Fiche chronothématique réalisée par Damien Coufourier en avril 2015.
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Pierre HEMOND
M. Pierre Hémond est né en 1926 dans lAube.
ENREGISTREMENT RÉALISÉ LE 24/04/2013 PAR MADAME CECILE HOCHARD.
STATUT DU TÉMOIN Cheminot pendant la Deuxième
Guerre mondiale
FONCTION À LA SNCF apprenti
apprenti ajusteur
ouvrier ajusteur
ouvrier mineur ajusteur
ouvrier professionnel 1er classe
agent principal de 3e classe
employé stagiaire
employé
employé de bureau
agent administratif de bureau
DATE D’ENTRÉE ET 1941-1981
DE DEPART DE LA SNCF
AXE DE L’ÉTUDE Vie et travail au quotidien pendant la
Deuxième Guerre mondiale : mémoire
et récits de cheminots
SUJET PRINCIPAL Un apprenti ajusteur en formation à
Romilly-sur-Seine
THÈMES ABORDÉS Vie quotidienne et professionnelle
pendant l’Occupation
Résistance et sabotage
Fin de la guerre et après-guerre
Motivations pour répondre à l’appel à
témoins
OUTIL DE CONSULTATION CD audio
MATÉRIEL D’ENREGISTREMENT TASCAM DR-40
DURÉE DE L’ENREGISTREMENT 1 heure 46 minutes 50 secondes
DURÉE APRÈS TRAITEMENT DU SON 1 heure 35 minutes 16 secondes
AV1 AT H117/E02
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Communication
Le témoin autorise, à partir du 24 avril 2013, la copie, la consultation, l’exploitation pour des travaux
à caractère historique ou scientifique, la diffusion sonore et la publication de la transcription et de
l’enregistrement avec mention de son nom, par contrat passé avec Rails et Histoire à laquelle toute
demande d’utilisation à d’autres fins de l’enregistrement et de la présente analyse doit être
adressée.
Documents fournis par le témoin et consultable auprès du SARDO
- Photographie du pont de Bernières bombardé.
- Souvenirs de Serge Drouot « 1939 de l’enfance… à l’adolescence 1945 ».
- Article de Pierre Hémond paru dans l’Est-Éclair « De Romilly, point stratégique dans la dernière
guerre…Au sabotage du transformateur de l’atelier SNCF ».
- Série de photographies prises par l’enquêtrice lors d’une visite des ateliers de Romilly-sur-Seine.
Compte rendu analytique
I - Vie quotidienne et professionnelle pendant l’Occupation
(Plage 02) Pierre Hémond est entré au centre d’apprentissage de la SNCF le 15 septembre 1941. Il
a d’abord pris ses repas chez lui puis à la cantine de l’entreprise. L’ingénieur en chef allemand fit en
sorte que les jeunes apprentis puissent avoir de quoi manger. Ils recevaient les « pilules du
Maréchal Pétain », un complément alimentaire, mais lorsqu’ils devaient manger chez eux la
nourriture était en quantité insuffisante. La cantine était accessible le midi et le soir pour ceux qui le
souhaitaient. Le ravitaillement était très difficile car il fallait parfois faire la queue dans les magasins
tôt le matin avant d’aller travailler. Ses parents disposaient d’un petit jardin. Ils allaient également se
ravitailler à la campagne comme beaucoup de gens mais la pénurie régnait et peu de produits
étaient disponible ce qui réduisait les quantités disponibles. Pour avoir de la nourriture, il fallait faire
du troc, en emportant par exemple des chaussures à échanger. Malgré tout, l’ambiance était bonne
au sein de la famille. Ses parents envoyaient des colis à son frère prisonnier quand ils le pouvaient.
Le colis était préparé par le boulanger, qui connaissait Pierre Hémond car celui-ci était un ami de
son fils et il lui donnait toujours un peu plus. Le colis était déposé dans une maison près de la gare
qui effectuait les envois. La pénurie touchait également les vêtements mais de façon moins grave.
Au centre d’apprentissage, il portait des vêtements civils et des bleus de travail qu’il payait. Le
chauffage de la maison se faisait avec du bois récupéré sur un chantier à côté de la maison et avec
du charbon, donné chaque mois par la SNCF. Seule la cuisine était chauffée le soir dans la maison.
La ville de Romilly-sur-Seine était alimentée en gaz qui servait également aux Allemands. Le
marché noir était peu présent dans la ville. Deux restaurants permettaient de manger sans tickets
contre de l’argent. Les vols de nourriture étaient rares, seul un train de marchandise de l’armée
française fut pillé lorsque la population quittait la ville devant l’avancée de l’armée allemande.
(7mn:53s)
(Plage 03) Pierre Hémond bénéficiait de la médecine de la SNCF. Tous les ans il passait une visite
médicale au titre de la médecine médicale. « On était un peu choyé quand même, faut l’admettre. »
En revanche pendant son apprentissage il ne bénéficiait pas de la médecine de soins gratuite en
cas de maladie. Des assistantes sociales pouvaient également aider les cheminots en difficulté.
(2mn:41s)
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(Plage 04) Pendant son temps libre, avec ses camarades Pierre Hémond allait au cinéma, au café-
concert ou au casino qui faisait apéritif-concert. L’affluence était forte au cinéma qui devait refuser
régulièrement des spectateurs, la salle étant chauffée les attirait d’autant plus. Le cinéma passait
des films français et allemands. Il y allait le dimanche après-midi. Le propriétaire, M. Bourdier, lui dit
après la guerre qu’il avait été convoqué à la Kommandantur car il ne diffusait pas suffisamment de
films allemands comme Le Cuirassé Sébastopol [film de propagande anti-soviétique]. Il possédait
deux salles de cinéma, une de 750 places et une autre plus petite de 350 il diffusait les films
allemands. Pierre Hémond aimait bien certains films allemands comme Bel Ami de Willi Forst. Le
cinéma était aussi le lieu où étaient diffusées les actualités. Ces dernières étaient projetées avec la
lumière allumée pour repérer les fauteurs de trouble. Le propriétaire avait faire appel à la police
pour éviter de devoir fermer son cinéma. Des bals furent organisés à l’Eden (le cinéma de la ville)
mais la Kommandantur les interdit rapidement. (5mn:43s).
(Plage 05) Le centre d’apprentissage a permis à Pierre Hémond de faire des rencontres, il faisait
partie d’un groupe de cinq camarades, « dans ce temps-là, c’était bon la camaraderie ». Il aurait
voulu devenir instituteur mais il fut détourné du métier par l’un de ses instituteurs qui était violent
avec ses élèves. Il partit en colonies de vacances avec les autres apprentis en Alsace et dans les
Ardennes. Du fait de l’absence des prisonniers et du manque de moyens, les familles ne
célébraient plus les fêtes religieuses et ne participaient plus aux fêtes collectives. (3mn:16s)
(Plage 06) Pierre Hémond estime que les cheminots de Romilly-sur-Seine [Aube] n’étaient pas
« martyrisés » pendant l’Occupation. L’ingénieur Allemand du dépôt n’était pas un cheminot dans le
civil mais il pense qu’il avait dut faire la guerre de 1914/1918. Il aurait voulu lui serrer la main à la fin
de la guerre car il aurait pu faire fusiller des cheminots à cause des sabotages. C’était le seul
cheminot allemand dans les ateliers selon lui. La présence allemande à Romilly-sur-Seine [Aube]
se concentrait sur le camp d’aviation, à la Kommandantur et à la Feldgendarmerie. Il y a eu, selon
ses lectures, jusqu’à 5 000 Allemands dans la ville pour une population de 12 000 habitants mais ils
étaient discrets. Ils achetaient beaucoup de vêtements pour leurs femmes. Il évoque une
commerçante qui à la Libération a vu une croix gammée peinte sur sa boutique, sans doute en lien
avec le commerce qu’elle avait fait avec l’occupant. Il se rappelle que sa cousine sortait avec un
Allemand, qui n’était pas « hitlérien ». Les Allemands parlaient un peu avec la population en
français. Ceux du camp d’aviation allaient à l’apéritif-concert le dimanche, « puis à la longue on
s’habituait à eux [] c’est malheureux de dire ça mais la plupart étaient pas provocant ». Pierre
Hémond pense que les Allemands de la Kommandantur et de la Feldgendarmerie faisaient leur
travail mais sans faire de zèle. (5mn:37s)
(Plage 07) Au moment de l’armistice, la famille de Pierre Hémond était partie à Aurillac [Cantal], en
zone non occupée. La nouvelle fut bien reçue car « on était content que la guerre finisse ». Pétain a
alors « eu des applaudissements », mais peu à peu après la poignée de main entre Hitler et Pétain
à Montoire [entrevue de Montoire le 24 octobre 1940] et avec la répression contre les Juifs, leur
opinion a changé. Il se souvient être allé à Paris en mars 1944 et avoir vu Pétain entouré d’une
foule très importante. Il était sans doute encore très apprécié à ce moment. Lui et ses parents
écoutaient Radio-Londres. Les tracts et journaux clandestins étaient peu nombreux, principalement
issu de la Résistance. Selon Pierre Hémond au sein de l’atelier, il y avait des « collabos ». Ils
étaient selon lui une dizaine sur les 2 200 cheminots. (5mn:43s)
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II - Résistance et sabotage
(Plage 08) Pierre Hémond regardait le soir le nombre de voitures à voyageurs réparées dans les
ateliers et faisait un rapport à Delphine Aigle. Ces informations étaient transmises à Londres, au
bureau de Sir Arthur Harris, en charge des bombardements. Les sabotages avaient pour but de
limiter les bombardements sur Romilly-sur-Seine [Aube] et protéger ainsi les populations des
dommages collatéraux. Mme Aigle était une sage-femme amie de la mère de Pierre Hémond. C’est
elle qui lui a demandé de compter les voitures réparées. Le poste émetteur pour informer Londres
se situait dans une vieille maison près du pont du Calvaire. Il se souvient avoir vu un cheminot
prenant des « riblons » [chutes, débris métalliques] au poste d’ajustage et les mettant dans la boîte
à huile des essieux des voitures. Il faisait son rapport à Mme Aigle presque tous les soirs, à partir
du débarquement [6 juin 1944]. À ce moment-là, les ateliers travaillaient au ralenti après les
sabotages. Le sabotage du transformateur principal [8 mai 1944] avait entraîné l’arrestation de trois
cheminots. Ces derniers avaient été retenus pendant près d’un mois et tout le monde était
persuadé qu’ils ne reviendraient pas. Pierre mond pense que c’est l’ingénieur allemand qui a
permis leur libération en faisant jouer ses relations. Les auteurs de ce sabotage seraient deux
individus dont un venant de Paris mais personne n’avait de certitude à ce sujet. (9mn:23s)
(Plage 09) Delphine Aigle avait un contact allemand dans le camp d’aviation. Elle devait remettre
aux Anglais les plans du « Messerschmitt 410 » en 1943. Elle faisait partie du réseau Samson à
Romilly-sur-Seine [Aube], qui faisait principalement du renseignement. Ce réseau était dirigé par le
lieutenant-colonel Masson. Mme Aigle était sous l’autorité de Maurice André, ingénieur à la SNCF
et proche des FFI. Il y avait également André Bacqueman et M. Impérial qui travaillaient à l’atelier
et donnaient des leçons aux apprentis. Mme Aigle a aussi permis à des aviateurs américains, dont
l’avion avait été abattu, de rejoindre l’Angleterre en passant par l’Espagne et le Portugal. Pierre
Hémond se souvient d’un pilote américain que son père avait hébergé une nuit. Son père ne
pouvait pas le garder car c’était trop dangereux. Lors des rafles de Juifs, Mme Aigle a également
sauvé Maurice Herszkowicz qui était tailleur, mais n’a pas pu sauver sa femme et sa fille. Pierre
Hémond lui a fait ses rapports pratiquement tous les jours pendant un mois et demi, un peu avant la
libération de Romilly le 26 août 1944. Il a souvenir d’une dizaine d’agents SNCF qui participaient au
réseau et appartenaient aux FFI. Il en connaissait à peu près la moitié. (7mn:59s)
(Plage 10) Pierre Hémond se souvient de son oncle communiste qui a été arrêté, il travaillait à la
centrale de ravitaillement de Châtres [Aube]. Après l’attaque allemande contre l’URSS [22 juin
1941], les Kommandantur avaient ordre de rechercher les noms des communistes. Certains
communistes étaient pro-allemands mais ils ont quand même été arrêtés. Il y eut 17 communistes
déportés, parmi lesquels son oncle qui n’est jamais revenu. Certains ont pu revenir et parler de leur
déportation. Le souvenir le plus marquant pour Pierre Hémond fut le massacre de Creney [Aube] où
certaines victimes étaient originaires de Romilly-sur-Seine [Aube] [les auteurs ne sont pas
clairement identifiés, entre Allemands et autonomistes bretons, le 22 août 1944, 49 détenus dont 14
Romillons, de la prison de Troyes furent exécutés par les SS épaulés par des membres de la Milice
bretonne]. Cet évènement a « gâché » la joie de la libération. (5mn:26s)
Fiche chronothématique réalisée par Damien Coufourier en avril 2015.
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III - Fin de la guerre et après guerre.
(Plage 11) Pierre Hémond a été informé du débarquement « tout de suite au chemin de fer », « il
pleuvait ce jour- ». Il a alors ressenti de l’espoir. Pendant la période du débarquement jusqu’à la
libération de la ville de Romilly-sur-Seine [Aube], il ne s’est pas passé « grand-chose ». La ville a
été libérée par les Américains : « C’est que j’ai fumé ma première cigarette de ma vie alors que
j’aurai voulu un chewing-gum. » Le camp d’aviation a été rapidement investi par les troupes
américaines et environ un an plus tard les Français ont récupéré le camp. Il se rappelle que les
Américains avaient invité la population à venir danser. Il y avait des boissons et des gâteaux mais
ils devaient venir accompagnés de femmes. Le travail à l’atelier reprit début septembre. Le 8 mai
1945, il a bu pour la première fois du champagne au casino, offert par la patronne. Il y a eu
beaucoup de bals à ce moment-là, ce qui permettait à Pierre Hémond de danser. Des prisonniers
allemands ont travaillé au chemin de fer et étaient généralement affectés à des postes de
manœuvre. Le travail a rapidement repris aux ateliers malgré l’absence d’électricité. Les cheminots
prisonniers et ceux du STO sont progressivement revenus. Son frère, prisonnier de guerre, s’était
évadé et réfugié en Suède pendant la guerre. (7mn:18s)
(Plage 12) Après la guerre, Pierre Hémond a essayé de nombreux postes afin de trouver celui qui
lui conviendrait. Il était « bien vu » par l’ingénieur électricien et allait à ses cours du soir. C’est à ce
moment- qu’il est entré au service électrique. Il y avait deux services électriques, « force et
lumière » et « électrici des trains ». Il était présent dans les deux. Le réseau a été
progressivement remis en état de marche notamment avec la reconstruction des ponts de Bernières
et de Nogent-sur-Marne. La SNCF a pu bénéficier de trains et voitures américains pour ramener les
prisonniers et des marchandises. (3mn:44s)
(Plage 13) Après la guerre, l’épuration eut lieu et deux apprentis furent renvoyés. Pierre Hémond a
participé à des tribunaux mais « ça m’a pas plu » et il cessa d’y participer. Au « Montage », une
dizaine de cheminots ont été jugé. À l’arrivée des Américains, ils travaillaient 48 h par semaine et
passèrent à 60 h. Ils travaillaient de 7h à 12 h et de 13h à 18h. Pierre Hémond sortait
d’apprentissage et eu du mal à supporter ce nouveau rythme. Il a regretté de ne pas avoir dénoncé
le moniteur qui était parti pour le STO pendant seulement 6 mois [sa femme était allée à la
kommandantur pour le faire revenir]. Cet homme quitta de son plein gla SNCF pour travailler
dans la bonneterie. (3mn:45s)
(Plage 14) Pierre Hémond et ses collègues parlaient peu de cette période. L’après-guerre était
certes moins difficile mais les problèmes de ravitaillement ont duré jusqu’en 1948. Il a assisté à des
commémorations et à des poses de plaques. Il n’y assistait pas systématiquement « car ça nous
faisait mal au ventre ». À la gare de Troyes [Aube] est inscrit le nom de collègues qu’il a connus,
« on y pense encore à ses gars- ». Il estime que l’influence de la guerre sur le chemin de fer a été
minime car ils n’étaient pas « malheureux » sauf pour ceux qui sont partis en Allemagne. (3mn:40s)
(Plage 15) Pierre Hémond fut engagé dans plusieurs syndicats après la guerre. Il a commencé à la
CGT mais n’est pas resté longtemps car « il faisait trop de politique » et a adhéré ensuite à la CFDT
[la CFTC qui devint à partir de 1964 la CFDT] il a été élu délégué syndical. Il a participé aux
grandes grèves de 1947 et était déjà à la CFTC [qui devint la CFDT en 1964]. Ces grèves se sont
passées sans heurts à l’atelier de Romilly-sur-Seine [Aube] bien que la CGT et les communistes y
soient majoritaires. Il pense que le travail fut arrêté environ une semaine. (2mn:20s)
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