Le projet européen REGENER
Analyse de cycle de vie des bâtiments
Bruno Peuportier (Ecole des Mines de Paris), Bologne, juin 98
Résumé
Le projet européen REGENER a associé 8 partenaires de divers pays (Italie, France,
Allemagne, Pays Bas et Finlande) durant deux années (1995-96) pour :
- définir une méthodologie commune permettant l’application de l’analyse de cycle de vie
(ACV) aux bâtiments,
- développer une boite à outils pour l’aide à la conception,
- mener de premières applications des méthodes, en particulier pour évaluer l’intérêt de
l’utilisation des énergies renouvelables dans les bâtiments.
Afin de faciliter le transfert de la recherche vers les applications, et le lien entre l’offre et la
demande (maîtrise d’ouvrage et conception en particulier), le partenariat a regroupé des
instituts de recherche, des consultants, une entreprise de construction, une agence régionale et
une association professionnelle.
L’activité de recherche a permis de définir un cadre commun pour l’application de l’ACV au
secteur du bâtiment, concernant la définition des limites du système, de l’unité fonctionnelle
et les modèles considérés pour les process énergétiques et les transports. Une base de données
a été collectée sur les impacts de la fabrication d’environ 150 matériaux et composants de
construction. Un modèle orienté objets a été étudié pour faciliter les liens entre l’ACV et
d’autres outils d’évaluation ou de dessin. Des indicateurs environnementaux ont été collectés
à partir de travaux internationaux dans ce domaine.
Cette activité de recherche a été fortement liée aux applications professionnelles. Le rôle des
différents acteurs et les expériences antérieures ont été analysés dans la première partie du
projet afin d’orienter les recherches. Le processus de conception des bâtiments a été étudié
pour définir dans les outils en développement des entrées-sorties adaptées aux différentes
phases. Quelques premières analyses de sensibilité ont été effectuées sur l’intégration de
technologies valorisant les énergies renouvelables. Des applications sur des projets
(exposition sur la maison écologique, lycée vert) ont permis une première illustration de la
démarche.
Introduction
Des travaux ont été menés durant les années 80 sur la maîtrise de l’énergie dans les bâtiments,
avec l’apparition de réglementations thermiques et de labels permettant une certaine
stabilisation de la consommation d’énergie dans ce secteur. Le faible coût de l'énergie n'a
cependant pas permis de justifier des investissements importants et ainsi certaines
technologies (photovoltaïque par exemple) sont restées marginales. Mais l'objectif
d’économie d’énergie qui prévalait a maintenant laissé la place à une démarche plus globale
de protection de l’environnement, ce qui peut renouveler l'intérêt pour les alternatives
énergétiques et faire émerger de nouvelles technologies (gestion de l’eau et des déchets,
matériaux de construction).
Des approches variées sont apparues dans ce contexte. Les méthodes existantes comme les
labels, les fiches d’information sur les produits, les listes positives ou négatives et les
appréciations qualitatives manquent de transparence et sont souvent restreintes à une phase
limitée du process de conception ou de construction. Elles ne sont pas basées sur l’étude du
cycle de vie. Or une décision prise à une phase peut avoir des répercussions sur une phase
ultérieure, par exemple le choix d’un matériau générant moins d’impact lors de sa fabrication
peut entraîner une augmentation des émissions sur la durée d’utilisation du bâtiment. Un bilan
global est donc nécessaire.
Au delà de ces premières approches qualitatives, le besoin d’une méthode plus rigoureuse se
fait sentir pour évaluer et aider à réduire les impacts environnementaux des bâtiments. En
effet, une comptabilité “ qualitative ” peut difficilement remplir le rôle d'une comptabilité
analytique, et le projet décrit ici vise à rendre celle-ci possible pour la plupart des thèmes
environnementaux. Un tel outil d’analyse doit permettre aux utilisateurs de comparer des
variantes de conception et d’étudier l’intégration d’innovations technologiques dans le but de
réduire la contribution d’un projet à différents problèmes environnementaux, depuis une
échelle globale (par exemple l’effet de serre) jusqu’à une échelle locale (comme la production
de déchets).
Une nouvelle approche de conception ne sera mise en oeuvre que si une demande existe pour
une telle démarche. Nous avons donc souhaité associer une administration régionale, en
charge de la gestion d’un parc de bâtiments (en particulier des lycées). Notre premier travail a
été d’analyser la situation actuelle dans différentes régions d’Europe et le processus de
décision sur lequel il est envisageable d’intervenir. La deuxième tâche a concerné la
méthodologie proprement dite pour l’application de l’ACV aux bâtiments, et une boite à outil
a ensuite été développée pour l’aide à la conception. Enfin, la dernière activité a concerné
l’application de la méthode par des groupes d’acteurs, utilisateurs potentiels à qui des
indications sont données avec des exemples. Le projet a donc été structuré en 4 tâches :
Analyse de la situation présente
Définition de la méthodologie d’ACV appliquée aux bâtiments
Développement d’une boite à outils pour l’aide à la conception
Applications par des groupes d’acteurs
1 Analyse de la situation actuelle
Les expériences antérieures ont été étudiées dans différentes régions, et les besoins des
décideurs ont été recensés afin d’orienter le développement d’outils applicatifs de l’ACV de
manière à faciliter leur intégration dans les pratiques professionnelles.
1.1 Analyse des expériences antérieures
Les régions concernées par le projet REGENER varient en terme de climat (de l’Italie à la
Finlande), de densité de population (la Finlande ayant la plus faible densité, Paris la plus
élevée et l’Ombrie et les Pays Bas une valeur moyenne), et de structures administratives.
L’importance relative des thèmes environnementaux diffère également, par exemple la qualité
de l’air est un thème plus important dans les zones densément peuplées.
Le niveau de prise en compte de l’environnement dans le secteur du bâtiment est très
inhomogène dans les différentes régions représentées dans le projet. Aux Pays Bas, des
informations ont été recueillies sur le projet ECOLONIA, un projet pilote déja réalisé où
différentes démarches ont été comparées (cf tableau ci-dessous) pour intégrer la qualité
énergétique et écologique dans l’urbanisme et la conception architecturale.
démarche proposée Architecte nombre de maisons
Maîtrise de l’énergie
* Isolation thermique BBDH 18
* Energie solaire Moehrlein 10
* Construction et utilisation Hopman 11
Management du cycle de vie
* Consommation d’eau, réutilisation des matériaux BEAR 10
* Durée de vie, maintenance, architecture
“ organique ”
A&vH 12
* Construction flexible Lindeman 10
Amélioration de la qualité
* Isolation acoustique WEB 10
Santé et sécurité v Gerwen 12
* Construction “ bio-écologique ” ArchiService 8
En Finlande, l’étude a porté sur divers projets utilisant les énergies renouvelables (20 000
résidences secondaires en site isolé alimentées par de l’électricité photovoltaïque, chauffage
solaire saisonnier à l’échelle communale, bois-énergie).
En Ombrie, un outil de planification énergétique a été développé au niveau communal et
régional, et a été mis en oeuvre dans le plan décennal énergie et environnement de la région.
Le parc de bâtiments résidentiel est modélisé selon les classes d’âge et des paramètres
techniques, ce qui conduit à un modèle complet représentant l’offre et la demande d’énergie
des 92 villes d’Ombrie.
Ce modèle fournit les potentiels d’économie et de substitution d’énergie, en prenant en
compte les coûts d’investissement, les ressources locales et certains impacts
environnementaux. Une base de données est utilisée pour comparer des politiques
énergétiques alternatives (économie ou substitution) selon leur potentiel de réduction des
impacts environnementaux.
L’étude menée en Ile de France (région autour de Paris) sur une centaine de projets concernant
les énergies renouvelables a eu pour objet de compléter l’analyse technico-économique par
l’évaluation de critères environnementaux et sociaux. Il ressort de cette étude que l’intérêt
environnemental de certains projets permettrait une meilleure justification des surcoûts. La
rentabilité de certaines options techniques comme la conception architecturale bioclimatique
n’est en effet parfois obtenue que sur le long terme (cf figure ci-dessous).
COMPARAISON DES DEUX SCÉNARIOS D'ÉVOLUTION
DU PRIX DE L'ÉNERGIE
temps de retour brut
0
0,2
0,4
0,6
0,8
1
1,2
1,4
0 5 10 15
e=1,5%
e=4,3%
BOIS, PAILLE
BIOCLIMATIQUE
BIOGAZ,
MOQUETTE,
CAPTEURS AIR
En fonction du taux annuel e d’augmentation du prix de l’énergie, le bénéfice -ou valeur
actuelle nette- rapporté à l’investissement initial (taux d’enrichissement en capital) peut être
important, mais le temps de retour reste élevé : de l’ordre de 10 ans pour les projets étudiés.
Le chauffage au bois ou à la paille a un temps de retour plus faible, ainsi que les capteurs
solaires pour les piscines (moquettes) et le biogaz, mais ces technologies produisent un
bénéfice plus faible.
Dans ces expériences locales, des méthodes très simples ont été utilisées pour l’analyse
environnementale et le besoin d’outils plus rigoureux, capables de mieux justifier les
décisions prises, s’est fait sentir. L’ACV pourrait satisfaire un tel besoin, sous réserve que les
outils développés soient adaptés au processus de décision.
1.2 Liens entre le niveau du bâtiment et le niveau communal
Les expériences menées dans les différentes régions pour l’amélioration de la qualité
environnementale des bâtiments concernent différents niveaux : le niveau d’un lotissement de
maisons individuelles dans le projet Ecolonia, celui des communes en Ombrie, tandis que les
études menées en Ile de France et en Finlande ont concerné l’évaluation ou l’expérimentation
de filières, dans le but de promouvoir leur application à plus large échelle.
Un bâtiment s’insère en général (sauf pour certains sites très isolés) dans un contexte
communal, avec une certaine politique en particulier concernant la gestion des déchets
(procédures de collecte sélective) et une connection aux réseaux (transports, éventuellement
eau, énergie, assainissement). Il nous est apparu nécessaire de prendre en compte cette
dimension communale dans l’état des lieux effectué lors de cette première tâche.
La contribution d’une équipe américaine (Université du Colorado) a permis d’enrichir l’étude
par des exemples supplémentaires. Un outil permettant d’évaluer les bénéfices énergétiques et
environnementaux de diverses énergies renouvelables à l’échelle communale a été développé
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