolimus en topique, photothérapie) et ne propose
aucune thérapeutique. Pourtant, la mise en route d’un traitement
est essentielle dans le soutien psychologique du patient. En effet,
près de 60 % des patients traités trouvent le traitement partiellement efficace et utile (16). Ainsi, contrairement à la pratique habituelle, un traitement devrait être instauré aussi tôt que possible,
quelles que soient la localisation et l’étendue des lésions, surtout
en cas d’atteinte d’un site “chargé émotionnellement” (visage, cou,
mains). Une information adéquate sur le traitement et le pronostic
est importante pour motiver le patient et améliorer la compliance.
Par ailleurs, toute intervention permettant de réduire la visibilité ou l’extension des lésions a un effet positif sur le psychisme
(camouflage cosmétique, greffes de cellules autologues).
Dépigmentation sur peau pigmentée
Si, dans nos sociétés occidentales, l’impact du regard de l’autre
est considérable pour un grand nombre de patients à carnation
claire, il n’est probablement pas comparable avec le retentissement de la dépigmentation dans les populations à peau
foncée comme au Moyen-Orient, en Inde ou en Afrique (17)
[figures 2, 3, 4 et 5].
À titre d’exemple, en Inde, Nehru avait fait du vitiligo l’un des
trois problèmes médicaux majeurs avec la lèpre et le paludisme et S.K. Mattoo et al. retrouvaient près de 25 % de troubles
psychiatriques sur un groupe de 113 patients indiens présentant un vitiligo (17).
Les conséquences peuvent être catastrophiques chez les
femmes, puisque la survenue d’un vitiligo après le mariage
peut être une cause de divorce (12).
Les résultats de différentes études sont sensiblement proches
de ceux des études occidentales quant à l’altération de la
qualité de vie : embarras, adaptation de l’habillement, gêne
dans les études ou au travail, modification des activités sportives, perturbation de la sexualité, etc.
Enfin, l’albinisme constitue un problème de santé publique en
Afrique (18). Aux conséquences physiques s’ajoute une discrimination sociale importante des albinos. Elle est principalement
liée à la méconnaissance des causes de cette génodermatose.
La croyance populaire impute l’albinisme à une conception
durant la période menstruelle ou à une punition divine due aux
fautes d’un ancêtre. Pour ces mêmes raisons, les membres de
la famille peuvent aussi souffrir de cette discrimination. Enfin,
ces individus ont plus difficilement accès à la scolarisation,
quittent l’école plus tôt et ont des difficultés à trouver un travail
ou à construire des relations sociales et personnelles.
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Figures 2, 3. Vitiligo chez une patiente iranienne : les femmes sont
les principales victimes de cette maladie au Moyen-Orient et en Inde.
Un vitiligo survenant après le mariage peut entraîner des problèmes
maritaux allant jusqu’au divorce (collection du Dr Borimnejad, Iran
University of Medical Sciences, Téhéran, Iran).
Figure 4. Vitiligo chez une patiente iranienne (collection du Dr Firooz,
Iran University of Medical Sciences, Téhéran, Iran).
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Figure 6. Coude d’une patiente iranienne (collection du Dr Firooz,
Iran University of Medical Sciences, Téhéran, Iran).
Figure 5. Vitiligo génital chez un homme d’origine maghrébine.
Jusqu’à peu, cette dernière (figure 7) présentait un retentissement psychologique et une “absence d’adaptation” : gêne liée
au regard des autres, restriction des loisirs (jamais en maillot
de bain l’été), camouflage et des conséquences catastrophiques
dans les relations intimes. Depuis, elle a décidé de ne plus
se préoccuper du regard des autres et de ne plus cacher ses
lésions (“maîtrise active”).
Conclusion
Il existe un stress considérable et une comorbidité psychiatrique potentielle liés au vitiligo et aux autres hypomélanoses.
Les dermatologues doivent connaître les conséquences
psychosociales et psychiatriques de ces maladies. Demander
au patient “Comment le vitiligo affecte-t-il votre vie quotidienne ?” est une question simple qui permet d’évaluer le
stress psychologique, facteur prédictif de pathologies psychiatriques. Une interaction empathique patient-médecin, une
information claire sur la maladie et adaptée au patient, un
soutien social ainsi qu’une psychothérapie sont efficaces pour
aider le patient à vivre avec sa maladie. Enfin, un traitement
dermatologique devrait toujours être proposé, même si une
efficacité totale n’est pas attendue.
II
Retrouvez les références bibliographiques sur Internet
www.edimark.fr
Figure 7. Lésion de piébaldisme chez une femme âgée de 40 ans.
Jusqu’à récemment, cette patiente présentait un retentissement
psychologique et une “absence d’adaptation” : gêne liée au regard des
autres, restriction des loisirs (jamais en maillot de bain l’été), camouflage ; les conséquences étaient catastrophiques dans les relations
intimes. Depuis, elle a décidé de ne plus se préoccuper du regard des
autres et de ne plus cacher ses lésions (“maîtrise active”).
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