La Canso
Si meliora dies, ut vina, poemata reddit
Depuis plus de vingt ans que le Conseil
général de l’Aude a lancé son ambitieux
programme de développement local, les
Audois se sont habitués à entendre parler
du Pays Cathare. Même pour les touristes
de passage, les silhouettes de nos châteaux
sont désormais associées à cette période de
notre histoire, au point qu’ils les appellent
bien souvent « châteaux cathares ». Il est
vrai que l’erreur est compréhensible si l’on
tient compte de la dimension guerrière que
prit l’histoire du catharisme lorsque le pape
Innocent III appela à la croisade contre les
hérétiques.
Cette croisade, dans l’Aude, nous avons
choisi de la commémorer. Non pas
qu’elle évoque des moments heureux, bien
au contraire. Mais parce qu’elle fut décisive
non seulement pour l’histoire mais égale-
ment pour la culture de notre territoire et
qu’aujourd’hui encore, son souvenir hante
la mémoire collective et contribue à la noto-
riété de notre région.
Je pense que nombreux seront ceux et
celles qui auront à cœur de marquer cet
anniversaire par des initiatives que j’espère
variées et de qualité tout au long de l’année
2009. C’est la raison pour laquelle j’ai de-
mandé à Alain Tarlier, président de la Com-
mission Culture, d’être particulièrement
attentif aux projets qui pourraient émerger
dans le cadre de cette commémoration.
Par ailleurs, j’ai coné à l’équipe des Ar-
chives Départementales la mission d’édi-
ter cette lettre que nous avons appelée La
Canso en référence au poème médiéval qui
raconte cette épopée. La Canso aura comme
objectif de rappeler les faits historiques de
la croisade mais aussi de créer un lien so-
lide entre tous les acteurs de la commémo-
ration.
En 2009, nous commémorerons un événe-
ment qui a profondément marqué l’his-
toire de notre région : ce sera en effet le huit
centième anniversaire de la croisade contre
les Albigeois. S’il en était besoin, l’abondance
des travaux publiés sur le sujet témoignerait
de la portée considérable de cette expédi-
tion guerrière : certes la croisade n’eut pas la
réussite escomptée puisqu’elle ne parvint pas
à anéantir l’hérésie cathare mais ses réper-
cussions sociales, politiques et économiques
furent profondes et durables : le monde mé-
diéval méridional en fut bouleversé.
Longtemps passée sous silence dans les
manuels d’histoire, la croisade contre les
Albigeois devient dans les années soixante un
élément constitutif de la mémoire identitaire
du Languedoc. Déjà, en 1907, les leaders du
mouvement viticole se considèrent comme
les descendants des populations méridiona-
les victimes des « barons du Nord » ; Ernest
Ferroul, le maire de Narbonne, participe le 12
septembre 1913 aux cérémonies organisées à
l’occasion du sep-
tième centenaire
de la bataille de
Muret. Mais c’est
avec l’émission
télévisée réali-
sée par André
Castelot, Alain
Decaux et Stellio
Lorenzi sur les
cathares que dé-
bute vraiment la
réappropriation
par les habitants
du Languedoc
de l’histoire de
la croisade. Diffu-
sée à une heure
de grande écoute en mars 1966, dans le ca-
dre de la série « La caméra explore le temps
», l’émission remporte immédiatement un
vif succès. Les téléspectateurs découvrent le
destin tragique de ces « oubliés de l’histoire
» ; ils se passionnent pour ces hommes, qui
apparaissent comme des victimes sacriées
aux intérêts du roi de France et de l’Eglise. La
grande fresque publiée en feuilleton à partir
de 1966 par Michel Roquebert dans le journal
La Dépêche du Midi sous le titre « L’épopée
cathare » contribue à populariser l’histoire du
catharisme. Le grand public s’enamme pour
ce récit savant et érudit, expressif et vivant,
que Michel Roquebert enrichit considérable-
ment au long des années, transformant les
soixante-dix articles primitifs en une œuvre
en cinq volumes publiée entre 1970 et 1998.
René Nelli, homme de lettres, philosophe et
ethnographe, par sa forte personnalité et ses
travaux fondamentaux sur les troubadours et
la littérature courtoise, participe lui aussi à la
construction de la mémoire occitane.
Commémorer la croisade
contre les Albigeois.
Edito
Marcel Rainaud
Sénateur de l’Aude
Président du Conseil général Simon de Montfort au siège de Minerve, 1210. Gravure sur bois de Paul Castela, XXe s. (A. D. Aude, 1 Fi 268)
Faites nous
part de vos
projets
Qui que vous soyez (collectivité,
association, compagnie théâtrale, auteur
ou éditeur, particulier, etc.), envoyez-
nous un bref descriptif des actions
culturelles que vous souhaitez mettre
en place, des publications que vous
projetez de réaliser (contenu, objectifs,
modalités de mise en œuvre). N’oubliez
pas de mentionner les coordonnées
(adresse, mail, téléphone) de la personne
responsable du projet.
Ce journal est le vôtre. Il donnera
régulièrement des informations sur les
manifestations culturelles programmées
à l’occasion du huitième centenaire de la
Croisade.
N’hésitez pas à nous écrire, que ce soit
pour nous adresser vos suggestions ou
nous faire part de vos initiatives.
Contacts : Archives
départementales de l’Aude
41 avenue Claude Bernard
11855 Carcassonne cedex 9
archives@cg 11.fr
Simon de Montfort.
Gravure XVIIIe s.
(A. D. Aude, 2 Fi 2778)
La Chanson de la Croisade contre les Albigeois, poème en langue d’oc de près de 10 000 alexan-
drins assonancés ou rimés, est connue grâce au manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale
de France (fonds français, ms. 25 425). Aucun titre ne précède le poème que son auteur appelle
simplement la Canso. L’œuvre comprend deux parties bien distinctes : le premier poème (2 768
vers) est dû à Guilhem de Tudela (originaire de la Navarre), clerc, établi un temps à Montauban
; l’auteur de la seconde partie (6 810 vers) est demeuré anonyme, il était vraisemblablement
originaire du diocèse de Toulouse. Dans un provençal mélangé de formes françaises, Guilhem
de Tudela raconte, sur un ton froid et assez convenu, les événements politiques et militaires
survenus en Languedoc entre 1207 et 1213. Favorable à la lutte des croisés contre l’hérésie, il
s’émeut toutefois des excès qu’ils peuvent commettre. Le deuxième auteur s’exprime dans une
langue beaucoup plus pure, celle de la région toulousaine ; son style est vif et il n’hésite pas à
introduire des dialogues entre les personnages qu’il met en scène pour assurer une meilleure
compréhension du récit. Très attaché à la cause des comtes de Toulouse, il commence son
récit au printemps 1213 et le laisse inachevé, s’interrompant brutalement au début du siège de
Toulouse en juin 1219.
La Chanson de la Croisade
contre les Albigeois
1209 La formation des armées de la Croisade, racontée par Guilhem de Tudela
Donc se crozan en Fransa e per tot lo regnat,
Can sabo que seran dels pecatz perdonat.
Anc mais tan gran ajust no vis, pos que fus nat,
Co fan sobre . ls eretges e sobre . ls sabatatz ;
Car los ducs de Bergonha s’en es la doncs crozat,
E lo coms de Nivers e manta poestatz.
So que las crotz costero d’orfres ni de cendatz,
Que silh meiren el peilhs deves lo destre latz,
E no . m mete en plah coment foro armatz
Ni com foren garnitz ni co encavalgatz,
Ni lor cavalz vestitz de fer, ni entresenhats :
Qu’anc Dieus no fetz gramazi ni clergue tant letrat
Que vos pogues retraire le ters ni la maitat,
Ni ja saubes escriure los prestres ni . ls abatz
Qu’a la ost de Bezers lai foro amassatz
Deforas el sablo.
Aussi se croisa-t-on en France et dans tout le royaume,
Quand on sut que de ses péchés on serait pardonné.
Jamais si grand rassemblement ne vis, depuis que je fus né,
Que celui qu’on t alors contre les hérétiques et les Vaudois
Car c’est là que se sont croisés le duc de Bourgogne
Et le comte de Nevers et tant d’autres puissants seigneurs.
Ce que coûtèrent les croix d’orfroi et de cendal
Qu’ils se mirent au côté droit de la poitrine,
Je ne le dirai pas, ni comment ils furent armés,
Ni comment ils furent équipés et montés,
Et leurs chevaux vêtus de fer et de caparaçons armoriés ;
Car Dieu n’a jamais créé savant ni clerc assez instruit
Pour vous en rapporter ne serait-ce que le tiers ou la moitié,
Ni énumérer les prêtres et les abbés
Qui se trouvèrent là-bas à l’armée réunie sous les murs de Béziers,
Dans la plaine.
D’après l’édition d’Eugène Martin-Chabot (Paris, Les Belles-Lettres, 1960, 3 vol.)
1 Désignés ici sous leur surnom sabatatz, chaussés de sandales ou de sabots.
2 Bandes de riches broderie.
3 Toile de soie dont étaient faites communément les bannières et les pennons.