Satellinet - L’actualité de la Communication et des Médias en ligne #256 Lundi 7 septembre 2015 LE TOUR DE LA QUESTION Publicité en ligne : le paradoxe chinois Malgré l’audience considérable de l’internet chinois, qui compte 649 millions d’internautes selon le China International Network Information Center (CNNIC) en particulier sur les smartphones, l’industrie de la publicité en ligne peine à s’affirmer sur ce continent. Les raisons de ce paradoxe sont nombreuses : les coûts élevés des campagnes sur les plateformes les plus utilisées (WeChat, Baidu, Sina Weibo, YY), les difficultés rencontrées par les annonceurs pour en mesurer l’efficacité, et la multiplicité des formats. Par conséquent, les marques n’hésitent pas à contourner les intermédiaires - comme les régies - par des jeux-concours offline et des partenariats avec les influenceurs. Pour compenser ce manque à gagner publicitaire, les éditeurs imaginent de nouveaux business models en ligne. Quelles sont les principales plateformes pour la publicité en ligne en Chine ? Quelle maturité du marché publicitaire ? Quel sort pour les éditeurs étrangers ? Quel accueil des consommateurs pour la publicité ? Satellinet évoque les expériences de ZenithOptimedia, Ogilvy, Criteo, et a interrogé des observateurs spécialisés (China Connect, Gentlemen Marketing Agency et SJ Conseil) pour mieux comprendre les spécificités du marché publicitaire chinois. La Chine, avec ses 1,3 milliard d’habitants et une classe moyenne estimée à 400 millions de personnes, est-elle le nouvel eldorado de la publicité en ligne ? Elle en a le potentiel, car l’Empire du Milieu comptait 649 millions d’internautes en décembre 2014, selon le China International Network Information Center (CNNIC). « Le succès du net en Chine s’explique en partie par la perte de crédibilité des médias traditionnels, considérés comme la voix de l’Etat, et parce qu’il offre un certain anonymat aux utilisateurs », explique Laure de Carayon, organisatrice de la conférence China Connect. Dans une récente étude, le cabinet McKinsey pointait ainsi que l’industrie publicitaire chinoise ne représente que le quart de celle des Etats Unis. Il faut dire que ce marché, peu structuré, souffre de nombreuses faiblesses. Les campagnes mobiles trop chères La première d’entre elles est le mode de connexion à la toile, largement dominé par le mobile : 85,8 % >>> L’industrie publicitaire en retard Avec 51,19 milliards de yuans (6,25 milliards d’euros), contre 45,36 milliards de yuans pour la presse écrite, le chiffre d’affaires de la publicité sur internet en Chine a dépassé celui des journaux dès 2011, selon une étude du cabinet IResearch citée par le quotidien Global Times. A titre d’exemple, la bascule approche mais ne s’est pas encore produite en France. La croissance du marché ne s’est pas essoufflée depuis, puisque selon l’institut d’études Go-Globe, les dépenses de publicité en ligne ont atteint 23,7 milliards de dollars en Chine en 2014. Mais, compte tenu du nombre d’internautes, la taille du marché publicitaire paraît décevante. Laure de Carayon, organisatrice de la conférence China Connect. Frontline Media - 3, rue des Abbesses, 75018 Paris - Tél : 09 70 26 12 44 e-mail : [email protected] - www.satellinet.fr - 6e année de publication © 2015 Frontline Media 19 Satellinet - L’actualité de la Communication et des Médias en ligne #256 Lundi 7 septembre 2015 LE TOUR DE LA QUESTION Olivier Verot, fondateur de l’agence Gentlemen Marketing Agency. >>> d’inventaire », selon Olivier Verot. Sina Weibo, un site de Microbloging qui emprunte à la fois à Facebook et Twitter se révèle plus abordable que WeChat pour les annonceurs. (557 millions) des internautes sont en fait des mobinautes. Problème, même si le marché de la publicité mobile connaît une forte croissance (7,5 milliards de dollars en 2014, après 920 millions de dollars en 2013, selon eMarketer en Chine), « les smartphones et tablettes sont des environnements difficiles pour faire de la publicité », selon Olivier Verot, fondateur de l’agence Gentlemen Marketing Agency, qui pilote des campagnes en Chine pour le compte de sociétés étrangères (Guerlain, Lancôme, Rhodia-Solvay). Les espaces publicitaires étant limités, les coûts peuvent atteindre des niveaux importants. « Le mobile est un environnement difficile pour la publicité en Chine » Olivier Verot (Gentlemen Marketing Agency) L’application de messagerie instantanée WeChat (Tencent) - 600 millions d’utilisateurs revendiqués -, par exemple, a longtemps réservé ses emplacements publicitaires aux très grandes marques, avec des campagnes dont les budgets démarraient à 1 ou 2 millions de yuans (150 000 à 300 000 euros). « Même si le ticket d’entrée a récemment été abaissé, le coût par clic reste élevé, de l’ordre de 5 à 10 yuans (70 cents à 1,4 euro) », explique Olivier Verot. D’autant plus que les annonceurs traditionnels sont en concurrence pour acheter les inventaires avec de nombreuses applications qui ont levé beaucoup d’argent et dépensent sans compter pour booster leurs téléchargements. Sina Weibo, le site de microbloging qui ressemble à la fois à Facebook et Twitter, serait « un peu plus ouvert que WeChat, avec un coût par clic un peu plus faible, une part d’utilisateurs PC plus importante et d’avantage Sur le moteur de recherche Baidu (60 % à 80 % de parts de marché estimées en Chine), qui prend le virage du mobile - 42 % de ses revenus réalisés sur ce support fin 2014, en hausse de 36 % par rapport au trimestre précédent, selon ses documents officiels - les choses ne sont pas plus simples pour les annonceurs et leurs agences. « Cet été, Baidu a augmenté ses tarifs de façon arbitraire. Les prix des inventaires ne sont pas fixés officiellement, ils dépendent des clients et des secteurs d’activité », regrette-t-on chez ZenithOptimedia (Publicis). Pour autant, le moteur de recherche reste incontournable pour les grandes >>> WeChat, l’incontournable A cause du « Great Firewall » mis en place par le gouvernement chinois pour censurer le web mondial, point de Facebook, Twitter, YouTube et autres réseaus sociaux américains en Chine : les internautes surfent sur WeChat, Weibo, Baidu, 360 ou encore QQ. Seulement quatre ans après son lancement, en 2011, l’application de messagerie instantanée WeChat revendique déjà 600 millions d’utilisateurs chaque mois. Ce succès s’explique par les nombreuses fonctionnalités offertes par le service : transfert d’argent, partage de photos et de localisation, e-commerce… C’est le résultat de la stratégie de son propriétaire, le groupe Tencent, qui multiplie l’achat de start-up dans le but d’intégrer leur service à sa pépite. « WeChat est le service le plus utilisé par les internautes et les marques », souligne Andrea Colaianni (Ogilvy). Frontline Media - 3, rue des Abbesses, 75018 Paris - Tél : 09 70 26 12 44 e-mail : [email protected] - www.satellinet.fr - 6e année de publication © 2015 Frontline Media 20 Satellinet - L’actualité de la Communication et des Médias en ligne #256 Lundi 7 septembre 2015 LE TOUR DE LA QUESTION Sur le moteur de recherche Baidu, les marques achètent à grands frais les « brand zones », de vastes espaces qui leur sont dédiés au sommet de la page de résultats. A l’instar, ici, de Louis Vuitton. >>> marques, qui continuent d’investir, notamment pour acheter, très cher, leurs « brand- zone » : dans ces grands encarts carrés, qui apparaissent au sommet de la page de résultat, elles peuvent afficher leurs contenus (présentation, vidéos, produits…) pour faire de l’ombre aux résultats sponsorisés qui occupent toute la partie droite de la page, et proposent parfois aux internautes… des contrefaçons. Peu de mesures fiables « Le média planning se fait beaucoup à l’aveugle » Florent Courau (SJ Conseil) Deuxième faiblesse : l’absence de mesures fiables affecte la confiance des annonceurs dans la publicité en ligne. La Chine ne dispose pas d’institut officiel, comme comScore aux Etats-Unis ou Médiamétrie en France, si bien qu’il est difficile de donner du crédit à l’audience revendiquée par les sites, de vérifier la performance des campagnes et, in fine, la rentabilité des investissements. « Le média planning se fait beaucoup à l’aveugle », confie Florent Courau, consultant spécialiste du marché chinois chez SJ Conseil et ex-directeur des opérations de Sephora à Shanghai. « La majorité des sites mentent sur leur audience, les annonceurs et leurs agences doivent faire attention à ne pas se laisser duper par de faux chiffres », abonde Olivier Verot (Gentlemen Marketing Agency). Le peu de maturité du marché rend aussi son abord délicat pour les sociétés technologiques. Lorsqu’ils ont mis le pied à Pékin en 2014, les ingénieurs de Criteo ont dû faire face à quelques complications. « Comme il n’y a pas de normes sur les formats publicitaires, il en existe 170 000 différents », explique Grégory Gazagne, vicePrésident exécutif de Criteo pour la région EMEA. Face à ce casse-tête, le spécialiste du retargeting a dû élaborer une technologie « liquide », permettant à une annonce de trouver sa place dans n’importe quel emplacement en quelques millisecondes. Du coup, la société française ne presse pas son développement. « Le marché est complexe et il faut beaucoup de temps pour construire des relations professionnelles de confiance et durables, que ce soit avec des annonceurs ou des éditeurs », explique-t-on en interne. Les alternatives à la publicité en ligne Pour toutes ces raisons, nombre d’annonceurs préfèrent délaisser la publicité en ligne au profit de stratégies de « contournement ». « Les marques organisent des jeux dans la vie réelle pour inciter les consommateurs à suivre leurs comptes sur les réseaux sociaux et les applications de messagerie >>> Engagement Les taux d’engagement sur les plateformes mobiles sont élevés : selon la dernière étude Mind Shift Index de l’institut Forester, 62 % des consommateurs chinois manifestent de fortes attentes en termes d’interactivité avec les marques via leur smartphone, ce qui en fait la population la plus ouverte sur le sujet. Et selon GoGlobe, 86 % des internautes chinois ont cliqué sur une publicité en 2014. « Ils sont encore dans une phase de découverte, la tolérance à la publicité fait partie de leur curiosité » explique Laure de Carayon (China Connect). Frontline Media - 3, rue des Abbesses, 75018 Paris - Tél : 09 70 26 12 44 e-mail : [email protected] - www.satellinet.fr - 6e année de publication © 2015 Frontline Media 21