BONAPARTE
ET LESCAUT
Le spectaculaire
développement d’Anvers
à l’époque française
CONTENU
=
INTRODUCTION 1
LA PÉRIODE FRANÇAISE 2
Le projet européen de Napoléon
Thierry Lentz (Fondation Napoléon, Paris) 3
L’ÉCONOMIE 4
1794 – 1814 : la guerre économique
et commerciale franco-anglaise
Pierre Branda (Fondation Napoléon, Paris)
5
La navigation commerciale dans le
port d’Anvers, 1794–1814
Jan Parmentier (MAS, Anvers)
6
Ir Joseph Nicolas Mengin
P. Mengin Lecreulx 7
La construction du bassin Bonaparte et
du bassin Guillaume
Albert Himler
8
Migrants et commerce à Anvers
pendant la période française
Hilde Greefs (Universiteit Antwerpen)
9
LES ASPECTS
MILITAIRES 10
Le conflit entre l’Angleterre et la
France sur la question d’Anvers
James Davey (National Maritime Museum,
Londres)
11
Les aigles impériales
Piet de Gryse (Musée royal de l’Armée et
d’Histoire militaire, Bruxelles)
12
La légion d’honneur
Piet de Gryse (Musée royal de l’Armée et
d’Histoire militaire, Bruxelles)
13
La flotte de Napoléon Bonaparte
Marie-Martine Acerra (Université de Nantes) 14
Le modèle du Friedland,
vaisseau de 80 canons
Hélène Tromparent-de Seynes (Musée national
de la Marine, Paris)
15
L’infrastructure militaire à Anvers
pendant la période française
Piet Lombaerde (Universiteit Antwerpen)
16
Le plan de l’Escaut de
Beautemps-Beaupré
Jan Parmentier (MAS)
17
Innovations françaises et
anglaises pendant la guerre
Piet Lombaerde (Universiteit Antwerpen)
18
L’URBANISATION 19
Projets urbanistiques français visant
à faire d’Anvers une ville moderne
Piet Lombaerde (Universiteit Antwerpen)
20
LA CULTURE 21
Mathieu-Ignace Van Brée, peintre à
la cour de Bonaparte
Frédéric Lacaille (Musée national du Château
de Versailles)
22
Le palais royal sur le Meir
Nena De Roey (Erfgoed Vlaanderen) 23
Le vol d’art par les Français à Anvers
Natasja Peeters (Musée royal de l’Armée et
d’Histoire militaire, Bruxelles)
24
La vie culturelle à Anvers à travers
un journal local
Jan Parmentier (MAS)
25
L’usage de traditions anversoises en
tant que marqueurs identitaires du
régime français
Brecht Deseure (Universiteit Antwerpen,
Katholieke Universiteit Leuven)
26
L’HÉRITAGE
DES FRANÇAIS 27
Les traces actuelles de la
domination française
Piet Veldeman (Musée royal de l’Armée et
d’Histoire militaire, Bruxelles)
28
ÉPILOGUE 29
Réflexions sur l’héritage français
Leen Beyers et Jef Vrelust (MAS) 30
CATALOGUE 31
LA PÉRIODE
FRANÇAISE
=
Le projet européen de Napoléon Thierry Lentz 7
« Une de mes plus grandes pensées avait été l’agglomération,
la concentration des mêmes peuples géographiques qu’ont
dissous les révolutions et la politique […] ; j’eusse voulu faire de
chacun de ces peuples un seul et même corps de la nation. C’est
avec un tel cortège qu’il eût été beau de s’avancer dans la postérité
et la bénédiction des siècles. Je me sentais digne de cette gloire
! […] Il [n’y a] en Europe d’autre grand équilibre possible que
l’agglomération et la confédération des grands peuples ». C’est
ainsi que Napoléon définit ce qu’il n’avait cessé d’appeler « mon
système », dans une conversation de Sainte-Hélène1. A l’en croire,
son projet visait à unir l’Europe tout en faisant de la France le
moteur d’une intégration équilibrée.
Dans son exil, le premier empereur des Français précisait
enfin ses intentions. Jusque-là, il ne les avait guère précisées. Tout
au plus peut-on se servir de quelques-unes de ses déclarations. Par
exemple, après Tilsit, il déclara au Corps législatif : « La France est
unie aux peuples de l’Allemagne par les lois de la Confédération
du Rhin, à ceux de l’Espagne, de la Hollande, de la Suisse et de
l’Italie par les lois de notre système fédératif »2. Plus tard, dans le
préambule de l’Acte additionnel du 22 avril 1815, il confirma qu’il
avait toujours eu pour but d’organiser « un grand système fédératif
européen » qu’il jugeait « conforme à l’esprit du siècle, et favorable
aux progrès de la civilisation ». On n’en saura guère plus sur ce
qu’aurait dû ou pu être un tel « système fédératif ». On ajoutera
même que les faits démentent presque toujours les armations
d’apparences visionnaires et généreuses de l’empereur vaincu. La
cohérence du vocabulaire ne corrige pas le pragmatisme.
Si Napoléon eut l'intention de « fédérer » -c'est-à-dire organiser
dans une structure à tendance égalitaire- les nations européennes,
il le cacha autant aux autres puissances du continent qu'aux
peuples concernés. Il ne cherchait certes pas « l'empire universel
», car il était trop réaliste pour nourrir cet impossible rêve. Mais
ce pragmatique ne voulut jamais s'enfermer dans une doctrine
rigide. Il se contenta souvent de quelques principes simples
hérités de la politique traditionnelle de la France au XVIIIè siècle :
l'anglophobie ou la volonté de simplifier les cartes de l'Allemagne
et de l'Italie. Au-delà, il ne voulut pas fixer fermement ses projets,
son pragmatisme finissant par être un handicap dans un contexte
international qui a toujours besoin de repères.
Ainsi, Napoléon fut incapable d’approfondir ses alliances
et, pis, en changea souvent. Il ne respecta pas toujours les traités
qu’il avait signés. Il fut ambigu sur le problème des « nations »
qu’elles soient polonaise, allemande ou italienne. Il brouilla les
cartes avec l’instauration de royaumes au profit de sa famille3.
Il ne précisa pas les buts suprêmes de la France ni l’objectif
ultime du « système ». Il donna ainsi l’impression que la domination
impériale était synonyme d’exploitation des conquêtes, alors
même que, d’un autre côté, elle imposait au continent entier
de profondes et bénéfiques réformes. Cette imprécision ne fit
qu’augmenter l’inquiétude des puissances et faciliter la tâche de
la diplomatie britannique, partisan de « l’équilibre » européen et
adversaire de tout « système » continental.
Dès lors, définir le projet européen de Napoléon n’est pas
facile, surtout dans le cadre restreint de cette communication.
Nous tenterons d’y parvenir, nous aussi pragmatiquement,
autour de trois questions : comment le situer dans le contexte «
géopolitique » et des traditions diplomatiques ? quels furent ses
principes directeurs ? pourquoi échoua-t-il ?
Projet napoléonien et géopolitique
On a souvent réduit le système napoléonien aux seules
guerres et conquêtes. Or l’Europe ne fut pas simplement
divisée en deux camps pendant les vingt-cinq ans des conflits
volutionnaires et impériaux. Si tel avait été le cas, une coalition
générale aurait été formée bien avant 1813. Pendant plusieurs
années, au contraire, les « vieilles monarchies » se satisfirent de la
domination française qui leur permettait d’avancer leurs pions et
soutenait leurs intérêts. S’il y eut bien des « résistances », celles-ci
furent précédées ou même concomitantes à des « collaborations
»4. De son côté, la France tenta de profiter de ces divergences
croisées entre les puissances pour asseoir sa prépondérance,
souvent plus que son idéologie.
De 1800 à 1814, tout ne s’est pas résumé en Europe à être pour
ou contre Napoléon. Que l’empereur des Français ait occupé un
espace politique important et que ses actions aient été le moteur
principal du concert européen pendant quinze ans, explique
cependant, mais sans le justifier, que l’historiographie de la
période passe parfois par pertes et profits les autres éléments du
puzzle des relations entre États.
La « diplomatie savante » du XVIIIe siècle était d’autant
moins dépassée que, par exemple, la géopolitique n’avait pas été
bouleversée par la révolution et l’Empire. De 1800 à 1815, les États
enclavés le restèrent, les îles continuèrent à être au milieu de la
mer, le rêve d’un territoire « parfait » continua à être caressé par
les monarques, leurs convoitises sur les ressources naturelles ou
le contrôle des grandes voies de communication perdurèrent.
De même, on n’oubliera pas la permanence des ambitions, des
craintes ou des traditions. Ambitions de la France de pousser ses
frontières jusqu’à ses limites naturelles, celles de l’Angleterre de
limiter l’influence des grandes puissances sur le continent, de la
Russie d’accéder à la Méditerranée, de l’Autriche, de l’Angleterre
et de la France de l’en empêcher, etc.
Cela étant, entend-on dire parfois, tout avait changé avec la
volution dont Napoléon était l’héritier et l’exportateur. Qu’en
est-il ?
Le projet européen de Napoléon
Bonaparte et l’Escaut Le projet européen de Napoléon Thierry Lentz 98
menacée6. Le duché de Deux-Ponts fut occupé. Sur le Rhin encore,
les révolutionnaires de Mayence (proclamée « Athènes rhénane »
par ses clubs) et d'autres villes allemandes demandèrent leur
rattachement à la République. Le 1er mars 1793, la Convention
prononça la réunion de Bruxelles à la France. Tournai, Louvain
et, plus tard, toute les « provinces belgiques » connurent le même
sort. Cela, L'Angleterre, encore moins que les autres puissances,
ne pouvait l'accepter.
Les bases de ce programme avaient été jetées par Danton
dans un discours du 31 janvier : « Les limites de la France sont
marquées par la nature »7. Ce disant, le tribun s'inscrivait dans
une tradition minoritaire de l'Ancien Régime, hostile au statu quo
qu'impliquait, par exemple, l'alliance autrichienne, au nom de «
l'héritage politique » de Richelieu. Cette petite troupe de penseurs
avait été soigneusement tenue à l'écart des aaires mais avait
publié nombre d'essais prônant notamment l'accès de la France
à sa limite naturelle du Rhin8. Lazare Carnot fut le principal
rédacteur des rapports présentés à la Convention à partir du 24
vrier 1793. Des principes d'action généreux y étaient définis :
droit des peuples, indépendance, sûreté de la nation au-dehors
et unité au-dedans. Mais Carnot se plaçait aussi du point de
vue des seuls intérêts de la France : celle-ci pouvait réunir à elle
d'autres peuples pour cause de raison d'Etat. Pour atténuer cette
NAPOLEON TITEL ETC
Plaats van werk
Techniek, 43 x 81 x 11 cm (afmetingen), Edition of 8
NAPOLEON TITEL ETC
Plaats van werk
Techniek, 43 x 81 x 11 cm (afmetingen), Edition of 8
Une telle interprétation a deux inconvénients. D’une part,
elle ferait considérer pour acquis que les révolutionnaires avaient
pour unique visée stratégique que la « libération » des peuples.
D’autre part, elle ferait passer les conséquences des conquêtes
napoléoniennes pour leur cause. L’histoire de la diplomatie
volutionnaire ne se résume pas aux principes et à la générosité
proclamés, pas plus qu’à l’inverse, le règne impérial ne saurait se
réduire à des conquêtes et à la recherche de l’hégémonie.
Les buts diplomatiques achés par la France révolutionnaire
se voulaient généreux. La grande nation n’ayant pas d’autres
ambitions territoriales que ses limites naturelles, elle entendait
appliquer ou imposer partout le « droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes »5. Ces deux principes de base restèrent largement
une déclaration d’intention, d’autant qu’ils étaient à certains
égards antinomiques. Comment en eet allait-on faire prévaloir
le droit des peuples pour les habitants de la rive gauche du Rhin,
de la Belgique ou du sud-est (Avignon, Nice, Savoie) visés par de
futures réunions au nom de la théorie des limites naturelles ?
Malgré la générosité des principes, les révolutionnaires
pratiquèrent une politique d'invasions et d'annexions. La guerre
devint « impérialiste ». Et tandis que Dumouriez occupait Breda,
la région de Nice fut érigée en département des Alpes maritimes
et la principauté de Monaco lui fut agrégée. L'île de Sardaigne fut
et Wurtemberg en tête, se joignirent à l'impressionnante alliance
monarchique contre la Révolution française. Seule la Russie
restait pour l'heure en dehors du jeu. Même farouchement hostile
aux révolutionnaires, Catherine II voulait digérer sa guerre turque,
ses avancées polonaises et dépasser les préventions de ses alliés
éventuels avant d'aller plus loin. En mobilisant l'Autriche et la
Prusse, la guerre à l'Ouest lui laissait les mains libres.
Soyons réalistes : l’irruption sur la scène diplomatique de
la théorie des limites naturelles ne visait pas seulement à réunir
sous la même bannière les révolutionnaires limitrophes. Elle
répondait aussi à des intérêts économiques et stratégiques.
A la fin du Directoire, les « buts de guerre » français
avaient considérablement évolué. La lutte contre les tyrans était
abandonnée, les limites naturelles dépassées et le droit des
peuples interprété de manière restrictive.
Les annexions avaient commencé depuis plusieurs années12.
Dans le même temps, le droit des peuples était surtout devenu
celui des révolutionnaires amis de la République française avec
la création des républiques sœurs en Italie, en Hollande ou en
Helvétie13. Pour le reste, la diplomatie française en était presque
revenue au jeu classique entre les puissances.
Ni partisan des seules limites naturelles ni convaincu
de la praticabilité du droit des peuples –qui contrecarrait ses
propres projets-, Napoléon ne fut donc pas l’héritier des théories
de la Révolution. Il fut plutôt celui de la politique réelle des
volutionnaires, singulièrement des directoriaux.
Principes directeurs du projet
Dans ce contexte géopolitique, diplomatique et
idéologique, comment fonctionna le « système napoléonien » ?
n commencera par une remarque que nous ne pourrons hélas
pas développer : ce système ne fut pas seulement « continental
»14. En eet, malgré la supériorité de la Royal Navy, les défaites à
répétition de la marine française et la perte des colonies, Napoléon
n’a jamais complètement renoncé à l’idée de domination des mers
pour exploiter l’outre-mer : le délabrement de l’économie côtière
et portuaire, la nécessité de restaurer même partiellement le
commerce colonial et la continuation de la guerre totale contre
l’Angleterre rendaient nécessaire d’y penser toujours. S’il a
privilégié une politique de la terre, c’est en se pliant de mauvais
gré aux réalités. Ce facteur ne doit pas être gommé de l’analyse
de sa politique extérieure, même si la faiblesse maritime de
l’Empire le fait passer au second plan et même si la domination
continentale devint prioritaire.
Cette domination fut imaginée par Napoléon autour de trois
cercles concentriques : le premier, centre de tout, était constitué
par l’Empire français, le second par les royaumes napoléonides
et le troisième par un système d’alliance avec d’autres puissances
européennes.
contradiction qui est le nœud gordien de la diplomatie française
de la période-, l'orateur précisait toutefois que l'ambition
territoriale de la République se cantonnait aux « limites anciennes
et naturelles de la France », soit le Rhin, les Alpes et les Pyrénées9.
Pour justifier ce virage, ses promoteurs remontaient à
l'histoire la plus ancienne, jusqu'à celle de la vieille Gaule pour
ce qui concernait la limite du Rhin (la plus délicate à justifier),
plus récente pour celle des Alpes et des Pyrénées (déjà largement
reconnues) 10. Ils n’utilisaient pas le mot de frontière mais celui
de limite, préférant une acception non juridique et non militaire
(les frontières étaient liées à l'existence de forteresses défensives)
fondée sur un « droit naturel » des nations qui rejetait d'avance
les discussions et les compromis, mais excluait les guerres
futures, une fois les ambitions françaises assouvies. Les limites
naturelles s'imposaient ainsi comme une évidence indiscutable et
bienfaisante : « Bonne et sage, la nature exclut les antagonismes
de frontières et les heurts entre belligérants »11. Quoiqu'il en soit,
l'irruption sur la scène diplomatique de cette théorie ne visait pas
seulement à réunir sous la même bannière les révolutionnaires
limitrophes ou à rendre justice aux Gaulois. Les Conventionnels
y voyaient aussi un intérêt économique et stratégique. Les
territoires réunis, Danton l’avait dit pour les Pays-Bas autrichiens,
renfermaient des « trésors » en numéraire ou en œuvres d'art, en
biens nationaux à réaliser, en armes pour équiper les troupes,
de nouveaux marchés pour les commerçants français. Quant
aux nouveaux citoyens ainsi recrutés, ils pourraient rejoindre
les rangs des bataillons républicains en croisade pour la liberté
ou, le cas échéant, s'arc-bouter sur des frontières plus faciles à
défendre. La France prenait cependant un risque : en s'attaquant
à la rive gauche du Rhin, dont les provinces belgiques faisaient
partie, elle défiait encore davantage l'Angleterre et l'Autriche.
La première voudrait à tout prix défendre la Hollande et le port
d’Anvers. La seconde ne pouvait renoncer à sa prééminence
dans le Saint Empire romain germanique, sous peine de voir la
construction d'Otton 1er s'eondrer ou, pis encore, passer sous
domination prussienne. De nombreux Etats allemands, Bavière
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