Puis il remarqua les offrandes et les lampes à beurre disposées tout autour de ce lama si avenant,
sans toutefois comprendre à quoi elles pouvaient bien servir. « Peut-être, se dit-il, que les gâteaux
de tsampa et le beurre fondu sont la nourriture du lama et que pour être poli je dois partager son
repas. » Ben saisit donc une grosse torma, la trempa dans le beurre et se mit à manger avec
délectation.
« Bien, pensa-t-il, maintenant je dois faire quelques circumambulations. » Mais pour cela il devait
ôter ses bottes, et il ne voyait pas où les mettre en sécurité. « Ce gentil lama me les gardera, nulle
doute », se dit-il en déposant ses bottes aux pieds de Jowo Rinpoché. Pendant que Ben faisait ses
tours, le gardien du temple revint et découvrit avec horreur une paire de vieilles bottes
dégoûtantes posées là, aux pieds de Jowo Rinpoché. Il se baissait prestement pour les enlever
quand il entendit avec stupéfaction Jowo Rinpoché lui dire: « Ne jette pas ces bottes, elles m’ont
été confiées par Ben de Kongpo ! »
L’heure de son départ approchant, Ben revint devant son lama, le remercia d’avoir surveillé ses
bottes et invita Jowo Rinpoché à venir visiter sa maison dans le Kongpo. Sans hésiter, la statue
répondit : « Je viendrai. ». Patrul Rinpoché raconte comment Jowo Rinpoché rendit visite à Ben
de Kongpo et à sa femme l’année suivante, avant de se dissoudre dans un rocher non loin de leur
maison. Ce rocher est maintenant considéré comme étant aussi sacré que la statue de Jowo
Rinpoché à Lhassa.
Il existe un grand nombre d’histoires semblables à celle de Ben au cœur simple, des histoires
d’individus habités d’une dévotion telle que leur désir ardent et parfaitement concentré a
effectivement créé des lieux sacrés, au point d’invoquer en leur esprit la présence tangible des
êtres saints. Lodrö, pour ne citer qu’un cas, ressentait une dévotion immense envers le
bodhisattva Manjushri. Un soir il découvrit dans un livre un passage rapportant comment
Manjushri avait par trois fois promis de se montrer à quiconque se rendrait au mont
Panchashisha1. Lodrö fut tellement émerveillé et inspiré par cette information qu’après une nuit
sans sommeil et sans même avaler son thé, il courut jusqu’à la maison de son maître spirituel pour
demander la permission et les bénédictions de celui-ci. Le maître de Lodrö essaya en vain de
convaincre son disciple qu’il n’était pas nécessaire d’entreprendre un si grand voyage, parsemé
d’épreuves et de dangers. Le jeune homme ne cessa de supplier son maître de le laisser partir,
jusqu’à ce que le maître cédât enfin.
En ces temps-là les voyages étaient périlleux, mais Lodrö, intrépide face aux dangers qui le
guettaient, chargea plusieurs mois de vivres et de médicaments sur son âne, salua son maître, sa
famille et ses amis et prit la route pour traverser les hauts plateaux tibétains qui le séparaient de la
Chine. Le terrain était affreusement difficile. Il lui fallut traverser plusieurs torrents et survivre
aux tourments brûlants d’immenses étendues désertiques, avec les serpents venimeux et les
animaux sauvages pour seuls compagnons. Et pourtant, au bout de plusieurs mois il arriva sans
encombre au mont Panchashisha et se mit immédiatement à la recherche de Manjushri. Il chercha
partout sans relâche, sans trouver qui que ce soit qui ressemble de près ou de loin au bodhisattva.
1 Connu aussi sous le nom de Wu Tai Shan.
5