succès de la Confédération ou de son “abandon” par le gouvernement
britannique, ils furent éminemment discrets. Seul Lord Robert Cecil 7,
que l’on rencontrera à plusieurs reprises dans les pages qui suivent, fit
à diverses reprises preuve d’un certain franc-parler, prenant soin
toutefois de ne jamais faire scandale en souhaitant ouvertement
l’écrasement du Nord ou en se prononçant pour une intervention
militaire britannique. On l’a remarqué : si l’on veut connaître les
positions réelles des Conservateurs sur la guerre civile américaine, il
n’y a pas grand-chose à tirer des débats parlementaires ou même de la
correspondance privée entre les principaux leaders tory 8.
Ce qui ne signifie pas que par delà leur parti les Conservateurs n’aient
rien eu de particulier à dire sur la question. Au contraire. Depuis au
moins 1830 la république américaine et l’idéologie démocratique dont
elle était à la fois l’incarnation et le vecteur, hantaient les réflexions
politiques des Tories de manière d’autant plus lancinante, angoissante,
que l’impressionnante progression économique des États-Unis
permettait mal de contrer, surtout parmi le peuple, mais aussi parmi
les classes moyennes, la propagande radicale qui soutenait que la
prospérité des Américains ne venait pas des vastes ressources d’un
immense territoire à peine peuplé, mais de ses institutions politiques
qui, étant fondées sur la liberté et l’égalité, libéraient les énergies.
C’était la démocratie et non la géographie qui faisait de l’Amérique
7 Le futur troisième Marquis de Salisbury.
8 Voir W. D. Jones, “The British Conservatives and the American Civil War”,
American Historical Review, 58, 1953, pp. 527–543. Dans le présent article nous
nous attacherons à analyser les sentiments et les idées des Conservateurs, c’est-à-
dire de tous ceux qui se reconnaissaient dans le parti du même nom. Autrement l’on
pourrait dire que tout ce que l’Angleterre comptait de tempéraments conservateurs
(et il y en avait beaucoup parmi les Libéraux) fut peu ou prou favorable à la
Confédération. Mais cela nous entraînerait beaucoup trop loin et, de plus, sur des
sentiers déjà amplement battus par des études sur l’opinion publique anglaise à
l’époque ou, plus étroitement, sur les partisans du Sud en Angleterre. Il n’existe pas,
en revanche, à notre connaissance, d’étude détaillée sur la presse ouvertement
conservatrice, notamment les grandes revues. Blackwood’s et la Quarterly Review
sont très peu utilisés, par exemple, dans l’ouvrage de Sheldon Vanauken, The
Glittering Illusion. English Sympathy for the Southern Confederacy, Worthing :
Churchman Publishing, 1988. On pourra aussi consuter Adams, Great Britain and
the American Civil War, chapitre 18 ; D. Jordan et E. Pratt, Europe and the
American Civil War, Londres : Humphrey Milford, 1931, chapitre 3 ; J. M. Hernon,
“British Sympathies in the American Civil War : A Reconsideration”, Journal of
Southern History, 33, 1967, pp. 356–367.