Mini-revue Apport des modèles animaux d`inflammation intestinale

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Mini-revue
Apport des modèles animaux
d’inflammation intestinale
dans les maladies
inflammatoires chroniques
de l’intestin
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Stéphane Nancey1,2, Fériel Hacini2, Pierre-Yves Durand2,
Nadège Milhau2, Dominique Kaiserlian2, Bernard Flourié1
1
Service d’Hépato-Gastroentérologie, Centre Hospitalier Lyon-Sud, 69495 Pierre-Bénite
Inserm U851, IFR 128 Biosciences Lyon-Gerland, 21 avenue Tony Garnier,
69365 Lyon Cedex 7
<[email protected]>
2
De nombreux modèles animaux d’inflammation intestinale ont été
développés ces vingt dernières années. Leur nombre et la diversité
des mécanismes à l’origine d’une inflammation intestinale illustrent
la complexité du système immunitaire associé à l’intestin et de ses
facteurs de régulation. Tous ces modèles ont permis d’améliorer nos
connaissances sur l’immunité et les interactions entre la flore et
l’hôte dans des conditions normales et inflammatoires. La compréhension de la pathogénie des maladies inflammatoires chroniques
de l’intestin (MICI) chez l’homme a largement bénéficié de toutes
ces avancées. Les modèles animaux permettent aussi d’identifier de
nouvelles cibles thérapeutiques et constituent des outils indispensables pour tester l’efficacité et la toxicité de thérapeutiques antiinflammatoires et immuno-modulatrices innovantes.
Mots clés : colite expérimentale, modèle animal, haptène, MICI, inflammation
intestinale, cytokine
doi: 10.1684/hpg.2008.0182
L
Tirés à part : S. Nancey
a détection de l’inflammation et des lésions intestinales et la
quantification de leur sévérité sont appréciées à l’aide de différents
critères. Les plus classiques sont la mortalité, l’importance de la
perte de poids de l’animal, la longueur du côlon qui se rétracte en cas de
colite sévère, son poids et son aspect macroscopique, l’intensité des
lésions histologiques (érosions, ulcérations, œdèmes, intensité de l’infiltrat
inflammatoire) et l’élévation de marqueurs biochimiques corrélés à
l’importance de l’infiltrat à polynucléaires neutrophiles dans l’intestin
comme l’activité myéloperoxydase (MPO), la lactoferrine, la calprotectine
fécale. Enfin, la quantification des cytokines proinflammatoires (TNFa,
interleukine (IL)-1b) dans l’intestin permet d’apprécier globalement l’intensité de la réaction inflammatoire. Récemment, des progrès technologiques
de miniaturisation ont permis la visualisation dans le côlon de l’animal de
lésions macroscopiques à l’aide de mini-endoscopes adaptés.
Hépato-Gastro, vol. 15, n°1, janvier-février 2008
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Mini-revue
Mécanismes lésionnels
et modèles animaux
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Même si de nombreuses espèces animales sont concernées, la majorité des modèles d’inflammation intestinale ont été développés chez la souris en raison de la
disponibilité, du coût, de la maniabilité de ces modèles
et des nombreux outils disponibles dans cette espèce
(invalidation ou surexpression de gènes par exemple).
Nous nous limiterons dans cette mini-revue aux principaux modèles murins. Dans la plupart de ces modèles,
l’inflammation intestinale affecte exclusivement le
côlon, plus rarement l’iléon, parfois les deux.
On distingue classiquement les modèles d’inflammation spontanée et les modèles d’inflammation induite.
Les modèles d’inflammation intestinale
spontanée
Ceux-ci regroupent essentiellement les souris mutantes
(souches SAMP1/Yit, C3H/HeJ) et les souris génétiquement modifiées chez lesquelles la colite survient
dans des conditions de surexpression d’un gène (souris
transgénique « knock-in ») impliqué dans l’inflamma-
tion (souris IL-7 transgénique ou TNFDARE par exemple).
Une colite peut aussi être observée chez des animaux
invalidés pour un gène (souris « knock-out ») affectant :
la fonction du lymphocyte T (souris déficiente pour la
molécule de classe II du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) ou déficiente pour le récepteur T des
lymphocytes), une cytokine anti-inflammatoire (IL-10-/-,
TGFb-/-) ou certains constituants nécessaires au maintien de l’intégrité de la barrière intestinale (souris
dominant négative pour la protéine de jonction intercellulaire N-cadhérine qui remplace la E-cadhérine)
[1].
La souris mutante SAMP1/Yit est un modèle intéressant
à plusieurs titres : elle dérive d’une souris appelée AKR
(60-70 % d’homologies de séquences) et a été développée initialement comme un modèle de vieillissement
accéléré. Cette souris mutante présente progressivement autour de 15 semaines d’âge une iléite spontanée, parfois associée à une colite proximale [2]. Les
lésions inflammatoires intestinales présentent des similitudes anatomocliniques importantes avec celles
observées dans la maladie de Crohn (MC) puisque
l’atteinte est transmurale, segmentaire et affecte électi-
Immunisation
Lumière intestinale
Révélation
Colite
Flore
DSS
Antigène
Lumière intestinale
Cellule
épithéliale
intestinale
3
LT
Cellule
dendritique
Cellule
dendritique
Inflammation
lésions
2
1
Sang
Infiltrat
Inflammatoire
Recrutement
secondaire
Lymphocytes
Macrophages
Polynucléaires
LT
Inflammation, lésions
A
Ganglions mésentériques
B
Mécanisme toxique
Mécanisme d’hypersensibilité
retardée colique
Figure 1. Colite induite par un mécanisme toxique (A) ou colite « immunologique » induite par une hypersensibilité retardée colique aux
haptènes (1) phase d’immunisation : l’haptène est pris en charge par les CPA qui migrent et le présentent aux LT naïfs dans les ganglions ; 2)
phase de révélation : les LT effecteurs migrent dans le côlon lors du second contact avec l’antigène et initient l’inflammation et les lésions de
l’épithélium intestinal ; 3) recrutement secondaire de cellules inflammatoires qui amplifient et perpétuent la maladie).
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Hépato-Gastro, vol. 15, n°1, janvier-février 2008
vement la région iléo-cæcale. Parfois, la présence de
granulomes épithélioïdes, caractéristiques de la MC, a
été décrite. De plus, des lésions fistulisantes anales ont
aussi été récemment mises en évidence dans ce modèle
animal qui est celui qui présente le plus grand nombre
de similitudes avec la MC.
Les modèles d’inflammation intestinale
induite
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• Les modèles « toxiques »
Une colite peut être déclenchée par l’administration
d’un composé chimique toxique qui lèse la paroi intestinale. Plusieurs voies d’administration du toxique sont
décrites, notamment le lavement (éthanol concentré,
acide acétique ou formaline) et la prise orale (sulfate
de dextrane sodique (DSS) dans l’eau de boisson). La
colite de mécanisme « toxique » apparaît rapidement
après l’administration du composé et conduit à des
lésions souvent sévères par altération de la barrière
intestinale qui met en contact la flore et l’immunité
intestinale sous-jacente. L’activation du système immunitaire intestinal et le recrutement dans l’intestin de
cellules inflammatoires concourent à entretenir l’inflammation et les lésions intestinales [1] (figure 1). Ces
modèles ont ainsi démontré l’importance de l’intégrité
de la barrière intestinale dans le maintien de l’homéostasie intestinale.
Abréviations :
CPA : cellule présentatrice d’antigène ;
CEACAM-1 : carcinoembryonnic antigen-related cell adhesion
molecule -1 ;
CARD15 : caspase activation and recruitment domain ;
CCR-9 : récepteur de chimiokine 9 ;
CMH : complexe majeur d’histocompatibilité ;
CPA : cellule présentatrice d’antigène ;
CTLA4 : cytotoxic T lymphocyte associated molecule-4 ;
DSS : sulfate de dextrane sodique ;
DNBS : dinitrobenzène sullfonate ;
HSR : hypersensibilité retardée colique ;
IL- : interleukine ;
IFNc : interféron c ;
LT : lymphocytes T ;
MAPK : protéine kinase activée par les mitogènes ;
MC : maladie de Crohn ;
MICI : maladies inflammatoires chroniques de l’intestin ;
MPO : myelloperoxydase ;
NFjB : nuclear factor j B ;
NKT : natural killer T cells ;
NOD2 : nucleotide-binding oligomerization domain ;
PPARc : récepteur activé des proliférateurs des peroxisomes ;
RAG : recombinase activating gene ;
RCH : rectocolite hémorragique ;
SCID : severe combined immunodeficiency ;
TcR : récepteur T du lymphocyte ;
Th : T helper ;
TGFb : transforming growth factor b ;
TNBS : trinitrobenzène sulfonate ;
TNFa : tumor necrosis factor ␣.
• Les modèles « immunologiques »
Ces modèles reposent sur l’utilisation de molécules
chimiques de faible poids moléculaire non immunogènes par elles-mêmes, appelées haptènes, comme
l’acide 2,4,6 trinitrobenzène sulfonique (TNBS) ou
l’acide 2,4 dinitrobenzène sulfonique (DNBS). L’administration d’une faible dose non toxique d’un haptène
dans le côlon entraîne la formation d’un complexe
entre l’haptène et certains acides aminés constituant
des protéines du contenu et des parois coliques (par
exemple les résidus lysines qui forment ainsi un complexe ayant des propriétés antigéniques) à l’origine de
l’induction d’une réponse immunitaire. Cette réponse,
localisée dans les ganglions mésentériques, se caractérise par l’activation, l’expansion et la différenciation
de lymphocytes T (LT) spécifiques d’antigène en cellules
effectrices et est complètement asymptomatique (phase
de sensibilisation). L’inflammation colique survient lors
d’un second contact de la muqueuse colique avec
l’haptène (phase de révélation) et résulte du recrutement des LT effecteurs dans l’intestin. Ces effecteurs
spécifiques de l’antigène initient la réaction inflammatoire et les lésions intestinales qui sont amplifiées et
perpétuées par le recrutement d’autres cellules inflammatoires non spécifiques (macrophages, polynucléaires, lymphocytes, mastocytes).
Le mécanisme impliqué dans ces modèles « immunologiques » est une hypersensibilité retardée (HSR type IV)
colique médiée par les LT CD4+ ou LT CD8+ spécifiques,
cytotoxiques et produisant des cytokines (figure 1). Ces
modèles s’accompagnent d’une inflammation récidivante de l’intestin ; ceci supporte l’hypothèse qu’un
composant du contenu intestinal est à l’origine des
poussées récurrentes observées au cours des MICI.
• Les modèles de transfert
à des souris immunodéprimées
Le dernier modèle largement utilisé est représenté par
le transfert d’une population particulière de LT CD4+
dits « naïfs », exprimant les molécules CD45RBhi, à des
animaux immunodéprimés (souris Nude ou RAG-/dépourvues de LT ou SCID pour severe combined
immunocompromised deficiency dépourvues de LT et
de lymphocytes B). Ces animaux reconstitués avec
cette sous-population lymphocytaire T particulière
développent progressivement un infiltrat inflammatoire
puis des lésions coliques qui surviennent dans les
3-10 semaines suivant le transfert [3]. Ce modèle a
permis d’identifier, chez la souris, une sous-population
de LT CD4+ « mémoires » (exprimant la molécule
CD45RBlow) ayant des propriétés régulatrices. Le
co-transfert de ces LT et des LTCD4+ naïfs CD45RBhi aux
animaux immunodéprimés prévient ainsi le développement de la colite [4]. Ces expériences ont aussi permis
de mettre en évidence le rôle du TGFb et d’une molé-
Hépato-Gastro, vol. 15, n°1, janvier-février 2008
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Mini-revue
Tableau 1. Principaux modèles murins d’inflammation intestinale.
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Colite spontanée
Colite induite
Souris
mutantes
Souris
transgéniques
Souris
invalidées
Administration
de toxiques
Haptènes
(HSR)
Transfert à receveurs
immunodéprimés
SAMP1/Yit
C3H/HeJBir
STAT 4
IL-7
IL-12
TNFDARE
Fonction lymphocyte T
Voie
intestinale
DNBS
TNBS
Oxazolone
Scid
Nude
RAG−/−
−/−
TcRab
CMH classe II −/−
Gai2 −/−
Cytokines
IL-10 −/−
IL-2 −/−
IL-2R −/−
TGFb −/−
CRFB4 −/−
Barrière intestinale
MDR1 −/−
Trefoil peptide −/−
N-cadhérine
(dominant négatif)
cule de co-stimulation (CTLA-4) dans la régulation de
l’inflammation [5]. Néanmoins, les conséquences de
l’expansion clonale des LT transférés chez un receveur
immunologiquement « vide » constituent une limite
significative du modèle.
Une synthèse non exhaustive des principaux modèles
d’inflammation intestinale chez la souris est proposée
dans le tableau 1. La cinétique du développement de
la colite est variable selon les modèles de colite, de
quelques heures pour les inducteurs toxiques à plusieurs semaines chez les animaux génétiquement manipulés. Tous ces modèles ont permis d’étayer le concept
que l’inflammation intestinale pouvait résulter d’un
déséquilibre entre le pool des cellules effectrices et des
cellules régulatrices avec soit un excès d’effecteurs
(comme dans le modèle aux haptènes), soit un défaut
de régulateurs (comme dans le modèle de transfert à
des souris immunodéprimées) (figure 2).
Colites expérimentales,
sécrétion de cytokines
et voie de signalisation NFjB
Deux populations de LT CD4+ ayant des propriétés
fonctionnelles de sécrétion de cytokines différentes ont
été décrites chez la souris : les T helper 1 (Th1) et les
Th2. Les lymphocytes Th1 activés produisent préférentiellement de l’IL-2, de l’IFNc et du TNFa tandis que les
Th2 produisent de l’IL-4, de l’IL-5 et de l’IL-13. La
majorité des modèles animaux d’inflammation intestinale spontanée ou induite sont associés à un microenvironnement riche en IL-12 et caractérisés par un
36
Formaline
Esters de
phorbols
Capsaïcine
Polysaccharides
sulfatés
Voie orale
Lymphocytes T
CD4+ CD45+
RBhi
(naïfs)
Moëlle osseuse
→Tge 26
Dextrane sodium
sulfate
Indométhacine
Carageenan
Injection
colique
Peptidoglycanes
profil Th1 (figure 3). Les caractéristiques anatomocliniques de ces modèles animaux Th1 se rapprochent
de la MC. Dans ces modèles, l’intensité de l’inflammation intestinale est réduite par l’utilisation d’un traitement par anticorps anti-IL-12, anti-IFNc et anti-TNFa
mais aussi par l’administration d’IL-10 ou d’IL-4.
D’autres modèles, moins nombreux, sont plutôt Th2 en
raison de la mise en évidence de concentrations élevées d’IL-4, d’IL-5 ou d’IL-13 dans l’intestin (souris
déficiente pour l’IL-2 ou pour la chaîne a du TcR, souris
transgénique pour l’IL-5, colite à l’oxazolone). Ces
modèles de colite, qui reproduisent plutôt l’atteinte
inflammatoire superficielle observée dans la rectocolite
hémorragique, sont améliorés par l’administration
d’anticorps anti-IL-4 (figure 3) [6]. Cette polarisation
fonctionnelle des LT helper 1 et 2 est contrôlée par
certains lymphocytes T régulateurs, dits « Th3 » qui
expriment fortement le marqueur de surface CD25, le
facteur de transcription intracytoplasmique FoxP3 et
produisent en grande quantité les cytokines immunomodulatrices IL-10 et/ou TGFb.
Cette dichotomie Th1/Th2 est actuellement nuancée
dans les modèles animaux et chez l’homme puisque
des formes de passage d’un profil à l’autre sont possibles au cours de l’évolution de la maladie. De plus, une
nouvelle famille de lymphocytes T, appelés Th17, a
récemment été identifiée au sein du système immunitaire intestinal [7]. Cette population Th17, induite par
l’IL-6 et le TGFb dans la muqueuse intestinale, est
capable de produire de grande quantité d’IL-17 et
d’IL-6, cytokines qui semblent jouer un rôle crucial dans
l’inflammation intestinale [8].
Hépato-Gastro, vol. 15, n°1, janvier-février 2008
Th1
Tr1
Th2
Th3
Cellules
régulatrices
Cellules
effectrices
Homéostasie intestinale
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Homéostasie
intestinale
Inflammation
Inflammation
Cellules
régulatrices
Cellules
régulatrices
Cellules
effectrices
Cellules
effectrices
Excès
d’effecteurs
Défaut
de régulateurs
Figure 2. L’inflammation intestinale peut être consécutive à un excès de cellules effectrices ou à un déficit relatif de cellules régulatrices.
Les modèles animaux ont aussi mis en évidence l’implication de différentes voies de signalisation intracellulaire dans la réaction inflammatoire intestinale, comme
les voies du NFjB ou des MAPkinases. Récemment, un
nouveau modèle de colite survenant chez des souris
invalidées pour un facteur d’activation de la voie NFjB
au niveau de l’intestin (souris NEMO) a été décrit. Ces
données suggèrent que cette voie de transduction,
jusque là considérée comme exclusivement proinflammatoire, participe au maintien de l’homéostasie intestinale et au contrôle de l’inflammation locale [9].
L’étude des modèles animaux d’inflammation intestinale a ainsi contribué à disséquer les mécanismes
immunologiques cellulaires mais aussi moléculaires
(voies de signalisation, réseaux de cytokines) impliqués dans la réaction inflammatoire intestinale au
cours des MICI.
pement de l’inflammation intestinale (figure 4). Ainsi,
l’atteinte inflammatoire intestinale prédomine dans la
majorité des modèles au niveau du côlon, site où la
flore intestinale est la plus abondante. De plus, la flore
intestinale est indispensable au développement de
l’inflammation intestinale puisqu’aucune inflammation
ou une inflammation intestinale réduite est observée
dans la quasi-totalité des modèles lorsque les animaux
sont élevés dans des conditions stériles (Germ-free).
L’inflammation intestinale apparaît secondairement ou
s’aggrave chez ces animaux lorsqu’ils sont exposés à
un environnement conventionnel. Dans le modèle de la
colite spontanée chez la souris C3H/HeJBir, la tolérance immunitaire à la flore est anormale. En effet, la
stimulation des lymphocytes T isolés du côlon de cette
souris par un lysat de sa propre flore bactérienne
fécale active anormalement ces cellules avec production de cytokines Th1[10].
Apport des modèles animaux
dans la compréhension des rapports
flore intestinale et inflammation
L’injection transmurale dans la paroi colique de composants bactériens (peptidoglycanes), reconnus par les
récepteurs NOD2/CARD15, est responsable d’une
colite granulomateuse chez le rat Lewis, suggérant qu’il
n’existe pas de spécificité bactérienne de la flore pour
induire l’inflammation intestinale. Néanmoins, la capa-
L’ensemble des modèles animaux a contribué à montrer le rôle indispensable de la flore dans le dévelop-
Hépato-Gastro, vol. 15, n°1, janvier-février 2008
37
Mini-revue
Colite au TNBS
IL-12
IL-23
CD4+
Th1
Colite à l’oxazolone
IL-4
NKT
Th2
Th17
IL-13
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IL-17
IL-6
Aspect proche
de la maladie
de Crohn
Effets bénéfiques
Anti-IL-4
Aspect proche
de la rectocolite
hémorragique
Figure 3. Dichotomie schématique des 3 principaux profils d’expression de cytokines Th1/Th2/Th17.
cité de la flore à déclencher l’inflammation intestinale
est variable selon les souches bactériennes ; la colonisation de l’animal par certaines souches bactériennes
comme les Bacteroides ou certains Helicobacter induit
une réaction inflammatoire plus intense comparée à
celle obtenue avec d’autres souches bactériennes.
Ainsi, la souris déficiente pour l’IL-10 et colonisée par
Helicobacter hepaticus, développe une colite plus
sévère que celle observée chez la souris non colonisée
par cette bactérie.
Interactions complexes
Environnement
(flore intestinale, tabac)
Génétique
Barrière intestinale
Immunité
Innée/spécifique
Figure 4. Modèles animaux et étude des acteurs clés impliqués
dans la pathogénie des MICI.
38
Apport des modèles animaux
dans l’identification des cellules
immunitaires responsables
de l’inflammation intestinale
Les modèles de colite chez l’animal ont permis
d’identifier la nature des cellules immunitaires responsables du développement et du contrôle de
l’inflammation intestinale. Les expériences de transferts de LT CD4+ activés à partir de souris ayant
développé une colite, ou de sous-population de LT
CD4+CD45RBhi isolés de souris naïves à des receveurs immunodéprimés ont montré le rôle clé de ces
LT dans l’induction de l’inflammation intestinale.
Récemment, l’implication des LT CD8+ cytotoxiques
dans l’inflammation et les lésions intestinales chez la
souris a été mise en évidence. Des LT CD8+ sont ainsi
capables d’initier une maladie inflammatoire intestinale en induisant une cytotoxicité épithéliale via la
libération de granules cytotoxiques (Granzyme B,
perforine) [11]. La contribution d’autres cellules de
l’immunité comme les cellules Natural Killer T (NKT),
via la production d’IL-13, a aussi été mise en évidence
dans le modèle de colite à l’oxazolone (proche de la
RCH) [12].
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Apport des modèles animaux
dans l’identification de cibles
thérapeutiques et l’essai
de nouveaux traitements
rentes étapes de la carcinogenèse colique dans un
contexte inflammatoire et servent d’outils pour évaluer
l’efficacité de thérapeutiques chémo-préventives.
Les modèles animaux d’inflammation intestinale constituent des outils performants pour identifier un grand
nombre de cibles cellulaires ou moléculaires participant à l’inflammation intestinale. Des populations cellulaires (LT, NKT), des molécules impliquées dans
l’adhésion des cellules inflammatoires à l’endothélium
(intégrines), dans leur recrutement vers l’intestin
(CCR9), des récepteurs membranaires (récepteurs Toll,
CEACAM-1) ou cytosoliques (Nod2), des facteurs de
transcription ou des voies de signalisation (NFjB, MAP
kinases, PPARc), des cytokines et chimiokines (TNFa,
IL-1b, IL-8), et des facteurs de résistance à l’apoptose
constituent autant de cibles potentielles pour de futures
thérapeutiques. L’importance du TNFa dans la plupart
des modèles de colite et l’efficacité des anticorps antiTNFa illustrent l’intérêt de ces modèles pour identifier
de nouvelles cibles thérapeutiques et pour tester leur
efficacité et leur toxicité avant leur utilisation chez
l’homme. Néanmoins, l’efficacité de certaines molécules pour prévenir ou traiter l’inflammation intestinale
sur des modèles animaux n’a pas toujours été confirmée chez l’homme : il en est ainsi de l’IL-10, extrêmement efficace dans plusieurs modèles animaux, et décevante chez l’homme, en particulier pour la prévention
de la récidive post-opératoire de la MC [13].
Apport des modèles animaux
dans l’étude du
rôle de la prédisposition génétique
des MICI (figure 4)
Apport des modèles animaux
dans l’étude de la carcinogenèse
colique associée à l’inflammation
La colite chez la souris invalidée pour le gène codant
pour la protéine Gai2 se complique d’anomalies intraépithéliales à type de dysplasie et d’adénocarcinomes
coliques chez environ 30 % des animaux âgés de
10-14 semaines [14]. Un second modèle de colite au
DSS après traitement par l’azoxyméthane est à l’origine de cancers coliques associés à l’inflammation
intestinale. Ces modèles permettent d’étudier les diffé-
La participation du terrain génétique des animaux
dans le développement d’une inflammation intestinale
est illustrée par leur susceptibilité variable à la colite.
Ainsi, tandis que la souris Balb/C développe facilement la colite immunologique aux haptènes, la souris
C57Bl/6 est moins sensible à ce modèle (tableau 2).
Les souris mutées pour le gène CARD15 ou Nod2,
principal gène de susceptibilité de la MC, ont permis
de caractériser l’implication de ce récepteur intracellulaire de reconnaissance bactérienne dans l’immunité
innée et spécifique. Le gène Nod2 est exprimé dans les
monocytes-macrophages, les cellules dendritiques, épithéliales mais aussi dans les cellules de Paneth localisées à la base des cryptes de l’intestin grêle. Les
principales mutations de Nod2 aboutissent à une protéine tronquée. Les macrophages isolés de souris
mutées pour Nod2, sont incapables de répondre à la
stimulation par leur principal ligand, le muramyl dipeptide (MDP). L’utilisation des souris Nod2-/- a permis
d’étayer plusieurs hypothèses pour expliquer l’implication de Nod2 dans la susceptibilité à développer une
MC [15].
Nod2 et défense anti-infectieuse
d’origine digestive
Les souris Nod2-/- ont une susceptibilité accrue aux
infections orales, en particulier à listeria monocytogenes. Le défaut de production de peptides antimicrobiens (défensines) par les cellules de Paneth chez
ces souris pourrait expliquer la susceptibilité aux infections et le passage anormal de la flore intestinale à
travers la barrière épithéliale. Ceci serait responsable
d’une activation inappropriée de l’immunité intestinale
Tableau 2. Le terrain génétique influence la susceptibilité des animaux
à développer une colite (exemples dans quelques modèles).
Modèles animaux
IL-2
-/-
IL-10
-/-
TNBS/DNBS
DSS
Terrain génétique sensible à la colite
Terrain génétique de sensibilité
intermédiaire ou résistant à la colite
Balb/C, C3H/HeJ
C57Bl/6
Balb/C, C3H/HeJ, 129SvEv
Croisement 129SvEv X C57Bl/6
C3H/He, Balb/C
C57Bl/6
C3H/HeJBir, C3H/HeJ, Balb/c
C57Bl/6
Hépato-Gastro, vol. 15, n°1, janvier-février 2008
39
Mini-revue
Terrain
génétique
Conditions
d'élevage
Stress
Âge, sexe
alimentation,
boissons
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Modèle animal
d’inflammation
intestinale
Infections
évolutives
Flore
intestinale
Environnement
Figure 5. Facteurs influençant le développement de l’inflammation intestinale dans les modèles animaux.
et serait à l’origine de l’inflammation et des lésions
intestinales.
Nod2 et production de cytokines
proinflammatoires
Une mutation particulière de Nod2 (Nod22939inC)
s’accompagne chez la souris d’une augmentation de
l’activité de la voie NFjB et de la production d’IL-1b
dans les macrophages stimulés par le MDP [16]. Ces
animaux développent une colite plus sévère au DSS,
suggérant l’implication de Nod2 dans le maintien de
l’intégrité de la barrière intestinale.
Nod2 et cellules présentatrices d’antigènes
Les mutations de Nod2 pourraient aussi affecter les
cellules présentatrices d’antigène (CPA) qui modulent
la réponse immunitaire par leurs propriétés inductrices
ou tolérogènes. Certaines mutations de Nod2 pourraient conduire les CPA à induire une réponse immunitaire orientée vers un excès de cellules effectrices par
rapport aux cellules régulatrices. Une susceptibilité
accrue des souris Nod2-/- à développer une colite
immunologique spécifique d’antigène (ovalbumine) a
aussi été décrite.
Conclusions et perspectives
Malgré le nombre élevé de modèles animaux d’inflammation intestinale, aucun d’entre eux n’est idéal et
40
l’extrapolation des résultats obtenus à l’homme doit
rester prudente [17]. Le développement de l’inflammation intestinale chez l’animal est conditionné par différents facteurs comme le terrain génétique, l’âge, le
sexe des animaux, les conditions d’élevage (flore intestinale, alimentation, eau de boisson), la présence
d’infections évolutives dans l’élevage ou de stress
(figure 5). Le poids respectif de chacun de ces éléments
d’un lieu d’élevage à l’autre explique les différences et
la variabilité de certains modèles observées d’un site à
l’autre. Malgré ces réserves, ces modèles animaux ont
permis des progrès importants dans la compréhension
de la physiopathologie des MICI et ont contribué à
identifier de nouvelles cibles thérapeutiques. Ils sont
ainsi largement utilisés pour tester l’efficacité, la toxicité
et la tolérance des nouvelles molécules.
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