qui, elles aussi, peuvent encore faire partie « d’une ossature doctrinale frigorifiée »,
comme le disait si bien Mohammad Arkoun. Il n’est que ce cri du cœur qu’est «
Allâhu
akbar
», qui peut être perverti à outrance. Un jour, au Caire, près de la Darrâsa, un
quartier non loin du couvent dominicain, je m’engouffre dans une ruelle, où je lis un
message accolé au mur d’une petite mosquée : « Ahmad, fils de ‘Abd al-Salâm, le
vendeur de pain, est accueilli dans la miséricorde de Dieu. ‘Nous sommes à Dieu et
vers lui nous retournons’ » (Coran 2 :156). Dans la ruelle, les femmes pleureuses
gesticulent, elles crient, les copains de Ahmad ont les larmes aux yeux. Je m’assieds
avec les vieux, le long du mur. Soudain, d’une porte jaillit le cercueil ; j’aperçois le
linceul qui enveloppe le jeune homme. L’émotion est à son comble. Mais en silence,
les hommes s’avancent et se fraient un chemin : c’est alors que surgit le
Allâhu akbar
!
« Nous sommes dépourvus ; à Dieu, qui dépasse toute mesure, nous remettons
Ahmad » ! Tout est dit. Les cris s’apaisent. Les chrétiens eux aussi, ne prient-ils pas
pour leurs frères et sœurs défunts : « Reçois-les dans ta lumière, auprès de toi, O
Seigneur » ? Comment rendre compte du fait que le cri du jihadiste coupeur de têtes
est une aberration perverse, si on n’a pas vécu de la part du croyant musulman
l’humanité authentique de son espérance? Lorsqu’un jour, timidement, je soumis au
père Georges Anawati un paragraphe sur la dimension existentielle de la foi
musulmane, il me dit tout simplement : « Rien de nouveau ! C’est
le b.a.
-
ba de
l’islam ! ».
Mais alors, comment comprendre ce qui se passe ? Les gens me disent : ce
Muhammad ? Oui, peut-être, mais le groupe de jeunes irakiens qui voulaient, eux
aussi, être reconnus comme réfugiés et qui probablement, fuient l’armée irakienne, ou
pire…, ils se sont peut-être mis au service de mouvements inqualifiables?! Ce sont les
vendredis que j’ai passés durant trois ans à Tahrir qui m’éclairent, et en particulier la
photo de couverture de mon livret sur
l’Islamisme
que j’ai prise le 29 juillet 2011 à
Tahrir. La parole du Coran et surtout celles du prophète de l’islam sont devenues, non
pas un roc sur lequel s’appuie la liberté humaine, mais une masse qui l’étouffe, à en