Mais on notera surtout que nombre de végétaux se confondent avec d’autres éléments
naturels. Le végétal, par les métaphores qu’il suscite, abolit les frontières. C’est ainsi qu’un
interrègnecaractérise la tératologie végétale chez Zola. Cet interrègne peut renvoyer aux
minéraux : comme il a été dit, les baies de Guyane ont des reflets métalliques. Il peut aussi, le
plus souvent, renvoyer aux animaux. Dans la serre, en effet, les Tornélias se tordent ainsi que
des serpents malades, les Euryales ont des dos de crapauds monstrueux couverts de pustules,
les Caladiums ressemblent à des papillons, les Quisqualus à des couleuvres18 ; en Amazonie,
Florent pose le pied sur des feuilles sèches et voit « des têtes minces [de serpents] filer entre
les enlacements monstrueux des racines »19 ; dans un bassin du Paradou enfin, des amarantes
poussent « hérissant des crêtes monstrueuses […] semblables à de gigantesques chenilles
géantes »20 et plus loin les plantes grasses tiennent de l’araignée, de la chenille, du cloporte,
des tortues ou des vipères21. On le voit, les animaux évoqués sont bien entendu les reptiles22 et
les insectes en priorité, de par leur aspect repoussant, leur dangerosité et la tradition littéraire
qu’ils véhiculent en eux et les images naissantes sont agressives, mimant la lutte incessante
entre l’homme et la nature.
3) Des plantes funestes
Certaines plantes ont l’aspect de visages pâles ou apoplectiques23. Car du danger évoqué
par la forme au danger réel des plantes, il n’y a qu’un pas. Dans la serre de Renée, ce danger
est maîtrisé par la main de l’homme : ainsi les Coques du Levant et les Euphorbes
d’Abyssinie qui renferment du poison n’inquiètent-elles pas véritablement le lecteur ; Renée
elle-même, par dépit amoureux, mâche volontairement la feuille d’un Tanghin de
Madagascar, « plante maudite » dont les « nervures distillent un lait empoisonné », sans que
cela lui nuise véritablement24.
En revanche il en va tout autrement des plantes sauvages de Guyane si inconnues qu’elles
n’ont d’ailleurs plus de nom, ou de celles laissées en liberté dans le Paradou. Ce sont les
mêmes plantes qui « suent le poison » et l’on tremble pour Florent, perdu en pleine forêt, qui
n’ose mordre aux fruits éclatants qui pendent des arbres25. On n’oubliera d’ailleurs pas que
même la senteur des fleurs, c’est-à-dire ce qui en fait tout le charme, peut être mortelle
puisque Florent croit étouffer déjà sous le parfum des fleurs puantes de Guyane et que
l’ensemble des parfums des fleurs du Paradou finit curieusement par étouffer Albine à la fin
de La Faute de l’abbé Mouret26.
Parmi d’autres plus communes, certaines plantes présentées par Zola sont donc
indéniablement monstrueuses et participent à l’élaboration d’espaces pullulants, dévorateurs
18La Curée, p. 51.
19Le Ventre de Paris, p. 313.
20La Faute de l’abbé Mouret, p. 106.
21La Faute de l’abbé Mouret, p. 131.
22Parmi d’autres exemples, La Faute de l’abbé Mouret, p. 130 : « un araucaria surtout était étrange, avec ses
grands bras réguliers, qui ressemblaient à une architecture de reptiles, entés les uns sur les autres, hérissant leurs
feuilles imbriquées comme des écailles de serpents en colère. » En règle générale, le monstrueux végétal
s’accompagne d’un monstrueux animal, qu’il s’agisse bien sûr de serpents, mais aussi d’une chimère fantastique,
de corbeaux, etc. Cf. Philippe Bonnefis, « Le bestiaire d’Emile Zola », in Europe n°468-469, Paris, 1968, p. 102
où la sève végétale se teinte du sang animal pour y introduire un chaos. On peut le rejoindre lorsqu’il affirme que
l’animalité corrompt la vie harmonieuse des plantes chez Zola en montrant que les plantes sont présentées
comme monstrueuses souvent en lien avec l’animalité de crapauds, de serpents et autres.
23La Faute de l’abbé Mouret, p. 105 et 107.
24La Curée, p. 53.
25Le Ventre de Paris, p. 313.
26La Faute de l’abbé Mouret, p. 213.