Bonaparte et l`escaut - Exhibitions International

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Bonaparte
et l’Escaut
Le spectaculaire
développement d’Anvers
à l’époque française
CONTENU
=
I nt r o d uction
1
L a p é r io d e f r an ç ai s e
2
Le projet européen de Napoléon
3
Th i e r r y L e n t z ( Fon da t i on Na pol é on , Pa r i s)
L e s a s p ect s
m ilitai r e s
Le conflit entre l’Angleterre et la
France sur la question d’Anvers
J a m e s Da v e y ( Na t i on a l Ma r i t i m e Mu s e u m ,
Lon dre s)
Les aigles impériales
Pi e t de Gr ys e ( Mu s é e roya l de l ’ A r m é e e t
d’ Hi s t oi re m i l i t a i re , Br u x e l l e s)
L’ é cono m ie
4
1794 – 1814 : la guerre économique
et commerciale franco-anglaise
5
Pi e r re Br a n da ( Fon da t i on Na pol é on , Pa r i s)
La navigation commerciale dans le
port d’Anvers, 1794–1814
P. Me n g i n L e c re u l x
La construction du bassin Bonaparte et
du bassin Guillaume
6
7
Hi l de Gre e f s ( Un i v e r s i t e i t A n t w e r pe n)
11
12
13
14
15
L’infrastructure militaire à Anvers
pendant la période française
16
Le plan de l’Escaut de
Beautemps-Beaupré
17
Innovations françaises et
anglaises pendant la guerre
18
L’ u r bani s ation
19
J a n Pa r m e n t i e r ( M A S )
9
Pi e t Lom ba e r de ( Un i v e r s i t e i t A n t w e r pe n)
Projets urbanistiques français visant
à faire d’Anvers une ville moderne
21
Mathieu-Ignace Van Brée, peintre à
la cour de Bonaparte
22
Le palais royal sur le Meir
23
Fré dé r ic L ac aille (Mus é e nat ional du Châ t e au
de Ve r s aille s)
Le vol d’art par les Français à Anvers
Nat as ja Pe e t e r s (Mus é e royal de l’Ar m é e e t
d’His t oire m ilit aire , Br ux e lle s)
Pi e t Lom ba e r de ( Un i v e r s i t e i t A n t w e r pe n)
8
L a cultu r e
Ne na De Roe y (Er fg oe d Vlaande re n)
Le modèle du Friedland,
vaisseau de 80 canons
Hé l è n e Trom pa re n t - de S e yn e s ( Mu s é e n a t i on a l
de l a Ma r i n e , Pa r i s)
A l be r t Hi m l e r
Migrants et commerce à Anvers
pendant la période française
La flotte de Napoléon Bonaparte
Ma r i e -Ma r t i n e A c e r r a ( Un i v e r s i t é de Na n t e s)
J a n Pa r m e n t i e r ( M A S, A n v e r s)
Ir Joseph Nicolas Mengin
La légion d’honneur
Pi e t de Gr ys e ( Mu s é e roya l de l ’ A r m é e e t
d’ Hi s t oi re m i l i t a i re , Br u x e l l e s)
10
20
24
La vie culturelle à Anvers à travers
un journal local
25
L’usage de traditions anversoises en
tant que marqueurs identitaires du
régime français
26
Jan Par m e nt ie r (MAS)
Bre c ht De s e ure (Univ e r s it e it Ant we r pe n,
Kat holie ke Univ e r s it e it L e uv e n)
L’ h é r itage
d e s F r an ç ai s
27
Les traces actuelles de la
domination française
28
É p ilogue
29
Réflexions sur l’héritage français
30
C atalogue
31
Pie t Ve lde m an (Mus é e royal de l’Ar m é e e t
d’His t oire m ilit aire , Br ux e lle s)
L e e n Be ye r s e t Je f Vre lus t (MAS)
Pi e t Lom ba e r de ( Un i v e r s i t e i t A n t w e r pe n)
L a période
française
=
Le projet européen de Napoléon
« Une de mes plus grandes pensées avait été l’agglomération,
la concentration des mêmes peuples géographiques qu’ont
dissous les révolutions et la politique […] ; j’eusse voulu faire de
chacun de ces peuples un seul et même corps de la nation. C’est
avec un tel cortège qu’il eût été beau de s’avancer dans la postérité
et la bénédiction des siècles. Je me sentais digne de cette gloire
! […] Il [n’y a] en Europe d’autre grand équilibre possible que
l’agglomération et la confédération des grands peuples ». C’est
ainsi que Napoléon définit ce qu’il n’avait cessé d’appeler « mon
système », dans une conversation de Sainte-Hélène1. A l’en croire,
son projet visait à unir l’Europe tout en faisant de la France le
moteur d’une intégration équilibrée.
Dans son exil, le premier empereur des Français précisait
enfin ses intentions. Jusque-là, il ne les avait guère précisées. Tout
au plus peut-on se servir de quelques-unes de ses déclarations. Par
exemple, après Tilsit, il déclara au Corps législatif : « La France est
unie aux peuples de l’Allemagne par les lois de la Confédération
du Rhin, à ceux de l’Espagne, de la Hollande, de la Suisse et de
l’Italie par les lois de notre système fédératif »2. Plus tard, dans le
préambule de l’Acte additionnel du 22 avril 1815, il confirma qu’il
avait toujours eu pour but d’organiser « un grand système fédératif
européen » qu’il jugeait « conforme à l’esprit du siècle, et favorable
aux progrès de la civilisation ». On n’en saura guère plus sur ce
qu’aurait dû ou pu être un tel « système fédératif ». On ajoutera
même que les faits démentent presque toujours les affirmations
d’apparences visionnaires et généreuses de l’empereur vaincu. La
cohérence du vocabulaire ne corrige pas le pragmatisme.
Si Napoléon eut l'intention de « fédérer » -c'est-à-dire organiser
dans une structure à tendance égalitaire- les nations européennes,
il le cacha autant aux autres puissances du continent qu'aux
peuples concernés. Il ne cherchait certes pas « l'empire universel
», car il était trop réaliste pour nourrir cet impossible rêve. Mais
ce pragmatique ne voulut jamais s'enfermer dans une doctrine
rigide. Il se contenta souvent de quelques principes simples
hérités de la politique traditionnelle de la France au XVIIIè siècle :
l'anglophobie ou la volonté de simplifier les cartes de l'Allemagne
et de l'Italie. Au-delà, il ne voulut pas fixer fermement ses projets,
son pragmatisme finissant par être un handicap dans un contexte
international qui a toujours besoin de repères.
Ainsi, Napoléon fut incapable d’approfondir ses alliances
et, pis, en changea souvent. Il ne respecta pas toujours les traités
qu’il avait signés. Il fut ambigu sur le problème des « nations »
qu’elles soient polonaise, allemande ou italienne. Il brouilla les
cartes avec l’instauration de royaumes au profit de sa famille3.
Il ne précisa pas les buts suprêmes de la France ni l’objectif
ultime du « système ». Il donna ainsi l’impression que la domination
impériale était synonyme d’exploitation des conquêtes, alors
même que, d’un autre côté, elle imposait au continent entier
de profondes et bénéfiques réformes. Cette imprécision ne fit
qu’augmenter l’inquiétude des puissances et faciliter la tâche de
la diplomatie britannique, partisan de « l’équilibre » européen et
adversaire de tout « système » continental.
Dès lors, définir le projet européen de Napoléon n’est pas
facile, surtout dans le cadre restreint de cette communication.
Nous tenterons d’y parvenir, nous aussi pragmatiquement,
autour de trois questions : comment le situer dans le contexte «
géopolitique » et des traditions diplomatiques ? quels furent ses
principes directeurs ? pourquoi échoua-t-il ?
Projet napoléonien et géopolitique
On a souvent réduit le système napoléonien aux seules
guerres et conquêtes. Or l’Europe ne fut pas simplement
divisée en deux camps pendant les vingt-cinq ans des conflits
révolutionnaires et impériaux. Si tel avait été le cas, une coalition
générale aurait été formée bien avant 1813. Pendant plusieurs
années, au contraire, les « vieilles monarchies » se satisfirent de la
domination française qui leur permettait d’avancer leurs pions et
soutenait leurs intérêts. S’il y eut bien des « résistances », celles-ci
furent précédées ou même concomitantes à des « collaborations
»4. De son côté, la France tenta de profiter de ces divergences
croisées entre les puissances pour asseoir sa prépondérance,
souvent plus que son idéologie.
De 1800 à 1814, tout ne s’est pas résumé en Europe à être pour
ou contre Napoléon. Que l’empereur des Français ait occupé un
espace politique important et que ses actions aient été le moteur
principal du concert européen pendant quinze ans, explique
cependant, mais sans le justifier, que l’historiographie de la
période passe parfois par pertes et profits les autres éléments du
puzzle des relations entre États.
La « diplomatie savante » du XVIIIe siècle était d’autant
moins dépassée que, par exemple, la géopolitique n’avait pas été
bouleversée par la révolution et l’Empire. De 1800 à 1815, les États
enclavés le restèrent, les îles continuèrent à être au milieu de la
mer, le rêve d’un territoire « parfait » continua à être caressé par
les monarques, leurs convoitises sur les ressources naturelles ou
le contrôle des grandes voies de communication perdurèrent.
De même, on n’oubliera pas la permanence des ambitions, des
craintes ou des traditions. Ambitions de la France de pousser ses
frontières jusqu’à ses limites naturelles, celles de l’Angleterre de
limiter l’influence des grandes puissances sur le continent, de la
Russie d’accéder à la Méditerranée, de l’Autriche, de l’Angleterre
et de la France de l’en empêcher, etc.
Cela étant, entend-on dire parfois, tout avait changé avec la
Révolution dont Napoléon était l’héritier et l’exportateur. Qu’en
est-il ?
Le projet européen de Napoléon
Thierry Lentz
7
et Wurtemberg en tête, se joignirent à l'impressionnante alliance
monarchique contre la Révolution française. Seule la Russie
restait pour l'heure en dehors du jeu. Même farouchement hostile
aux révolutionnaires, Catherine II voulait digérer sa guerre turque,
ses avancées polonaises et dépasser les préventions de ses alliés
éventuels avant d'aller plus loin. En mobilisant l'Autriche et la
Prusse, la guerre à l'Ouest lui laissait les mains libres.

NAPOLEON TITEL ETC
Plaats van werk
Techniek, 43 x 81 x 11 cm (afmetingen), Edition of 8
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Une telle interprétation a deux inconvénients. D’une part,
elle ferait considérer pour acquis que les révolutionnaires avaient
pour unique visée stratégique que la « libération » des peuples.
D’autre part, elle ferait passer les conséquences des conquêtes
napoléoniennes pour leur cause. L’histoire de la diplomatie
révolutionnaire ne se résume pas aux principes et à la générosité
proclamés, pas plus qu’à l’inverse, le règne impérial ne saurait se
réduire à des conquêtes et à la recherche de l’hégémonie.
Les buts diplomatiques affichés par la France révolutionnaire
se voulaient généreux. La grande nation n’ayant pas d’autres
ambitions territoriales que ses limites naturelles, elle entendait
appliquer ou imposer partout le « droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes »5. Ces deux principes de base restèrent largement
une déclaration d’intention, d’autant qu’ils étaient à certains
égards antinomiques. Comment en effet allait-on faire prévaloir
le droit des peuples pour les habitants de la rive gauche du Rhin,
de la Belgique ou du sud-est (Avignon, Nice, Savoie) visés par de
futures réunions au nom de la théorie des limites naturelles ?
Malgré la générosité des principes, les révolutionnaires
pratiquèrent une politique d'invasions et d'annexions. La guerre
devint « impérialiste ». Et tandis que Dumouriez occupait Breda,
la région de Nice fut érigée en département des Alpes maritimes
et la principauté de Monaco lui fut agrégée. L'île de Sardaigne fut
8
Bonaparte et l’Escaut
menacée6. Le duché de Deux-Ponts fut occupé. Sur le Rhin encore,
les révolutionnaires de Mayence (proclamée « Athènes rhénane »
par ses clubs) et d'autres villes allemandes demandèrent leur
rattachement à la République. Le 1er mars 1793, la Convention
prononça la réunion de Bruxelles à la France. Tournai, Louvain
et, plus tard, toute les « provinces belgiques » connurent le même
sort. Cela, L'Angleterre, encore moins que les autres puissances,
ne pouvait l'accepter.
Les bases de ce programme avaient été jetées par Danton
dans un discours du 31 janvier : « Les limites de la France sont
marquées par la nature »7. Ce disant, le tribun s'inscrivait dans
une tradition minoritaire de l'Ancien Régime, hostile au statu quo
qu'impliquait, par exemple, l'alliance autrichienne, au nom de «
l'héritage politique » de Richelieu. Cette petite troupe de penseurs
avait été soigneusement tenue à l'écart des affaires mais avait
publié nombre d'essais prônant notamment l'accès de la France
à sa limite naturelle du Rhin8. Lazare Carnot fut le principal
rédacteur des rapports présentés à la Convention à partir du 24
février 1793. Des principes d'action généreux y étaient définis :
droit des peuples, indépendance, sûreté de la nation au-dehors
et unité au-dedans. Mais Carnot se plaçait aussi du point de
vue des seuls intérêts de la France : celle-ci pouvait réunir à elle
d'autres peuples pour cause de raison d'Etat. Pour atténuer cette
contradiction qui est le nœud gordien de la diplomatie française
de la période-, l'orateur précisait toutefois que l'ambition
territoriale de la République se cantonnait aux « limites anciennes
et naturelles de la France », soit le Rhin, les Alpes et les Pyrénées9.
Pour justifier ce virage, ses promoteurs remontaient à
l'histoire la plus ancienne, jusqu'à celle de la vieille Gaule pour
ce qui concernait la limite du Rhin (la plus délicate à justifier),
plus récente pour celle des Alpes et des Pyrénées (déjà largement
reconnues) 10. Ils n’utilisaient pas le mot de frontière mais celui
de limite, préférant une acception non juridique et non militaire
(les frontières étaient liées à l'existence de forteresses défensives)
fondée sur un « droit naturel » des nations qui rejetait d'avance
les discussions et les compromis, mais excluait les guerres
futures, une fois les ambitions françaises assouvies. Les limites
naturelles s'imposaient ainsi comme une évidence indiscutable et
bienfaisante : « Bonne et sage, la nature exclut les antagonismes
de frontières et les heurts entre belligérants »11. Quoiqu'il en soit,
l'irruption sur la scène diplomatique de cette théorie ne visait pas
seulement à réunir sous la même bannière les révolutionnaires
limitrophes ou à rendre justice aux Gaulois. Les Conventionnels
y voyaient aussi un intérêt économique et stratégique. Les
territoires réunis, Danton l’avait dit pour les Pays-Bas autrichiens,
renfermaient des « trésors » en numéraire ou en œuvres d'art, en
biens nationaux à réaliser, en armes pour équiper les troupes,
de nouveaux marchés pour les commerçants français. Quant
aux nouveaux citoyens ainsi recrutés, ils pourraient rejoindre
les rangs des bataillons républicains en croisade pour la liberté
ou, le cas échéant, s'arc-bouter sur des frontières plus faciles à
défendre. La France prenait cependant un risque : en s'attaquant
à la rive gauche du Rhin, dont les provinces belgiques faisaient
partie, elle défiait encore davantage l'Angleterre et l'Autriche.
La première voudrait à tout prix défendre la Hollande et le port
d’Anvers. La seconde ne pouvait renoncer à sa prééminence
dans le Saint Empire romain germanique, sous peine de voir la
construction d'Otton 1er s'effondrer ou, pis encore, passer sous
domination prussienne. De nombreux Etats allemands, Bavière
Soyons réalistes : l’irruption sur la scène diplomatique de
la théorie des limites naturelles ne visait pas seulement à réunir
sous la même bannière les révolutionnaires limitrophes. Elle
répondait aussi à des intérêts économiques et stratégiques.
A la fin du Directoire, les « buts de guerre » français
avaient considérablement évolué. La lutte contre les tyrans était
abandonnée, les limites naturelles dépassées et le droit des
peuples interprété de manière restrictive.
Les annexions avaient commencé depuis plusieurs années12.
Dans le même temps, le droit des peuples était surtout devenu
celui des révolutionnaires amis de la République française avec
la création des républiques sœurs en Italie, en Hollande ou en
Helvétie13. Pour le reste, la diplomatie française en était presque
revenue au jeu classique entre les puissances.
Ni partisan des seules limites naturelles ni convaincu
de la praticabilité du droit des peuples –qui contrecarrait ses
propres projets-, Napoléon ne fut donc pas l’héritier des théories
de la Révolution. Il fut plutôt celui de la politique réelle des
révolutionnaires, singulièrement des directoriaux.
Principes directeurs du projet
Dans ce contexte géopolitique, diplomatique et
idéologique, comment fonctionna le « système napoléonien » ?
n commencera par une remarque que nous ne pourrons hélas
pas développer : ce système ne fut pas seulement « continental
»14. En effet, malgré la supériorité de la Royal Navy, les défaites à
répétition de la marine française et la perte des colonies, Napoléon
n’a jamais complètement renoncé à l’idée de domination des mers
pour exploiter l’outre-mer : le délabrement de l’économie côtière
et portuaire, la nécessité de restaurer même partiellement le
commerce colonial et la continuation de la guerre totale contre
l’Angleterre rendaient nécessaire d’y penser toujours. S’il a
privilégié une politique de la terre, c’est en se pliant de mauvais
gré aux réalités. Ce facteur ne doit pas être gommé de l’analyse
de sa politique extérieure, même si la faiblesse maritime de
l’Empire le fait passer au second plan et même si la domination
continentale devint prioritaire.
Cette domination fut imaginée par Napoléon autour de trois
cercles concentriques : le premier, centre de tout, était constitué
par l’Empire français, le second par les royaumes napoléonides
et le troisième par un système d’alliance avec d’autres puissances
européennes.
Le projet européen de Napoléon
Thierry Lentz
9
Premier cercle, la France impériale couvrait alors un bon tiers
de l’Europe, pour environ 44 millions d’habitants, dans l’ancienne
France, en Belgique, en Hollande, de part et d’autre du Rhin, en
Italie du Nord, en Catalogne et dans l’actuelle Croatie.
Les habitants des contrées annexées (on préférait dire :
réunies) étaient considérées comme françaises. Partant, les
néerlandais, belges, allemands, italiens qui les peuplaient avaient
les mêmes droits et les mêmes devoirs que les habitants de «
l’ancienne France ». Ils étaient pleinement soumis aux lois et codes
napoléoniens, devaient l’impôt du sang à travers la conscription
et l’impôt tout court à travers le système fiscal français. Les
tribunaux étaient ceux de l’Empire et tous dépendaient de la
Cour de Cassation parisienne. Des députés et sénateurs étaient
désignés pour représenter ces annexés au Corps législatif et au
Sénat. Leur système administratif était organisé autour de la
structure départementale, avec ses préfets, sous-préfets et maires,
tous soumis à l’autorité du gouvernement de Paris.
L’Empire français compta jusqu’à cent trente-quatre
départements en 1812 (dont quarante-cinq hors de l’ancienne
France, les départements réunis), contre quatre-vingts trois en
1790, quatre-vingt dix-huit en 1799 et cent huit en 1804. Voici le
tableau de leur formation :
Année
Nombre de
départements Créations et suppressions
1800
102
Dont 9 départements « belges » constitués
en 1795
1801
108
Création de six départements piémontais
1805
111
Création de trois départements dans l’exrépublique Ligurienne
1806
110
Suppression du département du Tanaro
(Piémont)
1808
114
Création de trois départements toscans et
d’un département parmesan
1809
117
Création du Tarn-et-Garonne et de deux
départements romains
1810
120
Création de trois départements hollandais
1811
130
Réunion des deux départements corses
en un seul, création de six départements
hollandais, trois hanséatiques, de la Lippe
(Allemagne) et du Simplon (Suisse)
1812
134
Création de quatre départements catalans
1813
130
Perte des quatre départements catalans
1814
87
Quarante-trois départements sont séparés
de la France par le premier traité de Paris
1815
86
Perte des Alpes-Maritimes par le second
traité de Paris
Le chef-lieu du département pouvait accueillir en outre des
unités déconcentrées des services de l’État : enregistrement et
domaines, conservation des hypothèques, postes, conservation
10
Bonaparte et l’Escaut
des forêts, droits réunis, régie des sels et tabacs, police, etc. Il
devient ainsi une petite « capitale administrative ».
Les neuf départements des « provinces belgiques » avaient
été constitués par le décret du 9 vendémiaire an 4 (1er octobre
1795) : la Dyle (chef-lieu : Bruxelles, chef-lieu), l’Escaut (Gand),
la Lys (Bruges), Jemmapes (Mons), les Forêts (Luxembourg), la
Sambre-et-Meuse (Namur), l’Ourthe (Liége), la Meuse-Inférieure
(Maëstricht), les Deux-Nèthes (Anvers).
Ces départements étaient divisés en arrondissements,
rappelés dans le tableau suivant :
Dyle
Bruxelles, Louvain, Nivelles
Escaut
Gand, Audenarde, Eeklo, Termonde
Lys
Bruges, Furnes, Ypres
Jemmapes
Mons, Charleroi, Tournai
Forêts
Luxembourg, Bittbourg, Diekirch, Neufchâteau
Sambre-et-Meuse
Namut, Dinant, Marche, Saint-Hubert
Ourthe
Liège, Huy, Malmédy
Meuse-Inférieure
Maëstricht, Hasselt, Ruremonde
Deux-Nèthes
Anvers, Breda, Malines, Turnhout
Ces départements étaient répartis entre quatre divisions
militaires : la 16e division, ayant son siège à Lille, pour la Lys, la
24e division, ayant son siège à Bruxelles, pour la Dyle, l’Escaut,
Jemmape et les Deux-Nèthes, la 25e division, ayant son siège à
Wesel, pour la Sambre-et-Meuse, l’Ourthe et la Meuse-inférieure
et la 3e division, ayant son siège à Metz, pour les Forêts.
Concernant les tribunaux, une cour d’appel siégeait à Liège,
une autre à Bruxelles. Il y avait un tribunal d’instance dans chaque
chef-lieu de département.
Tous les citoyens de l’Empire ne parlaient pas le français, et
pas seulement d’ailleurs ceux des territoires annexés de la rive
gauche du Rhin, d’Italie, de Flandre, de Catalogne ou de Hollande.
De nombreux dialectes et patois continuaient à être employés de
préférence à la langue de Voltaire. Dans cette matière, de façon
assez surprenante, l’administration napoléonienne se montra
souple. Dans les départements réunis, si les actes officiels
devaient être rédigés en français, la présence de leur traduction en
« idiome du pays » était admise. De même, les affiches officielles
comportaient les deux versions. Par ailleurs, pendant des délais
plus ou moins longs (deux ans, parfois trois), certains niveaux de
l’administration furent autorisés à conserver l’idiome pour les
procès-verbaux, les rapports ou, plus simplement le dialogue avec
la population. C’est ce que précisa par exemple un arrêté du 24
prairial an XI (13 juin 1803) fixant « l’époque à laquelle les actes
publics devront être écrits en français dans les départements de la
ci-devant Belgique, de la rive gauche du Rhin et de la 27ème division
militaire [départements italiens] » au 1er juillet 1806. La même
règle fut adoptée pour Gênes qui bien qu’annexée seulement en
juin 1805 était depuis plusieurs années sous domination française.
Par deux décrets du 20 juin 1806 et du 23 avril 1807, on prorogea
le délai pour certains agents de terrain (gardes forestiers, agents
subalternes des droits réunis, etc.) qui pouvaient continuer à
rédiger leurs rapports en néerlandais, italien ou en allemand. Ces
facilités furent retirées l’année suivante aux administrations de
la rive gauche du Rhin. Des dispositions libérales furent encore
stipulées par le traité du 18 octobre 1810 sur l’annexion de la
Hollande et des provinces hanséatiques : « La langue allemande
ou hollandaise pourra être employée concurremment avec la
langue française dans les tribunaux, actes des administrations,
actes des notaires et dans ceux sous signature privée ». Un décret
du 30 janvier 1809 accorda encore un délai d’un an aux villes de
Flessingue, Wesel, Cassel et Kehl pour rédiger leurs actes en
français15.
Sur le plan économique, Napoléon voulut aussi intégrer ces
régions dans le « système français ». Le port et l’arsenal d’Anvers
furent développés. La sidérurgie fut particulièrement choyée : elle
représentait près des deux tiers de la production de l’Empire. Des
chambres de commerce furent créées pour aider les producteurs
et marchands, à Anvers, Bruges, Bruxelles, Gand et Ostende.
Deuxième cercle, ce qu’on pourrait appeler les « royaumes
frères », successeurs des « républiques sœurs » de la période
révolutionnaire. Le retour des pratiques monarchiques le
rendant possible, le nouveau Charlemagne imagina d’essaimer
les principes de l’Empire et le sang des Bonaparte dans l’Europe
qu’il dominait : c’était, croyait-il, une garantie pour son système.
Les habsbourg et les Bourbon n’avaient pas agi autrement dans
le passé. En quelques années, sa famille s’installa sur nombre de
trônes européens : Joseph Bonaparte à Naples (1806-1808) puis
en Espagne (1808-1813), Louis en Hollande (1806-1810), Jérôme en
Westphalie (1807-1813), Murat à Berg (1806-1808) puis à Naples
(1810-1815). Eugène de Beauharnais régna au nom de son beaupère en Italie, jusqu’en 1814. Élisa fut grande-duchesse de Toscane,
Camille Borghèse, le mari de Pauline, gouverneur général des
départements français au-delà des Alpes. Un bambin, NapoléonLouis, fils de Louis Bonaparte et Hortense de Beauharnais, fut
grand-duc de Berg en titre après le départ de Murat pour le sud
de l’Italie.
Mais ces royaumes n’étaient pas indépendants. Napoléon se
gardait le privilège de faire et défaire les rois, l’exemple le plus
fameux étant celui de Louis Bonaparte, monté sur le trône de
Hollande et forcé d’en descendre quatre ans plus tard. On leur
imposait le modèle français, dans l’administration et les lois.
Surtout, l’empereur mettait en coupe réglée leurs économies, au
seul profit de l’Empire. « Prenez donc aussi pour devise : la France
avant tout », écrivait-il à Eugène de Beauharnais16.
Troisième cercle, celui des alliances. Ici, Napoléon hésita
et changea souvent d’avis. Il savait que pour verrouiller
définitivement le continent, il lui fallait bénéficier du soutien –
sinon de l’amitié- d’une autre grande puissance. Sur le choix de
l’alliance, il balança et changea d’avis. S’il n’envisagea jamais
sérieusement un accord égalitaire avec l’Espagne, la Prusse ou
les grands États allemands (ce qui fut probablement une erreur
majeure), s’il frustra les Polonais par ses valses hésitations, s’il
instrumentalisa l’alliance traditionnelle de la France avec l’Empire
ottoman, il définit au moins deux grand systèmes successifs : le
premier avec la Russie, ce que certains ont appelé avec optimisme
le « partage du monde »17 issu des traités de Tilsit ; le second avec
l’Autriche, autour de son mariage avec Marie-Louise. Ces deux
projets de « troisième cercle » étaient antinomiques. Malgré leur
accord sur les partages polonais, les Russes et les Autrichiens
étaient presque des ennemis ou au moins des antagonistes
naturels, les seconds barrant la route de la Méditerranée,
interdisant toute progression significative dans les Balkans ou
leur disputant aux seconds la protection de l’Allemagne.
En résumé, l’ensemble napoléonien était bâti sur les deux
sens que l’on peut donner, en français, au terme « empire ». Il était
à la fois « domination » (l’empire des Français sur le continent) et «
institution » (l’Empire français). Il illustra fort bien les définitions
qu’ont esquissées les théoriciens de la notion d’Empire18.
Il put jouir d’une étendue territoriale exceptionnelle et
exerça une autorité sur des contrées dépassant de beaucoup les
frontières de la « France ». Cet espace fut organisé en plusieurs
niveaux de dépendance à l’égard du centre dans le but de créer
une civilisation propre.
Derrière un projet diplomatique évolutif visant à asseoir la
prépondérance française, Napoléon est réputé avoir « modernisé
» l’ensemble des États que la conquête plaça sous sa coupe. C’est
probablement ce qui atténue l’échec final aux yeux de la postérité.
Peut-être apparaît aussi dans ce thème une part remarquable de
la nature du « système » : un sentiment de supériorité du choix
de société issu des Lumières et de la Révolution française. Ce
complexe était largement répandu au sein des élites françaises,
comme l’exprime un texte de l’ambassadeur en Bavière, Otto, qui
écrivait, en mai 1808, avec un optimisme démenti par les faits : «
Toute l’administration bavaroise est convaincue que ce royaume
étroitement uni à la France par les liens politiques les plus sacrés
doit assimiler aux nôtres toutes ses institutions ; [elle] profitera de
notre expérience sans éprouver les secousses qui ont précédé le
règne glorieux de Sa Majesté l’Empereur »19.
Ici, Napoléon est bien un homme du XVIIIè siècle, même
s’il devint après sa chute le sujet romantique par excellence. Sa
volonté de principe d’abolir la féodalité, de promouvoir l’égalité
civile et d’imposer des choix administratifs ou financiers
rationnels ne peut être contestée. Ce modèle structurel « français
» était complété d’autres éléments comme l’adoption du système
métrique, de poids et mesures uniques ou de la langue française
comme facteurs sinon d’unification au moins de rapprochement
des membres du système. Reste à s’interroger sur les méthodes,
les résistances, le résultat de cette démarche, mais aussi sur la
pertinence du placage pur et simple du modèle dans la plupart
des États d’une Europe aussi « plurielle » que celle du début du
XIXè siècle. De même, on ne peut non plus négliger une erreur
stratégique majeure : outre sa politique d’expansion, sa diplomatie
« vigoureuse » et son projet d’imposer les solutions françaises,
l’empereur imagina de compléter l’hégémonie territoriale et
politique par la domination économique, presque la mise au
service de l’industrie française de l’ensemble du continent. Dès
Le projet européen de Napoléon
Thierry Lentz
11
lors, ce qui était jusqu’alors gênant pour les vassaux, confédérés
et alliés devint insupportable.
En ce sens, on ne peut pas dire que le Blocus continental fut
un instrument d’intégration européenne et qu’il ait pu jouer le rôle
d’un « marché commun ». En dépit de quelques indices favorables
à cette thèse (création de routes et de canaux transeuropéens, mise
en commun des moyens maritimes, tendance à unifier les poids
et mesures), le but de ce système de prohibition et de contrôle
était de favoriser les produits et productions françaises, contre
ceux de l’Angleterre certes, mais aussi au détriment de ceux des
autres continentaux. Il n’était pas question d’ouvrir les frontières
françaises, d’abaisser les droits de douanes, de favoriser les
échanges et encore moins de créer une zone de libre-échange. Ce
fut même le contraire qui se passa. Et même lorsque l’application
du Blocus paraissait relever d’accords politiques, les signataires
s’apercevaient bien vite du sens que Napoléon souhaitait toujours
donner à sa signature. L’exemple le plus spectaculaire en la
matière est celui de la Russie après Tilsit, qui vit ses ports et son
agriculture péricliter. La Confédération du Rhin, pourtant alliée
plus sûre, fut logée à la même enseigne20. En lui interdisant de
commercer avec l’Angleterre, l’empereur favorisa la hausse des
prix, la chute des régions côtières et des industries sevrées de
matières premières. La désorganisation d’économies qui auraient
pu être prospères fut complétée par une quasi-obligation de ne
traiter qu’avec la France pour les échanges.
Finalement, remarque Silvia Marzagalli, « il manqua au
Blocus l’ingrédient fondamental à la réussite de tout programme
économique : les consensus des administrés »21. On ajoutera
qu’il lui manqua aussi de présenter des avantages pour les
économies des pays assujettis. Partant, les princes ne pouvaient
accepter durablement ce moyen supplémentaire et douloureux de
l’hégémonie française.
L’échec du rêve « fédératif »
En matière diplomatique, dit l’adage, il n’y a pas d’amitié mais
seulement des intérêts. A force de ne défendre que les intérêts de
la France, l’empereur en vint à écraser le moindre de ses alliés
et, partant, à dissoudre l’utilité même d’une alliance avec lui. La
souplesse ou même l’analyse tranquille des avantages et des
inconvénients ne furent pas la marque de son action extérieure.
A sa décharge, on dira que l’approfondissement d’une alliance a
sans doute besoin de temps et d’une situation stable. C’est ce dont
Napoléon ne bénéficia pas. La guerre (qui lui fut parfois imposée)
et le mouvement (inhérent à l’histoire du système napoléonien)
ne permirent pas de faire mûrir les ententes contractées. Seule
l’expérience autrichienne parut devoir porter ses fruits. Elle s’étala
sur trois années et put paraître solide parce que les intérêts des
deux puissances étaient sinon mélangés, au moins convergents.
Les défaites et l’entêtement de l’empereur à ne pas vouloir en tirer
les conséquences en se retirant derrière le Rhin gâtèrent aussi
cette alliance-là, qui aurait pu être la meilleure solution pour le
système napoléonien.
12
Bonaparte et l’Escaut
Le système napoléonien avait un adversaire implacable. Il
heurtait en effet de front une autre conception de l’organisation
européenne : celle de l’équilibre dont le chef de file et le principal
profiteur était l’Angleterre.
Celle-ci n’admettait pas qu’un Empire dominant remplace
sur le continent le concert soi-disant égalitaire des puissances
moyennes qui ne gênaient pas son commerce. C’est pour éviter
une telle domination que l’Angleterre était devenue « l’ennemi
héréditaire » de la France. Les deux puissances étaient en guerre,
avec des accalmies, depuis plus de cent ans : ligue d’Augsbourg
(1688-1697), succession d’Espagne (1701-1713), guerre de Sept-Ans
(1755-1763), révolution américaine (1776-1783), Révolution française
(depuis 1793)22. Rares étaient les conflits desquels les continentaux
étaient sortis vainqueurs, ce qui aurait dû servir de leçon, ou au
moins d’avertissement. L’erreur stratégique de Napoléon fut sans
doute de ne pas rechercher un accommodement avec Londres.
Même fragile, la paix d’Amiens (1802-1803) avait montré que cela
n’était pas impossible. Un accord était envisageable en 1806 mais,
grisé par le succès d’Austerlitz, l’empereur ne joua pas le jeu de
la négociation offerte par un gouvernement anglais chancelant.
Cette chance n’allait plus se représenter. Pis, avec l’instauration
du Blocus puis l’invasion du Portugal et de l’Espagne, l’Empire
français franchit, du point de vue britannique, un point de nonretour. Cette fois, la lutte serait une lutte à mort.
Si les guerres napoléoniennes furent en dernière analyse des
guerres franco-anglaises, ce furent les autres continentaux qui les
menèrent sur terre par procuration.
Vu de Londres, ces conflits étaient essentiellement
économique22. Même si la bourgeoisie française avait elle aussi
des vues sur le commerce européen ou mondial, le gouvernement
impérial choisit une autre voie que celle empruntée par les
Anglais : il voulait dominer l’économique (et rattraper son retard)
par le politique et le territorial, ce qui rendait la tâche impossible
et perpétuait les guerres. On ne cherchera pas ailleurs que dans la
simplicité de ses buts et moyens cette « supériorité de l’Angleterre
sur la France » débattue par François Crouzet dans un recueil
d’essais sur la rivalité des deux nations23. Le projet anglais n’était
pas moins hégémonique que celui de Napoléon. Mais il était d’une
autre nature. L’Angleterre n’avait aucune ambition territoriale
sur le continent. Elle souhaitait seulement pouvoir contrôler les
affaires, éliminer un concurrent trop puissant et rétablir la liberté
de commerce avec le marché européen. Pour cela, les grands ports
occidentaux devaient rester ouverts et, en tout cas, échapper au
contrôle de la France. Anvers constituait ainsi une pomme de
discorde majeure, selon la fameuse expression selon laquelle
le grand port constituait « un pistolet braqué sur le cœur de
l’Angleterre ». Ailleurs, elle entendait éliminer systématiquement
ses concurrents coloniaux : la destruction des empires français
et hollandais des Antilles ou de l’océan Indien était un but
de guerre primordial. Bien calée dans son île, rassurée sur la
menace d’invasion par la supériorité incontestée de sa marine,
Albion n’eut plus qu’à se montrer patiente et endurante. Antidémocratique, anti-doctrinale et au besoin violente (à l’intérieur
comme à l’extérieur), l’oligarchie britannique avait les meilleures

NAPOLEON TITEL ETC
Plaats van werk
Techniek, 43 x 81 x 11 cm (afmetingen), Edition of 8
cartes en main, pas moins de cynisme et plus de pragmatisme
encore que son ennemi. Les forces qui se déchaînèrent sur le
continent finirent par lui donner raison. Elle en encouragea
l’émergence où en aggrava les conséquences grâce à ses moyens
financiers. L’Angleterre ne gagna pas la guerre « à l’économie »
tant s’en faut, mais largement par l’économie.
« L’empire est voué à la mort », écrit Jean Tulard25. De son côté,
Jean-Baptiste Duroselle, grand historien français des relations
internationales, pour qui « tout empire périra », a expliqué
leur chute autour de constatations dont plusieurs pourraient
s’appliquer à l’édifice napoléonien26 :
Une grande puissance est capable d’assurer sa sécurité à
elle seule contre tout adversaire pris isolément. Ce fut le cas de
l’Empire français qui fut vainqueur de toutes les luttes « bilatérales
» et vainquit les petites coalitions : 1805, 1806, 1807, 1808, 1809 et
même, à certains égards, le début de 1812 l’ont montré. Napoléon
ne sut pas maintenir cette infériorité de l’adversaire au moment
le plus crucial, c’est-à-dire après la retraite de Russie. L’erreur fut
d’autant plus lourde de conséquences que ses moyens militaires
avaient été largement entamés par la catastrophe.
• La conquête au détriment de petits ou moyens États, ou sur la
•
périphérie des grands implique un système de compensations.
C’est ce qu’assurément Napoléon n’appliqua pas. Certes,
il donna quelques récompenses ou dédommagements à
des alliés mineurs (Bavière ou Saxe, par exemple) mais ne
voulut pas systématiser cette pratique à l’égard des autres
puissances significatives comme l’atteste notamment son
jeu, irritant pour la Russie et l’Autriche, sur la question
du partage des possessions européennes de l’Empire
ottoman ou l’incertitude qu’il entretint sur ses projets
polonais. Les satellites rejetèrent de plus en plus un mode
de fonctionnement fixé unilatéralement par la puissance
dominante. Les inconvénients de la réduction permanente
de leur indépendance finirent par dépasser l’avantage
d’appartenir au système. Celui-ci en fut fragilisé.
Si une grande puissance tente d’assurer son hégémonie, elle
suscite contre elle de vastes coalitions qui finissent toujours
par être victorieuses. Cette « règle » a toujours voulu que ceux
qui ont tenté de remplacer l’équilibre européen par un autre
système aient été brisés par les alliances des autres puissances.
Louis XIV en avait déjà fait l’amère expérience. Écrasé par
une ultime coalition qui réunit contre la France la plupart des
États du continent, Napoléon suivit le Roi-Soleil sur la voie de
la défaite, avec comme sanction supplémentaire la perte de
Le projet européen de Napoléon
Thierry Lentz
13
son trône. Guillaume II et l’Allemagne connaîtront le même
destin en 1918. Certes, l’Europe continentale ne parvint pas
facilement à s’unir, preuve que l’Empire napoléonien fut un
temps jugé utile par les puissances dans le cadre de leurs
ambitions traditionnelles, qu’il s’agisse de l’antagonisme
austro-russe au centre et à l’est, des rivalités germaniques en
Allemagne, des visées dominatrices dans le nord, autour de la
concurrence suédo-danoise, des guerres commerciales, etc..
Partant, chaque puissance à son tour chercha longtemps les
accommodements avec la puissance hégémonique, sorte de
jeu du « plus malin » dans un environnement que Napoléon
ne se lassa jamais de vouloir maîtriser à son profit. L’histoire
(pas seulement celle du système napoléonien) nous l’a appris :
on ne peut pas construire et unir l’Europe par la force
hégémonique.
Aux trois commodes « lois » empiriques empruntées à
Duroselle, on pourrait en ajouter une, découlant d’ailleurs
implicitement des autres : les empires finissent toujours par
mourir de leur économie et de leurs finances, lorsque celles-ci sont
ponctionnées au-delà du supportable par les dépenses militaires27.
La puissance de l’Empire français dépendait largement de sa
force militaire et celle-ci des richesses mobilisables, produites ou
confisquées. La part des ressources de l’Empire absorbées par le
développement ou le maintien de l’hégémonie ne cessa de croître,
à la fois par la hausse des dépenses et la raréfaction des recettes.
Il finit par être étouffé financièrement par l’érosion du « nerf de la
guerre ».
Avec l’Acte final du congrès de Vienne prit fin le système
napoléonien. Né au moment où les armées de la République
entendaient « apporter la liberté au monde », cet Empire paraissait
à l’origine justifié par un désir humaniste de transformer
l’organisation sociale d’une Europe dominée par les forces de
« l’Ancien Régime ». Mais, dès la Révolution, la simplicité de
cette analyse avait été battue en brèche par les arrière-pensées
intérieures (Girondins contre Montagnards, théorie des frontières
naturelles, besoins sonnants et trébuchants du Directoire, etc.)
et, à l’extérieur, par le retour au premier plan de la politique
traditionnelle, avec sa base de rivalités entre les puissances. Cette
complexité, mélange doctrinal quasi-inextricable, se simplifia
deux ou trois ans après l’accession aux affaires de Napoléon.
L’obsession du « système européen » se substitua à l’aspiration à
libérer les peuples.
A la fin de l’épisode, on put même assister au spectacle
pittoresque des puissances européennes feignant de ne voir
en l’empereur des Français que le « destructeur des libertés
auxquelles [elles] se proclamaient converties et dont [elles]
assuraient devoir être désormais le plus fidèle soutien »28.
En deux phrases simplificatrices mais éclairantes, Metternich
a fort bien analysé le système napoléonien : « La Révolution
française a été avant tout sociale ; c’est là le caractère particulier
qu’elle eut dès l’origine. Son caractère politique, qui trouve sa
plus haute expression dans Napoléon, était nul au début »29. Le
système fut donc politique, en ce sens qu’il fut surtout destiné à
14
Bonaparte et l’Escaut
asseoir la prépondérance française en Europe et au-delà.
Les quatre dernières années du règne ramenèrent le système
à ce qui en était perçu par les autres puissances : l’organisation
d’une domination sans partage au seul bénéfice des intérêts
français. La réaction des autres acteurs ne tarda pas et l’ultime
coalition se consolida autour de l’idée qu’il était temps de revenir
à une forme d’équilibre européen, réputé avoir préservé la paix en
Europe pendant la seconde moitié du XVIIIè siècle. Tandis que la
Russie comprenait que le règne napoléonien lui fermait la porte
de l’Occident et ruinait son économie, que l’Autriche –nostalgique
de la puissance du Saint Empire- voyait en l’hypertrophie de la
France un risque d’être rejetée aux marges orientales, que la
Prusse n’en finissait pas de ruminer son humiliation d’Iéna,
que les puissances moyennes, notamment allemandes, se
croyant libérées des fringales territoriales de leurs vieux voisins
germaniques, se lassaient du joug de leur pesant protecteur,
l’empereur des Français, s’il perçut la montée des périls, ne
modifia pas ses pratiques. Il poursuivit sa marche en avant, sans
fixer clairement les limites de son appétit.
La prépondérance française était devenue insupportable
aux autres acteurs, encouragés par l’Angleterre. Chacun son tour
fut convaincu qu’il devenait impossible de recréer les conditions
d’une vie internationale que nous dirions « multilatérale » et que
le jeu « du plus malin » connaissait toujours le même gagnant et,
surtout, les mêmes perdants. La notion d’équilibre est liée à celle
d’indépendance des différentes entités étatiques et le système
était trop hostile aux velléités d’indépendance, voire même de
neutralité. C’est ainsi que se construisit la coalition finale dans
laquelle le seul intérêt commun fut d’en finir avec l’Empire
français et son animateur, de gagner la dernière guerre malgré
les divergences. « Il se peut, écrivait Raymond Aron, que les alliés
occasionnels soient, en profondeur, des ennemis permanents »30.
C’est le spectacle qu’offrit l’alliance européenne contre Napoléon
en 1813.
Endnotes
1
Emmanuel de Las Cases, Mémorial de SainteHélène, 11 novembre 1816. Nous utilisons l’édition
de Marcel D unan (Flammarion, 2 volumes, 1951).
2Discours du 17 août 1807, Le Moniteur, 17 août
1807. Souligné par nous.
3Alexander Grab, Napoleon and the Transformation
Thierry Lentz — Directeur de la Fondation Napoléon
64.
12 Avignon et Comtat (1791), Savoie (1792), Nice
(1793), Belgique (1795) et Genève (1795). Quant
aux contrées rhénanes, si elles furent définitivement
réunies en 1801 (traité de Lunéville), elles étaient
of Europe, New-York/Londres, Palgrave Mac Millan,
considérées comme françaises depuis plusieurs
2003, p. 19.
années.
4Pour reprendre le titre d’un chapitre de Michael
13 Sur les républiques sœurs : Jean-Louis Harouel ,
B roers, Europe under Napoleon. 1799-1815, New
Les Républiques sœurs, Paris, P.U.F., 1997 ; M.
York, 1996, p. 99-101.
Vovelle, Les républiques sœurs sous le regard de la
5 Ce principe fut proclamé dans un discours
Grande Nation. 1795-1803. De l’Italie aux portes
de Merlin de Douai, le 28 octobre 1790. Sur
de l’Empire ottoman, l’impact du modèle républicain
la politique extérieure de la France de 1789
français, Paris, L’Harmattan, 2000. Sur la politique
à 1815, Thierry L entz, « De l'expansionnisme
extérieure du Directoire : M. B elissa, Repenser
révolutionnaire au système continental (1789-1815)
l’ordre européen (1795-1802). De la société des
», Histoire de la diplomatie française, Paris, Perrin,
rois aux droits des nations, Paris, Belin, 2006,
2005, p 409-505.
6 Le débarquement fut un échec. Bonaparte y reçut
son baptême du feu.
7Danton rentrait d’une mission en Belgique. Il
s’exprima longuement à la tribune pour réclamer la
réunion de Liège que venaient de demander 9 660
notamment p. 291-297.
14Sur cette idée, voir nos développements dans
Nouvelle histoire du Premier Empire. III. La France
et l’Europe de Napoléon (1804-1814), Paris, Fayard,
2007, p. 694-698.
Thierry Lentz (dir.), Quand Napoléon inventait la
été énorme. On trouve un utile développement sur
France. Dictionnaires des institutions politiques,
la position « belge » de Danton dans sa biographie
administratives et de cour du Consulat et de l’Empire,
par Louis B arthou (Albin Michel, 1932, p. 173178).
8 Citons pêle-mêle et sans prétendre à l’exhaustivité
les écrits de lelong (1718), Bougeant (1727),
Foncemagne (1764), voire certains passages de la
les limites naturelles, sans être insurmontables,
pouvaient contenir les ambitions expansionnistes.
9Sur les interventions de Carnot à cette époque :
Marcel Reinhard, Le Grand Carnot, Hachette, éd.
1994, p. 358-366.
10Sur cette mythologie des frontières, voir Daniel
sur la France. L’économique et l’imaginaire. XVIIèXXè siècles, Paris, Perrin, 1985 (2è éd., 1999).
25Jean T ulard, « Introduction », Les empires
occidentaux de Rome à Berlin, Paris, P.U.F., 1997, p.
12.
26Jean-Baptiste Duroselle, Tout empire périra.
Théorie des relations internationales, Paris,
Économica, 1992, p. 272-273.
27 Idée magistralement développée par Paul Kennedy ,
Naissance et déclin des grandes puissances, première
édition française en 1989 (Paris, Payot).
28Louis Villat, La Révolution et l’Empire. II. Napoléon
(1799-1815), Paris, P.U.F., 1947, p. 333.
29 Mémoires, documents et écrits divers laissés par le
prince de Metternich, Paris, Plon, 1880, t. I, p. 206.
30 Paix et guerre entre les nations, Calman-Lévy,
édition 1982, , p. 40.
Napoléon publiée par ordre de l’Empereur Napoléon
III, Paris, Plon, 1858-1869, n° 16824.
17Gherardo Casaglia, Le partage du monde. Napoléon
et Alexandre à Tilsit, Paris, S.P.M., 1998.
18 Voir par exemple Jean T ulard, dir., Les empires
occidentaux de Rome à Berlin, Paris, P.U.F., 1997.
19 Cité par Marcel Dunan , Napoléon et l’Allemagne.
Le système continental et les débuts du royaume de
Bavière. 1806-1810, Paris, Plon, 1943, p. 121.
20Roger Dufraisse , « Politique douanière française,
Blocus et système continental en Allemagne »,
Revue du Souvenir napoléonien, n° 389, juin-juillet
Gallimard, éd. 1997, p. 1125-1146 ; Denis Richet,
Paris, Fayard, 2006.
24 François Crouzet , De la supériorité de l’Angleterre
Paris, Tallandier, 2008.
territoire. XVIè-XIXè siècles, Gallimard, 1998, et
Lieux de Mémoire, sous la direction de Pierre Nora,
par Pierre Branda, dans la dernière partie de son
ouvrage Le prix de la gloire. Napoléon et l’argent,
16 Lettre du 23 août 1810, Correspondance de
Nordman, Frontières de France. De l’espace au
« Des limites d’Etat aux frontières nationales »,
23 Cet aspect a été fort bien analysé et expliqué
15Pour tous ces aspects « administratifs », voir :
citoyens sur 9 700 votants –mais l’abstention avait
Paix perpétuelle de l’abbé de Saint-Pierre pour qui
Même si l’empreur des Français ne fut pas toujours seul
responsable des conflits, on doit ici constater qu’au final, puisqu’il
fut vaincu, il n’eut pas raison au regard de l’Histoire. La construction
impériale fut balayée et, avec elle, la prépondérance française. Un
nouvel équilibre naquit de la catastrophe napoléonienne, à la fois
fondé sur ce que les anglo-saxons appellent la balance of power et
sur la conviction que le concert européen devait être administré
en commun par les puissances, dans un sens conservateur et avec
pour objectif de régler collectivement les conflits. Même portée
par les idées anti-démocratiques (le renforcement des États
passait par celui des familles régnantes), ce principe avait de
beaux jours devant lui.
Du système napoléonien, il ne resta rien en 1814. Napoléon
rendit la France plus petite qu’il l’avait prise. Mais, nous le savons,
son héritage n’est pas le système européen. Il est ailleurs et plus
profond.
11Daniel Nordman, Frontières de France, op. cit., p.
1993, p. 5-23.
21 Voir Silvia M arzagalli, « Le Blocus continental
pouvait-il réussir ? », Napoléon et l’Europe. Regards
« Frontières naturelles », Dictionnaire critique de
sur une politique, Paris, Fayard, 2005, p. 114.
la Révolution française. Idées, Flammarion, 1992,
22Dans quelques pages superbes, Pierre Gaxotte a
p. 217-231. Sur les limites naturelles selon les
parlé de cette période, qui s’achèvera à Waterloo,
révolutionnaires : Nelly Girard d’Albissin, Genèse
comme d’une « seconde guerre de Cent-Ans » (Le
de la frontière franco-belge. Les variations des limites
siècle de Louis XV, Paris, Fayard, éd. 1997, p. 191-
septentrionales de la France de 1659 à 1789, Picard,
196).
1970.
La période française
15
Franse en Engelse
innovaties in
oorlogstijd
Piet Lombaerde
=
Eindnoten
rijk, maar ze werden geweigerd wegens hun
dere oever volgens een cirkelboog. Door een
onethische gebruik op tactisch gebied. In En-
dwarse krachtwerking van het water op de
geland had hij meer succes en zijn uitvindin-
gierpont beweegt die zich naar de oever toe.
met de snelheid des bliksems. De optische telegraaf
gen kenden daar hun eerste toepassingen.
Met de gierpont die Pierre Lair ontwikkelde
in de Nederlanden (1800–1850), Leuven 1997, pp.
William Congreve ontwikkelde brandraket-
voor de Schelde ter hoogte van Antwerpen
ten, die hij gebruikte om de Franse vloot in
duurde een overtocht met verankering in het
Boulogne in 1805 zware schade toe te bren-
midden van de stroom vier en een halve mi-
gen. Deze raketten waren ongeveer 1 meter
nuut. Bij verankering aan de linker stroomoe-
lang en konden 32 pond kruit vervoeren. Ze
ver zeven minuten. Op een gierpont konden
1R. Korving en B. van der Herten (red.), Een tijding
59–68.
2 V. Enthoven (red.), Een haven te ver. De Britse
expeditie naar de Schelde van 1809, Nijmegen 2009,
p. 103.
3P. Bret, ‘Les armes nouvelles dans l’attaque et la
Rond 1800 zagen naar aanleiding van de
waren goedkoop en konden over lange af-
vierhonderd personen plaatsnemen. Op 7
défense des ports pendant la Révolution française
Frans-Engelse oorlogen diverse innovaties
standen vrij trefzeker worden afgevuurd. In
oktober 1811 werd ze bij keizerlijk decreet in
et le Premier Empire’, in P. Lombaerde (red.),
het licht, zowel op militair als op burgerlijk
Boulogne werden vanop afvuurstellingen
gebruik genomen.
Naval Bases, Townplanning and Fortification during
vlak. Enkele daarvan kenden hun oorsprong
op 18 schuiten zowat 22 raketten in een half-
in Antwerpen. Een greep uit deze nieuwe
uur tijd afgestoken. De raketten werden zeer
vondsten en hun toepassingen.
succesvol ingezet bij de aanval op de vloot in
the First French Empire in Europe and the United
Samengestelde houten bogen
en gewelven
States, Antwerpen 1992, pp. 199–218.
4P. Lombaerde, ‘Een profusie aan projecten voor
Rochefort (1809), evenals bij stadsbelegerin-
Samengestelde houten bogen en ge-
de stad Antwerpen tijdens het Franse bewind’, in
gen, zoals in 1807 in Kopenhagen en in 1809
welven zijn de voorlopers van de latere ge-
P. Lombaerde (red.), Antwerpen tijdens het Franse
De Franse marine nam in 1798 de opti-
in Vlissingen. Vooral de aanval op Kopenha-
lamineerde liggers, die vandaag algemeen
Keizerrijk 1804–1814. Marine-arsenaal, metropool en
sche telegraaf van Claude Chappe (1763–1805)
gen was erg moorddadig: daar vielen in drie
in de bouw aangewend worden. Zij hebben
in gebruik. Dit telegraafsysteem bestond uit
dagen tijd 40 000 raketten op de stad, met de
als voordeel dat ze grotere overspanningen
een verticale mast waaraan een H-vormige
bedoeling niet alleen de vitale plaatsen in
toelaten dan bij het traditionele vakwerk en
faites sur différens Travaux exécutés pour la
constructie van beweegbare vleugels was be-
de stad te treffen, maar ook het moreel van
gemakkelijk monteerbaar zijn. Ingenieur van
construction du pont de Nemours, pour celle de
vestigd waarvan de standen overeenkwamen
de bevolking aan te tasten. Bij de aanval op
bruggen en wegen Louis-Charles Boistard
met een gecodeerd tekensysteem. De eerste
Walcheren werden deze brandraketten eerst
(1763–1823) schreef deze uitvinding op zijn
6P. Lombaerde, ‘Louis-Charles Boistard bouwt voor
telegraaflijn werd geïnstalleerd tussen Parijs,
op Veere gericht, nadien werd een achthon-
naam en besprak de toepassing in zijn boek
Napoleon een ziekenhuis. De Sint-Bernardusabdij
Saint-Malo en de oorlogshaven Brest. Vanaf
derdtal vanop kanoneerboten op Vlissingen
constructieleer Recueil d’expériences et d’ob-
als Frans marinehospitaal (1809–1814)’, in F.
1805, toen de Franse marine een aanval op
afgevuurd. Uit eigentijdse verslagen blijkt
servations faites sur différens Travaux….
Boddaert et al., 750 jaar Sint-Bernardusabdij,
Engeland voorbereidde, werd een ander sys-
dat hun vernielingskracht enorm was, dat ze
Daarin verwijst hij naar verschillende toepas-
Deurne 1996, pp. 55–65. L.C. Boistard, o.c., p.
teem uitgewerkt dat onafhankelijk van het
veel slachtoffers eisten en dus inhumaan wa-
singen ervan in gebouwen die hij opgericht
170. militaire d’Anvers, et pour la reconstruction du
Chappenetwerk kon gebruikt worden. Artil-
ren.2 In Antwerpen werd pas gevreesd voor
had op het nieuwe marinearsenaal gelegen
port de Flessingue, Parijs 1822, pp. 169–179.
lerieofficier Charles Depillon (1768–1805) lag
een aanval met Congreveraketten in februari
op de gronden van de Sint-Michielsabdij,
aan de basis van dat systeem, de zogeheten
1814, toen de geallieerden de stad bestookten
evenals in het maritieme hospitaal in de
semafoor. Die bestond uit een mast waaraan
vanuit het noorden. Generaal Lazare Carnot
Sint-Bernardusabdij van Hemiksem. In de
drie armen waren bevestigd die standen van
liet de nodige maatregelen nemen om de ‘ef-
wasserij van deze onteigende abdij paste
45° konden innemen.1 Uit hun combinaties
fecten van deze raketten te minimaliseren’.3
hij die innovatie toe.6 Samengevoegde bal-
Telegrafen en semaforen
Gierponten
konden 342 tekens afgelezen worden. Met
5
Een bijzonder originele uitvinding
Zo blijft het gewelf open en wordt het klas-
taal en de overeenkomstige standen kon-
was de gierpont, die gebruikt werd om de
sieke driehoekige vakwerk overbodig. De
Schelde over te steken. Ingenieur Pierre Lair
constructie van het dak is lichter en kan
(1769–1830), directeur van de Ecole du Génie
gemakkelijk gemonteerd worden. In het Ant-
Maritime, ontwikkelde in 1812 een systeem
werpse scheepsarsenaal werd deze techniek
van ‘vliegende’ platformen die met een lan-
toegepast in de modellenzaal en de schrijn-
ge koord of kabel werden vastgemaakt ofwel
werkerij. Boistards samengestelde bogen en
aan een ankerplaats in het midden van de
gewelven, die hij met tekeningen illustreert,
stroom, ofwel aan de oever.4 Door de stro-
bestonden uit verschillende houten balkjes
Zo ontstond een semafoortaal, bestaande
uit woorden, zinsneden of zinnen. De masten, tot 9 meter hoog, werden op torens van

NAPOLEON TITEL ETC
Plaats van werk
Techniek, 43 x 81 x 11 cm (afmetingen), Edition of 8
afgedankte kerken of op stadhuizen geplaatst, soms tot 10 kilometer afstand van
Congreveraketten
elkaar.
Antwerpen maakte als belangrijk ma-
Sint-Michielsabdij. Daar bevond zich immers
Op militair vlak werden verschillende
ming van het water konden de gierponten
die onderling met elkaar verbonden werden.
rinearsenaal deel uit van de Scheldelijn. Die
het belangrijke scheepsarsenaal. Daarnaast
nieuwe wapens gebruikt om de vijand zowel
van de ene oever naar de andere slingeren.
Daarmee kon hij ruimten van wel 120 meter
verbond Antwerpen met fort Sint-Maria op
werd voor burgerlijke doeleinden nog ge-
op zee als op het land te bestoken. Belangrij-
Een gierpont kon ook uit twee sloepen be-
lang en 20 meter breed overspannen.
de linker Scheldeoever, Verrebroek, Hulst,
bruikgemaakt van de Chappetelegraaf. Die
ke uitvinders waren de Engelse militair Wil-
staan, met elkaar verbonden door een hou-
Zaamslag, Terneuzen, Hoofdplaat (Oost-
stond onder meer opgesteld op ‘De Thoren’
liam Congreve (1772–1828) en de Amerikaan
ten platform. De afstand tussen het anker
burg), Vlissingen, De Nolle en ten slotte
in de Beddenstraat in Antwerpen en op het
Robert Fulton (1765–1815). Laatstgenoemde
waaraan de koord of kabel bevestigd is en de
Tintonder. Berichten konden in de twee
paleis van de prefect aan de Groenplaats.
was de uitvinder van de onderzeeër en de
vertrek- of aankomstplaats moet gelijk zijn
richtingen doorgeseind worden. In Antwer-
Beursgegevens en allerhande nieuwsberich-
vlottende mijn of torpedo. Hij ontwikkelde
aan minstens 1,5 maal de stroombreedte. De
pen stond de semafoor op de toren van de
ten werden ermee verspreid.
deze heimelijke aanvalstuigen eerst in Frank-
gierpont beweegt zich van de ene naar de an-
16
Bonaparte et l’Escaut
l’arsenal et du port
ken ondersteunen er het grote tongewelf.
behulp van tabellen met de geheime codeden boodschappen doorgeseind worden.
vestingstad, Antwerpen 1989, pp. 9-24.
5 L.C. Boistard, Recueil d’expériences et d’observations
Le projet européen de Napoléon
Thierry Lentz
17
CATALOGUE
=
Schenkkan met portretmedaillon
De schenkkan werd in de periode 1809–1814
in de voetrand. De variatie aan getrokken
Napoleon Bonaparte
in Antwerpen vervaardigd door de uit Mons
friezen is voor Antwerpen tot dan toe
Joseph Lecocqmartin
afkomstige zilversmid Joseph Lecocqmartin
ongezien. De band met keizerlijke adelaars
Antwerpen, 1809–1814
(1772–1850). De kan is van een uitzonderlijke
versterkt het idee dat de kan bij een speciale
Zilver en hout, H 34,5 cm; Ø voet 10,4 cm
kwaliteit. Het ovale portretmedaillon van
gelegenheid werd gemaakt, bijvoorbeeld
Zilvermuseum Sterckshof Provincie Antwerpen
Napoleon Bonaparte, voorgesteld als
bij een van de bezoeken van Napoleon
S2006/5
keizer, tussen twee lauriertakken is volledig
aan Antwerpen of naar aanleiding van de
geciseleerd en niet geappliqueerd zoals
geboorte van zijn zoon, de koning van Rome,
de nop bovenaan zou kunnen suggereren.
op twintig maart 1811.
De vierentwintig panden lopen van de
schenktuit over de buik en de voet door tot
Wim Nys
Titel
De schenkkan werd in de periode 1809–1814
geciseleerd en niet geappliqueerd zoals
Titel
De schenkkan werd in de periode 1809–1814
geciseleerd en niet geappliqueerd zoals
Naam
in Antwerpen vervaardigd door de uit Mons
de nop bovenaan zou kunnen suggereren.
Naam
in Antwerpen vervaardigd door de uit Mons
de nop bovenaan zou kunnen suggereren.
Plaats, 1809–1814
afkomstige zilversmid Joseph Lecocqmartin
De vierentwintig panden lopen van de
Plaats, 1809–1814
afkomstige zilversmid Joseph Lecocqmartin
De vierentwintig panden lopen van de
Materiaal en afmetingen
(1772–1850). De kan is van een uitzonderlijke
schenktuit over de buik en de voet door tot
Materiaal en afmetingen
(1772–1850). De kan is van een uitzonderlijke
schenktuit over de buik en de voet door tot
Museum of plaats
kwaliteit. Het ovale portretmedaillon van
in de voetrand.
Museum of plaats
kwaliteit. Het ovale portretmedaillon van
in de voetrand.
Nummer
Napoleon Bonaparte, voorgesteld als
Nummer
Napoleon Bonaparte, voorgesteld als
keizer, tussen twee lauriertakken is volledig
Wim Nys
keizer, tussen twee lauriertakken is volledig
Wim Nys
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