Plus tard, j’ai pris contact avec la paroisse orthodoxe russe de langue française de la crypte, rue Daru à
Paris. J’y venais régulièrement, j’ai même fait partie du chœur. C’est ainsi que j’ai découvert plus
concrètement la piété orthodoxe, en faisant la connaissance de Michel Evdokimov, qui était alors
responsable de la chorale. J’avais commencé à découvrir le monde théologique orthodoxe au Séminaire en
lisant Essai sur la théologie mystique de l’Église d’Orient de Vladimir Lossky (1944).
Vous avez dit qu’en 1960 vous aviez rencontré concrètement les anglicans ?
Cette année-là j’ai passé sept mois à Jérusalem, et ce séjour a transformé ma vie. J’étais en principe
étudiant à l’École Biblique dominicaine mais je logeais chez les Pères Blancs de Sainte-Anne, dans la
vieille ville, qui n’avait guère changé depuis les Croisés ! J’étais plongé pour la première fois dans une
autre manière d’être chrétien, au milieu d’Églises aussi anciennes que mon Église latine.
La fête de Pâques rassemblait des foules, en des célébrations toutes différentes et qui se bousculaient
parfois. Je n’étais pas scandalisé par les divisions mais plutôt impressionné par la vitalité de ces traditions
anciennes. Pourtant le chemin de la reconnaissance et du respect mutuels s’annonçait bien long. C’est là
aussi que j’ai fait ma première rencontre concrète avec une communauté anglicane, celle de la paroisse
Saint-Georges, souvent invitée à Sainte-Anne, bien avant de découvrir les fastes religieux de l’Evensong
dans les cathédrales de Cantorbéry et de Salisbury.
J’ai commencé à réaliser que l’Église latine n’est pas seule, que l’Église universelle est la communion des
Églises locales, que le rôle du pape n’est pas de tout gouverner, mais d’être le sacrement de l’unité dans
la foi et l’amour.
Vous avez pris part au dialogue de l’Église catholique avec le judaïsme ?
J’ai soutenu une thèse, en juin 1968, sur un thème de l’Ancien Testament [2], mais sans m’intéresser alors
au monde juif contemporain. Plus tard, on m’a demandé de remplacer le chanoine Henri Renard, qui avait
travaillé après guerre avec Jules Isaac à la naissance des groupes de l’Amitié judéo-chrétienne. C’est ainsi
que j’ai été appelé à participer au Comité épiscopal pour les relations religieuses avec le judaïsme, où j’ai
siégé quelques dizaines d’années, marquées par la crise du Carmel d’Auschwitz entre autres. Chargé de
cours d’initiation au judaïsme vivant et d’un enseignement sur la signification des religions, j’ai été amené
à situer les questions œcuméniques dans le paysage théologique.
Est-ce que le destin du peuple juif peut apporter quelque chose au rapprochement des chrétiens
?
Dans le dessein de Dieu, le peuple juif a une signification particulière : en lui Dieu s’est révélé, avec lui
Dieu a fait alliance, une alliance jamais révoquée. Paul l’affirme en Romains 9-11, dans un texte qui a été
longtemps oublié par la théologie chrétienne. Ce qui veut dire que le juif continue à faire partie de
l’histoire du salut en même temps que le chrétien. Le juif a donc un statut différent des croyants des
autres religions ; il nous rappelle sans cesse l’enracinement du Christ dans notre histoire, au moment où
les chrétiens découvrent les richesses des grandes religions. Il nous rappelle aussi que la foi catholique
romaine n’a pas vocation à tout absorber des valeurs des autres. Il peut y avoir une part irréductible, que
nous avons à respecter.
Vous avez été plus de quinze ans coprésident du French ARC
Après le Concile, la première commission de dialogue mise en place par l’Église catholique en France, dès
1969, a été le Comité anglican-catholique, plus connu sous son nom anglais de French ARC. Quand
Suzanne Martineau [3] a quitté son poste de coprésidente de ce comité en 1989, on m’a demandé de la
remplacer, aux côtés de Martin Draper comme président du côté anglican – qui est devenu un grand ami.
L’ambiance y était toujours très bonne, très cordiale. Nous avons mis au point en 1979 et finalement
publié en 1990 un document important, qui reste sans pareil dans les dialogues entre Églises occidentales
: Twinnings and Exchanges [4] . Contresigné par les autorités catholiques et anglicanes des deux côtés de
la Manche, et visé par Rome, il stipule que les anglicans éloignés de leurs paroisses lorsqu’ils sont en