
6 MÉTASTASE, MUSICIEN DU VERBE
Un art relevant de deux typologies différentes est difficile à
apprécier. Il en va ainsi de l’opéra : considéré plutôt comme un
genre littéraire au e, il est aujourd’hui envisagé presque ex-
clusivement sous l’angle musical. Ces deux appréhensions sont
aussi réductrices l’une que l’autre : un ouvrage lyrique ne saurait
se limiter à son livret non plus qu’à sa partition.
Une fois le statut d’« artiste » conquis par les musiciens au
e siècle, l’exégèse de leur production a pris son essor : il en
résulte que l’évolution de l’art lyrique, appréhendée du point de
vue de la musique, est assez bien connue du public. Il n’en va
pas de même de son évolution appréhendée du point de vue des
lettres. L’on oublie totalement que l’une ne va pas sans l’autre et
que l’autre (celle qu’on n’étudie point) a plutôt conditionné l’une
(celle dont on parle tant). Regardez ce que donne cet a priori
du point de vue de la mise en scène : aujourd’hui, à l’opéra, l’on
songe, éventuellement, à « respecter » la musique, mais jamais à
« respecter » le poème.
Le livret d’opéra, n’étant pas reconnu comme « objet esthé-
tique » à part entière, ne l’est pas non plus comme objet de re-
cherche, de connaissance, de plaisir – et réciproquement. Inex-
ploré, il ne peut être apprécié ; déprécié, il ne saurait être connu.
Et, pourtant, l’opéra ne partage pas cet ostracisme : on va à l’opé-
ra, on écoute des opéras, on les enregistre, on les représente, on
les vend, on en débat, on les étudie, et, de plus en plus fréquem-
ment, on les cite dans la publicité, on en fait des remakes, on
en truffe les bandes-son. N’est-il pas paradoxal qu’on prétende
connaître et goûter un art dont on se fait loi d’ignorer les fonde-
ments ?
Le postulat de base de mon travail sur le genre du livret –
genre dont je fais de Métastase l’emblème, je dirai pourquoi plus
loin – a donc été le désir de réhabiliter celui-ci en tant qu’objet
de savoir et de plaisir autonome, mais aussi en tant que fondement
d’un autre genre, l’opéra, déjà reçu, lui, comme objet de plaisir et
de savoir, mais peut-être pour de « mauvaises » raisons, ou, à tout
le moins, des raisons insuffisantes.
En abordant le melodramma – que nous appelons impropre-
ment l’opéra séria, de nos jours – par le biais des lettres, je ne
fais d’ailleurs que le prendre pour ce qu’il voulait être. Puisque le
livret d’opéra séria – celui des années 1720/1760 – a été conçu,