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Les Cahiers de l’Audition - N°3/2011
> DOSSIER
conséquence de l’entraînement serait d’améliorer le timing neural
dans le bruit, à la fois au niveau du TC et du cortex. L’entraînement
lèverait en particulier la vulnérabilité au bruit des réponses corticales
et sous-corticales et aiderait à extraire l’information acoustique per-
tinente dans le bruit.
De telles études suggèrent donc que l’entraînement est susceptible
de normaliser le fonctionnement cérébral chez les enfants qui en
bénéficient, bien qu’il ne résulte pas nécessairement en des chan-
gements comportementaux immédiats relatifs aux compétences en
lecture et en orthographe. Earobics et FFW ont en effet tous les deux
été critiqués de par les améliorations modestes sur le plan de ces
compétences. On peut toutefois raisonnablement supposer qu’une
fonction physiologique normalisée pourrait être un pré-requis à des
changements comportementaux.
La remédiation des troubles d’apprentissage du langage et des
troubles auditifs centraux reste, à l’heure actuelle, un défi de taille.
En effet, les interventions plus classiques basées sur la phonolo-
gie n’ont pas non plus mené à des améliorations conséquentes des
capacités en lecture (e.g. Wise, Ring & Olson, 2000). Les données
disponibles suggèrent qu’aucune prise en charge ne peut, à elle
seule, être considérée comme golden standard pour tous les enfants
souffrant de troubles liés à l’axe audition-langage.
De plus, dans la mesure où les troubles auditifs centraux sont asso-
ciés avec des déficits auditifs qui ne sont pas nécessairement spé-
cifiquement linguistiques, il peut être utile de se référer aux études
d’entraînement auditif non verbal. Dans la population générale, la
discrimination de nombreux indices acoustiques (e.g. hauteur tonale,
durée) s’améliore de façon substantielle avec la pratique (e.g. Wright,
2001) et l’entraînement s’accompagne de changements cérébraux
(e.g. Menning et al., 2000), attestant la plasticité du système auditif
central, même à l’âge adulte. Chez les enfants à troubles d’appren-
tissage du langage, peu d’études ont été menées à cet égard mais
quelques données pointent en faveur d’un entraînement auditif non
verbal. Kujala et al. (2001) ont entraîné des enfants de sept ans,
atteints de déficits en lecture, à partir de tâches d’appariement de
patrons audio-visuels. Les enfants entendaient des séries de patrons
de sons non verbaux qui variaient en hauteur tonale, durée et inten-
sité et devaient les apparier à des patrons visuels correspondants.
Cet entraînement (10 minutes deux fois par semaine, pendant sept
semaines) a résulté en une amélioration significative de la vitesse et
de la précision en lecture et en une augmentation significative de
la MMN évoquée par des changements en fréquence du deuxième
stimulus d’une paire. Les auteurs concluent que l’amélioration des
capacités en lecture serait associée à des changements neuronaux
précoces, reflétés par la MMN et à des changements comportemen-
taux, reflétés par les temps de réaction et par les performances dans
la version test du programme d’entraînement.
Schaffler, Hartnegg et Fischer (2004) ont entraîné un grand groupe
de dyslexiques via cinq tâches auditives (discrimination d’intensité,
de fréquence, détection d’interruption, jugements d’ordre temporel
et latéralisation auditive). Près de 80% des enfants se sont amélio-
rés pour chaque tâche, atteignant le niveau des enfants de contrôle
appariés en âge. Ces gains perceptifs étaient accompagnés d’amé-
liorations significatives en discrimination phonologique et en ortho-
graphe. Banai et Ahissar (2003) ont obtenu le même type de résultat
(amélioration en perception du langage et en mémoire de travail
verbale) avec un entraînement de même type (grand nombre de
tâches de discrimination auditive) chez des adolescents sévèrement
dyslexiques et souffrant de troubles d’apprentissage additionnels.
Enfin, l’expérience musicale semble être une perspective intéres-
sante à envisager. Quelques données récentes indiquent que les
personnes musiciennes effectuent un encodage plus précis de la
hauteur tonale des stimuli de parole que les non-musiciens, non
seulement au niveau du TC (Wong, Skoe, Russo, Dees & Kraus,
2007), mais aussi au niveau cortical (Musacchia, Strait & Kraus,
2008). De plus, l’expérience musicale limite les effets négatifs du
bruit sur les PEAP évoqués par des stimuli linguistiques (Parbery-
Clark, Skoe & Kraus, 2009). Ainsi, comprendre précisément quels
facteurs cognitifs et psychoacoustiques en lien avec l’expertise
musicale contribuent à la perception du langage dans le bruit pour-
rait mener à la mise en place de programmes de remédiation plus
efficaces pour les personnes chez qui la perception du langage dans
le bruit constitue un défi particulier. Par ailleurs, de tels résultats
fournissent des arguments supplémentaires en faveur de l’idée
selon laquelle l’expertise musicale est susceptible d’être transfé-
rée à d’autres domaines et mettent en évidence l’importance de
prendre l’expertise musicale potentielle en considération lorsqu’on
évalue une personne souffrant de troubles de la perception du lan-
gage dans le bruit (Parbery-Clark, Skoe, Lam & Kraus, 2009).
5Conclusion
Il est aujourd’hui bien admis que le diagnostic et la remédiation pré-
coces sont d’une importance capitale pour améliorer le développe-
ment du langage et les capacités d’apprentissage chez les enfants
souffrant de troubles d’apprentissage du langage avec troubles
auditifs centraux associés. Plusieurs marqueurs biologiques du
traitement auditif ont été récemment proposés : délai de latence
des PEAP évoqués par des syllabes, corrélation des PE corticaux
évoqués dans le calme et dans le bruit et même, chez des nou-
veaux-nés à risque de développer des troubles d’apprentissage
du langage, un patron différent des réponses corticales évoquées
par des syllabes, par rapport à des nouveaux-nés de contrôle
(voir Lyytinen et al., 2005 pour une revue).
Dans la pratique clinique, l’utilisation de ces marqueurs, en plus
des batteries de tests disponibles, pourrait contribuer au diagnostic
et au choix des techniques de remédiation. D’autres études sont à
présent nécessaires afin d’éclaircir les liens entre ces marqueurs et
les mesures comportementales diagnostiques des troubles auditifs
centraux, ainsi que leur applicabilité aux différents sous-groupes et
aux différents stades développementaux. Les recherches futures
devraient également tenter de mettre en évidence des marqueurs
différents, correspondant aux différents types de troubles auditifs
centraux observés. Cette approche biologique pourrait, à terme, me-
ner à une meilleure compréhension des différentes manifestations
cliniques des troubles d’apprentissage du langage et des troubles
auditifs centraux.
6Références
1. Abrams, D.A., Nicol, T., Zecker, S.G., Kraus, N. (2006). Auditory
brainstem timing predicts cerebral asymmetry for speech. The Jour-
nal of Neuroscience, 26(43), 11131-11137.
2. Abrams D, Nicol T, Zecker S, Kraus N. (2008) Right-hemisphere audi-
tory cortex is dominant for coding syllable patterns in speech. Journal
of Neuroscience 28(15): 3958-3965.