POLITIQUES AFRICAINES ET IDENTITÉS Des liaisons dangereuses 3 Samba DIAKITÉ POLITIQUES AFRICAINES ET IDENTITÉS Des liaisons dangereuses « DIFFÉRANCE PÉRENNE » 5 8 dirigeants, savent se souvenir. À la vérité, si les acteurs de notre histoire récente demeurent les mêmes, les rôles ont, certainement, changé. Mais ce qui pourrait inquiéter, ce sont les pratiques, les mises en scènes, les partitions que chacun d’entre- nous devrait jouer non pour une fin de l’histoire mais pour un commencement nécessaire vers un but nécessaire. Cela suppose que chaque acteur mesure la plénitude de ses responsabilités et qu’il comprenne que chaque pas qu’il pose est un pas sacré pour son pays et que l’histoire de ce pas est l’histoire-pour - l’Afrique. C’est ainsi que l’Afrique sera plus démocratique et plus, économiquement et socialement, épanouie. Le progrès de notre continent dépendra, à coups sûrs, des mentalités des nouveaux acteurs du changement, de leurs rôles et de leurs fonctions. On sait qu’en Afrique, le slogan : «l’homme qu’il faut à la place qu’il faut» est un leurre. Mais les nouveaux dirigeants africains se doivent de nous montrer leurs capacités de dépassement et prouver au monde que l’Afrique peut sortir des sentiers battus en s’imposant une éthique de la politique, une éthique de la vie et de la responsabilité. La question n’est plus de savoir s’ils réussiront ou pas. Ils doivent réussir, c’est un impératif catégorique. Le peuple d’Afrique ne veut plus continuer à être déçu de ses intellectuels devenus présidents. Les nouveaux dirigeants des États africains doivent faire leurs possibilités et montrer que L’AFRIQUE ne doit plus continuer à vivre d’espérance mais elle doit se res-sourcer d’angoisse et de certitude. Angoisse du travail et du souvenir de ceux qui sont morts pour LA RE-NAISSANCE et certitude du développement économique, social et 10 politique s’est transformée en porno-politique ; la démocratie en démon-cratie. L’éducation en édulcoration ; le palais s’est transformé en pâle-lueur pour n’advenir que comme une plaie béante, puante et purulente. Il faut craindre que ce qui a tué «l’Afrique –nationaliste» ne tue l’Afrique –plurielle, l’Afriqueouverte et émancipée. Les nouveaux pouvoirs africains pourraient réussir à condition qu’ils se méfient de l’opium des intellectuels et qu’ils fassent de l’éthique la mesure de leur gouvernement et de leurs pouvoirs car, actuellement, en Afrique, il n’y a plus de repères. L’ÉTHIQUE n’existe nulle part. Or, qu’est- ce qu’une société qui a perdu ses repères les plus élémentaires? Comment mettre fin à ce n-importe-quoi-isme, selon le mot de Henry Lefebvre? Nous pensons qu’il faut revoir tout notre système éducatif. La Re-naissance de notre continent dépendra en totalité de la capacité de nos ministres de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique ainsi que de celui de la culture, d’instaurer dans nos établissements scolaires le changement des mentalités, la re-conversion des valeurs en donnant à l’éthique toute la place qui est la sienne. Il ne faut plus poser les mêmes pas. Il faut un nouvel ordre politique, social et culturel décent en réconciliant les identités, en déchirant les nasses identitaires. Pour l’Afrique de demain, chaque pas compte et tout pas posé doit être un pas d’espoir pour le vivre-ensemble, mais un pas comme le retour du même, est un pas perdu et rendra puantes les plaies de cette Afrique balafrée et en sursis. 12 Prophétie ou profession de foi ?Une chose est certaine :à l’heure des bilans, le constat est clair :nous avons perdu notre innocence . Désormais, le trésor appartient aux multinationales et aux rois. N’est-ce pas qu’ils sont venus pour éclairer ? L’Afrique des éclaireurs, l’Afrique où le trésor se perd mais il « n’a pas été perdu à cause des circonstances historiques et de la malchance mais parce qu’aucune tradition n’avait prévu sa venue ou sa réalité, parce qu’aucun testament ne l’avait légué à l’avenir. »1Pour notre part, au-delà du voile idéologique et politique, notre tâche consistera à mettre en exergue la problématique des Pouvoirs en Afrique :comment les Etats africains perdent leur autonomie face aux pressions des multinationales .Comment faut-il comprendre et saisir conceptuellement la réalité historique et la domination des multinationales en Afrique ?Le transfert des technologies est- il une croisade humanitaire ou une politique de domination dont l’enjeu serait la recolonisation ?Ne faut-il pas revoir les Accords ?Quels rôles jouent les pouvoirs africains dans cette tour de passe-passe ? Toutes ces questions nous emmènent au cœur même de la philosophie politique et nous permettent de comprendre que l’Afrique est une énigme .Le rôle de la philosophie est de la déchiffrer, l’interpréter, la dévoiler afin de la saisir dans son fond. Saisir l’Afrique dans son fond, c’est sûrement refuser le 1 Hannah Arendt,La crise de la culture, (Paris,Gallimard,1999, trad Jacques Bontemps et Patrick Lévy), p.14 14