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La nouvelle étape de la révolution technologique que nous vivons consiste à décomposer la réalité
en data, et à transformer ces data pour recomposer un réel : le virtu-réel.
Comment faire entrer la réalité dans les données ? Comment recréer le réel à partir des données ?
Comment introduire les données dans le réel ? Comment réussir cette hybridation du virtu-réel ?
La modélisation de l’espace, du corps, des comportements est au cœur de cette révolution, les data
devenant la monnaie de cette nouvelle société, de cette Babylone numérique.
La manifestation de ce moteur philosophique a trouvé son expression géopolitique dans la théorie
du « chaos constructeur » de Zbigniew Brzeziński avec les résultats désastreux que l’on connaît.
2. Origine de cette révolution épistémologique
On peut se demander quelle est l’origine de cette façon de penser. De cette méthode.
Le point de basculement est à situer dans le renversement de l’école aristotélicienne par les
Modernes.
Pierre de La Ramée, Francis Bacon et son Novum organum, trouveront leur aboutissement dans
Descartes et sa Méthode.
Le renversement de l’aristo-thomisme est le moteur philosophique du passage de l’âge de la foi et
son christocentrisme - qualifié péjorativement de Moyen Âge - à la mal nommée Renaissance et
son humanisme.
Deux lectures sont intéressantes pour une approche ad fontes.
Mais, dans tous les cas, il est de tout point des plus difficiles d'avoir sur l'âme quelques notions positives.
En effet, il y a ici une difficulté commune à bien d'autres choses encore, et je veux dire la question de savoir
ce qu'est l'essence, ce qu'est la chose. II pourrait sembler au premier coup d'œil qu'il n'y a qu'une seule
méthode pour étudier toutes les choses, quand nous voulons en connaître l'essence, de même qu'il n'y a qu'une
seule démonstration pour les qualités propres de ces choses; et l'on pourrait croire qu'il faut s'enquérir de
cette méthode unique. D'autre part, s'il n'existe point de méthode générale et commune pour savoir ce que
sont essentiellement les choses, il devient encore plus difficile de faire cette étude; car dès lors il faudra
rechercher en particulier pour chaque chose quelle est la marche à suivre. Quoique l'on voie évidemment qu'il
faut procéder par démonstration, par division ou par telle autre méthode, il n'en reste pas moins bien des
difficultés et bien des chances d'erreur; car on ne sait de quels principes il convient de partir, puisque les
principes sont différents pour des choses différentes, et qu'ainsi ceux des nombres ne sont pas ceux des
surfaces.
Traité de l’âme (I, 1 402a)
Ceci défini, il faut déterminer combien il y a d'espèces de raisons dialectiques. Or il y a d'abord l'induction,
et puis le raisonnement. Pour le raisonnement, ce qu'il est, on l'a dit antérieurement. Quant à l'induction,
c'est le passage des cas particuliers à l’universel. Par ailleurs, l'induction est plus persuasive, plus claire, plus
accessible au sens et commune à la plupart, tandis que le raisonnement est plus contraignant et plus efficace
contre les spécialistes de la contradiction.
Topiques (Livre I, chapitre 12, 105a 10)
Les textes ci-dessus illustrent clairement la méthode aristo-thomiste qui considère la hiérarchie des
êtres dans un monde créé. Elle aborde ce monde avec humilité et développe un procédé
d’observation qui considère qu’il faut des méthodes différentes pour étudier des objets différents,
des objets d’une complexité croissante.
Aristote revient à de nombreuses reprises dans ses traités (Topiques, Seconds Analytiques, Métaphysique)
sur cette pluralité de méthodes pour étudier des objets différents, le point de départ étant l’objet
lui-même et non une méthode générale que l’on appliquerait indistinctement à tous les objets.