sens, cette fois-ci du nationalisme gauchisant vers
l’islam politique.
Il faudrait ainsi distinguer les phénomènes de
ruptures politiques et idéologiques – celles qui
vont par exemple d’un tiers-mondisme s’écrivant
dans le vocabulaire de la gauche à un islamisme
révolutionnaire s’y substituant - et les éléments
de continuité cachés dans le politique au Moyen-
Orient. Il ne faut naturellement pas négliger les
phénomènes de basculements idéologiques, en
traçant une ligne de continuité politique qui irait
de Georges Habache3 à l’Ayatollah Khomeyni.
Le projet islamique iranien n’est naturellement
pas tout à fait le même que celui du Mouvement
national libanais, socialisant, de Kamal Jounblatt4
dans les années 1970. Les désaccords
programmatiques ne sauraient être négligés. Mais
ce qui interroge tout de même, c’est la
permanence de ces passages entre l’islam
politique et les mouvements de gauche et laïcs,
d’hier à aujourd’hui. Certains traits de continuité
tiers-mondiste, fondés sur la véritable « idéologie
implicite 5» à l’œuvre au Moyen-Orient, celle que
nous appellerons idéologie de libération
nationale, parcourent l’histoire de ces
mouvements, dans leur infinie pluralité. Derrière
les idéologies explicites, les discours et doxas
officiels de partis, de mouvements et
d’organisations, celles qui traversent l’histoire
politique de la seconde moitié du Vingtième
siècle, derrière les « baathismes » ,
« islamismes », « nassérisme », et autres ismes,
résiderait donc une « idéologie implicite »
continue et transversale, idéologie tiers-mondiste
s’appuyant sur la non-résolution de la question
nationale dans la région, et dont les multiples
idéologies en vogue et se substituant les unes aux
autres ne seraient en définitive que les voiles
apparents. L’islam, aujourd’hui « force dominante
de mobilisation des masses dans le monde
musulman », n’efface pas ainsi « la continuité
entre les deux tiers-mondismes (…) : on trouvait
naguère dans la mouvance marxisante une même
synthèse entre révolution et théologie (‘théologie
de la libération’), le même activisme volontariste
et la même quête d’une ‘authenticité’ en rupture
avec les modèles occidentaux, y compris
soviétiques.6 »
De Pékin à Téhéran"4
3 Georges Habache fonda le Front populaire pour la libération de la Palestine en décembre 1967, branche
palestinienne du Mouvement des nationalistes arabes (MNA).
4 Le Mouvement national libanais, incarné par la figure du leader druze du Parti socialiste progressiste (PSP)
Kamal Jounblat, regroupa, dans le cadre de la guerre civile libanaise à partir de 1975, les principales forces de
gauche nationalistes – Parti communiste libanais, Organisation d’action communiste au Liban, PSP.
5 Le concept d’idéologie implicite est tiré de Maxime RODINSON, in Marxisme et monde musulman, Éditions du
Seuil, Paris, 1972. Il a également été utilisé par Anouar ABDEL-MALEK, in Idéologie et renaissance nationale :
l’Egypte moderne, Éditions L’Harmattan, 2005.
6 Olivier ROY, L’échec de l’islam politique, Editions du Seuil, 1992, pp 18-19.