22. Gelzer 1928:1.
23. Bédier 1909:9.
24. Voir chapitre 3, pages 49-9.
25. On peut citer par exemple des termes tels que fieuz (5);
guerredum (44); turnei (49).
26. PL CLXXX:1065.
27. Epistola 363, PL CLXXXII:565.
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conclusion: les strophes complètes sont construites sur une rime abab abab.
Les vers 49-53 sont rangés de la façon suivante: ababa; viennent ensuite
les vers 58-63, organisés sur le schéma cdccdd. Le copiste inventif proposé
par Voretzsch aurait sans doute respecté l'arrangement des rimes de
l'original qu'il avait sous les yeux. Aussi faudrait-il, à mon avis, y voir
deux strophes incomplètes téléscopées pour le besoin de la cause.
Le texte fourni par Schöber est basé sur l'édition de Gelzer, qui ne
dissimule pas les problèmes posés par le texte tel que le rend le manus-
crit. La seule intervention majeure de l'éditeur est un essai de recon-
struction de la forme strophique originale. Bédier, par contre, a fait des
efforts pour restaurer le texte afin d'arriver à une plus grande lisibi-
lité, ce qui a donné lieu à des différences orthographiques par rapport à
l'édition de Gelzer. Puis, Bédier intervient dans les vers 27-8, où Gelzer
donne la leçon Riches reis [est] e poëstiz / Sur tuz altres est curunez.22
Inspiré par G. Paris, Bédier y introduit la correction suivante: Riches est
e poesteïz, / Sur tuz altres reis curunez.23 Je suis d'avis que cette
correction, qui n'est pas motivée par le manuscrit, change le sens des deux
vers en question et donne à Louis plus d'honneur que l'auteur médiéval ne
lui avait réservée. Je cite donc le texte d'après Gelzer. Il est vrai que
son Altfranzösisches Lesebuch est une anthologie plutôt qu'une édition;
dans le cas de Chevalier... pourtant l'appareil critique est fourni dans
son article de 1928.
Analyse. Dominée par la catégorie thématique numéro 4,24 la chanson
Chevalier... véhicule un appel fondé sur des arguments de caractère reli-
gieux. Afin d'avoir plus d'impact sur le public visé, in casu les cheva-
lier(1), notre poète traduit les arguments spirituels dans un vocabulaire
féodal.25 En s'adressant à la seule classe des bellatores, ceux qui d'armes
[sunt] preisez (18), il suit la voie frayée par Eugène III qui, dans la
bulle Quantum praedecessores, fit appel aux maxime potentiores et nobiles,26
décision qui, je l'ai déjà signalé, était motivée par l'expérience faite
lors de la première croisade: la grande masse des non-combattants, femmes
et vieillards, avait considérablement ralenti l'armée. Aux temps d'Eugène
III, la croisade n'est donc plus un pèlerinage auquel tous peuvent, ou même
doivent, participer. C'est un combat. En Orient, Dieu sauvera ceux qui bien
ferrunt (61). Aussi les inutiles seront-ils désormais découragés de suivre
les croisés. Voilà le début d'une tendance qui se profilera davantage sous
Alexandre III et Innocent III. Notre poète a donc raison de dire que les
combattants sont guariz (1), comme le suggère également une lettre de saint
Bernard. S'adressant explicitement aux viri fortes, l'abbé cistercien pré-
sente la croisade comme une aubaine: Ecce nunc, fratres, acceptabile tem-
pus, ecce nunc dies copiosae salutis.27 Ce n'est pas tous les jours qu'on a