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système clair et cohérent. Car, selon une thèse remontant à l’Antiquité tardive et partagée
par presque tous les philosophes arabes, la philosophie de Platon et celle d’Aristote étaient
foncièrement identiques : entre les deux sages règne une harmonie parfaite. Selon nos
philosophes musulmans, Aristote avait formulé de façon claire et méthodique ce qui
demeurait confus et obscur dans l’esprit de Platon.
Une telle approche de la pensée de Platon paraît certes surprenante à première vue, mais
elle s’explique en grande partie par la manière dont les ouvrages philosophiques grecs ont
été transmis aux Arabes. En effet, la quasi totalité de l’œuvre abondante d’Aristote (mis-à-
part la Politique) avait été traduite en arabe, principalement à Bagdad sous le patronage des
califes abbassides. Convaincus que le pouvoir ne s’acquiert pas uniquement par les armes,
mais également par la possession de la science, les Abbassides avaient lancé au cours des
9e et 10
e siècles un programme ambitieux visant à traduire en arabe les principaux textes
scientifiques et philosophiques grecs. Faisant appel à des chrétiens maîtrisant à la fois le
grec et le syriaque, une langue sémitique proche de l’arabe, des ateliers de traduction furent
mis en place qui produisirent, avec une perfection croissante, des versions arabes des
ouvrages médicaux, astronomiques, mathématiques, alchimiques, botaniques ou
zoologiques les plus marquants légués par les Grecs. L’œuvre d’Aristote s’insérait
parfaitement dans ce dispositif. On la compléta en traduisant ses principaux commentateurs
(Alexandre d’Aphrodise, Thémistius, Simplicius, Jean Philopon), tout en élaborant des
paraphrases de certaines parties des Enn
é
ades de Plotin et des
É
l
é
ments de Th
é
ologie de
Proclus, ouvrages fondateurs du néoplatonisme dans lesquels on voyait le couronnement de
la M
é
taphysique d’Aristote. Mais, dans cette effervescente activité de traduction, les écrits de
Platon furent boudés !
En effet, aucun indice permet d’affirmer de façon probante qu’un seul dialogue de Platon ait
été traduit intégralement en arabe à l’époque médiévale. Certes, des fragments nous sont
parvenus dans des traductions parfois assez littérales, mais ils sont tous tirés d’ouvrages
d’autres auteurs, en premier lieu Galien, médecin et philosophe platonicien du 3e siècle de
notre ère, dont les innombrables écrits, traduits pour la plupart, sont à la base de la
médecine arabe. Ce même Galien avait fait des résumés des dialogues de Platon, pour un
usage purement scolaire, qui eux aussi ont été traduits en arabe. Un autre type de source
semble avoir été des florilèges, des anthologies composées dans l’Antiquité tardive, qui
regroupent autour d’un thème précis des passages tirés d’auteurs les plus divers. Faute