(SHU) secondaire à une envenimation scorpionique

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Le syndrome hémolytique et urémique (SHU)
secondaire à une envenimation scorpionique
(à propos de deux cas)
M. Bahloul1, M. Ben Hmida2, W. Belhoul1, H. Ksibi1, H. Kallel1, C. Ben Hamida1,
A. Chaari1, H. Chelly1, N. Rekik1 et M. Bouaziz1
1
Service de réanimation médicale CHU Habib Bourguiba, Sfax ;
2
Service de néphrologie CHU Hédi Chaker Sfax, Tunisie
Le SHU a été récemment décrit dans les suites d’envenimation scorpionique.
Nous rapportons deux observations colligées dans le service
de réanimation médicale du CHU Habib Bourguiba de Sfax.
Il s’agit de deux nourrissons âgés respectivement de dix mois
et un an, admis dans le service de réanimation pour envenimation
scorpionique grave avec troubles de la conscience et œdème pulmonaire traité par dobutamine et ventilation mécanique.
L’évolution dans le service a été marquée par une déglobulisation sans stigmates de saignement, une thrombopénie et apparition d’une insuffisance rénale aiguë.
Leur bilan biologique est en faveur d’une hémolyse.
Le diagnostic de SHU a été retenu pour les deux patients
devant l’hémolyse, l’insuffisance rénale aiguë et la thrombopénie.
Les deux patients sont décédés dans un tableau d’engagement
cérébral.
L’envenimation scorpionique se surajoute à la liste des étiologies des SHU. Le pronostic de cette complication semble sévère,
à cause des manifestations systémiques souvent associées.
HUS was recently described following scorpion sting.
We report 2 cases of HUS in the intensive care unit of a university hospital.
Two children aged respectively 10 months and 1 year were
admitted in the ICU after severe scorpion envenomation (with
coma and pulmonary oedema) having required dobutamine and
mechanical ventilation.
Evolution was marked with acute anaemia without bleeding
requiring blood transfusion, acute renal failure, low platelets and
signs of haemolysis.
Our experience and the previously reported case suggest that
scorpion sting could be added to the list of causes of the HUS.
Mots-clés : Syndrome hémolytique et urémique – Hémolyse –
Buthides – Scorpion – Androctonus australis hector.
Key words : Hemolytic and uremic syndrome – Hemolysis –
Buthides – Scorpion – Androctonus australis hector.
■ Introduction
■ Observation n° 1
Le SHU, caractérisé par une anémie hémolytique microangiopathique et une insuffisance rénale aiguë, est une pathologie essentiellement pédiatrique.1,2 Les étiologies sont variées
et dominées par les infections notamment à Escherichia coli
(O157 : H7) producteur de vérotoxine, l’HTA maligne, et le postpartum.1,2
Le SHU a été décrit récemment dans les suites d’une envenimation scorpionique.1 Nous rapportons deux observations de
SHU secondaire à une envenimation scorpionique dans le service
de réanimation médicale du CHU Habib Bourguiba de Sfax.
Un nourrisson de dix mois originaire de Bir Ali (région de
Sfax) admis au service de réanimation médicale du CHU de Sfax
deux heures après une piqûre par un scorpion de type Androctonus australis hector dans un tableau de coma (score de Glasgow
8/15), œdème pulmonaire, priapisme et ballonnement abdominal. La pression artérielle à l’admission est à 90 mmHg pour la
systolique et 40 mmHg pour la diastolique. L’auscultation pulmonaire trouve des râles crépitants aux deux champs pulmonaires.
Par ailleurs l’examen ne décèle pas de lésion de nécrose cutanée
au niveau du site de piqûre.
Néphrologie Vol. 25 n° 2 2004, pp. 49-51
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articles originaux
Résumé • Summary
Il a reçu une injection de sérum anti-scorpionique, mis sous
catécholamines (dobutamine 10 gamma/Kg/min) et sous ventilation mécanique.
Les examens biologiques réalisés à l’admission ont montré
une anémie (hémoglobine : 7,9 g/dl), les plaquettes à 471 000
éléments/mm3, une cytolyse hépatique (ASAT : 140 UI/L ; ALAT :
34 UI/L), un TP à 70%, un TCA à 30/30, une urée plasmatique à
10 mmol/l et une créatinine plasmatique à 60 µmol/l. Les CPK
sont à 2250 UI/l.
L’évolution a été marquée par une aggravation de l’anémie
(Hb : 4,5 g/dl), sans saignement ni hémodilution (bilan hydrique
négatif) avec des stigmates biologiques d’hémolyse : LDH à 4280
UI/ml et une bilirubine totale à 45 µmol/l à prédominance libre
41 µmol/l, dégradation de la fonction rénale avec urée plasmatique à 14,4 mmol/l et une créatinine plasmatique à 116 µmol/l
et apparition d’une thrombopénie à 57 000 éléments/mm3.
L’évolution a été marquée par l’absence de réveil à l’arrêt de
la sédation, l’apparition de fièvre à 40°C. Le patient est décédé
au cinquième jour d’hospitalisation dans un tableau d’engagement cérébral. L’autopsie n’a pas été réalisée.
articles originaux
■ Observation n° 2
Nourrisson âgé d’un an, originaire de Sidi Bouzid ayant présenté trois heures après une piqûre par un scorpion de type Androctonus australis hector, un coma (score de Glasgow 10/15), une
hypothermie, une cyanose et un priapisme. La pression artérielle à
l’admission est à 90 mmHg pour la systolique et 60 mmHg pour la
diastolique. L’auscultation pulmonaire trouve des râles crépitants
aux deux champs pulmonaires. Par ailleurs l’examen ne décèle pas
de lésion de nécrose cutanée au niveau du site de piqûre.
Il a reçu une injection de sérum antiscorpionique, mis sous
catécholamines (dobutamine 10 gamma/kg/min) et sous ventilation mécanique.
Les examens biologiques réalisés dans les premières 24 heures
ont montré une hémoglobine à 8,4 g/dl, une bilirubine totale à
35 µmol/l à prédominance libre (23 µmol/l), une créatinémie à
180 µmol/l, une urée plasmatique à 21,4 mmol/l et une cytolyse
hépatique avec ASAT à 180 UI/L et ALAT à 122 UI/L, un TP à 80%,
un TCA à 33/30. Les CPK sont à 10 000 UI/l.
Il a été transfusé par 100 ml de culot globulaire.
L’évolution a été marquée par l’aggravation de l’anémie (Hb :
7,7 g/dl) sans saignement ni hémodilution (bilan hydrique négatif)
et apparition d’une thrombopénie à 34 000/mm3. Le scanner cérébral a montré une hémorragie méningée et un œdème cérébral.
Le patient est décédé 24 heures après son admission dans un
tableau d’engagement cérébral. L’autopsie n’a pas été réalisée.
■ Discussion
Le diagnostic de SHU a été retenu dans ces deux observations devant l’insuffisance rénale aiguë, l’anémie hémolytique et
la thrombopénie. Malgré l’absence du dosage de l’haptoglobine
et la recherche de schizocytes, la nature hémolytique de cette
anémie a été retenue devant la déglobulisation sans signes d’hémorragie ni d’hémodilution, l’inefficacité transfusionnelle et la
présence de signes biologiques d’hémolyse (LDH et biluribine
libre élevés).
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L’absence d’autres signes cliniques (diarrhée, sang dans les
selles, etc.), biologiques ou bactériologiques évocateurs d’autres
étiologies de SHU nous a fait retenir l’origine scorpionique.
Nos deux nourrissons n’ont pas présenté de signes de choc
(hypovolémique ou cardiogénique) pouvant expliquer l’insuffisance rénale. La dobutamine a été utilisée, étant donnée qu’elle
a prouvé son efficacité dans la prise en charge de l’œdème pulmonaire secondaire à l’envenimation scorpionique.3 Selon la
XXIIe conférence de consensus en réanimation et médecine d’urgence sur les coagulations intravasculaires disséminées (CIVD) en
réanimation ces deux nourrissons n’ont pas présenté de signes
majeurs de CIVD.
Le SHU a été décrit la première fois en 1955 et est actuellement largement reconnu.2 De pathogénie variable selon l’étiologie, il semblerait que les lésions des cellules endothéliales, le vasospasme et l’activation plaquettaire jouent un rôle important dans
la constitution du SHU,1,2,4 donc tout facteur entraînant des lésions
des cellules endothéliales est susceptible d’engendrer un SHU.
Parmi les effets hématologiques de la plupart des venins de
scorpion, l’hémolyse semble occuper une place non négligeable
quoique non encore rapportée avec le scorpion de type Androctonus australis hector.5-8 Chez les scorpions non Buthides, l’activité
hémolytique est connue depuis longtemps,8 en particulier celle des
Scorpio maurus également présents dans le Maghreb. Chez les
scorpions Buthides (dont fait partie Androctonus), cette activité
hémolytique n’a été décrite que chez des espèces d’Asie centrale:
Buthotus 9 ou Buthus proche des Androctonus.6 Par contre les travaux même anciens n’ont jamais signalé d’hémolyse ni de néphropathie dans ce type d’envenimation, quelle que soit l’espèce en
cause. C’est pourquoi il nous semble que nos cas cliniques sont
importants. En effet, des microvariations de venin d’Androctonus
australis hector seraient possibles dans notre région.
L’anémie hémolytique micro-angiopathique résulterait de la
fragmentation des hématies sur les lésions vasculaires engendrées par le venin.1
Lorsque la micro-angiopathie thrombotique prédomine sur
les glomérules et/ou les petites artérioles du rein, la traduction
clinique en est le SHU. Au contraire, lorsque les lésions sont plus
disséminées, les manifestations systémiques à type de fièvre et
atteinte neurologique centrale prédominent, réalisant un tableau
d’une microangiopathie thrombotique.10 La gravité de la symptomatologie du SHU d’origine scorpionique semble être dépendante de l’espèce du scorpion en cause.1
Dans notre région, l’espèce la plus dangereuse et la plus répandue est l’Androctonus australis hector (scorpion jaune à extrémités
foncées).11 Son venin contient des hémolysines, des neurotoxines
et probablement des endothéliolysines comme le venin d’autres
espèces de scorpion.1 Ceci pourrait expliquer l’importance des
signes systémiques associés au SHU rencontrés dans nos deux
observations et nous laisse supposer que le pronostic dépendrait de
l’importance et de la dissémination des lésions.
■ Conclusion
L’envenimation scorpionique pourrait se surajouter à la liste
des étiologies du SHU.
Le pronostic de cette complication (SHU) semble sévère, à
cause des manifestations systémiques souvent associées.
Néphrologie Vol. 2 5 n° 2 2004
Adresse de correspondance :
Drs Mabrouk Bahloul et Mounir Bouaziz
Service de réanimation médicale
Hôpital Habib Bourguiba
Route el Ain Km 1
3029 Sfax
Tunisie
[email protected]
[email protected]
3. Elatrous S, Nouira S, Besbes-Ouanes L, Boussarsar M, Boukef R, Marghli
S, Abroug F. Dobutamine in severe scorpion envenomation : Effects on
standard hemodynamics, right ventricular performance, and tissue oxygenation. Chest 1999 ; 116 : 748-53.
4. Thompson CE, Damon LE, Ries CA, Linker CA. Thrombotic microangiopathies in the 1980s : Clinical features, response to treatment, and the
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7. Rabie F, Asmar MF, Ibrahim SA. Inhibition of catalase in human erythrocytes by scorpion venom. Toxicon 1972 ; 10 : 87-8.
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9. Reddy CR, Suvarnakumari G, Devi CS, Reddy CN. Pathology of scorpion
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Références
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2.
Siegler RL. The hemolytic uremic syndrome. Pediatr Clin North Am 1995 ;
42 : 1505-29.
Date de soumission : décembre 2002 Date d’acceptation : septembre 2003
articles originaux
1.
11. Bahloul M, Bouaziz M, Dammak H, Ben Hamida C, Ksibi H, Rekik N,
Chelly H, Teboul JL, Kallel H. Value of the plasma protein and hemoglobin
concentration in the diagnosis of pulmonary oedema in scorpion sting
patients. Intensive Care Med 2002 ; 28 : 1600-5.
Néphrologie Vol. 25 n° 2 2004
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