positive ont été mises en place par le gouvernement indien à partir des années 1950. Ces
initiatives constituent un véritable laboratoire pour le chercheur en sciences sociales, car
elles nécessitent d’établir une typologie de la population et sont un enjeu politique pour
capter le vote des castes.
Guilhem Cassan montre que dans une économie où ni l’État, ni le marché ne fonctionnent
efficacement3, le système de caste constitue un mécanisme qui influence les prises de
décisions ou les comportements des individus. Les membres d’une caste développent leur
solidarité car ils partagent largement une même condition socio-économique. En prenant
l’exemple des mariages entre membres d’une même caste et constatant leur étonnante
stabilité (pour les populations urbaines comme rurales), l’auteur montre que la stratégie est
d’épouser quelqu’un de la même caste, mais d’un autre village, pour pouvoir faire jouer des
principes d’assurance si un territoire devait être frappé par un aléa climatique4. Les castes
permettent également de bénéficier d’effets de réseau, et la confiance ou la compétence
propre à des communautés dans certaines activités (le commerce de diamants, par exemple)
se transmettent et doivent être protégées par les collectifs ainsi formés. La caste joue bien
évidemment un rôle fondamental dans le choix du personnel politique. Les Indiens
préfèrent élire des membres de leur caste, ce qui semble également être efficace pour
contrôler l’activité de leurs représentants (tout du moins pour les élections locales).
Bien sûr, les comportements issus du système de castes se traduisent également par des
mécanismes sociaux contraignants et peu efficaces d’un point de vue économique : les
femmes de haute caste bénéficient de peu d’opportunités pour faire évoluer leur condition
puisqu’elles sont considérées comme les plus « pures ». Elles seront ainsi écartées des
programmes de formation à la création d’entreprise, lesquels bénéficient surtout aux
femmes des basses castes. De même, les castes suivent des comportements traditionnels qui
pénalisent les enfants : celles auxquelles échoient les travaux manuels ne scolarisent pas
leurs enfants dans des établissements de langue anglaise car l’anglais n’était pas nécessaire
pour occuper des emplois qui leur étaient réservés. Enfin, c’est parfois entre castes que des
arrangements maintiennent cette forte rigidité sociale : l’auteur décrit ainsi le fait que les
propriétaires terriens jouent le rôle d’assureur pour leurs travailleurs journaliers en
contrepartie d’un maintien de salaires peu élevés. Cela nuit bien sûr à l’égalité des chances.
La troisième partie de l’opuscule décrit la caste comme système de discrimination. La
hiérarchie des castes se constate dans les inégalités de revenu et se traduit par des niveaux
d’éducation très différents. Cela découle de mécanismes de discrimination sur le marché du
travail comme dans le système éducatif (où les basses castes sont jugées et évaluées plus
sévèrement). Ceci explique que les conflits entre castes perdurent et donnent lieu à des
violences, notamment pour la maîtrise de certains biens ou services essentiels (l’accès à
l’eau par exemple). De plus, la croissance économique de l’Inde ne profite pas encore aux
membres des basses castes. Guilhem Cassan décrit la faible efficacité des politiques de
discrimination positive mises en œuvre : elle découle en partie de l’incapacité de l’État à
faire respecter les lois, ou du fait que certains avantages bénéficient surtout aux couches
supérieures des castes visées. Ces politiques se traduisent également par la recherche d’une
reconnaissance comme caste discriminée, pour obtenir des compensations. La fiabilité de la
3 L’État devant être l’autorité garantissant le respect des contrats et le marché devant permettre un échange par le système
des prix dans un cadre concurrentiel.
4 Mark Rosenzweig et Oded Stark, « Consumption smoothing, migration and marriage: evidence from rural India »”,
Journal of Political Economy, vol. 97, n° 4, 1989, p. 905-926.