Le
Praticien
en
anesthésie
réanimation
(2015)
19,
298—303
Disponible
en
ligne
sur
ScienceDirect
www.sciencedirect.com
MISE
AU
POINT
Comment
ventiler
le
patient
obèse
en
pré-
et
postopératoire
?
How
to
ventilate
the
obese
patient
before
and
after
surgery?
Audrey
De
Jong
Audrey
De
Jonga,
Marion
Monnina,
Pierre
Trinh
Duca,
Martin
Mahula,
Emmanuel
Futierb,
Samir
Jabera,
aDépartement
anesthésie
et
réanimation
B
(DAR
B),
hôpital
St.-Éloi,
CHU
de
Montpellier,
80,
avenue
Augustin-Fliche,
34295
Montpellier
cedex,
France
bDépartement
anesthésie
et
réanimation,
hôpital
Estaing,
CHU
de
Clermont-Ferrand,
63100
Clermont-Ferrand,
France
Disponible
sur
Internet
le
12
novembre
2015
MOTS
CLÉS
Obésité
;
Obèse
;
Ventilation
;
Périopératoire
;
Préopératoire
;
Postopératoire
;
Atélectasie
;
Ventilation
non
invasive
Résumé
L’augmentation
de
la
prévalence
de
l’obésité
amène
à
prendre
en
charge
des
patients
obèses
de
fac¸on
quotidienne
pour
tous
types
d’actes
chirurgicaux,
qui
nécessitent
une
prise
en
charge
périopératoire
spécifique.
Le
patient
obèse
présente
des
particularités
res-
piratoires,
avec
notamment
une
augmentation
du
travail
respiratoire
au
repos
et
une
capacité
résiduelle
fonctionnelle
diminuée
favorisant
la
formation
d’atélectasies.
Le
syndrome
d’apnées
du
sommeil
est
très
fréquent
chez
le
patient
obèse,
nécessitant
dans
certaines
indications
une
ventilation
nocturne
préopératoire
en
pression
positive
continue.
Dans
cette
population,
la
ven-
tilation
protectrice
positive
périopératoire
doit
être
appliquée,
peut-être
plus
encore
que
dans
la
population
générale.
Une
longue
préoxygénation
en
pression
positive
et
en
position
semi-
assise
suivie
de
manœuvres
de
recrutement
après
l’intubation
permet
de
diminuer
le
risque
d’hypoxémie
et
de
formation
peropératoire
d’atélectasies.
Le
recours
préventif
à
la
ventila-
tion
non
invasive
ou
pression
positive
continue
postopératoire
doit
être
le
plus
fréquent
possible
après
extubation,
a
fortiori
si
le
patient
présente
un
syndrome
d’apnées
du
sommeil.
En
cas
de
syndrome
détresse
respiratoire
aiguë,
le
décubitus
ventral
est
chez
le
patient
obèse,
une
thé-
rapeutique
sûre
et
efficace.
L’optimisation
de
la
ventilation
peut
ainsi
permettre
de
diminuer
les
complications
respiratoires
postopératoires.
©
2015
Elsevier
Masson
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Tous
droits
réservés.
Auteur
correspondant.
Adresse
e-mail
:
s-jaber@chu-montpellier.fr
(S.
Jaber).
http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2015.10.003
1279-7960/©
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Comment
ventiler
le
patient
obèse
en
pré-
et
postopératoire
?
299
KEYWORDS
Obesity;
Obese;
Ventilation;
Perioperative;
Preoperative;
Postoperative;
Atelectasis;
Non
invasive
ventilation
Summary
Because
of
the
increasing
prevalence
of
obesity
surgical
procedures
specific
or
not,
are
more
commonly
performed
in
obese
patients.
The
obese
patient
has
respiratory
specificities,
with
a
decreased
residual
functional
capacity
leading
to
an
increased
risk
of
atelectasis,
and
an
increased
work
of
breathing
at
rest.
Obesity
is
also
commonly
associated
with
an
obstructive
sleep
apnea
syndrome
requiring
continuous
pressure
positive
ventilation
by
night.
Perioperative
positive
pressure
ventilation
(‘‘POP’’
ventilation)
should
be
applied
in
all
obese
patients.
A
long
period
of
preoxygenation
with
positive
pressure,
in
a
semi-upright
position,
followed
by
recruit-
ment
maneuvers
after
the
intubation,
allows
decreasing
the
occurrence
of
hypoxemia
and
atelectasis
development
in
the
perioperative
period.
Postoperatively,
preventive
non-invasive
ventilation
should
be
used
extensively
after
extubation,
especially
if
the
patient
has
an
obs-
tructive
apnea
syndrome.
Eventually,
if
an
acute
respiratory
distress
syndrome
occurs,
prone
position
is
a
safe
and
effective
therapy.
Optimization
of
the
pre
and
postoperative
ventilation
settings
in
the
obese
patient
could
allow
decreasing
the
postoperative
pulmonary
complications
rate.
©
2015
Elsevier
Masson
SAS.
All
rights
reserved.
Introduction
L’obésité,
définie
par
un
index
de
masse
corporelle
(IMC)
30
kg/m2,
est
un
problème
de
santé
publique
en
Europe.
Les
données
les
plus
récentes,
issues
des
études
épidémio-
logiques
nationales
laissent
à
penser
que
la
prévalence
de
l’obésité
dans
les
pays
européens
se
situe
actuellement
entre
10
et
20
%
chez
l’homme
et
entre
10
et
25
%
chez
la
femme.
Des
patients
obèses
sont
donc
pris
en
charge
quotidien-
nement
pour
tous
types
d’actes
chirurgicaux.
La
pratique
de
plus
en
plus
fréquente
de
la
chirurgie
bariatrique
a
mis
en
lumière
la
prise
en
charge
périopératoire
du
patient
obèse
«
morbide
»
(IMC
40
kg/m2)
et
«
superobèse
»
(IMC
50
kg/m2).
Les
chirurgies
plastique,
visant
à
corriger
le
préjudice
fonctionnel
et
esthétique
du
à
la
surcharge
graisseuse
ou
après
la
perte
de
poids,
et
carcinologique,
qui
tient
une
place
importante
étant
donné
l’incidence
élevée
de
certains
cancers
chez
l’obèse,
se
sont
égale-
ment
développées.
Les
patients
obèses
peuvent,
au
même
titre
que
le
reste
de
la
population,
subir
tout
autre
type
de
chirurgie
allant
de
la
chirurgie
pédiatrique
au
pon-
tage
aorto-coronaire
sous
circulation
extracorporelle
sans
oublier
les
interventions
en
urgence,
sources
de
surmor-
bidité
et
surmortalité
périopératoire.
Les
patients
obèses
sont
exposés
à
un
risque
accru
de
complications
respira-
toires,
parmi
lesquelles
le
syndrome
de
détresse
respiratoire
aiguë
(SDRA)
[1].
L’augmentation
de
la
pression
intra-
abdominale
chez
l’obèse
est
responsable
de
modifications
de
la
mécanique
respiratoire
et
d’une
réduction
prononcée
des
volumes
pulmonaires,
particulièrement
de
la
capacité
résiduelle
fonctionnelle
(CRF),
qui
prédispose
ces
patients
à
la
formation
d’atélectasies.
De
plus,
ils
présentent
souvent
des
comorbidités
à
type
de
broncho-pneumopathie
chro-
nique
obstructive,
syndrome
d’apnées
du
sommeil
(SAS)
ou
syndrome
d’hypoventilation
alvéolaire
(syndrome
obésité
hypoventilation).
La
ventilation
pré-
et
postopératoire
chez
ces
patients
représente
un
réel
défi
pour
l’équipe
médico-chirurgicale
et
particulièrement
l’anesthésiste-réanimateur,
en
tant
que
«
médecin
du
périopératoire
».
Les
objectifs
de
cet
article
sont
de
proposer
les
modalités
d’une
optimisation
de
la
ven-
tilation
préopératoire
et
postopératoire
du
patient
obèse
afin
de
diminuer
les
complications
respiratoires
postopéra-
toires.
Particularités
physiopathologiques
du
patient
obèse
La
formation
d’atélectasie
en
périopératoire
est
une
des
causes
majeures
d’hypoxémie
peropératoire
et
post-
opératoire.
Elle
contribue
à
l’augmentation
du
shunt
intrapulmonaire
(Tableau
1).
Les
atélectasies
sont
non
seule-
ment
plus
fréquentes
chez
le
patient
obèse
pendant
la
période
opératoire,
mais
elles
persistent
en
postopératoire
alors
qu’elles
disparaissent
complètement
chez
les
sujets
non
obèses.
Ce
phénomène
est
probablement
multifacto-
riel
:
la
capacité
résiduelle
fonctionnelle
(CRF)
du
patient
obèse
est
réduite
et
cette
réduction
est
aggravée
par
le
décubitus
dorsal
et
l’anesthésie
générale
suivie
de
la
ven-
tilation
mécanique.
Même
en
dehors
de
toute
anesthésie,
l’oxygénation
diminue
avec
l’augmentation
de
la
masse
corporelle.
La
consommation
d’oxygène
et
le
travail
respi-
ratoire
sont
en
effet
augmentés
chez
les
patients
obèses.
Au
repos,
les
patients
obèses
présentent
une
consommation
d’oxygène
1,5
fois
plus
élevée
que
les
patients
non
obèses.
Si
on
considère
que
les
muscles
respiratoires
contribuent
pour
moins
de
3
%
à
la
consommation
d’oxygène
de
l’organisme,
cette
contribution
serait
supérieure
à
15
%
chez
des
sujets
présentant
une
obésité
morbide
(IMC
40
kg/m2).
En
effet,
les
muscles
respiratoires
doivent
effectuer
un
travail
pour
générer
un
débit
inspiratoire
à
chaque
cycle
respiratoire,
travail
influencé
par
les
variations
de
ventilation
mais
aussi
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300
A.
De
Jong
et
al.
Tableau
1
Particularités
physiopathologiques
respira-
toires
du
patient
obèse.
Volume
pulmonaire
Atélectasie
dans
les
aires
pulmonaires
dépendantes
de
la
capacité
résiduelle
fonctionnelle
(CRF)
pression
intra-abdominale
Déplacement
céphalique
du
diaphragme
compliance
pulmonaire
et
thoracique
Voies
aériennes
des
résistances
du
travail
respiratoire
Contrôle
ventilatoire
de
la
réponse
ventilatoire
à
l’hypercapnie
et
à
l’hypoxie
en
cas
de
syndrome
obésité-hypoventilation
Circulation
pulmonaire
Hypertension
artérielle
pulmonaire
post-capillaire
si
dysfonction
cardiaque
associée,
pré-capillaire
si
prise
de
toxiques
(anorexigènes)
Échanges
gazeux
sanguins
de
la
consommation
en
oxygène
Comorbidités
Syndromes
d’apnées
du
sommeil
Syndrome
obésité
hypoventilation
par
les
propriétés
élastiques
et
résistives
du
système
res-
piratoire,
qui
sont
modifiées
chez
le
patient
obèse.
Ainsi,
l’étude
de
Pelosi
et
al.
[2]
comparant
en
période
postopé-
ratoire
10
sujets
obèses
et
10
sujets
non
obèses,
sédatés
et
curarisés,
a
montré
que
les
obèses
avaient
une
compli-
ance
pulmonaire
et
thoracique
diminuée,
des
résistances
des
voies
aériennes
augmentées,
une
CRF
diminuée,
un
tra-
vail
respiratoire
augmenté
et
une
oxygénation
diminuée,
par
rapport
aux
patients
non
obèses.
Il
est
particulièrement
important
chez
le
patient
obèse
de
différencier
la
pression
transpulmonaire
(différence
entre
la
pression
alvéolaire
et
la
pression
pleurale)
de
la
pression
transthoracique
(différence
entre
la
pression
pleurale
et
la
pression
atmosphérique).
En
effet,
c’est
la
pression
transpulmonaire
qui
détermine
les
lésions
des
voies
aériennes
induites
par
la
ventilation.
Des
pressions
de
ven-
tilation
élevées
peuvent
donc
être
le
reflet
d’une
pression
transthoracique
élevée
(due
à
la
compression
de
la
cage
thoracique
par
l’abdomen),
alors
que
la
pression
transpul-
monaire
est
normale.
Enfin,
l’obésité
est
souvent
associée
à
des
comorbidités
telles
qu’un
syndrome
d’apnées
du
sommeil
(SAS)
ou
un
syn-
drome
d’obésité
hypoventilation
(obésité
morbide
associée
à
une
hypercapnie
sans
autre
cause
retrouvée).
L’obésité
représente
un
facteur
de
risque
majeur
du
SAS
(30
à
70
%
des
sujets
ayant
un
SAS
sont
obèses).
Les
malforma-
tions
maxillo-faciales,
la
macroglossie,
certaines
maladies
neuromusculaires
et
endocriniennes
sont
également
des
fac-
teurs
de
risque,
comme
la
réduction
de
la
surface
des
voies
aériennes
supérieures.
Le
nombre
de
SAS
dépistés
ne
cesse
d’augmenter
en
raison
de
l’information
diffu-
sée
auprès
des
médecins
généralistes
et
de
la
population
ainsi
que
du
développement
de
moyens
simples
de
dépis-
tage.
Le
SAS
est
associé
à
une
morbidité
cardiovasculaire
et
neuropsychique
importante,
à
la
survenue
d’hypertension
artérielle,
d’ischémie
myocardique,
d’accidents
vasculaires
cérébraux,
d’accidents
de
la
voie
publique,
ou
d’un
état
dépressif.
Des
complications
périopératoires
directement
liées
au
SAS
sont
possibles
:
difficulté
de
gestion
des
voies
aériennes
supérieures,
ventilation
au
masque
difficile
voire
impossible
et
intubation
difficile,
obstruction
postopéra-
toire
des
voies
aériennes
supérieures.
Ventilation
en
préopératoire
Dépistage
et
traitement
du
syndrome
d’apnées
du
sommeil
(SAS)
En
chirurgie
programmée,
certains
patients
se
présentent
avec
une
évaluation
préalablement
réalisée
soit
au
cours
d’un
suivi
régulier
par
un
médecin
traitant,
soit
dans
le
cadre
de
la
préparation
avant
une
chirurgie
bariatrique.
Une
étude
américaine
menée
auprès
de
193
patients
obèses
morbides
en
préopératoire
a
révélé
que
les
comorbidités
(hypertension
artérielle,
SAS
ou
diabète)
étaient
toutes
préalablement
dépistées
et
traitées
dans
cette
popula-
tion.
Les
auteurs
concluaient
alors
que
des
investigations
supplémentaires
à
visée
de
dépistage
de
ces
comorbidi-
tés
n’étaient
pas
nécessaires
en
préopératoire.
Cependant,
ces
résultats
ne
semblent
pas
totalement
extrapolables
à
la
population
européenne,
et
le
dépistage
des
comorbi-
dités
liées
à
l’obésité
reste
d’autant
plus
important
que
leur
diagnostic
et
traitement
en
préopératoire
permettent
de
ne
pas
augmenter
le
risque
périopératoire,
par
rapport
à
des
patients
obèses
ne
présentant
pas
ces
comorbidi-
tés.
Une
proportion
non
négligeable
de
la
population
obèse
souffre
de
SAS,
et
l’obésité
est
le
cofacteur
qui
contri-
bue
le
plus
à
la
sévérité
de
ce
syndrome.
La
Société
américaine
d’anesthésiologie
(ASA)
a
publiée
des
recom-
mandations
pour
la
prise
en
charge
périopératoire
des
patients
souffrant
de
SAS
mais
a
reconnu
l’insuffisance
de
la
littérature
corrélant
ce
syndrome
aux
complications
post-
opératoires
[3].
Chez
ces
patients
présentant
un
SAS,
une
pression
positive
continue
(PPC)
nocturne
pourra
être
ins-
taurée
avant
l’opération,
selon
les
recommandations
de
l’HAS
publiées
en
2014,
sur
«
l’évaluation
clinique
et
éco-
nomique
des
dispositifs
médicaux
et
prestations
associées
pour
la
prise
en
charge
du
syndrome
d’apnées
hypopnées
obstructives
du
sommeil
».
S’il
est
établi
qu’il
faut
trai-
ter
par
PPC
les
patients
ayant
un
SAS
caractérisé
par
un
index
d’apnées
hypopnées
(IAH)
>
30
événements
obstruc-
tifs
par
heure,
la
question
reste
entière
pour
les
valeurs
d’IAH
inférieures.
Pour
ces
valeurs,
les
données
cliniques
sont
limitées
et
les
recommandations
de
prise
en
charge
ne
sont
pas
unanimes.
L’évaluation
médico-économique
a
apporté
un
éclairage
complémentaire
à
l’évaluation
cli-
nique.
Il
est
suggéré
que,
parmi
les
patients
ayant
un
SAS
avec
un
IAH
<
30,
ceux
qui
ont
une
comorbidité
cardiovascu-
laire
grave
(hypertension
artérielle
réfractaire,
fibrillation
auriculaire
récidivante,
insuffisance
ventriculaire
gauche
sévère
ou
maladie
coronaire
mal
contrôlée,
antécédent
d’accident
vasculaire
cérébral)
et
un
IAH
entre
15
et
30
avec
au
moins
10
micro-éveils
par
heure
avec
une
augmenta-
tion
documentée
de
l’effort
respiratoire
sont
susceptibles
de
bénéficier
du
traitement
par
PPC.
La
PPC
est
propo-
sée
en
première
intention
car
elle
est
plus
efficace
sur
la
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Comment
ventiler
le
patient
obèse
en
pré-
et
postopératoire
?
301
réduction
de
l’IAH
que
les
orthèses
d’avancée
mandibu-
laire
(OAM).
Un
traitement
peut
être
également
proposé
aux
patients
ayant
un
SAS
avec
un
IAH
<
30
sans
comorbidité
cardiovasculaire
grave
associée,
pour
améliorer
les
symp-
tômes
comme
la
somnolence
diurne.
Chez
ces
patients,
les
OAM
sont
recommandées
en
première
intention
plutôt
que
la
PPC.
Modalités
de
préoxygénation
Au
bloc
opératoire
comme
en
réanimation,
en
raison
d’une
réduction
du
temps
d’apnée
non
hypoxique
(c’est-à-dire
la
durée
d’apnée
suivant
l’induction
anesthésique
pendant
laquelle
le
patient
ne
présente
pas
de
désaturation
en
oxygène),
la
préoxygénation
en
ventilation
spontanée
au
masque
facial
ne
permet
pas
d’éviter
une
désaturation
rapide
après
induction
malgré
l’utilisation
d’une
fraction
inspirée
en
oxygène
(FiO2)
élevée.
La
désaturation
pen-
dant
l’intubation
survient
en
3
minutes
en
moyenne,
parfois
en
moins
d’une
minute
en
cas
d’obésité
très
sévère.
Le
volume
pulmonaire
de
fin
d’expiration
est
ainsi
réduit
de
69
%
par
rapport
à
la
valeur
de
repos
après
induction
anes-
thésique
en
position
de
décubitus
dorsal.
La
principale
cause
de
cette
désaturation
rapide
est
la
réduction
de
la
CRF.
L’application
d’une
pression
expiratoire
positive
(PEP)
de
10
cmH2O
pendant
la
préoxygénation
permet
donc
de
réduire
efficacement
la
surface
des
atélectasies,
d’améliorer
l’oxygénation,
et
d’augmenter
le
temps
d’apnée
sans
hypoxie
d’une
minute
en
moyenne
[4].
Un
travail
de
notre
groupe
a
récemment
montré
qu’une
préoxygénation
de
5
minutes
en
ventilation
non
invasive
(VNI),
associant
une
aide
inspiratoire
(AI)
et
une
PEP,
per-
mettait
l’obtention
plus
rapide
d’une
fraction
expirée
en
oxygène
>
90
%,
sans
retarder
la
désaturation
en
apnée
après
induction
[5].
Dans
un
second
travail,
l’utilisation
de
la
VNI
permettait
de
limiter
la
diminution
de
volume
pulmonaire
et
d’améliorer
l’oxygénation
par
rapport
à
une
préoxygéna-
tion
conventionnelle
au
masque
facial
[6].
L’utilisation
de
la
VNI
en
position
proclive
semble
permettre
d’un
point
de
vue
physiopathologique
de
limiter
d’autant
plus
la
baisse
de
la
CRF
par
rapport
à
la
position
déclive.
Les
atélec-
tasies
(au
scanner
thoracique)
sont
ainsi
diminuées
après
une
préoxygénation
en
pression
positive,
pression
positive
maintenue
pendant
la
ventilation
au
masque
et
l’intubation.
L’oxygénothérapie
nasale
à
haut
débit
semble
également
intéressante
pour
la
préoxygénation
des
patients
obèses
au
bloc
opératoire.
Une
étude
récente
comparant
oxygénothé-
rapie
par
masque
facial
standard,
PPC
ou
oxygénothérapie
nasale
à
haut
débit
chez
33
patients,
a
montré
que
les
niveaux
médians
de
pression
artérielle
en
oxygène
(PaO2)
à
1
et
3
minutes
étaient
comparables
dans
les
3
groupes.
Le
niveau
de
PaO2était
légèrement
augmenté
dans
le
groupe
«
oxygénothérapie
nasale
à
haut
débit
»,
sans
atteindre
de
différence
significative
[7].
Il
faut
souligner
que
les
niveaux
de
PEP
utilisés
tout
au
long
de
la
prise
en
charge
périopératoire
permettent
de
s’opposer
à
la
fermeture
des
alvéoles,
due
à
la
baisse
de
la
CRF,
mais
ne
permettent
pas
d’ouvrir
les
alvéoles
une
fois
que
celles
ci
sont
collabées.
Il
est
donc
préférable
d’appliquer
sans
attendre
dès
le
début
de
la
ventila-
tion
mécanique
juste
après
l’intubation
une
PEP
d’environ
10
cmH2O
associée
à
un
volume
courant
de
6
à
8
mL/kg
de
poids
idéal
théorique
(PIT),
afin
d’éviter
le
collapsus
alévéolaire
[6].
Des
manœuvres
de
recrutement
suivant
l’intubation
peuvent
être
réalisées
afin
de
«
ré-ouvrir
»
les
alvéoles
collabées
[6].
Il
faut
néanmoins
rester
prudent
et
toujours
évaluer
les
effets
hémodynamiques
d’une
PEP
éle-
vée
:
risque
de
diminution
de
l’oxygénation
artérielle
en
raison
d’un
retentissement
sur
le
débit
cardiaque
et
d’une
hypotension
par
gêne
au
retour
veineux.
Ventilation
en
postopératoire
L’application
prophylactique
d’une
VNI
après
extubation
diminue
le
risque
d’insuffisance
respiratoire
aiguë
de
16
%
et
la
durée
de
séjour.
De
plus,
chez
les
patients
obèses
hypercapniques,
l’application
d’une
VNI
post-extubation
est
associée
à
une
diminution
de
la
mortalité.
Un
essai
rando-
misé
contrôlé
réalisé
chez
des
patients
obèses
morbides,
après
chirurgie
bariatrique
par
cœlioscopie,
a
montré
une
amélioration
de
la
fonction
ventilatoire
après
mise
en
route
immédiate
d’une
PPC
après
l’extubation
vs
l’instauration
plus
tardive
de
PPC
postopératoire
(30
minutes
après
l’extubation)
[8].
La
VNI
peut
aussi
être
appliquée
lors
d’une
insuffisance
respiratoire
aiguë
pour
éviter
l’intubation.
Elle
est
souvent
indiquée
en
premier
lieu
lors
d’une
insuffisance
respiratoire
aiguë
chez
l’obèse.
Chez
les
patients
obèses
en
hypercap-
nie,
il
faut
utiliser
de
plus
hauts
niveaux
de
PEP
pendant
plus
longtemps
pour
réduire
l’hypercapnie
en
dessous
de
50
mmHg.
La
VNI
est
aussi
efficace
chez
les
patients
pré-
sentant
un
syndrome
obésité
hypoventilation
alvéolaire
que
chez
les
patients
BPCO,
lors
d’une
insuffisance
respiratoire
aiguë
hypercapnique.
Chez
les
patients
avec
SAS
sévère
connu,
la
ventilation
à
type
de
PPC
établie
en
préopératoire
doit
être
poursui-
vie
en
postopératoire.
Les
facteurs
de
risque
de
dépression
respiratoire
postopératoire
incluent
la
sévérité
sous-jacente
du
SAS,
l’administration
systémique
d’opioïdes,
l’utilisation
de
sédatifs,
le
site
et
le
caractère
invasif
de
la
procédure
chirurgicale
et
la
survenue
d’apnée
pendant
le
sommeil
paradoxal
au
3eou
4ejour
postopératoire,
lorsque
les
paramètres
de
sommeil
sont
rétablis.
Les
interventions
post-
opératoires
susceptibles
de
diminuer
le
risque
de
dépression
respiratoire
postopératoire
sont
l’analgésie
postopératoire
multimodale
avec
épargne
morphinique,
l’oxygénation
par
PPC,
le
positionnement
du
patient
et
le
monitorage.
Un
apport
supplémentaire
en
oxygène
devrait
être
effectué
de
fac¸on
continue
à
tous
les
patients
à
risque
périopéra-
toire
augmenté
du
fait
de
leur
SAS
jusqu’à
ce
qu’ils
soient
capables
de
maintenir
leur
saturation
en
oxygène
de
base
en
air
ambiant.
La
PPC
ou
la
VNI
doivent
être
poursuivies
chez
les
patients
qui
l’utilisaient
en
préopératoire.
La
PPC
doit
être
reprise
dès
l’arrivée
en
salle
de
surveillance
post-
interventionnelle
(SSPI)
[9].
La
compliance
à
la
PPC
ou
à
la
VNI
est
meilleure
si
les
patients
utilisent
leur
propre
équi-
pement
à
l’hôpital.
Le
décubitus
dorsal
doit
être
évité,
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302
A.
De
Jong
et
al.
si
possible,
chez
les
patients
ayant
un
SAS
à
risque
qui
doivent
être
placés
en
position
semi-assise.
La
saturation
en
oxygène
doit
être
monitorée
après
la
sortie
de
la
salle
de
réveil,
en
unité
de
soins
continus.
Ce
monitorage
doit
être
maintenu
aussi
longtemps
que
le
patient
présente
un
risque
accru
de
complications.
En
cas
d’hypoxémies
fréquentes
et/ou
sévères,
l’initiation
de
séances
de
PPC
ou
de
VNI
doit
être
envisagée.
Ainsi,
le
recours
à
la
VNI
associant
l’AI
et
la
PEP
et/ou
la
PPC
seule
doit
être
large
dans
la
période
postopératoire,
afin
de
réduire
au
maximum
l’aggravation
des
atélectasies
et
la
longue
période
de
dépendance
à
l’oxygène
réduisant
ainsi
le
séjour
du
patient
dans
l’unité
de
soins
post-chirurgicale
et
la
durée
totale
d’hospitalisation
[9].
L’oxygénothérapie
à
haut
débit
par
Optiflow®n’a
jamais
été
étudiée
chez
le
patient
obèse
mais
pourrait
être
envisa-
gée
afin
de
maintenir
un
faible
niveau
de
pression
positive
tout
au
long
de
la
phase
postopératoire.
L’oxygénothérapie
à
haut
débit
par
Optiflow®permet
de
délivrer
en
continu
grâce
à
des
lunettes
nasales
de
l’oxygène
réchauffé
et
humidifié,
avec
une
FiO2maîtrisée
et
ajustable.
Les
débits
peuvent
atteindre
60
L/min
avec
une
FiO2à
100
%
[10].
Un
niveau
modéré
de
pression
positive
a
été
mesuré
avec
ce
dispositif
[10],
lorsque
le
patient
respire
la
bouche
fermée.
La
kinésithérapie
respiratoire
et
l’éducation
du
patient
à
la
réalisation
d’exercices
à
type
de
spirométrie
incitative
ou
respiration
à
grands
volumes
permettent
également
de
limiter
la
réduction
du
volume
pulmonaire
induite
par
la
chirurgie.
En
cas
de
survenue
d’un
SDRA,
le
décubitus
ventral
peut
être
réalisé
chez
les
patients
obèses.
Il
permet
une
amé-
lioration
du
rapport
PaO2/FiO2supérieure
à
celle
du
patient
non
obèse,
sans
être
associé
à
plus
de
complications
[1].
Il
semble
donc
être
une
thérapeutique
à
la
fois
sûre
et
efficace
chez
le
patient
obèse
en
SDRA
[1].
Conclusion
Les
patients
obèses
devant
être
opérés
sont
à
risque
de
complications
respiratoires,
essentiellement
du
fait
de
leur
prédisposition
aux
atélectasies.
Pour
lutter
contre
ces
até-
lectasies
et
les
complications
respiratoires
en
général,
la
ventilation
pré-
et
postopératoire
est
essentielle,
notam-
ment
en
cas
de
SAS
associé.
Le
concept
de
«
ventilation
positive
protectrice
périopératoire
»
a
ainsi
été
introduit
ces
dernières
années
La
poursuite
d’une
ventilation
par
PPC
déjà
existante
est
fondamentale
avant
et
après
la
chirur-
gie
chez
les
patients
qui
en
bénéficient.
Chez
les
autres,
la
nécessité
de
l’instauration
d’une
ventilation
par
PPC
doit
être
soulevée
tout
au
long
de
la
prise
en
charge
pério-
pératoire.
Dans
tous
les
cas
chez
le
patient
obèse,
une
longue
préoxygénation,
en
position
semi-assise,
doit
être
pratiquée,
éventuellement
par
VNI.
En
cas
de
survenue
d’un
SDRA,
le
décubitus
ventral
pourra
être
utilisé
sans
risque
et
améliorer
l’oxygénation
de
fac¸on
plus
importante
que
chez
le
patient
non
obèse.
Ces
mesures
permettraient
de
s’opposer
aux
modifica-
tions
respiratoires
délétères
induites
par
l’obésité
et
les
pathologies
associées
et
ainsi
diminuer
la
survenue
de
complications
respiratoires
périopératoires.
Points
essentiels
Les
patients
obèses
présentent
un
risque
augmenté
d’atélectasies
en
peropératoire
et
postopératoire
de
par
leur
capacité
résiduelle
fonctionnelle
réduite.
Ces
atélectasies
peuvent
être
responsables
d’une
hypoxémie
périopératoire,
d’autant
plus
que
leur
consommation
d’oxygène
est
augmentée
par
rapport
aux
patients
non
obèses.
Une
ventilation
protectrice
en
pression
positive
périopératoire,
avec
application
d’une
pression
expiratoire
positive,
de
petits
volumes
courants
et
réalisation
de
manœuvres
de
recrutement,
permet
de
lutter
contre
ces
atélectasies,
de
la
préoxygénation
à
la
période
suivant
l’extubation.
Une
préoxygénation
en
position
semi-assise
et
si
possible
en
pression
positive
avec
application
d’une
aide
inspiratoire
associée
à
une
pression
expiratoire
positive
est
recommandée
chez
ces
patients
obèses.
L’obésité
est
un
facteur
de
risque
majeur
de
syndrome
d’apnées
du
sommeil,
qui
devra
être
dépisté
et
traité
si
possible
avant
la
chirurgie.
En
cas
de
syndrome
d’apnées
du
sommeil
associé,
une
ventilation
nocturne
en
pression
positive
déjà
existante
devra
être
poursuivie
juste
avant
et
dans
les
suites
immédiates
de
la
chirurgie,
et
instaurée
en
cas
d’index
d’apnées
hypopnées
>
30
ou
de
comorbidité
cardiovasculaire
grave.
En
cas
de
survenue
d’un
syndrome
de
détresse
respiratoire
aiguë,
le
décubitus
ventral
reste
une
thérapeutique
sûre
et
efficace
chez
le
patient
obèse.
Déclaration
de
liens
d’intérêts
Dr
Jaber
déclare
être
consultant
auprès
des
sociétés
Drager,
Hamilton,
Maquet
et
Fisher
Paykel.
Dr
Futier
déclare
être
consultant
auprès
des
sociétés
General
Electric
Medical
Sys-
tems
et
Fresenius
Kabi.
Les
autres
auteurs
déclarent
ne
pas
avoir
de
liens
d’intérêts.
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Sebbane
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Verzilli
D,
Pou-
zeratte
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The
effectiveness
of
noninvasive
positive
pressure
ventilation
to
enhance
preoxygenation
in
morbidly
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