Jean PERNES - iPubli

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Société Française de Génétique
Jean
Notre collègue Jean Pernès est décédé en
juillet 1 989. Il entrait juste dans sa cin­
quantième année, nous savions cependant
qu'il avait déjà dû prendre du recul par
rapport à l ' activité professionnelle.
Dès sa sortie de l ' Institut national agro­
nomique de Paris en 1 962, il part en
Afrique au titre du Service national puis
de l 'Orstom. Il y effectue la première
période de sa carrière . Il est marqué par
l 'extraordinaire diversité du monde vivant
en milieu tropical et la richesse des stra­
tégies adaptatives et évolutives, bien plus
grande que dans les régions tempérées
d' Europe. Il est aussi marqué par
l ' importance biologique de l ' intervention
du paysan depuis des siècles et par la
place modeste et effacée que la société lui
reconnaît bien qu'elle lui doive son exis­
tence. En 1 973, Jean Pernès est nommé
professeur à l 'université de Paris-Sud. Il
avait en effet poursuivi des études uni­
versitaires tout en accomplissant sur le
terrain son métier d'améliorateur de plan­
tes et avait entretenu des rapports étroits
avec l 'ensemble des collègues qui ont créé
à Orsay la Génétique, la Biologie végé­
tale, l'Amélioration des plantes. Amenant
dans la vallée une perspective et une
compétence originales, Jean Pernès est
invité à créer au Cnrs à Gif-sur-Yvette
le laboratoire de Génétique et Physiolo­
gie des plantes. Cette structure intime­
ment associée à notre université permet­
tra la formation à la recherche d'un nom­
bre important de jeunes. Jean Pernès atti­
rait les étudiants parce qu ' il leur propo­
sait une réflexion théorique et une démar­
che expérimentale originales pour com­
prendre l 'évolution des espèces végétales
et les voies utilisées par l'homme pour
leur domestication.
Sollicité par les instances internationales
(FAO par exemple) pour animer de nom­
breux cours à l'étranger, Jean Pernès a
eu un rayonnement important . Ses élè­
ves constituent aujourd'hui une école. La
pertinence de leurs idées et de leurs
réflexions est attestée par leurs résultats
et leurs obtentions. Ils ont aujourd'hui
des positions de responsabilité en agro­
nomie, à l ' Université, dans la recherche
x
'
PERNE S
en Afrique du Nord, en Afrique tropi•
cale, en Amérique centrale et en Améri­
que du Sud. Ils sont aussi présents et
développent leurs idées dans les institu­
tions françaises publiques et privées (Ors­
tom , Cirad, universités, etc . ) .
Les deux contributions intellectuelles
majeures de Jean Pernès concernent
l 'évolution des espèces végétales et la
domestication. Ayant constaté que des
espèces voisines pouvaient échanger (cer­
tes fort rarement) des gènes, Jean Per­
nès a montré combien ce flux horizontal
pèse sur l 'évolution des pools génétiques
et a proposé que soient identifiés dans le
monde vivant des ensembles évolutifs
appelés complexes d'espèces. A l'intérieur
de ces complexes, les relations entre indi­
vidus se font à deux niveaux : au niveau
des interactions entre leurs activités et au
niveau des échanges entre leurs génomes .
L'homme peut être u n acteur résolu dans
ces relations, pesant sur les flux géniques,
il fait émerger des complexes d'espèces les
structures génotypiques qui l ' intéressent.
Ayant pris conscience très tôt de ce rôle ,
Jean Pernès fut un des premiers dans
notre pays à mettre en garde contre les
conséquences de l ' uniformisation et
l 'industrialisation à courte vue des acti­
vités agronomiques. Pendant des années,
il a tenté de sensibilisr notre société à la
nécessité de connaître , de préserver et
d'enrichir la diversité biologique. Dans les
années 80, ses appels ont été entendus :
il a participé à la constitution du Bureau
des ressources génétiques au ministère de
la Recherche et de la Technologie, puis
il a créé une option Ressources généti­
ques " dans le cadre du DEA d 'Amélio­
ration des plantes de Paris-Sud, enfin,
avec André Gallais, le DEA de Ressour­
ces génétiques. Aujourd'hui, la société
française et ses institutions scientifiques et
politiques mettent au premier rang de
leurs préoccupations la connaissance, la
maîtrise conservatoire et l'enrichissement
du patrimoine génétique du vivant. La
tâche n 'est pas achevée cependant. Dès
1 982, Jean Pernès mettait la communauté
en garde en écrivant : De nombreux
propos tendent à faire croire qu'il faut
«
ramasser et stocker de toute urgence le
plus possible d'échantilJons, car il y a
sûrement un trésor caché dedans. Si nous
sommes· bien persuadés que " trésor il y
a" , ce n'est justement pas pour s' asseoir
sur un tas d'or, mais bien , au contraire,
pour travailler et prendre la peine de
montrer comment biologiquement sont
constituées ces ressources (faites de la
diversité et de l ' action continue de
l ' homme depuis des millénaires), com­
ment leur étude peut suggérer des utili­
sations nouvelles, une gestion dynamique
et créatrice . "
Jean Pernès portait sur le monde vivant
et sur la société des hommes un regard
aigu et original. Il n'avait pas son pareil
pour repérer au milieu des milliers de
plants d'un champ de mil le pied, appelé
hors-type, qui était le fruit d 'un de ces
rares événements hétérodoxes d 'échange
génétique entre plantes d 'espèces différen­
tes. Il savait de la même manière recon­
naître et valoriser la différence entre les
hommes. Cela a même constitué le mes­
sage au second degré que ses élèves ont
trouvé dans son enseignement . Bien sûr
une telle personnalité rencontre des obs­
tacles dans la vie sociale (et Jean Pernès
a eu son lot d 'obstacles, que ce soit à
Paris au tout début des années 60, en
Afrique ou à l 'université et au Cnrs), il
n'en avait pas gardé d' amertume fonda­
mentale mais avait régulièrement essayé
de comprendre .
Pour rencontrer les paysans et leur par­
ler il avait appris l'arabe, les langues afri­
caines. Et quand le temps a commencé
à lui manquer, quand l 'expérimentation
telle que nous la conduisons n ' était plus
possible, la musique, le grec ancien et
l ' araméen l ' ont aidé à mener une
réflexion mystique.
Comment voulez-vous qu'un généticien
pareil n'ait pas marqué ses étudiants ?
«
J.-C.
MOUNOLOU
et A. SARR
mis n ° 7 vol. 6, stptembre
90
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