À l`instar des autres publications du Cepremap, La caste dans l`Inde

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Source
Lectures
Date
24 septembre 2015
Signé par
Guillaume ARNOULD
À l’instar des autres publications du Cepremap, La caste dans l’Inde en développement de
Guilhem Cassan joue parfaitement son rôle de vulgarisation économique tout en restant un
ouvrage exigeant, agréable à lire et intellectuellement stimulant. L’auteur faisait d’ailleurs
partie de l’équipe de bloggeurs d’Ecopublix, où il avait déjà pu faire connaître à un large
public ses recherches et analyses en économie du développement. Une des principales
qualités de son livre est d’aborder une question classique des sciences sociales1 (le système
de caste) en convoquant des travaux économiques récents de manière pédagogique mais
aussi des réflexions provenant des disciplines voisines comme l’histoire, les sciences
politiques, l’anthropologie ou la sociologie.
Sur un sujet qui peut paraître évident ou totalement dépassé, La caste dans l’Inde en
développement vient rappeler à point nommé que le phénomène de stratification sociale qui
s’est mis en place dans ce pays n’est finalement pas bien connu, ni bien compris du grand
public occidental. L’auteur s’efforce de démontrer que des analyses simplistes de type «
orientaliste » faisant du système de caste un archaïsme expliquant le faible développement
de l’Inde sont largement dépassées. À l’image de la problématique que pose la Chine aux
chercheurs2 (combinaison de croissance économique et d’absence de libertés
démocratiques), l’accroissement de la richesse de l’Inde malgré le maintien des castes
mérite notre attention.
La première partie du livre est consacrée à la compréhension du système de caste, cette «
institution traditionnelle dans une économie en développement ». L’Inde est en effet
toujours caractérisée par une prédominance de l’économie informelle : malgré un taux de
croissance moyen dépassant les 5% depuis les années 1980 et une certaine ouverture des
échanges, environ 30% de la population reste sous le seuil de pauvreté ; la majorité de la
population réside dans les campagnes et travaille dans le secteur agricole. L’État et le
système administratif restent peu développés. De plus, l’activité économique en Inde
s’avère plus risquée que dans les pays riches car divers aléas y ont un impact fort : le
climat, la corruption. C’est dans ce cadre que le système de caste divise la société en quatre
catégories hiérarchisées (les varnas), elles-mêmes subdivisées en jatis.
Les varnas découlent de la naissance des individus et attribuent un degré de « pureté » à
chacune et chacun, qui se traduit par des occupations hiérarchisées. Les Intouchables, à qui
sont réservées les activités considérées comme les plus impures, constituent la cinquième
catégorie et se trouvent donc en « dessous » des basses castes. Face à ce système
traditionnel et aux injustices sociales qui en découlent, des politiques de discrimination
1
Voir par exemple Louis Dumont, Homo hierarchicus, Paris, Gallimard, 1966 ou Jean Baechler, La solution indienne,
Paris, PUF, 1988.
2
Notamment les économistes Amartya Sen, Robert Barro Ou Dani Rodrik.
positive ont été mises en place par le gouvernement indien à partir des années 1950. Ces
initiatives constituent un véritable laboratoire pour le chercheur en sciences sociales, car
elles nécessitent d’établir une typologie de la population et sont un enjeu politique pour
capter le vote des castes.
Guilhem Cassan montre que dans une économie où ni l’État, ni le marché ne fonctionnent
efficacement3, le système de caste constitue un mécanisme qui influence les prises de
décisions ou les comportements des individus. Les membres d’une caste développent leur
solidarité car ils partagent largement une même condition socio-économique. En prenant
l’exemple des mariages entre membres d’une même caste et constatant leur étonnante
stabilité (pour les populations urbaines comme rurales), l’auteur montre que la stratégie est
d’épouser quelqu’un de la même caste, mais d’un autre village, pour pouvoir faire jouer des
principes d’assurance si un territoire devait être frappé par un aléa climatique4. Les castes
permettent également de bénéficier d’effets de réseau, et la confiance ou la compétence
propre à des communautés dans certaines activités (le commerce de diamants, par exemple)
se transmettent et doivent être protégées par les collectifs ainsi formés. La caste joue bien
évidemment un rôle fondamental dans le choix du personnel politique. Les Indiens
préfèrent élire des membres de leur caste, ce qui semble également être efficace pour
contrôler l’activité de leurs représentants (tout du moins pour les élections locales).
Bien sûr, les comportements issus du système de castes se traduisent également par des
mécanismes sociaux contraignants et peu efficaces d’un point de vue économique : les
femmes de haute caste bénéficient de peu d’opportunités pour faire évoluer leur condition
puisqu’elles sont considérées comme les plus « pures ». Elles seront ainsi écartées des
programmes de formation à la création d’entreprise, lesquels bénéficient surtout aux
femmes des basses castes. De même, les castes suivent des comportements traditionnels qui
pénalisent les enfants : celles auxquelles échoient les travaux manuels ne scolarisent pas
leurs enfants dans des établissements de langue anglaise car l’anglais n’était pas nécessaire
pour occuper des emplois qui leur étaient réservés. Enfin, c’est parfois entre castes que des
arrangements maintiennent cette forte rigidité sociale : l’auteur décrit ainsi le fait que les
propriétaires terriens jouent le rôle d’assureur pour leurs travailleurs journaliers en
contrepartie d’un maintien de salaires peu élevés. Cela nuit bien sûr à l’égalité des chances.
La troisième partie de l’opuscule décrit la caste comme système de discrimination. La
hiérarchie des castes se constate dans les inégalités de revenu et se traduit par des niveaux
d’éducation très différents. Cela découle de mécanismes de discrimination sur le marché du
travail comme dans le système éducatif (où les basses castes sont jugées et évaluées plus
sévèrement). Ceci explique que les conflits entre castes perdurent et donnent lieu à des
violences, notamment pour la maîtrise de certains biens ou services essentiels (l’accès à
l’eau par exemple). De plus, la croissance économique de l’Inde ne profite pas encore aux
membres des basses castes. Guilhem Cassan décrit la faible efficacité des politiques de
discrimination positive mises en œuvre : elle découle en partie de l’incapacité de l’État à
faire respecter les lois, ou du fait que certains avantages bénéficient surtout aux couches
supérieures des castes visées. Ces politiques se traduisent également par la recherche d’une
reconnaissance comme caste discriminée, pour obtenir des compensations. La fiabilité de la
3
L’État devant être l’autorité garantissant le respect des contrats et le marché devant permettre un échange par le système
des prix dans un cadre concurrentiel.
4
Mark Rosenzweig et Oded Stark, « Consumption smoothing, migration and marriage: evidence from rural India »”,
Journal of Political Economy, vol. 97, n° 4, 1989, p. 905-926.
classification des individus dans telle ou telle caste est parfois sujette à caution : les
données officielles existantes ne permettent pas de connaître le niveau de vie de chaque jati
et certaines castes ont manipulé leur identité pour bénéficier des politiques agricoles.
Au final, dans La caste dans l’Inde en développement, Guilhem Cassan montre comment
un système social qu’on pouvait espérer voir disparaître avec la modernisation économique,
perdure et s’adapte aux évolutions du pays.
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