1. Introduction
Depuis les travaux pionniers de Katona (1960, 1975) sur le rôle des facteurs psychologiques
dans l'économie, la compréhension de l'économie par l'homme de la rue est devenue un enjeu
crucial pour les économistes et les décideurs politiques. L'idée sous-jacente est que ce que les
gens pensent à propos de l'économie va guider leur comportement au sein de l'économie. De
ce fait, la compréhension de la structure et du contenu du savoir économique populaire
constitue la clé pour expliquer (et peut-être même prédire) le comportement économique aussi
bien au niveau individuel qu'au niveau collectif.
Cependant, les approches épistémologiques du savoir populaire en général, et du savoir
économique en particulier, se sont traditionnellement basées sur une dichotomie "science -
sens commun" (Bangereter, 1995; Galbraith, 1958; Krugman, 1996). Elle repose sur l'idée
que la compréhension de l'homme de la rue est pleine d'erreurs et de méconnaissance, alors
que la science offre un accès à la vérité 'objective' à travers la rigueur et la discipline de la
méthode scientifique. Dans ce contexte, la théorie des représentations sociales (TRS) a
émergé en tant que science du sens commun, tentant de confronter cette attitude plutôt
péjorative à l'égard des théories populaires (Farr, 1987; Moscovici, 1984).
Cependant, malgré ses efforts, la TRS n'en repose pas moins sur une distinction entre les
univers réifiés et consensuels (Moscovici, 1984), qui se greffe sur la distinction entre science
et sens commun (Bangerter, 1995). Selon Moscovici (1987, p. 514), 'toute science dédiée à
l'étude des pensées et croyances dans la société actuelle doit résoudre un problème
épistémologique évident: la relation entre la pensée scientifique et non-scientifique'. Il s'ensuit
donc qu'alors que le savoir scientifique correspond à l'univers réifié, les représentations
sociales appartiennent à l'univers consensuel (Moscovici, 1984). De plus, le savoir émanerait
de l'univers réifié avant d'être transmis vers l'univers consensuel, dans ce que Moscovici
qualifie d'inversement de la direction prévalant auparavant (Moscovici et Hewstone, 1983).
Alors que, jadis, le sens commun alimentait la science, c'est à présent le savoir scientifique
qui imprègne la compréhension du monde des gens. A partir de l'univers réifié, il se diffuse
dans l'univers consensuel, où il est transformé à travers un processus de représentation et de
communication.
Toutefois, Bangerter (1995) suggère que, étant donné l'état actuel de la TRS, cette distinction
entre science et sens commun devrait être remise en question. Selon cet auteur, le sens
commun est éminemment dépendant de la culture: tout groupe ayant existé un certain temps
développe son propre savoir quotidien, qui peut ou non être partagé par d'autres groupes. Il
s'ensuit donc que la distinction entre savoir expert et profane est relative: 'une sous-culture, ou
un sous-groupe, qui est expert par rapport à un autre groupe à propos d'un certain thème peut
simultanément être considéré non-expert par rapport à un autre groupe concernant le même
thème' (Bangerter, 1995, p. 70). De façon similaire, Flick (1995) propose une taxonomie des
différentes catégories de pensée dans la société occidentale post-industrielle, qui inclut les
mythes, la religion, la science, le sens commun pré-scientifique, le savoir quotidien post-
scientifique et l'idéologie. Une vision aussi fragmentée du savoir en société ne peut pas être
incorporée à une simple dichotomie opposant la science au sens commun. Un cadre différent
est nécessaire afin de comprendre la relation entre ces différentes catégories de savoir.
Pour von Cranach (1992), Les représentations sociales constituent le savoir pour un système
social particulier, ou une de ses parties - leurs 'systèmes de transport'. Bangerter (1995)
s'appuie sur cette conception et s'en sert pour remettre en question le statut réifié de la science.
Alors que, traditionnellement, le savoir scientifique est dissocié de son 'système de transport'
(son contenu est indépendant du processus de sa production), il est plus réaliste de considérer
la science comme 'une système social complexe ou une collection de systèmes interagissants