ÉCOTOURISME, BIODIVERSITÉ et DÉVELOPPEMENT DURABLE

ÉCOTOURISME, BIODIVERSITÉ et DÉVELOPPEMENT DURABLE :
l’importance d’un plan de conservation multi-échelles
Politique et planification de l’écotourisme
Déclaration faite au Sommet mondial de l’écotourisme
Ville de Québec (Canada) ; 19-22 mai 2002
par Jean-Luc DesGranges, Ph.D.
Chercheur à la biodiversité, Service canadien de la faune, Environnement Canada,
région du Québec, Canada
Les zones de protection intégrale, en nous mettant à l'abri des défauts potentiels (actuels ou futurs,
perçus ou non perçus) de nos modes d'exploitation des ressources biologiques et d'occupation du
territoire, ne doivent pas représenter un effort ultime de conservation, mais plutôt servir de clé de
voûte au développement durable des sociétés humaines. En principe, rien ne s'oppose à la pratique
de l’écotourisme à l'intérieur de ces sanctuaires de faune. Toutefois, l’écotourisme pourrait servir
davantage à la sauvegarde de la biodiversité s’il se pratiquait également, sinon principalement,
dans des zones tampons et des corridors naturels qui relieraient les aires protégées entre elles. Ces
corridors se devront d’être suffisamment larges pour comprendre en leur centre des habitats
sauvages recherchés par les espèces les plus exigeantes, par exemple les grandes espèces de
carnivores et de piscivores qui évitent les lisres et les habitats semi-naturels trop sujets aux
dérangements humains.
Pour que l’écotourisme joue pleinement son rôle de conservation dans les pays économiquement
pauvres (qui sont par ailleurs souvent les plus riches en biodiversité), il doit générer des revenus
suffisamment importants pour soutenir les économies locales, régionales et nationales, permettant
de restreindre le plus possible les effets négatifs des autres formes dutilisation des territoires
sauvages non protégées et de leurs ressources (autant biotiques qu’abiotiques) comme le font
l’agriculture, la foresterie et les pêches.
Le développement de l’écotourisme, centré sur les espèces et les écosystèmes sauvages, doit
suivre l’établissement d’un plan continental et national de sauvegarde de la biodiversité et non le
précéder. Seul le développement de couplages internationaux entre les représentants
gouvernementaux, les aménagistes de la faune, les délégués des industries tributaires des
ressources naturelles (dont l’écotourisme) et les porte-parole des collectivités locales peut garantir
que notre compréhension des impacts de l’écotourisme sur les écosystèmes progressera et que les
nouvelles connaissances seront intégrées dans des plans de conservation internationaux. Ce n’est
qu’à cette échelle géographique et politique que ces plans seront véritablement efficaces et que les
valeurs écotouristiques pourront être conservées pour les générations futures. Le plan de
conservation préparé dans le cadre du « Portrait de la biodiversité du Saint-Laurent » sert
dexemple pour illustrer le propos
(http://www.qc.ec.gc.ca/faune/biodiv/fr/sites_interet/plan_conservation.html).
L’écotourisme, lindustrie privilégiée du développement durable
La forme de tourisme qui vise le développement durable, soit la sauvegarde de l’environnement, la
protection du patrimoine culturel et social, de même que le développement économique des
régions visitées porte le nom d’écotourisme (Whelan 1991 ; Ceballos-Lascuráin 1996 ; Wood
2002). C’est donc une activité touristique réfléchie qui initie les touristes à la beauté, la richesse et
l’unicité du patrimoine naturel et culturel d’une nation. Pour mériter ce nom, un produit
écotouristique doit assurer la préservation continue de l’intégrité des écosystèmes et de la culture
des lieux visités, tout en produisant des avantages économiques soutenus (Gössling 1999).
L'écotourisme se présente habituellement sous forme scientifique, esthétique ou philosophique et
comporte toujours un fort élément d’interprétation et de socialisation, ce qui n’est généralement
pas le cas du tourisme d’aventure axé, quant à lui, sur la pratique sportive dans un cadre naturel.
C’est, dans ce cas, une activité de plein air faite en groupes structurés, accompagnés de guides qui
bénéficient d’une grande expérience dans la pratique d’un ou plusieurs sports de contact avec la
nature.
Par sa définition même, l’écotourisme, lorsqu’il est bien pratiqué, constitue le secteur économique
privigié du développement durable (Munasinghe et McNeely 1994 ; Vaughan 2000). En effet,
cette industrie dépend en premier lieu d’une nature intègre où sont préservés les éléments
endémiques et rares de la biodiversité régionale et où subsistent généralement des nations
autochtones riches en traditions et en culture. Quelles belles opportunités environnementales,
sociales et économiques s’offrent à l’industrie internationale et nationale de l’écotourisme d’établir
un réseau mondial de laboratoires in situ du développement durable! On pourrait tenter cette
expérience en mettant à profit le réseau actuel des réserves mondiales de la biosphère (au nombre
de 409 dans 94 pays en 2002), étant donné que ces sites visent à harmoniser les objectifs de
conservation et les besoins sociaux et économiques des communautés rurales
(http ://www.unesco.org/mab/wnbr.htm).
Les chances de succès sont d’autant plus grandes que les consommateurs des ressources
écotouristiques sont des gens qui sont pour la plupart fortement scolarisés et qui s’intéressent à la
vie sous toutes ses formes. Ce sont des « libres penseurs » en ce sens qu’ils abordent généralement
les enjeux environnementaux, sociaux et économiques avec sérieux et qu’ils sont désireux de
contribuer à solutionner les problèmes dont ils ont conscience. Ce sont en quelque sorte des
« croisés » du développement durable prêts à porter le message du maintien de la biodiversité dans
les coins les plus reculés de la planète. En 1992, ces naturalistes-voyageurs représentaient près de
15% des touristes internationaux...et c’est sans compter les excursionnistes régionaux ! Herliczek
(1996, dans Mendelsohn 1997) évalue à 2 billions de dollars ($US) les revenus annuels mondiaux
de l’écotourisme. Par ailleurs, Filion et collaborateurs (1994) estiment qu’environ 75 millions
dobservateurs doiseaux laissent à eux seuls près de 80 millions de dollars ($US) dans les pays où
ils pratiquent leur loisir!
Comme une partie croissante des revenus de l’écotourisme sont réalisés dans le tiers monde, où
se trouvent les principaux sites de la biodiversité mondiale, on tient une opportunités en or dont
il faut absolument profiter pour supporter financièrement les pays pauvres auxquels incombent la
responsabilité dassurer la part la plus importante de la facture de la conservation de la biodiversité
mondiale. En 1992, 130 nations, la plupart parmi les pays sous-développés avaient établis quelques
30,000 espaces verts dont 7000 aires protégées, couvrant près de 10% de la surface de la planète
(McNeely 1992 dans Ceballos-Lascuráin 1996). Evidemment, plusieurs de ces sites sont trop
petits, trop isolés ou pas suffisamment protégés pour assurer la conservation des populations
animales et végétales qu’ils hébergent. Ces aires de conservation ne peuvent pas actuellement subir
le stress additionnel que représente l’écotourisme, même s’il est pratiqué par des gens informés et
soucieux de ne pas affecter l’intégrité des « sanctuaires » qu’ils visitent. Le développement de
l’écotourisme, centré sur les espèces et les écosystèmes sauvages, doit suivre l’établissement d’un
plan continental et national de sauvegarde de la biodiversité et non le précéder. Cette façon
habituelle de faire aura néanmoins contribué à montrer l’urgent besoin dun tel outil de
planification de la biodiversité, et cela à tous les niveaux d’intervention écologiques et politiques,
soit mondial, continental, national, régional et local (Poiani et collaborateurs 2000).
La biodiversité comme critère d’évaluation de l’écotourisme
Toute activité économique qui «exploite» les ressources naturelles devrait se faire à l’intérieur
d’un cadre qui vise à en assurer la pérennité. L’écotourisme étant une forme de contact
contemplatif avec la nature plutôt qu’une activité de prélèvement de la ressource, on n’avait pas
imaginé que cette activité économique pouvait menacer un jour le capital nature dont elle dépend.
Or, force est de constater que l’engouement actuel pour les voyages-nature n’est pas sans laisser
de traces, qui s’avèrent parfois être indélébiles ! Les dommages causés à la végétation par le va-et-
vient des touristes et de leurs véhicules, bateaux et aéronefs, l’érosion des sols et des artefacts
géologiques et culturels, les dérangements causés aux modes de vie des animaux (craintifs aussi
bien qu’opportunistes), la pollution de l’eau, l’introduction d’espèces exotiques et la perte
continue du caractère sauvage des sites et des peuplades isolés ne sont probablement que les plus
apparents des impacts causés par l’écotourisme. Quen est-il de l’intégrité des processus
écologiques responsables du maintien de la mosaïque environnementale et des relations
trophiques, symbiotiques oume parasitiques qui lient entres elles les millions despèces dune
forêt, dune prairie, dun marais ou dun récif corallien ?
Les pressions exercées par l'homme sur son environnement entraînent habituellement des
modifications importantes dans la composition des communautés biotiques bien avant que les
processus, comme la production biologique, la décomposition et le recyclage des éléments
nutritifs, ne montrent des signes de défaillance (Schindler 1987). C'est pour cela que de plus en
plus d'écologistes croient que les changements observés dans la biodiversité constituent le meilleur
système d'alerte pour détecter rapidement et contrer le plus efficacement possible les atteintes qui
nuisent à l'intégrité des écosystèmes naturels.
La biodiversité mondiale : le bilan à l'aube du troisième millénaire
Les premières questions qui viennent à l'esprit quand on s'interroge sur la biodiversité d'un milieu
tournent invariablement autour du nombre d'espèces qui l'habitent et comment ce nombre évolue
en fonction des pressions qu'exercent les activités humaines sur ce milieu. Malheureusement, les
réponses à ces questions sont parmi les plus difficiles à trouver. Après un quart de siècle de
recherche par des systématiciens du monde entier, force est de constater que les estimations du
nombre total d'espèces sauvages vivant présentement sur la terre varient d'un ordre de grandeur,
soit un facteur de 10, et se situent entre 3 millions et 30 millions (May 1992). Plusieurs spécialistes
croient cependant que leur nombre s'éve à environ 13 millions et que ces espèces vivent surtout
dans les forêts et les récifs tropicaux (Briggs 1994). Ce nombre représente moins de 5 % des
espèces qui ont vécu à une époque ou à une autre sur la terre (Elson 1992).
Bien que la vie soit d'abord apparue dans la mer, et qu'elle ait bénéficié de huit fois plus de temps
pour se développer que celle en milieu terrestre, il est surprenant de constater qu'avec à peine 200
000 espèces marines, les océans du monde n'hébergent tout juste que 2 % de la biodiversi
mondiale actuelle (voir Briggs 1994, pour une explication écologique de cette disparité).
Des quelque 13 millions d'espèces qui vivent actuellement sur la terre, seulement 1,8 million ont
été décrites scientifiquement (Wilson 1989). Le travail de rattrapage à faire en systématique est à
ce point important qu'il faudrait près de 30 ans – à pas moins de 30 000 taxinomistes – pour
récupérer un tel retard. Or, au rythme où disparaissent actuellement les espèces en conséquence de
l'explosion démographique de l'homme, d'aucuns croient que près du tiers de la richesse biologique
actuelle de la planète pourrait disparaître avant que ne soit complétée cette gigantesque corvée en
2025 (Pineda 1992).
Pour les chercheurs chargés de faire des évaluations des conséquences environnementales de
l’écotourisme , cela signifie qu'ils devront accorder de plus en plus d'importance à l'étude des
espèces indicatrices du bon fonctionnement des écosystèmes, afin de prendre les mesures qui
assureront le maintien de conditions propices au développement des populations de ces espèces
«parapluies». Leur bien-être est garant de celui d'une myriade d'espèces compagnes, dont l'étude
individuelle serait irréaliste, compte tenu de la trop grande varté de formes vivantes et de la
rareté des ressources humaines et financières.
Heureusement, notre connaissance taxinomique des plantes vasculaires et des vertébrés, aussi bien
aquatiques que terrestres, est excellente. Ces organismes, pour la plupart suffisamment gros pour
permettre leur identification à l'oeil nu, ont fait l'objet de nombreux inventaires au cours des 30
dernières années. Ce sont principalement les patrons de distribution de ces grands groupes de
vivants qui devraient servir à établir les plans d’actions stratégiques pour le maintien de la
biodiversité aux différents niveaux d’intervention.
Il importe de mieux comprendre les processus écologiques ainsi que les échelles géographiques
auxquels ceux-ci opèrent, car la viabilité des populations de plusieurs espèces vedettes de
l’écotourisme (grands carnivores, grands migrateurs, primates, etc.) dépend en premier lieu de
l’intégrité de processus écologiques qui agissent à de larges échelles géographiques et temporelles.
Il deviendra alors évident que la conservation de la biodiversité ne peut être assurée sans une
meilleure collaboration entre les entités politiques des différentes régions biogéographiques de la
planète. En effet, plusieurs espèces sauvages dépendent, que ce soit pour leur alimentation ou leur
migration, d’une mosaïque environnementale qui se déploie sur plusieurs formations
géomorphologiques transcontinentales. Seul le développement de couplages internationaux entre
les représentants gouvernementaux, les aménagistes de la faune, les délégués des industries
tributaires des ressources naturelles (dont l’écotourisme) et les porte-parole des collectivités
locales peut garantir que notre compréhension des impacts de l’écotourisme (et des autres activités
qui prélèvent des ressources naturelles) sur les écosystèmes et les processus écologiques sous-
jacents progressera et que les nouvelles connaissances seront intégrées dans des plans de
conservation internationaux. Ce n’est qu’à cette échelle géographique et politique que ces plans
(en autant qu’ils soient intégrés et dynamiques) seront véritablement efficaces et que les valeurs
écotouristiques pourront être conservées pour les générations futures.
L’importance d’un plan de conservation multi-échelles
À eux seuls, les réseaux d'aires protégées ne pourront pas suffire à maintenir l'ensemble de la
biodiversité mondiale. En plus de couvrir une superficie relativement restreinte, ces réseaux
connaîtront toujours des lacunes importantes, puisque des superficies adéquates d'habitats ne sont
déjà plus disponibles pour la conservation dans les régions les plus fortement urbanisées ou
transformées par l’agriculture ou la foresterie. Bien qu'il s'y trouve quelques petits territoires qui
assurent, in extremis, la protection d'habitats pour des populations résiduelles d'espèces menacées
ou particulièrement rares à l'échelle régionale (filtre fin), la superficie totale et le déploiement
géographique de ces aires protégées sont nettement insuffisants pour permettre le maintien des
processus écologiques régionaux. Or, ceux-ci sont responsables de l'établissement, de la
reproduction et du développement de la végétation et des populations animales de ces secteurs.
Les communautés naturelles sont dynamiques. Elles subissent des transformations rapides
lorsqu'elles sont soumises aux perturbations naturelles et se modifient progressivement sous l'effet
de la succession végétale et des changements graduels du climat. Pour qu'il n'y ait pas de perte
nette et irréversible de la biodiversité, il importe de protéger non seulement les espèces les plus
vulnérables mais, plus encore, d'assurer également le maintien des conditions physiques et des
processus écologiques des sites où l'ensemble des espèces a évolué. Pour cela, il faudra faire en
sorte que les aires protégées soient entourées de territoires relativement « sauvages » et qu'elles
soient reliées entre elles par des corridors nombreux et suffisamment larges pour englober des
portions représentatives des écosystèmes régionaux. Ces corridors seront beaucoup plus vastes
que les aires protégées (Noss 1991). Outre le fait qu'ils sont nécessaires aux déplacements des
espèces qui ont besoin de grands territoires pour survivre, ils sont également essentiels au flux
génique entre populations. Cela permettra d'éviter l'enclavement, suivi de l'extirpation des
populations d'espèces spécialistes, qui pourraient bien ne pas être adaptées aux conditions futures
des sites qui les protègent actuellement.
Il est connu depuis longtemps qu'il est impossible de préserver durablement l'ensemble des
organismes et des écosystèmes dans des conditions satisfaisantes, si leurs seuls refuges sont des
aires protégées du type le plus classique, mais cette dernière formule est la seule qui ait été
largement appliquée jusqu'à présent. Les zones de protection intégrale, en nous mettant à l'abri des
défauts potentiels (actuels ou futurs, perçus ou non perçus) de nos modes d'exploitation des
ressources biologiques et d'occupation du territoire, ne doivent pas représenter un effort ultime de
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