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Révision de l’ombudsman du reportage du Téléjournal du 25
février 2010 et des entrevues à l’émission de radio Maisonneuve
en direct, le 26 février, sur les produits nettoyants verts
SOMMAIRE
Le cofondateur de l’entreprise Innu-Science juge que le reportage du Téléjournal sur les
produits nettoyants verts et les entrevues à Maisonneuve en direct constituent de la
« désinformation disgracieuse et fallacieuse ». Il estime que Radio-Canada condamne
injustement les produits verts à base de bactéries vivantes.
Les entrevues à Maisonneuve en direct ne transgressent aucune règle du métier.
Malgré une imprécision reconnue par la journaliste, le reportage du Téléjournal sur les
dangers potentiels de certains produits verts de nettoyage respecte les Normes et
pratiques journalistiques de Radio-Canada.
Révision du reportage TJ et entrevues à Maisonneuve en direct sur produits nettoyants verts
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LA PLAINTE
M. Daniel Couillard, un des fondateurs d’Innu-Science – un important fabricant de
produits de nettoyage verts – a porté plainte à mon bureau à propos d’une nouvelle sur
les dangers potentiels de certains désinfectants écologiques. Un reportage au
Téléjournal, le 25 février 2010, et deux entrevues à l’émission de radio Maisonneuve en
direct, le 26 février, sont en cause. M. Couillard estime qu’il s’agit de « désinformation
disgracieuse et fallacieuse », qui ternit injustement la réputation de l’industrie des
produits verts à base de bactéries vivantes. Le plaignant reproche plus spécifiquement à
la journaliste Pasquale Turbide de ne pas avoir précisé dans son reportage au
Téléjournal que la principale enzyme, potentiellement irritante et allergène, était la
subtilisine.
La direction de l’Information a répondu que les entrevues des Drs Marchand et Jacques
faisaient toutes les nuances pertinentes. Elle a défendu la rigueur du reportage de
Pasquale Turbide en admettant d’emblée une imprécision : « Nous convenons toutefois
que nous aurions dû mentionner la subtilisine dans le reportage du 25 février pour éviter
toute confusion quant aux produits verts visés. En conséquence, nous avons modifié la
présentation du reportage sur le site Internet pour ajouter cette précision. »
LA RÉVISION1
On peut accéder au reportage du Téléjournal et aux entrevues de l’émission
Maisonneuve en direct à l’adresse suivante :
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/environnement/2010/02/25/003-verts-nettoyantsdangereux.shtml
Les entrevues à l’émission Maisonneuve en direct
L’animateur Pierre Maisonneuve a invité à son émission du 26 février deux spécialistes
pour traiter du danger potentiel de certains produits verts : le Dr Louis Jacques, qui
travaille à la Direction de santé publique, et le Dr Richard Marchand, un microbiologiste
et infectiologue à l’Institut de cardiologie de Montréal. J’estime que ces entrevues, qui
durent en tout huit minutes et demie, respectent les Normes et pratiques journalistiques
de Radio-Canada. Le Dr Marchand connaît bien les produits de nettoyage verts. Il est
même consultant pour Santé Canada sur cette question. On ne peut certainement pas
l’accuser d’avoir un parti pris contre l’industrie des produits écologiques d’entretien
ménager. Ces entrevues nous apprennent que les fabricants de produits nettoyants
verts n’ont pas l’obligation de dévoiler leurs ingrédients sur les étiquettes. On manque
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Le mandat de l’ombudsman : http://www.radio-canada.ca/apropos/ombudsman/
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de réglementation et d’études sur l’impact sur la santé de ces nouvelles recettes. Les
experts s’interrogent notamment sur une famille d’enzymes, appelée subtilisine, car elle
a déjà causé des problèmes respiratoires chez les travailleurs. Le Dr Marchand précise
que la solution n’est certes pas de bannir les produits verts, mais de les analyser, car
certains produits chimiques qui servent traditionnellement au nettoyage sont « encore
plus dangereux ».
Le reportage au Téléjournal
La journaliste Pasquale Turbide a découvert que la Commission scolaire de Montréal
(CSDM) avait cessé d’utiliser des produits de nettoyage dits « verts » depuis le début du
mois de février. La démarche de la reporter est légitime : en posant des questions par
écrit à la CSDM, elle a appris que la Direction de santé publique avait envoyé un avis
préliminaire à la Commission scolaire. J’ai en main ce courriel dans lequel on peut lire
que, selon la Direction de santé publique, « l’utilisation de ces produits [produits
nettoyants contenant des enzymes et/ou des cultures bactériennes, notamment le
bacillus subtilis] à large échelle et pour les usages qui sont proposés, pose un problème
sérieux du point de vue de la santé publique. » La Direction de santé publique de
l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal est un organisme crédible.
La réaction d’une importante commission scolaire, comme la CSDM, à un tel avis
préliminaire est une information d’intérêt public. Le rôle des médias n’est pas de taire
ces inquiétudes, même si ces révélations risquent de refroidir l’ardeur des
consommateurs à se convertir au nettoyage écologique.
Cela étant dit, le reportage se devait de respecter les Normes et pratiques
journalistiques de Radio-Canada.
L’exactitude
Les Normes et pratiques journalistiques 2 définissent ainsi le principe clé de l’exactitude :
« L’information est fidèle à la réalité, en aucune façon fausse ou
trompeuse. (…) »
(NPJ, III. Principes, 2)
Le reportage rapporte une série de faits :
1. La CSDM ne nettoie plus ses écoles avec des désinfectants industriels verts
depuis que la Direction de santé publique lui a dit qu’il y avait un danger
potentiel.
2
Normes et pratiques journalistiques (NPJ) de CBC/Radio-Canada : http://cbc.radiocanada.ca/responsabilite/journalistique/index.shtml
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2. Le caractère irritant de produits nettoyants verts contenant des enzymes a été
expliqué par le Dr Louis Jacques de la Direction de santé publique. J’ai écouté
l’entrevue intégrale du Dr Jacques. Il fait référence aux produits contenant des
enzymes, et pas uniquement à la subtilisine.
3. La mise en garde du ministère de la Santé sur les produits verts en hygiène et
salubrité existe bel et bien. Il y est écrit qu’en choisissant un produit nettoyant,
les hôpitaux et cliniques doivent tenir compte de « la sécurité du patient quant
aux réactions allergènes ou la tolérance aux émanations du produit; la sécurité
du produit quant à son utilisation en zone de séjour d’un patient à l’immunité
déficiente. »
Pasquale Turbide me dit qu’étant donné les réactions que son reportage a suscitées,
elle regrette de ne pas avoir mentionné que la principale famille d’enzymes pouvant
causer des irritations respiratoires était la subtilisine. La journaliste explique qu’elle a
choisi, au moment de la diffusion, de ne pas mentionner le nom de cette enzyme pour
deux raisons :
- par souci de simplification du reportage;
- parce qu’elle craignait que les téléspectateurs se mettent à chercher le
mot « subtilisine » sur les étiquettes de leurs produits verts. Or,
l’étiquetage ne comporte par la recette du produit, ce qui aurait causé, à
son avis, encore plus d’anxiété.
Ne pas dire que, selon les études disponibles dans les milieux de travail, la subtilisine
est une des enzymes ayant causé des problèmes respiratoires constitue une
imprécision. Parmi les facteurs à considérer : il s’agit d’un bref reportage de nouvelles
de deux minutes; le téléspectateur moyen ne sait pas ce qu’est la subtilisine. Lui révéler
que les autorités s’inquiètent des effets potentiellement nocifs de « certains produits
nettoyants à base d’enzymes » (extrait de la présentation du reportage) est certes moins
spécifique, mais cela ne constitue pas un accroc à la vérité. D’après les spécialistes que
j’ai consultés, la bactérie bacillus subtilis peut produire une soupe d’enzymes,
notamment de la subtilisine. Les lipases sont d’autres enzymes qui peuvent être
utilisées comme agent de dégraissage sur de grandes surfaces. Toutes ces enzymes
sont des irritants et des allergènes et on ne connaît pas non plus leurs effets une fois
disséminées dans l’air. Tout dépend bien sûr de la dose. Selon les experts consultés, il
est légitime de se demander si la présence de ces enzymes dans l’air, après le
nettoyage de grandes surfaces, peut constituer un risque pour
-
la personne qui lave les planchers;
le patient dont le système immunitaire est très affaibli.
Le plaignant m’a fait parvenir une note de la Direction de santé publique, datée du
5 mars 2010, mentionnant qu’elle allait se pencher seulement sur « les produits
d’entretien ménager contenant de la subtilisine ». Comme cet avis contredit le reportage
de Radio-Canada, j’ai demandé à l’organisme de clarifier la question : on m’a confirmé
que les chercheurs avaient l’intention d’examiner l’effet sur la santé des différentes
enzymes produites par la bactérie bacillus subtilis, donc le reportage est exact à ce
chapitre.
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Le contexte
L’entreprise Innu-Science et les défenseurs de cette jeune industrie auraient souhaité
que la nouvelle soit mise en contexte, c’est-à-dire qu’on souligne que les dangers
potentiels des enzymes ne seraient pas comparables, de leur point de vue, à l’effet nocif
sur l’environnement des produits traditionnels de nettoyage. Selon eux, ce reportage a
fait le jeu des concurrents d’Innu-Science.
Le format même d’un bulletin de nouvelles est peu propice à la mise en contexte, quel
que soit le sujet. Deux minutes pour expliquer un problème, c’est peu. Le manque de
contexte aux nouvelles est quasi généralisé. D’ailleurs, si la journaliste avait vraiment pu
élargir son regard, il aurait aussi fallu qu’elle dise que des entreprises peu scrupuleuses
prétendent que leurs produits sont écologiques, alors qu’il n’en est rien, d’où la
déclaration du Dr Marchand sur l’urgence d’évaluer ces produits dits verts et leur l’impact
sur la santé : « Les produits verts, pour certains d’entre eux, sont aussi toxiques que les
produits chimiques habituels qu’on utilise. » Si la Direction de santé publique au Québec
se retrouve aujourd’hui avec ce dossier chaud, c’est parce que Santé Canada n’a pas
testé les produits verts.
Le cofondateur d’Innu-Science écrit aussi que la nouvelle fait état faussement de
« produits à base de bactéries vivantes ». Il est en effet question dans la première
version Web du reportage de « produits nettoyants verts contenant des bactéries
vivantes sécrétant des enzymes ». Je ne vois pas d’erreur dans cette formulation, car ce
sont les bactéries qui produisent des enzymes au contact de la matière organique.
Selon le plaignant, le reportage donne l’impression que tous les nettoyants verts sont
dangereux. Ce n’est pas ce que la reporter dit; elle parle de ceux qui contiennent des
enzymes. Est-ce qu’il s’agit ou non d’une grande part des produits écologiques?
Impossible à savoir, puisque les fabricants protègent jalousement leurs recettes.
Cette controverse me rappelle celle qui a entouré la diffusion d’images de camions de
recyclage déversant leur contenu dans des dépotoirs. Il est certain que ces images ont
réconforté les citoyens qui ne prenaient pas la peine de remplir leurs boîtes de déchets
recyclables. En ce sens, ce reportage a nui à la cause de l’environnement. Les
journalistes de Radio-Canada ne sont pas là pour défendre une cause, mais pour faire
état de la réalité, de la manière la plus fidèle possible.
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Conclusion
Les entrevues à l’émission de radio Maisonneuve en direct ne transgressent aucune
règle du métier.
Malgré une imprécision reconnue d’emblée par la journaliste, le reportage du Téléjournal
sur les dangers potentiels de certains produits verts de nettoyage respecte les Normes
et pratiques journalistiques de Radio-Canada.
Julie Miville-Dechêne
Ombudsman des Services français
Société Radio-Canada
2010-04-01
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